ARRÊT DU
24 Mai 2023
AB / NC
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N° RG 22/00311
N° Portalis DBVO-V-B7G -C7TM
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SAS JOHN DEERE
C/
[T] [D]
SA PACIFICA
SA ETABLISSEMENTS TONON
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GROSSES le
aux avocats
ARRÊT n° 232-23
COUR D'APPEL D'AGEN
Chambre Civile
LA COUR D'APPEL D'AGEN, 1ère chambre dans l'affaire,
ENTRE :
SAS JOHN DEERE agissant poursuites et diligences de son Président en exercice, domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 1]
[Localité 2]
représentée par Me David LLAMAS, avocat postulant au barreau d'AGEN
et Me Emmanuel POTIER, SELARL CASADEI-JUNG, avocat plaidant au barreau d'ORLEANS
APPELANTE d'un jugement du tribunal judiciaire d'Agen en date du 15 mars 2022, RG 16/01530
D'une part,
ET :
Monsieur [T] [D] exerçant anciennement sous l'enseigne [O] [D] (RCS AGEN 392 503 363)
[Adresse 9]
[Localité 4]
SA PACIFICA pris en la personne de son représentant légal actuellement en fonctions domicilié en cette qualité au siège
RCS PARIS 352 358 865
[Adresse 6]
[Localité 5]
représentées par Me Louis VIVIER, avocat au barreau d'AGEN
SA ETABLISSEMENTS TONON pris en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 10]'
[Localité 3]
représentée par Me Renaud DUFEU, ABCD AVOCATS, avocat au barreau d'AGEN
INTIMÉS
D'autre part,
COMPOSITION DE LA COUR :
l'affaire a été débattue et plaidée en audience publique le 03 avril 2023, sans opposition des parties, devant la cour composée de :
Président : André BEAUCLAIR, Président de chambre, qui a fait un rapport oral à l'audience
Assesseur : Dominique BENON, Conseiller
qui en ont rendu compte dans le délibéré de la cour composée outre eux-mêmes de :
Elisabeth SCHELLINO, Présidente de Chambre
en application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, et après qu'il en a été délibéré par les magistrats ci-dessus nommés,
Greffière : Nathalie CAILHETON
ARRÊT : prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile
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EXPOSÉ DU LITIGE
Vu l'appel interjeté le 15 avril 2022 par la SAS JOHN DEERE à l'encontre d'un jugement du tribunal judiciaire d'AGEN en date du 15 mars 2022.
Vu les conclusions de la SAS JOHN DEERE en date du 20 février 2023.
Vu les conclusions de M. [T] [D] et la SA PACIFICA en date du 16 janvier 2023
Vu les conclusions de la SA ETABLISSEMENT TONON en date du 13 mars 2023.
Vu l'ordonnance de clôture du 22 mars 2023 pour l'audience de plaidoiries fixée au 3 avril 2023.
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Suivant facture d'achat du 22 janvier 2014, M. [T] [D] exerçant sous l'enseigne [O] ([O]) [D] a acquis auprès de la société ETABLISSEMENTS TONON une moissonneuse-batteuse d'occasion de marque JOHN DEERE modèle T550, au prix de 208.500 euros HT, soit 250.200 euros TTC.
Suivant facture du 28 février 2014, les ETABLISSEMENTS TONON ont sollicité les ETABLISSEMENTS [X] afin que soit monté sur la moissonneuse batteuse un 'lève arrière'.
Le 12 juillet 2014, les ETABLISSEMENTS TONON et l'[O] [D] ont procédé à la mise en service de la moissonneuse batteuse et le 15 juillet 2014, un incendie s'est déclaré sur la machine, la détruisant entièrement.
L'assureur de l'[O] [D], la SA PACIFICA, a mandaté un expert, le laboratoire [J], lequel a conclu à un sinistre accidentel d'origine électrique.
Par acte du 28 janvier 2015, l'[O] [D] et la société PACIFICA out assigné les ETABLISSEMENTS TONON en référé aux fins d'expertise. Suivant acte du 3 mars 2015, les ETABLISSEMENTS TONON ont attrait à la cause la société JOHN DEERE en sa qualité de fabricant.
Suivant ordonnance du 31 mars 2015, M. [K] a été désigné en qualité d'expert.
