La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

04/10/2007 | FRANCE | N°05/13593

France | France, Cour d'appel d'aix-en-provence, Ct0047, 04 octobre 2007, 05/13593


COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE

2ème Chambre

ARRÊT AU FOND

DU 04 OCTOBRE 2007

No 2007/ 366

Rôle No 05/13593

S.A. NATIONALE D'ELECTRICITE ET DE THERMIQUE - SNET

C/

S.A. CARFOS

PORT AUTONOME DE MARSEILLE

Grosse délivrée

le :

à :TOUBOUL

SIDER

BLANC

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Tribunal de Grande Instance de MARSEILLE en date du 7 juin 2005 enregistré au répertoire général sous le no 01/11465

APPELANTE

S.A. NATIONALE D'ELECTRICITE ET DE THERMIQUE

- SNET

dont le siège est sis 100 avenue Albert 1er - 92500 RUEIL MALMAISON

représentée par la SCP DE SAINT FERREOL-TOUBOUL, avoués à la Cour,

plaidant par Me Gildas ...

COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE

2ème Chambre

ARRÊT AU FOND

DU 04 OCTOBRE 2007

No 2007/ 366

Rôle No 05/13593

S.A. NATIONALE D'ELECTRICITE ET DE THERMIQUE - SNET

C/

S.A. CARFOS

PORT AUTONOME DE MARSEILLE

Grosse délivrée

le :

à :TOUBOUL

SIDER

BLANC

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Tribunal de Grande Instance de MARSEILLE en date du 7 juin 2005 enregistré au répertoire général sous le no 01/11465

APPELANTE

S.A. NATIONALE D'ELECTRICITE ET DE THERMIQUE - SNET

dont le siège est sis 100 avenue Albert 1er - 92500 RUEIL MALMAISON

représentée par la SCP DE SAINT FERREOL-TOUBOUL, avoués à la Cour,

plaidant par Me Gildas ROSTAIN, avocat au barreau de PARIS

INTIMEES

S.A. CARFOS

dont le siège est sis Port de Caronte - 13691 MARTIGUES CEDEX

représentée par la SCP SIDER, avoués à la Cour

plaidant par la SCP BOLLET ET ASSOCIES, avocats au barreau de MARSEILLE

PORT AUTONOME DE MARSEILLE

dont le siège est sis 23 place de la Joliette - Hôtel Direction du Port - B.P. 1965 - 13226 MARSEILLE CEDEX 2

représentée par la SCP BLANC AMSELLEM-MIMRAN CHERFILS, avoués à la Cour,

plaidant par Me Jacques GOBERT, avocat au barreau de MARSEILLE

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

L'affaire a été débattue le 6 septembre 2007 en audience publique devant la Cour composée de :

Monsieur Robert SIMON, Président

Monsieur Baudouin FOHLEN, Conseiller

Monsieur André JACQUOT, Conseiller

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Madame Mireille MASTRANTUONO

Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 4 octobre 2007.

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 4 octobre 2007

Signé par Monsieur Robert SIMON, Président, et Madame Mireille MASTRANTUONO, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Le Port Autonome de MARSEILLE, établissement public de l'État, est gestionnaire d'outillages au port minéralier de FOS SUR MER. Ceux-ci, avec le personnel qui leur est affecté, sont mis à disposition notamment de la S.A. CARFOS, manutentionnaire, en ce qui concerne le terminal dont s'agit. La S.A. Nationale d'Électricité et de Thermique, exploitant une centrale thermique à charbons, qui importe sa matière première, a confié à la société CDF Énergie une prestation de logistique pour son approvisionnement. Le navire minéralier de type « capesize » 160 MT dénommé « Mineral York » est resté à quai au terminal du 6 juin 2001 au 2 août 2001 pour le déchargement de sa cargaison, des pannes ayant affecté les portiques de déchargement P 3 et P +.

