ARRÊT DU 20 FEVRIER 2006
ARRET No /M/2005 7ème Chambre A PREVENU : PAILLE X... MB COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE Prononcé publiquement le LUNDI 20 FEVRIER 2006, par la 7ème Chambre A des Appels Correctionnels de la Cour d'Appel d'AIX EN PROVENCE, Sur appel d'un jugement du TRIBUNAL CORRECTIONNEL D'AIX EN PROVENCE - 2EME CHAMBRE du 30 JUIN 2004.
PARTIES EN CAUSE DEVANT LA COUR : PAILLE X... né le 02 Juin 1944 à CONSTANTINE (ALGERIE) Fils de PAILLE René et de TAILHANDIER Marcelle De nationalité française Marié Directeur Demeurant :27 Bis Boulevard des Rossignols 13012 MARSEILLE 12 prévenu de DEVERSEMENT DE SUBSTANCE NUISIBLE DANS LES EAUX SOUTERRAINES, SUPERFICIELLES OU DE LA MER comparant, assisté de Maître ROUSTAN, avocat au barreau D'AIX en PROVENCE appelant LE MINISTÈRE PUBLIC : appelant
COMPAGNIE DES SALINS DU MIDI prise en la personne de son représentant légal en exercice, domiciliée: 38 rue Pitot 34000
MONTPELLIER Partie civile, non appelant représentée par Maître PONS, avocat au barreau de MONTPELLIER
LES APPELS : appel a été interjeté par : Monsieur PAILLE X..., le 01 Juillet 2004, M. le Procureur de la République, le 05 Juillet 2004, DEROULEMENT DES DEBATS :
l'affaire a été appelée à l'audience publique du 14 NOVEMBRE 2005, le président a constaté l'identité du prévenu, le conseiller Aimar a présenté le rapport de l'affaire, puis, le président a interrogé Paille X... qui a répondu aux diverses interpellations à lui adressées, maître Pons, avocat de la partie civile, a été entendu en sa plaidoirie et a déposé des conclusions, le ministère public a pris ses réquisitions,
maître Roustan, avocat du prévenu, a été entendu en sa plaidoirie et a déposé des conclusions, le prévenu ayant eu la parole en dernier,
le président a ensuite déclaré que l'arrêt serait prononcé à l'audience du 23 JANVIER 2006, à cette date, en audience publique, le président a indiqué que l'arrêt serait prononcé à l'audience du 20 FEVRIER 2006. DECISION : rendue après en avoir délibéré conformément à la loi. X... Paillé, par ordonnance du juge d'instruction, du 7 novembre 2003, a été renvoyé devant le tribunal correctionnel d'Aix-en-Provence pour avoir, à Saint Mitre les Remparts les 6,7, et 8 décembre 1997, courant janvier et février 1998, en tout cas depuis temps non couvert par la prescription : - jeté, déversé ou laissé s'écouler dans les eaux superficielles, souterraines, directement ou indirectement, une ou des substances quelconques dont l'action ou les réactions ont mené provisoirement, entraîné, des effets nuisibles sur la santé ou des dommages à la flore ou à la faune, en l'espèce en laissant déverser des boues dans l'étang de Citis, ayant entraîné la mort de poissons et des dégâts importants quant à la végétation, fait prévu par l'article L 216-6 alinéa 1 et L 211-2 du Code de l'environnement et réprimé par l'article L 216-6 alinéa 1 et 216-11 du Code de l'environnement (articles 22 à 26 de la loi No 92-3 du 3 janvier 1992). Par jugement contradictoire du 30 juin 2004, le tribunal : sur l'action publique - l'a déclaré coupable, - l'a condamné à une amende de 5.000 euros, sur l'action civile - a reçu la Compagnie des Salins du Midi en sa constitution de partie civile, - a condamné le prévenu à lui payer la somme de 700 euros au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale. Le prévenu et le ministère public ont successivement et régulièrement interjeté appel de cette décision les 1er et 5 juillet 2004. Le prévenu, réitérant le moyen soulevé en première instance, conclut à la nullité des poursuites pour violation des droits de la défense et de l'article 6.1 de la Convention européenne des Droits de l'Homme, faisant valoir : - qu'alors qu'une plainte a été déposée contre lui par la Compagnie
