ARRÊT DU
09 MAI 2023
PF/CO*
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N° RG 22/00344 -
N° Portalis DBVO-V-B7G-C7WG
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[L] [G]
C/
SCP ODILE [Y] ès qualités de mandataire liquidateur de la SAS TECHNI 47
UNEDIC DELEGATION AGS CGEA DE [Localité 1]
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Grosse délivrée
le :
à
ARRÊT n° 87 /2023
COUR D'APPEL D'AGEN
Chambre Sociale
Prononcé par mise à disposition au greffe de la cour d'appel d'Agen conformément au second alinéa des articles 450 et 453 du code de procédure civile le neuf mai deux mille vingt trois par Nelly EMIN, conseiller faisant fonction de président de chambre assistée de Chloé ORRIERE, greffier
La COUR d'APPEL D'AGEN, CHAMBRE SOCIALE, dans l'affaire
ENTRE :
[L] [G]
né le 06 janvier 1947 à [Localité 8]
demeurant [Adresse 6]
[Localité 3]
Représenté par Me Elisabeth LEROUX, avocat inscrit au barreau de PARIS
APPELANT d'un jugement du Conseil de Prud'hommes - formation paritaire d'AGEN en date du 24 mars 2022 dans une affaire enregistrée au rôle sous le n° R.G. 20/00341
d'une part,
ET :
La SCP ODILE [Y], ès qualités de mandataire liquidateur de la SAS TECHNI 47, prise en la personne de son représentant légal et ayant son siège social :
[Adresse 4]
[Localité 2]
Non représentée
L'ASSOCIATION UNEDIC DELEGATION AGS CGEA DE [Localité 1] prise en la personne de son représentant légal et ayant son siège :
[Adresse 5]
[Adresse 5]
[Localité 1]
Représentée par Me Hélène GUILHOT, avocat inscrit au barreau d'AGEN
INTIMÉES
d'autre part,
A rendu l'arrêt contradictoire suivant après que la cause a été débattue et plaidée en audience publique le 14 mars 2023 sans opposition des parties devant Nelly EMIN, conseiller faisant fonction de président de chambre et Pascale FOUQUET, conseiller, assistés de Chloé ORRIERE, greffier. Les magistrats en ont, dans leur délibéré rendu compte à la cour composée, outre eux-mêmes, de Hélène GERHARDS, conseiller, en application des dispositions des articles 945-1 et 805 du code de procédure civile et il en a été délibéré par les magistrats ci-dessus nommés, les parties ayant été avisées de la date à laquelle l'arrêt serait rendu.
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FAITS ET PROCÉDURE :
Selon M. [L] [G], il a été recruté par la société Techni 47, qui exerçait son activité dans le domaine de la fabrication de structures métalliques, comme en attestent son bulletin de paie du mois de février 2001 en qualité de monteur et du 21 août au 29 août 2007 en qualité de chaudronnier et mis à disposition de la société Sadefa Industries, usine métallurgique située à [Localité 7] (24).
Cet établissement est fermé depuis le 31 juillet 2003.
Par jugement du 17 septembre 2014, le tribunal de commerce d'Agen a prononcé la liquidation judiciaire de la société Techni 47 et a désigné M° [Y] en qualité de mandataire liquidateur.
Par requête du 15 octobre 2020, M. [G] a saisi le conseil de prud'hommes d'Agen en indemnisation de son préjudice d'anxiété à hauteur de 20 000 euros en raison de l'inhalation de poussières de silice outre la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Par jugement du 24 mars 2022, le conseil de prud'hommes a dit que les demandes n'étaient pas recevables, a débouté M. [G] de l'ensemble de ses demandes, a débouté le mandataire liquidateur de la société Techni 47 de sa demande reconventionnelle au titre de l'article 700 du code de procédure civile et a condamné M. [G] aux dépens.
Par déclaration du 27 avril 2022, M. [G] a régulièrement déclaré former appel du jugement en désignant la société Techni 47 représentée par son mandataire liquidateur M° [Y], la SCP Odile [Y] ès qualités de mandataire liquidateur de la société Techni 47 et le CGEA de [Localité 1] en qualité de parties intimées et en visant les chefs du jugement critiqué qu'il cite dans sa déclaration d'appel.