Par jugement contradictoire en date du 7 juin 2005, le Tribunal de Grande Instance de MARSEILLE, retenant sa compétence, a constaté que la S.A. Nationale d'Électricité et de Thermique s'était désistée de ses demandes à l'encontre de la S.A. CARFOS, désistement accepté par celle-ci, que l'instance éteinte ne pouvait être reprise par voie de conclusions, et, considérant que l'article 1384 alinéa 1 du Code Civil ne pouvait fonder la demande de la S.A. Nationale d'Électricité et de Thermique, a débouté cette dernière de l'intégralité de ses demandes formées à l'encontre de le Port Autonome de MARSEILLE.

La S.A. Nationale d'Électricité et de Thermique a régulièrement fait appel de cette décision dans les formes et délai légaux.

Vu les dispositions des articles 455 et 954 du nouveau code de procédure civile, dans leur rédaction issue du décret No 98-1231 du 28 décembre 1998 ;

Vu les prétentions et moyens de la S.A. Nationale d'Électricité et de Thermique dans ses conclusions récapitulatives en date du 16 juillet 2007tendant à faire juger :

- que les juridictions de l'ordre judiciaire sont bien compétentes pour connaître de la demande en réparation de son préjudice formée par elle en qualité d'usager d'un service public industriel et commercial, en l'occurrence du service d'exploitation d'outillages portuaires géré par le Port Autonome de MARSEILLE,

- qu'elle (la S.A. Nationale d'Électricité et de Thermique) a bien la qualité d'usager du service public portuaire comme bénéficiant des prestations offertes par le Port Autonome de MARSEILLE (installations pour le chargement et le déchargement des navires),

- que l'interposition de deux sociétés (la S.A. CARFOS et la société CDF Énergie) pour réaliser la prestation de déchargement n'affecte pas cette qualité, au prétendu motif d'une absence de lien direct et personnel entre le Port Autonome de MARSEILLE et la S.A. Nationale d'Électricité et de Thermique,

- qu'elle (la S.A. Nationale d'Électricité et de Thermique) est en droit de rechercher sur le fondement de l'article 1384 alinéa 1 du Code Civil la responsabilité du Port Autonome de MARSEILLE, pris en sa qualité de gardien de la chose par laquelle le dommage (paiement de surestaries et autres frais consécutifs aux retards) est partiellement survenu et que le Port Autonome de MARSEILLE ne s'exonère pas de la présomption de responsabilité pesant sur lui, faute de démonter qu'il a entretenu normalement son outillages (les deux portiques),

- que le Port Autonome de MARSEILLE, qui devait assurer la maintenance de l'outillage, en est resté le gardien et l'a simplement mis à disposition de la S.A. CARFOS sans lui en transférer la garde,

- que, subsidiairement, la responsabilité du Port Autonome de MARSEILLE est engagée sur le fondement de l'article 1382 du Code Civil eu égard à la gravité des négligences qu'il a commises dans l'entretien de l'outillage, et, « très » subsidiairement, celle de la S.A. CARFOS est également engagée, comme « résultant obligatoirement de fautes imputables à Carfos » (sic) ,

- que le préjudice s'élève à 903.966,56 $, tous chefs confondus ;

Vu les prétentions et moyens du Port Autonome de MARSEILLE dans ses conclusions récapitulatives No 2 en date du 16 août 2007 tendant à faire juger :

- que le dommage dont la réparation est demandée ne trouve pas sa source dans l'activité exercée par le Port Autonome de MARSEILLE pour l'exploitation et la gestion de l'outillage, activité qui, seule, ressortit d'une mission de service public industriel et commercial et que la responsabilité du Port Autonome de MARSEILLE est recherchée en réalité en raison de ses manquements généraux dans l'entretien de l'outillage/ouvrage public,

- que la S.A. Nationale d'Électricité et de Thermique n'a pas la qualité d'usager du service public industriel et commercial à défaut de lien direct et personnel entre la S.A. Nationale d'Électricité et de Thermique et le Port Autonome de MARSEILLE,

- que le Tribunal de Grande Instance de MARSEILLE aurait dû se déclarer incompétent au profit du Tribunal Administratif de la même Ville,