des Salins du Midi le 18 mars 1998 , une information ouverte le 31 mai 1999, un rapport d'expertise déposé le 22 janvier 2001 ( à lui seulement notifié le 1er octobre 2002 lors de sa mise en examen ) sa demande de contre-expertise a été rejetée aux motifs notamment qu'une telle mesure, cinq ans après les faits, ne pourrait fournir de conclusions utiles, - que sa mise en examen tardive après un an et demi d'investigations non contradictoires ne lui a pas permis d'exercer les droits de la défense. Il sollicite sur le fond sa relaxe, en soutenant : - qu'il n'est pas établi que la fausse manoeuvre accidentelle survenue en décembre 1997 soit à l'origine de la pollution de l'étang, - que seule une partie du flux d'eaux boueuses dont la concentration est de 3 à 4 grammes par litre a pu se mélanger aux 2 millions de m3 de l'étang, - qu'une note de la DRIRE du 10 février 1998 impute clairement la mortalité des poissons à l'assèchement des roubines par la Compagnie des Salins du Midi et des Salines de l'Est, - que s'ajoute le phénomène d'eutrophisation et la présence d'algue bleue, - que la même présence de carpes mortes avait été constatée le 4 février 1998 et que la Compagnie des Salins du Midi avait alors reconnu en présence de tous les services de l'Etat concerné et des représentants de la Régie des Eaux et Assainissement sa responsabilité, - que l'analyse purement théorique et insuffisante de l'expert est critiquable ; que celui-ci souligne que courant les années 1998, 1999 et 2000 les étangs voisins ont enregistré des phénomènes d'hécatombe de carpes liés à la prolifération d'algues ou de micro-organismes toxiques ; qu'il ajoute que s'agissant d'un accident il n'y a pas eu acte volontaire de sa part. Le ministère public requiert la confirmation du jugement. La Compagnie des Salins du Midi demande la confirmation du jugement et la condamnation du prévenu à lui payer la somme de 1.500 euros sur le fondement de l'article 475-1 du Code de procédure pénale. SUR CE Vu les
conclusions et les pièces régulièrement déposées par les parties présentes et les éléments fournis par l'instruction de l'affaire à l'audience, sur la demande de nullité attendu que la chambre de l'instruction, par arrêt du 18 septembre 2003, a confirmé l'ordonnance du juge d'instruction refusant la demande de contre-expertise ; que par ordonnance du 19 novembre 2003, le président de la chambre criminelle a dit n'y avoir lieu à recevoir en l'état le pourvoi et ordonné que la procédure soit continuée devant la juridiction saisie ; que par application de l'article 385 du Code de procédure pénale, la juridiction correctionnelle n'a pas qualité pour constater les nullités des procédures qui lui sont soumises lorsqu'elle est saisie par le renvoi ordonné par le juge d'instruction ; sur le fond attendu que le 18 mars 1998, la Compagnie des Salins du Midi et des Salines de l'Est, propriétaire de divers étangs, dont celui dit de Citis, étang d'eau douce, d'une superficie de 61 hectares, situé sur le territoire de la commune de Saint Mitre les Remparts, à l'ouest du salin de Berre, a déposé plainte auprès du procureur de la République en exposant qu'à la fin de l'année 1997 une pollution majeure avait détruit toute vie dans l'étang ayant donné lieu à un constat d'huissier ; que le 8 janvier 1998, il s'était produit un nouveau largage de boues également constaté par huissier et que les analyses menées par le cabinet Guiges avaient fait ressortir une pollution importante de nature organique, laquelle provenait selon eux de l'usine du Ranquet, appartenant à la Régie des Eaux de Martigues ; qu'il résulte de la procédure que l'usine de traitement des eaux du Ranquet, dont le prévenu est le directeur, alimente en eau potable les communes de Martigues et de Saint Mitre les Remparts à partir de l'eau provenant de la Durance ; que cette station de traitement est située au nord de l'étang de Citis, de faible profondeur, sur le bassin versant naturel de cet étang ; que
les 3, 4 et 5 décembre 1997 une fuite accidentelle d'eau boueuse est survenue en provenance de l'usine du Ranquet ; que le 16 décembre 1997 et le 4 février 1998 la Compagnie les Salins du Midi a constaté la présence de carpes mortes dans l'étang de Citis, dont elle est propriétaire ; que l'huissier, requis par la Compagnie les Salins du midi, accompagné d'Emile Meyer, garde assermenté au sein de celle-ci, se rendant le 16 décembre 1997 sur les berges de l'étang de Citis, a constaté par procès-verbal la présence d'un nombre considérable de poissons morts ainsi que d'une boue noirâtre ; que se rendant ensuite dans l'usine de Ranquet, il a constaté la présence de cette même boue noirâtre, légèrement liquide, sur l'ensemble des champs et terrains avoisinant l'usine de traitement des eaux, et notamment dans le canal de liaison qui, en débordant, avait inondé les champs