La procédure de mise en état a été clôturée par ordonnance du 19 janvier 2023.
Par courrier du 5 mai 2022, M° [Y] a indiqué qu'en l'absence de fonds disponibles et d'éléments autres que ceux présentés en première instance, elle ne serait pas représentée dans cette instance et a déclaré s'en remettre à la cour.
MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES :
I. Moyens et prétentions de M. [L] [G] appelant principal
Selon dernières conclusions enregistrées au greffe de la cour le 14 juin 2022 régulièrement signifiées aux parties et expressément visées pour plus ample exposé des moyens et prétentions de l'appelant, M. [L] [G] demande à la cour de :
Réformer le jugement en toutes ses dispositions,
Statuant de nouveau :
- Dire qu'il a été exposé à l'inhalation de poussières minérales renfermant de la silice alors qu'il était salarié de la société Techni 47, mis à la disposition de la société Sadefa Industries et que cette exposition générait un risque élevé de développer une pathologie grave,
- Dire que la société Techni 47 a manqué à son obligation contractuelle de prévention et de sécurité en ne veillant pas à ce que les mesures suffisantes à préserver la santé de son salarié, étaient effectivement en 'uvre par l'entreprise utilisatrice, la société Sadefa Industries,
- Dire qu'il rapporte la preuve d'un préjudice d'anxiété personnellement subi résultant de cette exposition,
- Fixer la créance au passif de la liquidation judiciaire de la société Techni 47 en réparation du préjudice d'anxiété à la somme de 20 000 euros,
- Déclarer le jugement de plein droit opposable au CGEA-AGS dans les conditions prévues à l'article L.3253-6 et suivants du code du travail,
- Dire que le CGEA-AGS garantira les créances dans les conditions de l'article L.3253-15 du code du travail, qu'il devra avancer « les sommes correspondant à des créances établies par décision de justice exécutoire »,
- Dire qu'à défaut de fonds disponibles, le liquidateur devra présenter au CGEA AGS un relevé de créance et un justificatif de l'absence de fonds dans un délai de quinze jours à compter de la notification du jugement à intervenir et sous astreinte de 500 euros par jours de retard et par salarié,
- Ordonner l'exécution provisoire de la décision à intervenir.
A l'appui de ses prétentions, M. [L] [G] fait valoir que :
- la mise en cause de la société Techni 47 est régulière pour avoir été délivrée à l'adresse de son mandataire liquidateur, n'ayant plus de siège social et en application du principe du dessaisissement du débiteur au profit du mandataire.
Sur la recevabilité de la procédure
- il a été mis à disposition de la société Sadefa Industries mais est resté salarié de Techni 47
- il appartenait à la société Techni 47 de s'assurer des conditions de travail de son salarié au sein de la société utilisatrice
- M. [B], ancien gérant de la société Techni 47 atteste avoir procédé à sa mise à disposition ce qui est confirmé par les attestations de M. [I] [W], ancien adjoint au responsable et M. [T] [X], ancien collègue
Sur la forclusion
- contrairement à ce que soutient M° [Y], la déclaration de créances n'est pas nécessaire à l'indemnisation des préjudices conformément à l'article L.622-24 du code de commerce
- l'article L.625-1 précise les modalités des déclarations de créances
- en cas de contestation, le salarié saisit le greffe du conseil de prud'hommes dans les deux mois du dépôt du relevé au greffe par le mandataire à peine de forclusion qui ne lui est opposable que si le mandataire l'a individuellement averti de la date et de la forclusion encourue
- en cas de non respect des délais, le salarié peut saisir directement le conseil de prud'hommes pour faire reconnaître ses créances salariales notamment celles nées après la procédure
- il produit deux jurisprudences aux termes desquelles il n'était pas tenu de déclarer sa créance. La demande en réparation est distincte de celle ouverte par ces dispositions : le caractère irrévocable des créances ne peut lui être opposé
Sur la prescription
L'article L.1471-1 du code du travail prévoit que toute action portant sur l'exécution du contrat de travail se prescrit par deux ans à partir du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son droit.