- que la S.A. Nationale d'Électricité et de Thermique n'est pas fondée à invoquer les dispositions de l'article 1384 alinéa 1 du Code Civil, seule une action de nature contractuelle pourrait être exercée par la S.A. Nationale d'Électricité et de Thermique et, de surplus, le lien entre l'intervention de la chose et le dommage financier allégué est « très mince » et le montant même du préjudice, contestable,

- que la S.A. Nationale d'Électricité et de Thermique disposait d'une action contractuelle contre son commissionnaire de transport, la société CDF Énergie qui devait assurer le bon déroulement du transport à elle confié de bout en bout,

- que les demandes de la S.A. Nationale d'Électricité et de Thermique sont mal fondées dès lors que le Port Autonome de MARSEILLE n'a pas été défaillant dans son obligation d'entretenir l'outillage, l'analyse chronologique des pannes affectant les portiques et des remèdes qui y ont été apportés démontrant qu'il a été satisfait à cette obligation, outre que des arrêts techniques sont dus à une utilisation non conforme de l'outillage par la S.A. CARFOS,

- que, subsidiairement, il existe un cas de force majeure exonérant l'exploitant du service public industriel et commercial, le Port Autonome de MARSEILLE ayant tout mis en uvre, eu égard à des contraintes particulières (règles de passation des marchés publics ) pour pallier les pannes ou des avaries accidentelles,

- que tant la S.A. CARFOS que la société CDF Énergie avaient été informées des difficultés susceptibles de survenir aux outillages en réfection lors du déchargement du minéralier eu égard à l'état des outillages connu de la S.A. CARFOS, son seul utilisateur sur le terminal en question,

- qu'aucune démonstration n'est faite que le Port Autonome de MARSEILLE a manqué à son obligation d'entretien chaque fois que l'utilisateur, la S.A. CARFOS, l'a avisé de défaillances, un rapport d'expertise judiciaire effectuée dans une autre instance au surplus administrative n'ayant aucune force probante,

- que la S.A. CARFOS devra relever et garantir le Port Autonome de MARSEILLE des condamnations qui pourraient être prononcées contre lui,

- que, enfin, le préjudice allégué est « très largement discutable » comme procédant principalement de prétendus accords commerciaux auxquels le Port Autonome de MARSEILLE était étranger ;

Vu les prétentions et moyens de la S.A. CARFOS dans ses conclusions récapitulatives et en réplique en date du 30 août 2007 tendant à faire juger :

- que les demandes de la S.A. Nationale d'Électricité et de Thermique, puis en garantie du Port Autonome de MARSEILLE sont irrecevables ensuite du désistement d'instance de la S.A. Nationale d'Électricité et de Thermique, aucune instance n'ayant été reprise dans les formes légales par la S.A. Nationale d'Électricité et de Thermique et /ou par le Port Autonome de MARSEILLE,

- que, très subsidiairement, tributaire de l'outillage que le Port Autonome de MARSEILLE mettait à sa disposition avec le personnel affecté, et n'ayant pas la charge de son entretien, la S.A. CARFOS n'est pas responsable de leur manque criant de fiabilité ou de leur inadaptation au déchargement d'un certain type de navire minéralier, les performances en matière de cadence de déchargement vantées par le Port Autonome de MARSEILLE n'étant pas atteintes,

- que le Port Autonome de MARSEILLE ne fait pas la preuve que la S.A. CARFOS a utilisé d'une manière non conforme les portiques en question et a provoqué leur usure prématurée ou./et des pannes,

- que la S.A. Nationale d'Électricité et de Thermique recherchant la responsabilité du Port Autonome de MARSEILLE pour un défaut d'entretien de l'outillage portuaire, son action relève de la gestion du port et l'article 1384 alinéa 1 du Code Civil ne peut être invoqué, l'outillage public n'ayant causé aucun dommage direct à la S.A. Nationale d'Électricité et de Thermique ;

L'ordonnance de clôture de l'instruction de l'affaire a été rendue le 31 août 2007.