Suivant ordonnance du 1er décembre 2015, les opérations d'expertise ont été étendues aux ETABLISSEMENTS [X].
Par requête du 18 avril 2016, la société JOHN DEERE a sollicité la récusation de l'expert initialement désigné -qui dépose son rapport le 28 avril 2016- demande qui est rejetée en première instance, mais accueillie par arrêt du 27 février 2017 en raison d'un doute légitime quant à l'impartialité de M. [K] qui est remplacé par M. [F], lequel se déporte et est remplacé à son tour par M. [Y] qui dépose son rapport le 17 novembre 2017.
Par actes des 15 et 19 juillet 2016, l'[O] [D] et la SA PACIFICA ont assigné les ETABLISSEMENTS TONON et la société JOHN DEERE en résolution de la vente pour vice caché, restitution du prix et indemnisation de leurs préjudices.
Par jugement en date du 15 mars 2022, le tribunal judiciaire d'AGEN a :
- déclaré la société PACIFICA et M. [D] exerçant sous l'enseigne [O] ([O]) [D] recevables en leurs actions ;
- débouté la société JOHN DEERE de ses demandes en nullité des rapports d'expertise ;
- prononcé la résolution de la vente de la moissonneuse batteuse de marque JOHN DEERE, modèle T550, n° de série lZOT550BCCHOS9350, intervenue entre la société ETABLISSEMENTS TONON et [T] [D] exerçant sous l'enseigne [O] ([O]) [D] pour vice caché ;
- condamné la société ETABLISSEMENTS TONON à payer à :
- la société PACIFICA les sommes de :
- M. [D] exerçant sous l'enseigne [O] ([O]) [D] les sommes de :
- condamné la société JOHN DEERE à relever et garantir indemne la société ETABLISSEMENTS TONON de l'ensemble des condamnations prononcées à son encontre ;
- condamné la société JOHN DEERE à payer, en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile :
- débouté les parties de leurs demandes plus amples on contraires ;
- ordonné l'exécution provisoire ;
- condamné la société JOHN DEERE aux entiers dépens de l'instance en ce compris les frais d'expertise.
Les chefs du jugement critiqués dans la déclaration d'appel sont les suivants :
- déclaré la société PACIFICA et M. [D] exerçant sous l'enseigne [O] ([O]) [D] recevables en leurs actions ;
- débouté la société JOHN DEERE de ses demandes en nullité des rapports d'expertise ;
- prononcé la résolution de la vente de la moissonneuse batteuse de marque JOHN DEERE, modèle T550, n° de série lZOT550BCCHOS9350, intervenue entre la société ETABLISSEMENTS TONON et [T] [D] exerçant sous l'enseigne [O] ([O]) [D] pour vice caché ;
- condamné la société JOHN DEERE à relever et garantir indemne la société ETABLISSEMENTS TONON de l'ensemble des condamnations prononcées à son encontre ;
- condamné la société JOHN DEERE à payer, en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile :
- débouté les parties de leurs demandes plus amples on contraires ;
- condamné la société JOHN DEERE aux entiers dépens de l'instance en ce compris les frais d'expertise.
La SAS JOHN DEERE demande à la cour de :
- infirmer le jugement attaqué en toutes ses dispositions, et
- statuant à nouveau
- annuler avec toutes conséquences de droit les opérations d'expertise confiées à MM. [K] et [Y], ainsi que leurs rapports respectifs ;
- dire PACIFICA irrecevable en toutes ses demandes pour défaut du droit d'agir à l'encontre de la société JOHN DEERE, par application des articles 32 et 122 du code de procédure civile ;
- débouter M. [D] exerçant sous l'enseigne [O] [D] et son assureur PACIFICA de l'intégralité de leurs demandes ;
- débouter les ETS TONON de leur appel en garantie ;
- débouter toute partie de ses demandes plus amples ou contraires ;
- condamner in solidum M. [D] exerçant sous l'enseigne [O] [D] et son assureur PACIFICA à payer à la société JOHN DEERE une indemnité de 10.000,00 euros au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel, par application de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- condamner in solidum M. [D] exerçant sous l'enseigne [O] [D] et son assureur PACIFICA aux entiers dépens de première instance et d'appel, en ce compris les frais de procédure ayant abouti à la désignation de M. [K] puis de M. [Y] ainsi que les frais et honoraires d'expertise, par application de l'article 696 du Code de procédure civile.