La question a été tranchée par la Cour de cassation en matière d'exposition à l'amiante :
Seule la connaissance personnelle par le salarié d'une telle information peut constituer le point de départ de la prescription. A défaut, en l'absence de preuve de cette information, incombant à l'employeur en raison de son obligation de sécurité, la prescription ne peut pas courir.
M° [Y] ne démontre pas que l'employeur a personnellement informé le salarié des risques qu'il encourait du fait de son exposition aux poussières de silice. En l'absence d'information, il ignorait les risques encourus en utilisant les matériaux.
Il a été informé en 2019 à la suite de la campagne d'information menée par l'association CERADER 47 et l'ancien médecin du travail de l'usine de [Localité 7], le Docteur [D], recherchant les dangers encourus par les ouvriers exposés aux poussières de silice dans un souci de prévention de l'apparition de maladies professionnelles et de cancer broncho pulmonaire.
Il a ainsi régularisé une demande de suivi post professionnel renforcé auprès de la CPAM.
Par conséquent, son action n'est pas prescrite.
Sur le fondement des demandes
Le fondement est celui de la responsabilité contractuelle. Il est identique à celui de l'exposition fautive à l'amiante qui exigeait cependant l'inscription de l'établissement sur la liste de l'ACAATA. Il s'agit d'un régime dérogatoire mais qui ne saurait effacer celui de droit commun comme l'a affirmé l'assemblée plénière de la Cour de cassation le 5 avril 2019 pour tous les salariés exposés à un risque cancérogène, mutagène ou reprotoxique.
La juridiction du fond saisie doit rechercher si l'employeur a effectivement pris les mesures suffisantes pour protéger la santé de ses salariés et si la preuve d'un préjudice d'anxiété personnellement subi est rapportée en application des articles L.4121-1 et L.4121-2 du code du travail. La preuve de ce préjudice peut être rapportée par tous moyens.
Sur les conditions de travail
A la fonderie « chemise » et à la fonderie acier, la silice cristalline était contenue dans une poudre blanche appelée « Wet spray » pulvérisée dans les moules pour protéger les parois avant la coulée de la fonte. Après la coulée, les moules étaient nettoyés avec des brosses métalliques et un soufflage d'air comprimé. L'empoussièrement était alors massif.
Les pièces créées arrivaient à l'usinage recouvertes de ce produit.
A la fonderie « à plat », les noyaux des moules étaient enduits d'un sable siliceux puis étuvés. Ce sable était recyclé créant un empoussièrement massif. Le sable cuit, transporté sur des tapis roulants aériens, retombait parfois sur le personnel. Lorsqu'il arrivait en trop grande quantité, les ouvriers devaient débourrer les appareils. De même, les pierres et les disques à meuler contenaient de la silice.
La société Techni 47 n'a pas vérifié les conditions de travail de son salarié et le respect par l'entreprise utilisatrice des règles d'hygiène et de sécurité.
Toutes les opérations exigeaient la manipulation de sable siliceux qui générait des poussières de silice.
Une enquête a été menée dès octobre 1998 par le CHSCT et un rapport a conclu à un danger grave et imminent.
Un précédent rapport daté du 9 mars 1998 après expertise avait été établi par le cabinet Alpha conseil soulignant le risque majeur de silicose. Des prélèvements avaient été effectués sur différents postes. La direction de la société Sadefa Industries ne pouvait ignorer le risque majeur d'atteinte à la santé des salariés. Bien qu'avertie, elle n'a pris aucune mesure de prévention des risques.
Entre 1993 et 1997, un bilan de quinze cas de silicose pneumoconiose a été relevé puis chaque année de nouveaux cas.
La CPAM a alerté la direction du site à la suite d'une visite du site par courrier du médecin conseil du 20 décembre 1999.
Quatre ans plus tard, la CRAM alertait de nouveau la direction qui n'a pris aucune mesure.