environnants ; que la même situation a été constatée par le même huissier, toujours en présence d'Emile Meyer, le 8 janvier 1998 ; que le 12 février 1998 un policier accompagné de Emile Meyer a constaté que de l'eau boueuse s'écoulait d'une buse de l'usine de traitement ; qu'il a précisé que cette eau se déversait directement dans un fossé bordant un chemin communal pendant une centaine de mètres pour finir en épandage dans un pré ; que le 6 février 1998, Yves Jarry, commissionné par le ministre de l'Environnement, à la suite de l'appel du service maritime 13 signalant une mortalité de poissons, se rendant sur place constatait de nouveaux écoulements de boues de l'usine de traitement dans l'étang de Citis ; qu'il faisait cette même constatation le 10 février à son arrivée ; que cependant 10 minutes plus tard, il remarquait avec étonnement que l'eau de la canalisation qui à son arrivée était boueuse était curieusement redevenue claire ; qu'il dressait un constat de pollution le 5 mars 1998 ;
attendu
attendu que X... Paillé, entendu par les services de police le 16 février 1998, a reconnu que lorsque des camions venaient charger des caisses de boue destinées à être stockées en décharge, il arrivait qu'une partie de ces boues s'écoule sur l'aire, environ une centaine de kilogrammes, que pour effectuer le nettoyage, le préposé, à l'aide d'un jet d'eau les envoyait vers le réseau d'évacuation des eaux pluviales ; que normalement il s'écoulait très peu de boues sur le
réseau fluvial mais qu'un rejet plus important avait eu lieu le 7 décembre 1997 ; qu'il affirmait cependant que les boues provenant des limons de la Durance n'étaient pas à l'origine de la mort des poissons dans l'étang de Citis ; qu'une information a été ouverte contre X le 31 mai 1999 ; attendu que l'expert Rémy Chappaz désigné par le juge d'instruction, a visité l'étang de Citis, rencontré le garde assermenté, procédé à une visite approfondie de l'usine le 24 août 1999 en présence de X... Paillé, effectué le 26 juin 2000avec le juge d'instruction et le mis en examen accompagné de son avocat, la visite des installations de l'usine, a procédé à 7 contrôles du rejet pluvial de l'usine, à des prélèvements de ce rejet pluvial aux fins d'analyse, a installé un thermomètre enregistreur sur l'étang ; qu'il a conclu dans un rapport circonstancié : - que sur le premier et le deuxième épisode polluant, la responsabilité de l'usine du Ranquet était indiscutable et qu'il y avait bien eu dans les deux cas rejet de nature à nuire à la vie, à la reproduction et à la répartition des poissons de l'étang de Citis ; - qu'il n'y avait pas eu vraiment intention de nuire à autrui mais "plutôt mal connaissance des conséquences d'un rejet important de produits, pourtant d'origine naturelle, mais en grande quantité sur un espace réduit et sur un laps de temps court", - que des travaux allaient être prochainement réalisés par l'usine du Ranquet pour isoler toutes fuites accidentelles de boues et réintroduire ces boues dans le circuit général de traitement des eaux, comme l'attestait un courrier de Maître Roustan ( avocat du prévenu ) à l'avocat de la ville de Martigues ; qu'il a relevé dans le corps de ce rapport que l'impact de la pollution sur la faune et la flore (joncs) était illustré par les photographies tirées du procès verbal de constat qui a été établi par la direction Départementale de l'Agriculture et de la forêt ; que le déversement des boues provoquait un colmatage des zones de
bordures par les limons, la disparition des insectes et larves de crustacés, nécessaires à l'alimentation des poissons et une irritation des branchies pouvant entraîner la mort des poissons ; qu'il a expliqué concernant le premier épisode polluant que le constat d'huissier et les termes de la lettre du maire de Martigues révélaient qu'il y avait eu un phénomène accidentel important sur l'usine en décembre 1997 ayant entraîné 3 jours de rejet de boues noirâtres par le canal pluvial ; que sous l'effet de l'importante quantité déversée les eaux boueuses étaient sorties du fossé, avaient gagné les eaux de l'étang à travers la zone marécageuse ; que si la grande fraction particulaire était restée stockée sur les terrains avoisinants, la fraction la plus liquide avait gagné intégralement les eaux de l'étang ; que les analyses