MOTIFS ET DÉCISION

Attendu que la réparation des dommages subis par les usagers d'un service public industriel et commercial fonctionnant au moyen d'ouvrages/outillages publics, relève des tribunaux de l'ordre judiciaire sans qu'il y ait lieu à distinguer selon que ces dommages sont dus à un fait d'exploitation du service public industriel et commercial ou à un fait de l'ouvrage/outillage lui-même permettant le fonctionnement dudit service ; qu'en l'espèce, la S.A. Nationale d'Électricité et de Thermique sollicite la réparation d'un préjudice financier qu'elle dit avoir subi au cours d'opérations de déchargement d'un navire du fait de retards consécutifs aux défectuosités affectant deux portiques du Port Autonome de MARSEILLE, établissement public de l'État ; que celui-ci qui avait mis à la disposition d'un opérateur, la S.A. CARFOS, les desdits portiques se trouvait dans l'exercice de sa mission de service public industriel et commercial d'exploitation de l'outillage portuaire ; que le dommage est survenu à l'occasion de l'exercice par le Port Autonome de MARSEILLE de sa mission de service public industriel et commercial : l'exploitation d'outillages portuaires;

Attendu que la S.A. Nationale d'Électricité et de Thermique qui avait affrété au voyage le navire minéralier et était propriétaire de la cargaison déchargée (charbon australien) a bien la qualité d'usager du service public industriel et commercial exploité par le Port Autonome de MARSEILLE ; que cette qualité découle du fait que la S.A. Nationale d'Électricité et de Thermique a bénéficié des prestations de service fournies par le Port Autonome de MARSEILLE, en recourant aux outillages portuaires pour faire décharger un navire minéralier qu'elle avait affrété, de la marchandise lui appartenant ; que la circonstance que la S.A. Nationale d'Électricité et de Thermique a mandaté la société CDF Énergie pour réaliser les opérations d'approvisionnement de sa centrale thermique et de « logistique » et que la société CDF Énergie a requis le manutentionnaire, la S.A. CARFOS, auquel l'outillage avait été mis à disposition par le Port Autonome de MARSEILLE, n'enlève pas à la S.A. Nationale d'Électricité et de Thermique sa qualité d'usager du service public industriel et commercial ; que d'une part cette qualité n'est pas nécessairement donnée par un contrat liant les parties et d'autre part que cette qualité n'est pas subordonnée à l'existence d'un lien direct et personnel entre les parties ; que la S.A. Nationale d'Électricité et de Thermique a la qualité d'usager du service public industriel et commercial exploité par le Port Autonome de MARSEILLE même si elle a recouru à des mandataire (la société CDF Énergie) et manutentionnaire (la S.A. CARFOS seul opérateur habilité sur le terminal en question) afin de pouvoir bénéficier de la prestation assurée par le service public industriel et commercial ; que l'interposition de ces deux sociétés ne fait pas disparaître la qualité conféré à la S.A. Nationale d'Électricité et de Thermique d'usager du service public industriel et commercial ;

Attendu que les juridictions de l'ordre judiciaire sont compétentes pour connaître des rapports de droit privé existant entre un service public industriel et commercial et ses usagers et, en l'espèce, de la demande en réparation du préjudice qui aurait été causé à la S.A. Nationale d'Électricité et de Thermique par l'interruption ou l'irrégularité du service de déchargement du navire minéralier, quelle que soit la cause des perturbations affectant le service ; que la S.A. Nationale d'Électricité et de Thermique ne remet pas en cause d'une manière systématique et générale l'organisation du service exploité par le Port Autonome de MARSEILLE, mais se plaint, en sa qualité d'usager, d'avoir subi un dommage qui lui a été causé à l'occasion d'opérations ponctuelles de déchargement du navire « Mineral York » qui impliquaient le recours au service assuré par le Port Autonome de MARSEILLE ;

Attendu que, devant le Tribunal de Grande Instance de MARSEILLE, la S.A. Nationale d'Électricité et de Thermique s'est désistée, par conclusions déposées, le 7 novembre 2002, « de ses demandes » formulées dans l'acte introductif d'instance contre la S.A. CARFOS ; que ce désistement d'instance a été acceptée par la S.A. CARFOS, suivant conclusions du 6 février 2003 ; que la S.A. Nationale d'Électricité et de Thermique ne pouvait pas voie de simples conclusions déposées le 16 décembre 2004, reprendre « ses demandes » (l'instance) contre la S.A. CARFOS ; que le désistement a été parfait et a produit immédiatement son effet extinctif par l'acceptation de la S.A. CARFOS, le 6 février 2003, si bien que, en application de l'article 68 alinéa 2 du nouveau code de procédure civile, la demande incidente de la S.A. Nationale d'Électricité et de Thermique ne pouvait être faite à l'encontre de la S.A. CARFOS, devenue tiers au procès que par la voie d'une assignation et ne pouvait être faite par la voie de conclusions, cette possibilité étant réservée aux seules parties à l'instance (ce que la S.A. CARFOS n'était plus) ;

Attendu, de même, que le Port Autonome de MARSEILLE qui a formé, par voie de conclusions déposées le 13 décembre 2004, un appel en garantie contre la S.A. CARFOS, est irrecevable à agir contre son appelée en garantie dès lors qu'au moment où il formalisait l'appel en garantie contre la S.A. CARFOS, celle-ci n'était plus partie à l'instance principale engagée par la S.A. Nationale d'Électricité et de Thermique à l'encontre du Port Autonome de MARSEILLE et de la S.A. CARFOS, ensuite du désistement partiel d'instance de la S.A. Nationale d'Électricité et de Thermique à l'égard de la seule S.A. CARFOS, désistement qui avait été rendu parfait par l'acceptation de la S.A. CARFOS, le 6 février 2003 ; qu'à la date du 13 décembre 2004, il n'existait plus d'instance liée entre la S.A. Nationale d'Électricité et de Thermique et la S.A. CARFOS si bien que le Port Autonome de MARSEILLE qui n'avait formé aucune demande incidente auparavant devait procéder par voie d'assignation pour appeler en intervention forcée la S.A. CARFOS ;

Attendu au fond que la responsabilité d'un service public industriel et commercial n'est pas uniquement de nature contractuelle dès lors que les usagers ne sont pas nécessairement liés par un contrat, mais peuvent l'être, comme en l'espèce, par des liens de droit privé résultant du fait qu'ils bénéficient des prestations assurées dans le cadre d'un service public industriel et commercial ;

Attendu que selon l'article 1384 alinéa 1 du Code Civil « on est responsable du dommage qui est causé par le fait des choses que l'on a sous sa garde » ; que la S.A. Nationale d'Électricité et de Thermique est fondée à invoquer les dispositions de ce texte légal qui institue une présomption de responsabilité à l'encontre du gardien d'une chose inanimée qui est la cause d'un dommage fait à autrui ; que cette présomption ne peut être détruite que par la preuve d'un cas fortuit ou d'une cause étrangère qui ne soit pas imputable au gardien ; que l'application de l'article 1384 alinéa 1 du Code Civil suppose que la victime rapporte la preuve que la chose a été, d'une quelconque manière que ce soit et même pour partie seulement, l'instrument du dommage ; que le rôle actif de la chose dans la réalisation du dommage est avéré lorsqu'il est démontré par la victime du dommage que la chose était en mauvais état ou dans un état anormal et que cet état a contribué à la réalisation du dommage ;

Attendu qu'en l'espèce la S.A. Nationale d'Électricité et de Thermique a, du fait du retard pris dans le déchargement de navires minéraliers, subi un dommage correspondant au montant des surestaries qu'elle a été obligée d'acquitter entre les mains de son fréteur en vertu d'une convention usuelle et aux frais supplémentaires qu'elle a dû engager pour assurer l'approvisionnement normal en charbon de sa centrale thermique ; que les pannes à répétition des deux portiques prévus pour le déchargement ont provoqué un allongement appréciable de la durée de déchargement ; que les deux portiques P 3 et P + qui ont été affectés de pannes chroniques pendant la durée convenue du déchargement, quelle qu'en soit leur origine, sauf la cause étrangère dont la preuve incombe au Port Autonome de MARSEILLE, ont pris une part causale dans la réalisation du dommage subi par la S.A. Nationale d'Électricité et de Thermique ; qu'il n'est pas nécessaire que le lien de causalité soit matériel et résulte d'un contact entre la chose et « l'objet » supportant le dommage ; que le Port Autonome de MARSEILLE qui avait mis les portiques équipant ce terminal à la disposition de la S.A. CARFOS chargée des opérations de manutention, en a conservé la garde comme assurant leur maintenance et leur entretien et accessoirement comme affectant son propre personnel à leur fonctionnement ; qu'il ne peut être considéré que le Port Autonome de MARSEILLE a transféré la garde de la structure des portiques à la S.A. CARFOS opérateur chargé de la seule manutention ; que le Port Autonome de MARSEILLE avait conservé le pouvoir de veiller et contrôler au bon fonctionnement des portiques remis à la S.A. CARFOS ;