En 2004 le médecin du travail à la suite d'une visite a découvert le composant cancérigène de la silice dans le « Wet spray » et a préconisé la mise en place de protection individuelle et collective ainsi qu'une formation adaptée. La silice figurait sur la liste des cancérogènes certains du CIRC.
La CRAM a diligenté une expertise technique en 2004 confirmant les risques d'exposition et les mesures à prendre.
Face à l'inertie de la société Sadefa Industries, le docteur [D] écrivait de nouveau le 19 mai 2009 à la direction.
Le manquement de l'employeur
- les conséquences de l'exposition au risque : la perte d'espérance de vie
Il n'existe pas de traitement susceptible de faire régresser les anomalies pulmonaires
- la connaissance du risque
Il s'agit de l'une des plus anciennes maladies professionnelles pourtant largement sous diagnostiquée et sous déclarée auprès de la sécurité sociale comme maladie professionnelle
Les pathologies provoquées par les poussières de silice sont reconnues comme maladies professionnelles au titre du tableau 25 du régime général de la sécurité sociale créé par ordonnance du 3 août 1945 qui prévoit une liste indicative des principaux travaux susceptibles de provoquer la silicose notamment « les travaux de fonderie exposant aux poussières de sables renfermant de la silice cristalline ».
La réglementation en matière de protection des salariés exposés aux poussières date de la fin du 19ème siècle.
Une série de décrets depuis celui du 16 octobre 1950 prévoit les mesures particulières de prévention médicale de la silicose professionnelle.
La faute inexcusable de la société Sadefa Industries a été retenue à plusieurs reprises par le tribunal aux affaires de la sécurité sociale d'Agen pour les anciens salariés atteints de silicose.
Le lien de causalité est établi par le manquement de l'employeur à son obligation de sécurité du fait de l'absence d'application des obligations prescrites.
Les demandes au titre du préjudice d'anxiété
Il a été employé par la société Techni 47 du 1er juillet 1999 au 29 août 2007 qui l'a mis à disposition de la société Sadefa Industries de [Localité 7] à différents postes de travaux d'entretien. De fait, il a été massivement exposé aux poussières de silice.
Il produit trois attestations de M. [W] et M. [X] justifiant de son emploi au contact de ces poussières.
Ses proches, M. [R], ami et Mme [G], sa fille, attestent de son anxiété aggravée par la perte d'anciens collègues de la silicose.
Son médecin traitant, le docteur [N], par certificat médical du 22 octobre, fait état de l'inquiétude de M. [G] en raison de cette exposition aux risques pendant son activité professionnelle.
II. Moyens et prétentions de l'UNEDIC délégation AGS-CGEA de [Localité 1], intimée sur appel principal
Selon dernières conclusions enregistrées au greffe de la cour le 6 septembre 2022 régulièrement signifiées aux parties et expressément visées pour plus ample exposé des moyens et prétentions de l'intimée, l'UNEDIC délégation AGS-CGEA de [Localité 1] demande à la cour de :
- Débouter M. [G] de son appel et de l'intégralité de ses demandes,
- Confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a jugé irrecevables les demandes formulées par M. [G],
Au surplus et en tout cas,
- Le confirmer en tous cas en ce qu'il a débouté M. [G] de l'ensemble de ses demandes
A titre plus subsidiaire encore et en tout état de cause,
- Prendre acte de l'intervention subsidiaire de l'AGS de ses remarques ainsi que des limites de sa garantie dans le cadre de la présente procédure collective, l'AGS ne pouvant avancer le montant des créances constatées qu'entre les mains du liquidateur, dans la limite légale de sa garantie, laquelle exclut l'indemnité allouée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, les dépens et les astreintes
- Laisser à la charge de M. [G] les entiers dépens.