ont montré que la mortalité des poissons résultait sûrement des éléments présents dans les boues (sulfures) ; que concernant le deuxième épisode polluant, il a précisé qu'il y avait eu à plusieurs reprises des rejets de boue dans le pluvial de l'étang de Citis avec une volonté de les dissimuler, l'eau devenant claire dès l'intervention de la personne commissionnée par le ministre de l'Environnement ; que l'expert a relevé que ce principe d'évacuation des eaux par le système pluvial avait été court-circuité après constatation de ces rejets polluants ; attendu qu'il ressort du rapport de cet expert soumis à la discussion des parties devant le tribunal et la Cour, corroboré par les différents procès verbaux ou constats effectués que l'usine de traitement dont X... Paillé est le directeur, a déversé les 3, 4 et 5 décembre 1997 et courant janvier et février 1998, sur plusieurs jours, des boues dans l'étang de Citis, ayant entraîné la mort de nombreux poissons et des dégâts sur la végétation, sans que le prévenu n'apporte d'éléments techniques pertinents contraires à ces éléments probants concordants ; que le prévenu, alors qu'il a été informé des
écoulements, n'a pas pris les mesures immédiates pour les faire cesser ; qu'en effet deux épisodes sont survenus à plusieurs mois d'intervalle sans qu'il y soit remédié , que l'évacuation des eaux par le système pluvial, mis en cause dans ces déversements polluants, n'a été mis hors service que tardivement, après le dépôt de la plainte ; que la circonstance que lors de la seconde visite de l'agent commissionné par le ministère de l'Environnement, l'eau soit redevenue claire, peu après l'arrivée de celui-ci, démontre la pleine connaissance par le prévenu de l'origine de la pollution à laquelle il aurait pu être mis fin plus tôt ; que le délit reproché étant caractérisé en tous ses éléments, tant matériel qu'intentionnel, c'est à bon droit que le tribunal l'a déclaré coupable ; attendu, sur la peine, que la nature des faits, et la personnalité du prévenu, telles qu'elles résultent de la procédure et des débats justifient de le condamner en application des articles de la loi du 3 janvier 1992 devenus ceux du Code de l'environnement visés à la prévention, à la peine de 2 mois d'emprisonnement avec sursis et à une amende de 10.000 euros ; attendu que c'est à bon droit que le tribunal a reçu la Compagnie des Salins du Midi en sa constitution de partie civile ; que la Cour dispose d'éléments d'appréciation lui permettant de confirmer l'évaluation faite par le tribunal des frais irrépétibles exposés en première instance par la partie civile et de fixer à 500 euros, ceux de même nature exposés en appel qu'il serait inéquitable de laisser à la charge de celle-ci ; PAR CES MOTIFS LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement, reçoit en la forme les appels, sur l'action publique constate que la juridiction répressive est sans qualité pour statuer sur des nullités prétendues affectant la procédure d'instruction, confirme le jugement sur la culpabilité, le réformant sur la peine, condamne X... Paillé à 2 mois d'emprisonnement et à 10.000 euros d'amende, dit qu'il sera sursis à
l'exécution de la peine d'emprisonnement dans les conditions des articles 132-29 à 132-39 du Code pénal, constate que le président a donné au condamné l'avertissement prescrit par l'article 132-29 du même Code, sur l'action civile confirme les dispositions civiles, y ajoutant, condamne le prévenu à payer à la partie civile la somme de 500 euros au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale pour les frais exposés en appel, le tout conformément aux articles visés au présent arrêt et aux articles 512 et suivants du Code de procédure pénale. COMPOSITION DE LA COUR PRESIDENT : Madame VIANGALLI Y...: Madame Z... et Madame AIMAR, conseillers MINISTERE PUBLIC Monsieur A...,substitut général GREFFIER : Monsieur B... le président et les assesseurs ont participé à l'intégralité des débats sur le fond et au délibéré. Le dispositif de l'arrêt a été lu par le président conformément à l'article 485 dernier alinéa du code de procédure pénale en présence du ministère public et du greffier. LE GREFFIER
LE PRESIDENT La présente décision est assujettie à un droit fixe de procédure d'un montant de 120 euros dont est redevable le condamné.