Attendu que le Port Autonome de MARSEILLE ne démontre pas que les pannes affectant tour à tour les portiques proviennent d'une cause étrangère ou d'un cas de force majeure qui ne peut être constitué par les contraintes induites des règles de passation des marchés de travaux publics et notamment ceux nécessaires à la remise en état du portique P 3 endommagé au mois de février 2001 ; que les pannes ne proviennent pas de la prétendue utilisation des portiques par la S.A. CARFOS dans « des conditions extrêmes d'exploitation » ; que l'expertise unilatérale faite à la requête du Port Autonome de MARSEILLE n'a pas de caractère probant en ce qu'elle affirme que les pannes survenues au P 3 ne proviennent pas « d'un défaut d'entretien du Port Autonome de MARSEILLE » mais de l'utilisation abusive par l'acconier (aucun élément pertinent ne vient étayer cette affirmation) ; que, de plus, elle est contredite 1- par les conclusions du rapport d'expertise judiciaire de Monsieur A... (nommé par le Tribunal Administratif de Marseille dans une instance opposant la S.A. CARFOS au Port Autonome de MARSEILLE), qui indique que « jusqu'à une date récente (mai 2001) aucune politique de maintenance préventive n'a été mise en place par le Port Autonome de MARSEILLE sur les outillages P 3 et P + , se contentant de réparer à mesure les avaries » et encore qu'« il semble qu'il y ait eu entre 1999 et 2001 au PAM un très sérieux problème de Management, se traduisant par une absence complète de prévisions, de planification et d'organisation de la maintenance » et 2- très accessoirement par des propos publics tenus par le Président du Port Autonome de MARSEILLE reconnaissant que les « problèmes techniques sont la conséquence de douze années de dérive dans les opérations de maintenance et d'entretien de l'outillage public » ; qu'aucune avarie immobilisant durablement les portiques, susceptible de constituer un cas de force majeure n'est survenue après le 16 mai 2001 date à laquelle le Port Autonome de MARSEILLE en réponse à des « interrogations » de la société CDF Énergie, mandataire de la S.A. Nationale d'Électricité et de Thermique, « confirmait » à celle-ci que le navire « Mineral York » attendu début juin 2001 pourra être traité dans les conditions annoncées à la suite de l'avarie du portique P 3, à savoir : déchargement en continu par le portique P + et finition à la grue » ; que le Port Autonome de MARSEILLE s'était engagé à réaliser le déchargement selon des modalités qu'il estimait suffisantes ; que le Port Autonome de MARSEILLE ne peut reprocher à la S.A. CARFOS ou/et à la société CDF Énergie, d'avoir accepté une proposition qu'il jugeait appropriée pour effectuer le déchargement du navire ;

Attendu que le Port Autonome de MARSEILLE sera tenu à réparer le dommage que les portiques dont il avait la garde ont causé à la S.A. Nationale d'Électricité et de Thermique ; que le préjudice subi par la S.A. Nationale d'Électricité et de Thermique correspond au montant des surestaries qu'elle a dû verser en application du contrat d'affrètement au voyage conclu avec une société qui avait affrété le navire à temps et à d'autres frais justement engagés ; que la S.A. Nationale d'Électricité et de Thermique justifie qu'elle a versé à la société Glencore la somme de 809.628,31 $, le 6 septembre 2001, au titre de surestaries ; que la S.A. Nationale d'Électricité et de Thermique a dû également payer à la société Total des surestaries consécutivement au retard pris dans le déchargement du navire « MV Feng Shan Hai », soit la somme de 58.274,75 $ ; que la S.A. Nationale d'Électricité et de Thermique a dû engager des frais de déroutage d'un troisième navire soit 36.063,50 $ consécutivement aux pannes affectant les portiques P 3 et P + et pour obvier à leurs conséquences préjudiciables ;

Attendu que les conditions légales pour l'application de l'article 1154 du code civil, relatif à la capitalisation des intérêts échus des capitaux (sous réserve que ces intérêts aient plus d'une année d'ancienneté), sont remplies ; que le point de départ de la capitalisation des intérêts correspond à la première demande de capitalisation qui a été formée par la partie requérante, y compris lors de l'instance devant les premiers juges ;

Attendu que l'équité commande de faire application de l'article 7OO du nouveau code de procédure civile ; que la partie tenue aux dépens devra payer à l'autre la somme de 10.000 au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant par arrêt contradictoire, prononcé par sa mise à disposition au greffe de la Cour d'Appel d'AIX en PROVENCE à la date indiquée à l'issue des débats, conformément à l'article 450 alinéa 2 du nouveau code de procédure civile,

Reçoit l'appel de la S.A. Nationale d'Électricité et de Thermique comme régulier en la forme.

Au fond, confirme le jugement déféré en ses dispositions ayant retenu la compétence de la juridiction saisie.

L'infirme pour le surplus.

Statuant à nouveau, condamne le Port Autonome de MARSEILLE à porter et payer à la S.A. Nationale d'Électricité et de Thermique la contre-valeur en de la somme de 903.966,56 au cours du jour du prononcé du présent arrêt, avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation en justice et celle de 10.000 au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

Dit que les intérêts échus et produits par les condamnations au principal, à la condition qu'il s'agisse d'intérêts dus depuis au moins pour une année, porteront, eux-mêmes, intérêts à compter de la première demande de capitalisation qui a été faite en justice, conformément à l'article 1154 du Code Civil.

Déclare irrecevables les interventions forcées en première instance de la S.A. Nationale d'Électricité et de Thermique et du Port Autonome de MARSEILLE à l'encontre de la S.A. CARFOS.

Condamne le Port Autonome de MARSEILLE aux entiers dépens de l'instance, dont distraction au profit de la S.C.P. d'Avoués Marie-José de SAINT FERREOL et Colette TOUBOUL et de la S.C.P. d'Avoués Associés Pierre SIDER * Jean-Michel SIDER * Sébastien SIDER, sur leur affirmation de droit, en application de l'article 699 du nouveau code de procédure civile.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'aix-en-provence
Formation : Ct0047
Numéro d'arrêt : 05/13593
Date de la décision : 04/10/2007

Analyses

SEPARATION DES POUVOIRS

La société qui exerce une action judiciaire en réparation de son dommage contre le Port Autonome de Marseille a bien la qualité d'usager de ce service public, dès lors qu'elle a bénéficié des prestations de service fournies par ce dernier, en recourant aux outillages portuaires qu'il offrait pour faire décharger la marchandise du navire qu'elle avait affrété. La circonstance que la société demandeur ait mandaté une autre société pour réaliser les opérations d'approvisionnement de sa centrale thermique et de « logistique », qui elle-même a requis un manutentionnaire auquel l'outillage avait été mis disposition par le Port Autonome de Marseille, n'enlève pas au demandeur sa qualité d'usager du service public industriel et commercial. Car d'une part cette qualité n'est pas nécessairement donnée par un contrat liant les parties et d'autre part cette qualité n'est pas subordonnée l'existence d'un lien direct et personnel entre les parties. L'interposition d'un mandataire et d'un manutentionnaire ne saurait donc faire disparaître la qualité conféré la société victime, d'usager du service public industriel et commercial.


Références :

Décision attaquée : Tribunal de grande instance de Marseille, 07 juin 2005


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.aix-en-provence;arret;2007-10-04;05.13593 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award