A l'appui de ses prétentions, l'UNEDIC délégation AGS-CGEA de [Localité 1] fait valoir que :
Sur la confirmation de l'irrecevabilité des demandes
- l'action est forclose:
- son action est irrecevable en application de l'article L.625-1 du code de commerce à défaut de mise en cause du débiteur lui-même en sus du liquidateur
- le salarié n'a pas saisi valablement le conseil dans les deux mois de la publication de l'avis des relevés de créances du 11 juin 2015
- il n'a pas demandé de relevé de forclusion dans le délai de 6 mois conformément à l'article R.625-3 du code de commerce
- au surplus, l'action est prescrite
- la Cour de cassation a appliqué la prescription quinquennale de droit commun au profit de la prescription biennale dans une affaire en réparation du préjudice d'anxiété hors régime de l'ACAATA, tel qu'en l'espèce
- le point de départ est la date où le salarié a eu connaissance du risque de développer une pathologie grave résultant de son exposition
- le salarié a quitté la société le 29 août 2007 et l'employeur n'était plus débiteur d'aucune obligation d'information envers lui
- le délai biennal a donc commencé à courir à compter du 29 août 2007
- en saisissant le conseil en 2020, la prescription était acquise depuis plus de dix ans
- le salarié rappelle lui-même que la réglementation prévoit des mesures depuis un décret du 16 octobre 1950
- il a existé plusieurs alertes au sein de la société Sadefa Industries dès 1998
- il ne peut prétendre ne pas en avoir eu connaissance
- au surplus, une absence totale de bien fondé
- l'assemblée plénière de la Cour de cassation a reconnu au salarié le droit d'agir contre son employeur pour obtenir réparation dans le cas de l'exposition à l'amiante
- la haute juridiction a recentré l'indemnisation du préjudice d'anxiété sur l'obligation de sécurité de l'employeur et exige la triple preuve de : l'exposition à un agent cancérogène ou pathogène, le manquement de l'employeur à ses obligations légales de prévention et le préjudice réellement subi
- la preuve incombe au salarié
Sur les manquements de l'employeur
- la preuve d'un manquement à son obligation d'information n'est pas rapportée
- la preuve que le salarié a travaillé, hormis très ponctuellement pour la société Sadefa Industries et non pour la société Techni 47 n'est pas rapportée
- le salarié ne démontre pas avoir travaillé de façon continue de juillet 1999 à août 2007 dans les locaux de la société SADEFA et ne verse que deux bulletins de salaire isolés du mois de janvier 2001 et août 2007
- le salarié produit une attestation de M. [B] rédigée 12 ans après son départ et sans garantie d'authenticité et n'apparaît pas comme dirigeant de la société Techni 47 tant sur le BODACC que sur le site société.com
- il soutient avoir travaillé jusqu'au mois d'août 2007 alors que ses bulletins de salaire démontrent qu'il a été employé jusqu'en décembre 2007
- les attestations produites par le salarié ne démontrent pas qu'il a travaillé de façon continue dans la société Sadefa Industries, elles sont imprécises et font référence à d'autres sociétés
Sur le préjudice
- le salarié n'en justifie pas. Il produit uniquement une attestation de sa fille et un certificat médical qui reprend ses déclarations
Sur le lien de causalité
- le salarié est âgé de 74 ans et n'a développé aucune pathologie
- il ne justifie pas du suivi post professionnel
- le lien de causalité n'est pas rapporté
A titre infiniment subsidiaire
- le préjudice d'anxiété a été reconnu récemment le 11 septembre 2019
- lorsque le demandeur travaillait au sein de la société, le danger n'était pas prévisible
En tout état de cause, sur les limites de sa garantie
- Elle est intervenante forcée en la cause
- Elle rappelle qu'elle ne garantit que les créances résultant de l'exécution du travail ou de la rupture du contrat de travail
- Les demandes ne peuvent tendre qu'à des fixations au passif de la procédure collective et à voir préciser si l'AGS doit ou non sa garantie dans la limite des plafonds légaux
- L'action ne peut que rendre la décision opposable à l'AGS
- Elle fera éventuellement l'avance des fonds auprès du mandataire liquidateur
- La garantie ne joue que dans les conditions de l'article L.3253-20 du code civil et les créances salariales ne portent pas intérêts
MOTIFS :
En préliminaire, la cour observe que les premiers juges ont à tort déclaré les demandes irrecevables tout en statuant au fond en déboutant le demandeur de ses demandes.