M. [T] [D] exerçant sous l'enseigne [O] [D] et son assureur PACIFICA demandent à la cour de :
- déclarer recevables et bien fondés la Compagnie PACIFICA et Monsieur [D] en l'ensemble de leurs écritures.
- débouter la société JOHN DEERE de son appel comme étant mal fondé.
- débouter la société Ets TONON de son appel incident comme étant mal fondé.
- en conséquence, confirmer le jugement entrepris en qu'il a prononcé la résolution de la vente de la moissonneuse batteuse de marque JOHN DEERE intervenue entre la société des Etablissements TONON et Monsieur [T] [D] pour vice caché et condamner la société Etablissements TONON à payer à la compagnie PACIFICA la somme globale de 190.870,43 euros et à Monsieur [D] la somme de 33.585 euros, le tout avec intérêts au taux légal à compter du jugement, outre la somme de 5.000,00 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
- subsidiairement, dans la mesure où la cour écarterait l'action rédhibitoire aux fins de résolution de la vente et restitution du prix, faire droit à l'action estimatoire en réduction du prix
- en conséquence, condamner la société Ets TONON à payer à la compagnie PACIFICA la somme globale de 190.870,43 euros et à Monsieur [D] la somme de 30.585,00 euros (33.585,00 - 3.000,00), le tout avec intérêts au taux légal à compter du jugement.
- faisant droit à leur appel incident, en conséquence, y rajoutant,
- condamner conjointement et solidairement la société JOHN DEERE avec la société ETS TONON au paiement des sommes allouées à la compagnie PACIFICA et à M. [D].
- condamner conjointement et solidairement la société JOHN DEERE avec la société ETS TONON au paiement de la somme complémentaire de 2.000,00 euros à titre de dommages intérêts au bénéfice de Monsieur [D].
- condamner conjointement et solidairement la société JOHN DEERE et la société Etablissements TONON au paiement de la somme de 10.000,00 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
- condamner conjointement et solidairement la société JOHN DEERE et la société Etablissements TONON aux entiers dépens, en ce compris les frais d'expertise.
La SA ETABLISSEMENTS TONON demande à la cour de :
- juger recevable et bien fondée en ses écritures la Société ETABLISSEMENTS TONON
- à titre principal réformer le jugement entrepris en ce qu'il a jugé l'[O] [D] et PACIFICA recevables en leurs actions ; statuant à nouveau : juger irrecevables et mal fondées l'[O] [D] et PACIFICA en leurs demandes fins et conclusions.
- à titre subsidiaire réformer le jugement entrepris en ce qu'il fait droit aux demandes de l'[O] [D] portant sur le paiement des sommes de 5 000,00 euros, 585,00 euros, et 300,00 euros.
- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :
- y ajoutant condamner la Société JOHN DEERE à payer à la société ETABLISSEMENTS TONON la somme de 2.500,00 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
- condamner la Société JOHN DEERE au paiement des entiers dépens d'appel en application de l'article 699 du code de procédure civile dont distraction au profit de Me Renaud DUFEU.
Il est fait renvoi aux écritures des parties pour plus ample exposé des éléments de la cause, des prétentions et moyens des parties, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
MOTIFS DE LA DÉCISION
1- Sur la recevabilité de M. [D] :
Aux termes de l'article 1647 du même code, si la chose qui avait des vices a péri par suite de sa mauvaise qualité, la perte est pour le vendeur, qui sera tenu envers l'acheteur à la restitution du prix et aux autres dédommagements expliqués dans les deux articles précédents.
En l'espèce la machine litigieuse, acquise auprès des Etablissements TONON par M. [D] a été détruite par suite d'un incendie survenu le 15 juillet 2014 qui l'a réduite à l'état d'épave.
Les Etablissements TONON soutiennent que l'action de M. [D] n'est pas recevable au motif qu'en revendant la machine calcinée à PACIFICA moyennant une somme de 3.000,00 euros il a transmis les garanties attachées à la chose vendue.
M. [D] agit conjointement avec PACIFICA. Si l'on considère qu'il y a revente de la machine, PACIFICA est titulaire de l'action rédhibitoire et M. [D] est titulaire d'une action indemnitaire à laquelle il n'a pas renoncé en revendant l'épave de la machine ; il peut poursuivre une action sur le fondement de l'article 1647 dès lors qu'il y trouve un intérêt direct et certain.
Cependant le premier juge a justement retenu que la cession à l'assureur d'une épave n'est pas la revente d'un bien marchand, et que la chose a effectivement péri du fait d'un vice caché de sorte que les parties se trouvent dans les conditions d'application de l'article 1647 du code civil, et le vendeur répond de la perte de la chose.
L'action de M. [D] est donc recevable, le jugement est confirmé sur ce point.
2- Sur la recevabilité de PACIFICA :
Aux termes de l'article L 121-12 alinéa 1 du code des assurances, l'assureur qui a payé l'indemnité d'assurance est subrogé, jusqu'à concurrence de cette indemnité, dans les droits et actions de l'assuré contre les tiers qui, par leur fait, ont causé le dommage ayant donné lieu à la responsabilité de l'assureur.
La société JOHN DEERE soutient que l'action de PACIFICA est irrecevable au motif que la police d'assurance contient une clause d'exclusion de garantie, qu'elle ne justifie pas du paiement des indemnités et que les versements correspondent à un geste commercial.
La société TONON soutient que sont produites des conditions générales et des conditions particulières du 30 octobre 2014 postérieures au sinistre et du 4 février 2014 antérieures au sinistre mais ne renvoyant pas aux conditions générales ; que le véhicule assuré a été déclaré mis en circulation en janvier 2012 alors qu'il a été mis en circulation le 27 juin 2012 ; il existe une distorsion entre les conditions générales et particulières ; que le versement a été fait à un tiers le CRÉDIT AGRICOLE ; que la concomitance entre le versement et la subrogation n'est pas établie.
Il ressort des pièces produites que :
- la machine a été acquise, d'occasion, le 22 janvier 2014 par L'[O] [T] [D] auprès des Etablissements TONON, concessionnaire JOHN DEERE. La société TONON connaît donc parfaitement ce véhicule qu'elle a vendu deux fois et qui parfaitement identifié par un unique numéro de série relevé tout au long de la procédure et de l'expertise. La mention du numéro de la barre de coupe est sans incidence dès lors que le matériel attelé est compris dans la garantie.
- la facture du concessionnaire JOHN DEERE mentionne 'lève arrière [X]'. Il est constant que ce lève arrière n'est pas monté lors de la vente, et sera facturé le 24 février 2014.
- par avenant en date du 22 janvier 2014, signé le 4 février 2014, L'[O] [D] a souscrit une police d'assurance pour ce véhicule, parfaitement identifié par son numéro de série, le fait que la date de première soit 01/2012 et non la date exacte figurant sur le certificat d'immatriculation est sans emport. Cet avenant vise les conditions générales 459A.29 que l'assuré déclare avoir en sa possession, lesquelles sont produites dans leur version (2014-01)
- l'avenant détaille les garanties souscrites parmi lesquelles sont expressément mentionnés l'incendie, les dommages électriques les passages sur dénivellation.
- les conditions générales mentionnent au titre des garanties : les dommages subis par l'automoteur assuré causés par l'incendie, l'explosion, la chute de la foudre ; toutes les destructions ou détériorations accidentelles directes des éléments électriques de l'automoteur assuré : sont considérés comme éléments électriques les organes limitativement énumérés ci après : ... les faisceaux électriques ... les relais électriques, les contacteurs, les platines portes-fusibles et les électrovannes
- il n'existe aucune distorsion ou contradiction entre les garanties souscrites telles qu'elles ressortent de l'examen des conditions générales et particulières.
Le sinistre est survenu le 15 juillet 2014, il entre dans la garantie offerte par la police et son avenant de janvier 2014, la présence d'un avenant conclu en octobre 2014 ayant effet au 23 avril 2014 et ne portant que sur les conditions tarifaires est sans emport sur la garantie offerte.
Les conditions générales de la police mentionnent au titre des exclusions générales page 10 à 13 : nous ne garantissons jamais au titre de ce contrat les dommages imputables à un automoteur assuré et/ou au matériel attelé ou à un usage :
- non conforme aux dispositions législatives, réglementaires ou contractuelles (les prescriptions du constructeur) en vigueur
- n'ayant pas reçu l'agrément des services compétents.
Il n'est pas contesté que la moissonneuse a reçu un lève-arrière. Cette installation qui permet l'emploi de la machine sur des terrains en pente et le passage des dénivellations mentionnées au titre des garanties offertes par les polices relatives à ce type de matériel, ne constitue pas une modification profonde de l'appareil. La société JOHN DEERE ne rapporte pas la preuve que cette modification était interdite par ses prescriptions de constructeur. Cette installation a été commandée par les Etablissements TONON, concessionnaire JOHN DEERE, aux établissements [X] et facturées à ces derniers. Cette installation n'est pas à l'origine du sinistre.
L'indemnité versée par PACIFICA ne peut être considérée comme un geste commercial dès lors qu'il constitue l'exécution de la police d'assurance.
M. [D] et PACIFICA justifient du versement effectif des indemnités versées sur le compte de M. [D] dans les livres du CRÉDIT AGRICOLE pour un montant de total de 180.909,94 euros comme en atteste la banque le 1er juillet 2016. L'ensemble des pièces, quittances, impressions d'écran mentionnant les paiements portent un unique numéro de sinistre lequel se retrouve sur les rapports d'expertise BCA et [J]. Il est justifié par le CRÉDIT AGRICOLE qu'il a perçu sur le montant susmentionné la somme de 136.500,00 euros en remboursement du prêt consenti à M. [T] [D] [O] ayant financé l'acquisition de la machine. PACIFICA produit les quittances signées de M. [D].
Il résulte de l'ensemble de ces éléments que c'est à bon droit que le premier juge a retenu que l'action de PACIFICA est recevable, le jugement est confirmé sur ce point.
3- Sur le rapport d'expertise :
La société JOHN DEERE sollicite le prononcé de la nullité du rapport d'expertise.
Elle fait valoir que les opérations d'expertise et le rapport subséquent de M. [K] doivent être annulés pour défaut d'objectivité et d'impartialité, car cet expert, récusé par cette cour, entretient des liens d'affaire établis avec les Etablissements TONON, installateur du câble d'alimentation incriminé.
Comme le rappelle la société JOHN DEERE, M. [K] a été récusé, son rapport n'est pas produit et ne fonde aucune des demandes présentées par les autres parties, c'est donc à bon droit que le premier juge a retenu que la demande en nullité du rapport [K] est devenue sans objet.
Elle soutient que les opérations d'expertise et le rapport subséquent de M. [Y] doivent être annulés pour violation du principe du contradictoire, car d'une part les travaux de M. [Y] reposent sur le rapport de M. [K], qui lui a été transmis à l'insu de la société JOHN DEERE, et d'autre part ces travaux ont inclus des investigations complémentaires sur une autre machine, au sujet de laquelle les parties n'ont pas pu procéder aux vérifications utiles.
Pour estimer que les travaux de M. [Y] reposent sur le rapport [K], la société JOHN DEERE relève que les pièces annexées audit rapport [Y] portent le tampon du premier expert. Il ne saurait être reproché à M. [D] d'avoir produit devant le second expert, les pièces qu'il avait nécessairement présentées au premier expert. La seule communication de pièces identiques n'établit pas que le rapport [K] a été communiqué à M. [Y]. Il ressort en outre d'un courrier du conseil de M. [D] et de PACIFICA adressé à celui de la société JOHN DEERE, que suite à la désignation d'un second expert, le conseil des intimés informait celui des appelants, qu'il transmettait au second expert les pièces communiquées au premier. L'expert [Y] saisi d'un dire sur ce point a répondu que les pièces litigieuses lui avaient été transmises sans opposition des parties après qu'elles en aient été informées lors de la réunion d'expertise.
Il est en outre reproché à l'expert d'avoir, au cours de ses opérations, examiné une machine identique. Un dire a été formulé sur ce point, et l'expert a répondu qu'il ne s'agissait que d'une recherche d'information sur un engin intact permettant d'effectuer des constatations de construction invisibles sur la machine calcinée. Il s'agit d'une pure constatation matérielle soumise à la critique des parties, avec une réponse de l'expert, il n'a pas été porté atteinte au principe du contradictoire. Le premier juge a en outre justement relevé que les conclusions du rapport reposent essentiellement sur d'autres opérations et d'autres éléments.
C'est donc à bon droit que la société JOHN DEERE a été déboutée de sa demande de nullité du rapport d'expertise, le jugement est confirmé sur ce point.
4- Sur la vente intervenue entre les ETABLISSEMENTS TONON et M. [D] [O] :
a) Sur la disparition de la chose :
Aux termes de l'article 1641 du code civil, le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l'usage auquel on la destine, ou qui diminuent tellement cet usage que l'acheteur ne l'aurait pas acquise, ou n'en aurait donné qu'un moindre prix, s'il les avait connus.
Aux termes de l'article 1645 du même code, si le vendeur connaissait les vices de la chose, il est tenu, outre la restitution du prix qu'il en a reçu, de tous les dommages et intérêts envers l'acheteur.
Aux termes de l'article 1647 du même code, si la chose qui avait des vices a péri par suite de sa mauvaise qualité, la perte est pour le vendeur, qui sera tenu envers l'acheteur à la restitution du prix et aux autres dédommagements expliqués dans les deux articles précédents.
En l'espèce, il ressort du rapport d'expertise que :
- 4) point de départ et processus de propagation : le point de départ de l'incendie se trouve sur le coté gauche à l'angle supérieur du châssis où le câble de puissance (polarité +) y est soudé et sectionné par la chaleur dégagée par le court circuit puis par l'incendie. L'expert constate la présence de perlage sur les bris constituant le câble, sa partie verticale provenant de la batterie est sectionnée au point de fusion (angle supérieur du châssis). Ce point de départ a enclenché le processus de propagation suivant : échauffement rapide du câble jusqu'à incandescence sur toute sa longueur et donc destruction de l'isolant avec propagation sur les flexibles hydrauliques contenant de l'huile dont la température en fonctionnement atteint à minima 80°. L'huile s'est alors comportée en comburant. Les flammes dont le sens de progression est toujours de bas en haut on fait fondre des parties en aluminium coulé (carter de renvoi d'angle, pompes hydrauliques additionnelles, couvre culbuteurs du moteur thermique, etc...) Ce qui indique que la température dans la zone de départ a atteint 650° au minimum. L'huile, le carburant se sont enflammés consécutivement à la fusion de leurs canalisations et ont alors constitué un apport de chaleur potentiellement hautement calorique qui a rendu l'incendie non maîtrisable par des extincteurs.
- 5° origine de l'incendie : l'expert a procédé par élimination des causes d'incendie proposées :
Il peut être ajouté qu'il ressort de l'expertise amiable contradictoire du laboratoire [J], intervenu le 10 septembre 2014 au plus près de la date du sinistre et avant la dégradation de l'épave par corrosion, que : le câble alimentant le démarreur (non protégé par un fusible) est retrouvé sectionné par fusion ; l'arête de l'aile en acier à proximité de laquelle transitait le câble de puissance est ponctuellement très oxydée et présente des stigmates d'amorçage... Le repositionnement de ce câble de puissance a permis de constater que la zone de sectionnement coïncide parfaitement avec la zone précise de l'arête de la carcasse en acier reliée à la masse du véhicule qui présente une oxydation ponctuelle et de petites traces de fusion très ponctuelles (température de fusion de l'acier 1.480 à 1.500 °C) la fusion de l'acier implique d'emblée la mise en jeu d'énergie électrique
- 6° existence d'un vice préalable à la vente à M. [D] ou à sa vente par la société JOHN DEERE aux Etablissements TONON : l'expert relève que la machine a été utilisée deux fois huit heures aller retour aux Etablissements [X] [[Localité 7] [Localité 7] / [Localité 8]], puis quelques heures pour la moisson. Il en déduit que le câble électrique était donc déjà détérioré lors de la livraison, d'où le vice était en germe
- 7° éléments techniques utiles pour déterminer les conséquences encourues : le double incendie subi par la machine pour une cause exactement identique permet de déceler un vice de fabrication : le câble électrique en cause ne bénéficiait pas d'une protection adaptée à son cheminement à l'angle supérieur du châssis ce qui n'entraîne qu'un point de contact favorisant la concentration de contraintes. La qualité de la gaine isolante n'est pas en cause. Une protection du type goulotte incurvée aurait évité la survenance du désordre. Les deux incendies n'ont pas eu les mêmes conséquences : les propagations dépendent directement du temps mis à constater les départs. Pour le conducteur, il n'est pas évident de constater un départ d'incendie lorsqu'il est aux commandes dans la cabine : ce désordre n'est visible que par consultation du rétroviseur gauche avec présence de flammes et/ou de fumées dans la partie supérieure. Le tout est caréné par un panneau en polyester avec entrée d'air dans la partie inférieure et sortie par le haut.
La société JOHN DEERE conteste les conclusions de l'expert et produit aux débats un rapport établi par M. [B]. PACIFICA et M. [D] établissent que M. [B] est détenteur de 98 % des parts d'une SAS 3ZA INTECH adhérente d'un pôle d'excellence soutenu par la société JOHN DEERE et qu'il participe personnellement au développement et à la modernisation de l'usine de cette société à SARRAN 45. La partialité de cet expert est donc établie et ses observations écartées. L'expert judiciaire auquel ce rapport [B] a été soumis à l'appui d'un dire, a apporté en complément les précisions suivantes :
- processus de détérioration du câble électrique : arcage contre l'arête du châssis puis fusion avec court circuit
- la mise à nu de la protection du câble d'alimentation résulte du frottement sur la partie saillante du châssis
- le conducteur a pu redémarrer le moteur pour baisser l'arrière de la machine car le câble n'était pas sectionné à cet instant.
- la rupture des flexibles d'huile intervient au niveau des sertissages et n'entraîne pas d'incendie.
- il revient au constructeur d'utiliser des répulsifs dans la composition des isolants pour éviter la dégradation du système électrique par les rongeurs.
Au vu de ces éléments, il est établi que :
- la machine litigieuse a été détruite en raison d'un vice la rendant impropre à sa destination ;
- ce vice révélé après trois jours d'utilisation était antérieur à la vente intervenue entre les Etablissements TONON et M. [D] ;
- les Etablissements TONON connaissaient le vice pour être intervenu sur la machine en 2013 pour réparer les désordres causés par un incendie ayant la même origine.
Du fait de la disparition de la chose vendue, l'acquéreur de la chose affectée d'un vice caché ayant entraîné sa perte, M. [D], perd l'option entre l'action rédhibitoire et l'action estimatoire, il ne peut qu'exercer une action estimatoire dans les termes de l'article 1647. Ainsi, la résolution de la vente ne peut être prononcée mais il convient de prononcer la condamnation des Etablissements TONON qui y sont tenus envers M. [D] à la restitution du prix et aux autres dommages intérêts.
Il apparaît par ailleurs que M. [D] ne propose pas la restitution de la carcasse, ce qui pourrait permettre d'envisager de qualifier son action d'action rédhibitoire.
Le jugement est réformé en ce sens.
b) sur l'indemnisation de l'acquéreur :
Les Etablissements TONON limitent leur contestation de l'évaluation des dommages intérêts alloués à M. [D] aux postes suivants :
- location d'une moissonneuse de remplacement
- perte du carburant
- travaux de terrassement pour le passage de la moissonneuse de remplacement.
La location d'une moissonneuse de remplacement auprès des Etablissements TONON qui mentionnent sur leur facture 'forfait location moissonneuse batteuse campagne 2014", par une entreprise de battage en pleine campagne de moisson est nécessaire au maintien de son activité. Ce préjudice est en lien direct avec le dommage causé par le vice et le premier juge l'a justement retenu.
Le réservoir de la machine contient 800 litres, l'incendie s'est produit après 5 heures de fonctionnement et l'expert retient que le carburant a contribué à rendre le sinistre non maîtrisable par les extincteurs. La demande est justifiée à concurrence d'un plein moins 5 heures de consommation soit 150 litres, soit la somme de 585,00 euros attribuée par le premier juge.
Aucune somme n'est réclamée au titre de frais de terrassement.
Le jugement est donc confirmé sur le montant des condamnations prononcées en restitution du prix et dommages intérêts.
5- sur l'action directe de M. [D] à l'encontre de la société JOHN DEERE :
Il ressort en outre des constatations de l'expert que le vice à l'origine de l'incendie est un vice de conception dans le parcours du câble de puissance tendu au-dessus d'une arête de la carrosserie de la machine. La réparation du premier sinistre par les Etablissements TONON selon les prescriptions du constructeur et au moyen de pièces d'origine, écarte toute responsabilité des Etablissements TONON dans la survenance du sinistre. Le vice affectant la machine est donc imputable au constructeur.
Le sous acquéreur M. [D] dispose d'une action directe à l'encontre du constructeur sur le fondement de la garantie des vices cachés du fait de l'existence d'un vice de conception imputable à la société JOHN DEERE.
La société JOHN DEERE et les Etablissements TONON sont donc condamnés in solidum en restitution du prix et dommages intérêts sur le fondement de l'article 1647 du code civil.
6- Sur l'action en garantie due par la société JOHN DEERE aux Etablissements TONON :
C'est par des motifs pertinents que la cour adopte que le premier juge a retenu que :
- l'expertise a établi que la moissonneuse était affectée d'un vice de conception imputable au fabricant.
- l'intervention des Etablissements [X] à l'occasion de la pose du lève arrière est sans influence sur la survenance de l'incendie.
- toute responsabilité des Etablissements TONON à l'occasion de la réparation du premier incendie est exclue, les Etablissements TONON ayant utilisé des pièces d'origine.
- ce premier incendie conforte l'existence d'un vice de conception imputable au fabricant.
C'est à bon droit qu'il a condamné la société JOHN DEERE à relever et garantir les Etablissements TONON des condamnations prononcées à leur encontre.
7- Sur les demandes accessoires :
a) Sur la demande en dommages intérêts : M. [D] sollicite la somme de 2.000,00 euros à titre de dommages intérêts pour la gêne occasionnée à son activité par le sinistre. Il ne ressort pas du jugement que cette somme ait été réclamée devant le premier juge, il apparaît en outre que les dommages intérêts d'ores et déjà alloués à M. [D] réparent ce poste de préjudice, sa demande de ce chef est rejetée.
La société JOHN DEERE et les Etablissements TONON succombent dans leur action à l'encontre de M. [D] et de PACIFICA, la société JOHN DEERE succombe dans son action à l'encontre des Etablissements TONON, la société JOHN DEERE supporte les dépens d'appel.
La société JOHN DEERE et les Etablissements TONON sont condamnés solidairement, les Etablissements TONON étant garantis par la société JOHN DEERE, à payer à M. [D] et PACIFICA pris en leur ensemble la somme de 5.000,00 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
La société JOHN DEERE est condamnée à payer aux Établissements TONON la somme de 2.000,00 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
La distraction des dépens toujours prévue par l'article 699 du code de procédure civile n'a plus d'objet du fait de la suppression de tout tarif pour l'avocat le 8 août 2015 en première instance et le 1er janvier 2012 devant la cour.
PAR CES MOTIFS :
La Cour, après en avoir délibéré conformément à la loi, statuant publiquement, par arrêt contradictoire prononcé par mise à disposition et en dernier ressort,
Dans la limite de sa saisine,
Confirme le jugement entrepris sauf en ce qu'il a :
- prononcé la résolution de la vente de la moissonneuse batteuse de marque JOHN DEERE, modèle T550, n° de série lZOT550BCCHOS9350, intervenue entre la société ETABLISSEMENTS TONON et [T] [D] exerçant sous l'enseigne [O] ([O]) [D] pour vice caché ;
- condamné la société ETABLISSEMENTS TONON à payer à :
- la société PACIFICA les sommes de :
- M. [D] exerçant sous l'enseigne [O] ([O]) [D] les sommes de :
Statuant à nouveau des chefs infirmés,
Dit que la chose vendue ayant péri, il ne peut y avoir restitution et partant résolution de la vente, mais qu'en application de l'article 1647 le vendeur est tenu envers l'acheteur à la restitution du prix et à dommages intérêts ;
Condamne in solidum la société JOHN DEERE et les Etablissements TONON à payer à :
- la société PACIFICA les sommes de :
- M. [D] exerçant sous l'enseigne [O] ([O]) [D] les sommes de :
Y ajoutant,
Déboute M. [D] de sa demande en dommages intérêts complémentaires,
Condamne in solidum la société JOHN DEERE et les Etablissements TONON, les Etablissements TONON étant garantis par la société JOHN DEERE, à payer à M. [D] et PACIFICA pris en leur ensemble la somme de 5.000,00 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la société JOHN DEERE à payer aux Établissements TONON la somme de 2.000,00 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la société JOHN DEERE aux dépens d'appel.
Le présent arrêt a été signé par André BEAUCLAIR, président, et par Nathalie CAILHETON, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
La Greffière, Le Président,