Sur la forclusion :
L'article L.625-1 du code de commerce dispose que : « Après vérification, le mandataire judiciaire établit, dans les délais prévus à l'article L.143-11-7 du code du travail, les relevés des créances résultant d'un contrat de travail, le débiteur entendu ou dûment appelé. Les relevés des créances sont soumis au représentant des salariés dans les conditions prévues à l'article L.625-2. Ils sont visés par le juge-commissaire, déposés au greffe du tribunal et font l'objet d'une mesure de publicité dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat.
Le salarié dont la créance ne figure pas en tout ou en partie sur un relevé peut saisir à peine de forclusion le conseil de prud'hommes dans un délai de deux mois à compter de l'accomplissement de la mesure de publicité mentionnée à l'alinéa précédent. Il peut demander au représentant des salariés de l'assister ou de le représenter devant la juridiction prud'homale.
Le débiteur et l'administrateur lorsqu'il a une mission d'assistance sont mis en cause ».
Il résulte desdites dispositions que le salarié dont la créance ne figure pas en tout ou partie sur le relevé établi par le représentant des créanciers peut saisir à peine de forclusion le conseil de prud'hommes dans un délai de deux mois à compter de l'accomplissement de la mesure de publicité prévue à l'alinéa précédent.
Toutefois, l'action du salarié, qui saisit la juridiction prud'homale d'une demande en réparation d'un préjudice d'anxiété résultant de son exposition au risque et révélé postérieurement à l'établissement du relevé des créances salariales, est distincte de celle ouverte par ces dispositions, de sorte que le caractère irrévocable de l'état des créances ne peut lui être opposé.
En conséquence, la cour rejette la fin de non recevoir soulevée.
Sur la prescription :
En application des dispositions de l'article 2224 du code civil, la prescription d'une action, ne court qu'à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'établir.
Pour soutenir que la prescription a commencé à courir au plus tard à la date de cessation du contrat de travail avec la société Techni 47 le 29 août 2007, l'intimée fait valoir qu'à compter de cette date, l'employeur n'était plus débiteur d'une information, notamment de celle relative à la santé au travail, et qu'ayant introduit une action en 2020, la prescription de l'action était acquise depuis plus de dix ans. L'intimé soutient également que M. [G] ayant eu connaissance des alertes auprès de la société Sadefa Industries dès 1998 par une enquête officielle du CHSCT et de la caisse régionale d'assurance maladie, de l'alerte de la médecine du travail en 2004 et de l'arrêt de la cour d'appel d'Agen du 10 janvier 2017 qu'il invoque dans ses conclusions, il ne peut soutenir avoir eu connaissance des dangers représentés par l'exposition aux poussières de silice moins de deux ans avant la saisine du conseil de prud'hommes.
En l'espèce, faute d'un quelconque élément permettant de considérer que le salarié a été informé par son employeur des risques auxquels son travail pouvait l'exposer, le salarié est fondé à soutenir que le fait générateur de son préjudice, à supposer celui-ci établi, ne lui a été révélé qu'à compter de la compagne d'information menée en 2019 par le CERADER 47 et par le docteur [D], président de l'association, date à partir de laquelle il a régularisé un suivi post professionnel renforcé auprès de la CPAM.
Dès lors qu'elle a été introduite le 15 octobre 2020 soit dans le délai de deux ans à compter de l'année 2019, l'action n'est pas prescrite et le jugement sera infirmé de ce chef.
Sur le fond :
La cour rappelle que la société Techni 47, entreprise de travail temporaire, était la société employeur et la société Sadefa Industries, la société utilisatrice.
Le salarié fait valoir qu'en raison du manquement de l'employeur, la société Techni 47, à son obligation de prévention et de sécurité en ne veillant pas à prendre des mesures suffisantes pour préserver sa santé, il a été exposé aux poussières de silice ce qui a généré un préjudice d'anxiété dont il demande réparation.
Aux termes des articles L.4121-1 et L.4121-2 du code du travail, l'employeur doit prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des salariés.
L'article L.4121-1 du code du travail dispose que :
« L'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Ces mesures comprennent :
- Des actions de prévention des risques professionnels ;
- Des actions d'information et de formation ;
- La mise en place d'une organisation et de moyens adaptés ;
L'employeur veille à l'adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement de circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes ».
Aux termes de l'article L.4121-2 de ce même code du travail :
« L'employeur met en oeuvre les mesures prévues à l'article L.4121-1 sur le fondement des principes généraux de prévention suivants :
- Eviter les risques ;
- Evaluer les risques qui ne peuvent pas être évités ;
- Combattre les risques à la source ;
- Adapter le travail à l'homme, en particulier en ce qui concerne la conception des postes de travail ainsi que le choix des équipements de travail et des méthodes de travail et de production, en vue notamment de limiter le travail monotone et le travail cadencé et de réduire les effets de ceux-ci sur la santé ;
- Tenir compte de l'état d'évolution de la technique ;
- Remplacer ce qui est dangereux par ce qui n'est pas dangereux ou par ce qui est moins dangereux ;
- Planifier la prévention en y intégrant, dans un ensemble cohérent, la technique, l'organisation du travail, les conditions de travail, les relations sociales et l'influence des facteurs ambiants, notamment les risques liés au harcèlement moral ;
- Prendre des mesures de protection collective en leur donnant la priorité sur les mesures de protection individuelle ;
- Donner les instructions appropriées aux travailleurs. »
L'entreprise de travail temporaire doit définir les caractéristiques particulières du poste à pourvoir, et s'assurer que l'intérimaire a les compétences requises.
Si les obligations afférentes à la médecine du travail sont à la charge de l'entreprise de travail temporaire, c'est l'entreprise utilisatrice qui est responsable des conditions d'exécution du travail et notamment la santé et la sécurité au travail pendant la durée de la mission comme le prévoit l'article L.1251-21 4°du code du travail.
En conséquence, M. [G] ne peut reprocher à la société Techni 47 de n'avoir pas tenu compte des conclusions de l'enquête du CHSCT menée en 1998 et des multiples alertes (courrier de l'ingénieur conseil de la CRAM du 20 décembre 1999, du 28 novembre 2003 et 29 juin 2004, du courrier du docteur [D] du 13 mai 2009), toutes adressées à l'entreprise utilisatrice, alors qu'elle n'était pas responsable des conditions d'exécution de la relation de travail et notamment de la santé et de la sécurité du salarié lors de sa mise à disposition auprès d'une société utilisatrice.
En conséquence, la cour déboute M. [G] de sa demande en fixation de créance de son préjudice d'anxiété au passif de la procédure collective de la société Techni 47 et de ses demandes formées à l'encontre de CGEA-AGS.
M. [G] qui succombe, sera condamné aux dépens d'appel.
PAR CES MOTIFS :
La Cour statuant par arrêt réputé contradictoire, mis à disposition au greffe et en premier ressort,
CONFIRME en ce qu'il a débouté :
- le mandataire liquidateur de la société Techni 47 de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile et en ce qu'il a condamné M. [L] [G] aux dépens
INFIRME le jugement du 24 mars 2022 en ce qu'il a déclaré les demandes de M. [G] irrecevables et l'a débouté de ses demandes
Statuant du chef infirmé et y ajoutant,
REJETTE la fin de non recevoir tenant à la forclusion de l'action,
REJETTE la fin de non recevoir tenant à la prescription et déclare les demandes de M. [L] [G] recevables,
DÉBOUTE M. [L] [G] de sa demande en fixation de créance de son préjudice d'anxiété au passif de la procédure collective de la société Techni 47 et de ses demandes formées à l'encontre de CGEA-AGS,
CONDAMNE M. [L] [G] aux dépens d'appel.
Le présent arrêt a été signé par Nelly EMIN, conseiller faisant fonction de président de chambre et Chloé ORRIERE, greffier.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT