La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

09/05/2023 | FRANCE | N°22/00176

France | France, Cour d'appel d'Agen, Chambre sociale, 09 mai 2023, 22/00176


ARRÊT DU

09 MAI 2023



NE/CO*



-----------------------

N° RG 22/00176 -

N° Portalis DBVO-V-B7G-C7GJ

-----------------------





SELARL ARVA anciennement dénommée VINCENT MEQUINION





C/





[J] [Y] épouse [D]





-----------------------











Grosse délivrée

le :



à

ARRÊT n° 83 /2023







COUR D'APPEL D'AGEN

Chambre Sociale





>
Prononcé par mise à disposition au greffe de la cour d'appel d'Agen conformément au second alinéa des articles 450 et 453 du code de procédure civile le neuf mai deux mille vingt trois par Nelly EMIN, conseiller faisant fonction de président de chambre assistée de Chloé ORRIERE, greffie...

ARRÊT DU

09 MAI 2023

NE/CO*

-----------------------

N° RG 22/00176 -

N° Portalis DBVO-V-B7G-C7GJ

-----------------------

SELARL ARVA anciennement dénommée VINCENT MEQUINION

C/

[J] [Y] épouse [D]

-----------------------

Grosse délivrée

le :

à

ARRÊT n° 83 /2023

COUR D'APPEL D'AGEN

Chambre Sociale

Prononcé par mise à disposition au greffe de la cour d'appel d'Agen conformément au second alinéa des articles 450 et 453 du code de procédure civile le neuf mai deux mille vingt trois par Nelly EMIN, conseiller faisant fonction de président de chambre assistée de Chloé ORRIERE, greffier

La COUR d'APPEL D'AGEN, CHAMBRE SOCIALE, dans l'affaire

ENTRE :

LA SELARL ARVA, anciennement dénommée SELARL VINCENT MEQUINION, prise en la personne de son représentant légal et ayant son siège social :

[Adresse 1]

[Localité 7]

Représentée par Me Alix SCHONTZ substituant à l'audience Me Frédéric GODARD-AUGUSTE, avocat inscrit au barreau de BORDEAUX

APPELANTE d'un jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire d'AGEN en date du 01 février 2022 dans une affaire enregistrée au rôle sous le n° R.G. 21/00250

d'une part,

ET :

[J] [Y] épouse [D]

née le 02 février 1987 à [Localité 4]

demeurant [Adresse 2]

[Localité 3]

Représentée par Me Mohamed TRIAKI, avocat inscrit au barreau de PARIS

INTIMÉE

d'autre part,

A rendu l'arrêt contradictoire suivant après que la cause a été débattue et plaidée en audience publique le 14 mars 2023 sans opposition des parties devant Nelly EMIN, conseiller faisant fonction de président de chambre et Pascale FOUQUET, conseiller, assistés de Chloé ORRIERE, greffier. Les magistrats en ont, dans leur délibéré rendu compte à la cour composée, outre eux-mêmes, de Hélène GERHARDS, conseiller, en application des dispositions des articles 945-1 et 805 du code de procédure civile et il en a été délibéré par les magistrats ci-dessus nommés, les parties ayant été avisées de la date à laquelle l'arrêt serait rendu.

* *

*

EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE

La SELARL Vincent Méquinion, devenue SELARL ARVA est une étude d'Administrateur Judiciaire composée de plusieurs établissements localisés à [Localité 6], [Localité 5] et [Localité 7].

Madame [Y] épouse [D] a été embauchée par la SELARL Vincent Méquinion par contrat à durée indéterminée,en qualité de secrétaire standardiste à compter du 15 octobre 2018 aux fins d'exercer ses fonctions au sein de l'étude de [Localité 7].

Le 8 avril 2019, la société a notifié à Madame [Y] épouse [D] un avertissement.

Le 12 juillet 2019 Madame [Y] épouse [D] a été convoquée à un entretien préalable fixé au 24 juillet 2019.

Par courrier recommandé du 30 juillet 2019, La SELARL Vincent Méquinion a notifié à Madame [Y] épouse [D] son licenciement pour faute grave aux motifs suivants :

« Vous avez adopté une attitude de dénigrement vis-à-vis de votre employeur en violation totale de l'obligation de loyauté à laquelle vous êtes contractuellement tenue.

Vous n'avez d'ailleurs pas hésité à tenir des propos particulièrement choquants auprès d'autres salariés de l'Etude (à titre d'exemple, sans que la liste soit limitative : « qu'est-ce que ça peut leur foutre que j'aille chez le médecin pendant les heures de boulot » ').

Vous n'avez également pas hésité à indiquer que vous auriez très bien pu ne pas prévenir de vos éventuelles absences, ce qui n'est pas acceptable.

Or, le fait que je ne sois pas tous les jours physiquement présent à [Localité 7] impose au-delà de l'accomplissement de vos tâches, a minima le respect des horaires à accomplir en contrepartie de la rémunération contractuellement prévue, et, au-delà, une parfaite loyauté de votre part.

Force est de constater que tel n'a pas été le cas et que vous avez clairement manqué à votre obligation.

Vous m'avez d'ailleurs indiqué lors de nos échanges que vous ne niiez pas les propos tenus.

Par ailleurs, vous n'avez délibérément pas respecté une règle particulièrement importante compte tenu des enjeux liés aux procédures amiables confidentielles, en recevant un acte délivré par huissier de justice dans le cadre d'un mandat ad hoc.

Pour autant, la règle, évidente, claire, précise, et dont vous avez parfaitement connaissance, est de prévenir la personne qui s'occupe du dossier pour déterminer si oui ou non l'acte doit être accepté.

Ainsi, votre manquement a eu pour conséquence notre mise en cause publique dans le cadre d'un contentieux judiciaire, et augmente ainsi le risque de propagation de l'information de notre intervention, ce qui amenuise par nature l'efficacité d'une mission qui doit rester confidentielle.

Votre réaction lors de l'entretien démontre en outre votre particulière mauvaise foi, dans la mesure où vous avez commencé par nier le fait d'avoir été informée d'une telle règle' pour finalement vous raviser en inventant une règle qui aurait été de recevoir l'acte lorsque le dossier serait en cours, et le refuser à défaut' règle qui, pour les raisons rappelées ci-dessus, ne peut en aucun cas être applicable !

Au surplus, lorsque je vous ai demandé pourquoi vous aviez jusqu'à présent pris le soin de mettre en 'uvre un contre-appel auprès d'une personne en charge du dossier, vous m'avez alors indiqué que cette consigne était appliquée par automatisme.

Le non-respect des règles établies au sein de l'étude, en parfaite connaissance de cause, rend ainsi également impossible la poursuite de votre contrat de travail.

Compte tenu de ces manquements graves, nous nous voyons donc dans l'obligation de rompre par la présente votre contrat de travail

Votre licenciement est donc immédiat, sans préavis ni indemnité de rupture ».

Madame [Y] épouse [D] a saisi le conseil de prud'hommes de Toulouse en

faire requalifier son licenciement comme dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Par jugement du 26 mai 2021, le conseil de prud'hommes Toulouse a ordonné le renvoi de l'affaire devant le conseil de prud'hommes d'Agen.

Au dernier état de ses conclusions, Madame [Y] épouse [D] sollicitait du conseil à titre principal qu'il prononce la nullité du licenciement intervenu le 30 juillet 2019 et qu'il ordonne en conséquence le paiement par la Selarl Méquinion de :

- la somme de 349,50 € bruts à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement ;

- la somme de 14 126,64 € de dommages et intérêts pour licenciement nul ;

- la somme de 1 765,83 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis ;

- la somme de 176,58 € à titre d'indemnité compensatrice de congés payés sur préavis ;

- la somme de 1 765,83 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice lié aux circonstances vexatoires entourant le licenciement ;

- la somme de 1.500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

et de condamner la partie adverse aux entiers dépens.

A titre subsidiaire, elle sollicitait que le conseil déclare abusif le licenciement pour faute grave intervenu le 30 juillet 2019 et qu'il ordonne en conséquence le paiement par la Selarl Méquinion de :

- la somme de 349,50 € bruts à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement ;

- la somme de 1 765,83 € de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

- la somme de 1 765,83 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis ;

- la somme de 176,58 € à titre d'indemnité compensatrice de congés payés sur préavis ;

- la somme de 1 765,83 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice lié aux circonstance vexatoires entourant le licenciement ;

- la somme de 1.500 € au titre de l'article 700 du du code de procédure civile,

et de condamner la partie adverse aux entiers dépens.

Par jugement du 1er février 2022, auquel la cour se réfère expressément, le conseil de prud'hommes d'Agen a :

- dit et jugé recevables les demandes de Mme [Y] épouse [D] visant à déclarer nul le licenciement intervenu le 30 juillet 2019 et visant à voir condamner la SELARL Vincent Méquinion au paiement d'une indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile

- dit et jugé que le licenciement dont a fait l'objet Mme [Y] épouse [D], intervenu en violation de sa liberté d'expression est nul

- condamné la SELARL Vincent Méquinion à verser à Mme [Y] épouse [D] les sommes de :

- 9 703,804 € net à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul ;

- 1 765,83 € brut à titre d'indemnité compensatrice de préavis ;

- 176,58 € brut à titre d'indemnité compensatrice de congés payés sur préavis ;

- 349,50 € net à titre d'indemnité de licenciement ;

- 500 € à titre de dommages et intérêts pour circonstances vexatoires ;

- 1.500 € au titre de l'article 700 du du du code de procédure civile

- dit que les sommes objet de la condamnation produisent intérêt au taux légal à compter du prononcé du jugement,

- condamné la SELARL Vincent Méquinion aux entiers dépens.

Par déclaration reçue au greffe de la cour le 3 mars 2022, la SELARL ARVA a interjeté appel du jugement rendu par le conseil de prud'hommes d'Agen le 1er février 2022, visant expressément les chefs de jugements critiqués.

Par ordonnance du 9 février 2023, le conseiller de la mise en état a ordonné la révocation de l' ordonnance de clôture prononcée le 19 janvier 2023, enjoint aux parties d'avoir à conclure, et faire signifier leurs conclusions pour le 23 février 2023 pour Mme [Y] épouse [D] et pour le 6 mars 2023 pour la SELARL ARVA, dit que la clôture sera prononcée le 7 mars 2023 et l'affaire fixée à plaider à l'audience du 14 mars 2023.

MOYENS ET PRÉTENTIONS

Dans ses dernières conclusions, reçues au greffe le 17 janvier 2023, auxquelles il est renvoyé pour une parfaite connaissance des moyens, la SELARL ARVA demande à la cour de réformer la décision rendue le 1er février 2022 par le conseil de prud'hommes d'Agen, et statuant à nouveau :

- déclarer irrecevables les demandes :

- visant à déclarer nul le licenciement intervenu le 30 juillet 2019

- visant à voir condamner la SELARL Vincent Méquinion au paiement d'une indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

A titre principal,

- dire et juger que Madame [Y] n'a pas été licenciée pour avoir usé de sa liberté d'expression

- dire et juger que Madame [Y] a au demeurant abusé de sa liberté d'expression

- la débouter de ses demandes à ce titre.

A titre subsidiaire,

- dire et juger que les faits reprochés à Madame [Y] constituent bien, compte tenu de son ancienneté et de ses antécédents, une faute grave justifiant son licenciement

En cela,

- débouter Madame [Y] de ses demandes à ce titre,

En tout état de cause,

- la débouter de l'ensemble de ses demandes fins et conclusions

Reconventionnellement,

- la condamner au versement de la somme 3.500 euros sur le fondement de l'article

700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens

Au soutien de ses prétentions, elle fait valoir que :

Sur la nullité du licenciement

* Sur l'irrecevabilité de la demande

- Madame [Y] n'a pas formulé cette demande dans le cadre de sa requête

- ses demandes ne sont rattachées par aucun lien alors que le lien estimé suffisant doit être tel que la seconde demande est le support logique de la première ou que, sans la seconde, le bénéfice de la première serait très largement dénué d'intérêt

- or, les deux demandes ne tendent pas aux mêmes fins : l'une tend à la nullité du licenciement, l'autre à la requalification

* Sur l'inanité de la demande

- la salariée ne démontre absolument pas avoir été licenciée pour avoir usé de sa liberté d'expression

- ses propos n'ont pas été tenus en privé : il ressort très clairement du constat du procès verbal d'huissier qu'ils ont été tenus, avec une collègue de travail en haut parleur, et à l'accueil de l'étude, donc dans un lieu accessible à tous, clients et salariés compris

- il n'est pas contestable que le dénigrement de l'employeur dans le cadre professionnel, auprès d'un autre collègue de travail, sur le lieu professionnel au vu de tous, clients compris, est un comportement répréhensible

- au demeurant la salariée n'établit aucun lien entre la prétendue situation de « simple utilisation de sa liberté d'expression », et son licenciement

- en effet, elle a été licenciée compte tenu de son comportement déloyal envers son employeur relatif à ses heures de travail et pour ne pas avoir respecté une règle particulièrement importante de la procédure amiable et absolument pas pour avoir fait usage d'une quelconque liberté d'expression

- elle a quoi qu'il en soit clairement abusé de sa liberté d'expression

Sur la faute grave justifiant le licenciement

- Madame [Y] avait 8 mois d'ancienneté au moment de son licenciement, et avait déjà fait l'objet d'un avertissement pour avoir dénigré son employeur auprès de ses collègues de travail : ces circonstances aggravantes justifient ainsi de prendre une sanction plus lourde à son encontre, et viennent aggraver la faute commise

- Madame [Y] ne conteste à aucun moment les griefs évoqués mais se contente de les minimiser,

* Le manquement à l'obligation de loyauté

- constitue un abus de confiance le fait pour un salarié d'utiliser son temps de travail à d'autres fins que celles pour lesquelles il perçoit une rémunération

- mentir à son employeur, et prendre des rendez-vous personnels sur son temps de travail sans prévenir son employeur caractérise bien un manquement à son obligation de loyauté

- les horaires de travail de Madame [Y] sont contractualisés, et ont été rappelés par l'employeur notamment par courriel et lors de l'entretien annuel

- Or, Me [C], présente à l'étude de [Localité 7], a assisté à une conversation téléphonique en haut parleur, depuis l'accueil, entre une collaboratrice de l'étude parisienne et Madame [Y] au cours duquel cette dernière confirme l'utilisation du procédé, visiblement habituel, visant à se faire rémunérer pendant ses absences durant les heures de travail pour des rendez vous personnels

*Le manquement aux procédures internes

- son poste et ses missions étaient très clairement définis dès son embauche par son contrat de travail, par fiche de poste remise en mains propres et rappelées par courriel

- elle ne conteste d'ailleurs pas de ne pas avoir respectée la procédure et n'indique

absolument pas qu'elle n'en aurait pas été informée,

Sur l'absence de conséquences pécunières

- elle ne produit aucune pièce pour justifier du montant de l'indemnité de licenciement sollicitée

- elle ne justifie pas du montant de l'indemnité compensatrice de préavis demandée alors que son salaire était de 1539 euros

- elle n'a pas effectué son préavis et ne saurait donc prétendre à une indemnité de congés payées au titre du préavis

- Madame [Y] ne produit aucune pièce pour prouver l'existence d'un préjudice lié aux circonstances prétendument vexatoires entourant son licenciement.

Dans ses dernières conclusions, reçues au greffe le 20 février 2023, auxquelles il est renvoyé pour une parfaite connaissance des moyens, Madame [Y] épouse [D] demande à la cour de confirmer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes le 1er février 2022 en ce qu'il a :

- dit et jugé recevables ses demandes de visant à déclarer nul le licenciement intervenu le 30 juillet 2019 et visant à voir condamner la SELARL ARVA (anciennement Vincent Méquinion) au paiement d'une indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile

- dit et jugé que le licenciement dont elle a fait l'objet est intervenu en violation de sa liberté d'expression est nul

- condamné la SELARL ARVA (anciennement Vincent Méquinion) à lui verser

les sommes de :

- 9 703,804 € net à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul ;

- 1 765,83 € brut à titre d'indemnité compensatrice de préavis ;

- 176,58 € brut à titre d'indemnité compensatrice de congés payés sur préavis ;

- 349,50 € net à titre d'indemnité de licenciement ;

- 500 € à titre de dommages et intérêts pour circonstances vexatoires ;

- 1.500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile

A titre subsidiaire, si par extraordinaire la cour devait que juger que son licenciement n'était pas frappée de nullité, il est demandé à la cour qu'elle déclare abusif le licenciement pour faute grave intervenu le 30 juillet 2019 et qu'elle ordonne en conséquence le paiement par la SELARL ARVA (anciennement Vincent Méquinion) de :

- la somme de 349,50 € bruts à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement ;

- la somme de 1 765,83 € de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

- la somme de 1 765,83 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis ;

- la somme de 176,58 € à titre d'indemnité compensatrice de congés payés sur préavis ;

- la somme de 1 765,83 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice lié aux circonstances vexatoires entourant le licenciement ;

En tout état de cause, elle demande à la cour de condamner la SELARL ARVA (anciennement Vincent Méquinion) à tous dépens éventuels, ainsi qu'à lui payer une somme de 1.500 € au visa des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Au soutien de leurs prétentions, elle fait valoir que :

Sur la recevabilité des demandes additionnelles

- les juges effectuent une distinction entre les demandes liées à l'exécution du contrat de travail et celles liées à la rupture du contrat de travail. Ainsi, lorsque deux demandes sont liées aux circonstances ou aux conditions de la rupture du contrat de travail, les juges du fonds analysent celles-ci comme étant rattachées entre elles par un lien suffisant, particulièrement lorsque les deux demandes sont fondées sur les mêmes manquements de l'employeur

- la Cour de cassation a clos le débat au sujet des demandes de nullité du licenciement formées en cours d'instance, en considérant qu'« est recevable en appel la demande en nullité du licenciement qui tend aux mêmes fins que la demande initiale au titre d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, dès lors que ces demandes tendent à obtenir l'indemnisation des conséquences du licenciement qu'un salarié estime injustifié »

Sur la nullité du licenciement prononcé à son encontre

- le salarié jouit, dans l'entreprise et en dehors de celle-ci, de sa liberté d'expression, à laquelle seules des restrictions justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché peuvent être apportées

- la Cour de cassation a pu juger que le fait, pour un salarié, de tenir des propos indélicats exprimant son insatisfaction et relevant de la simple anecdote échangée entre collègues, sans volonté de porter atteinte aux intérêts de l'entreprise, constituait un exercice normal de la liberté d'expression

- les juges ont eu l'occasion de rappeler que le respect de la liberté d'expression du salarié s'imposait aussi, voire surtout, durant l'entretien préalable du salarié

- il résulte de la lettre de licenciement qu'elle a notamment mais principalement été licenciée d'une part en raison de propos qu'elle aurait tenus dans le cadre d'une conversation téléphonique privée avec l'une de ses collègues et que sa direction aurait surprise et d'autre part, de la supposée « mauvaise foi » dont elle aurait fait preuve au cours de l'entretien de licenciement

- c'est d'une part parce qu'elle s'est plainte du refus de son employeur d'aménager son temps de travail pour prendre un rendez-vous médical et d'autre part parce qu'elle a essayé de se défendre des accusations qui lui étaient portées dans le cadre de son entretien préalable que le licenciement a été prononcé

- l'employeur lui reproche non le fait qu'elle ait aménagé ses horaires mais le fait qu'elle ait dit, dans le cadre d'une conversation privée espionnée par la Direction, qu'elle aurait potentiellement pu aménager ses horaires

- elle n'a jamais contrevenu à ses horaires de travail, elle a simplement dit, en privé, qu'elle aurait pu le faire

- la procédure est d'autant plus injustifiée et liberticide que les propos téléphoniques qui ont été relevés en premier lieu avaient été tenus dans le cadre d'une conversation privée avec une collègue que la direction avait surprise, voire espionnée

- la mesure de licenciement a bien été engagée uniquement parce qu'elle a usé de sa liberté d'expression

A titre subsidiaire, sur le caractère abusif du licenciement

- aucun des griefs n'est fondé sur la mauvaise volonté délibérée de sa part

- le fait de s'être plaint en privé de n'avoir pas eu la possibilité d'aménager son temps de travail ne constitue pas un acte de dénigrement caractérisant une mauvaise volonté délibérée d'effectuer son travail

- le fait d'avoir affirmé qu'elle aurait pu ne pas prévenir de son absence et de causer la méfiance de son employeur ne peut constituer un motif de sanction car il s'agit d'une appréciation subjective fondée sur la perte de confiance

- le fait d'avoir commis une négligence en recevant un acte délivré par huissier de justice dans le cadre d'un mandat ad hoc caractérise au pire une insuffisance professionnelle dénuée de toute mauvaise volonté délibérée

- le fait de s'être défendue dans le cadre d'un entretien préalable à licenciement pour faute grave et dans un contexte de pressions exacerbées ne caractérise pas une mauvaise volonté délibérée

- elle n'a jamais reçu de formation ni de fiche de poste lui indiquant clairement quelles étaient ses fonctions et les procédures à suivre

Sur les préjudices subis

- sur la base des trois derniers mois de salaire, elle bénéficiait d'un salaire moyen de 1 765,83 € bruts et son ancienneté en nombre de mois complets était de 9,5

- elle a été soumise à un chantage en vue d'obtenir sa démission, l'annonce de son potentiel licenciement pour faute grave a été grossièrement diffusée sur l'agenda collectif de l'étude avant l'entretien préalable, et, en outre, elle a dû aider à la procédure de recrutement de son successeur en mettant en lien les agences d'intérim et sa hiérarchie

MOTIVATION

Sur la recevabilité des demandes en nullité du licenciement et au titre des frais irrépétibles

Selon les articles R.1452-1 et R.1452-2 du code du travail, dans leur rédaction issue du décret n° 2016-660 du 20 mai 2016, la demande en justice est formée par requête qui contient un exposé sommaire des motifs de la demande et mentionne chacun des chefs de celle-ci.

Aux termes de l'article R.1453-3 du code du travail, la procédure prud'homale est orale. L'article R.1453-5 du même code précise que lorsque toutes les parties comparantes formulent leurs prétentions par écrit et sont assistées ou représentées par un avocat, elles sont tenues de les récapituler sous forme de dispositif et elles doivent reprendre dans leurs dernières conclusions les prétentions et moyens présentés ou invoqués dans leurs conclusions antérieures.

Aux termes de l'article 70, alinéa 1er, du code de procédure civile, les demandes reconventionnelles ou additionnelles sont recevables si elles se rattachent aux prétentions originaires par un lien suffisant.

Il en résulte qu'en matière prud'homale, la procédure étant orale, le requérant est recevable à formuler contradictoirement des demandes additionnelles qui se rattachent aux prétentions originaires, devant le juge lors des débats, ou dans ses dernières conclusions écrites réitérées verbalement à l'audience lorsqu'il est assisté ou représenté par un avocat.

En l'espèce, la salariée a saisi le conseil de prud'hommes pour contester le licenciement du 30 juillet 2019 puis a conclu à la nullité de celui-ci intervenu en violation de sa liberté d'expression.

Il en résulte que dès lors qu'elle contestait la rupture du contrat de travail, la salariée pouvait former des demandes additionnelles tendant à la nullité de cette rupture, cette demande se rattachant par un lien suffisant à celles soumises initialement à la juridiction.

Par ailleurs, la demande au titre des frais irrépétibles peut être formulée à tout moment de la procédure à laquelle elle se rattache, mais avant clôture de l'instruction.

En l'espèce, la salariée avait formulée une demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile dans ses conclusions récapitulatives devant le conseil de prud'hommes.

En conséquence, la cour déclare les demandes recevables.

Sur la nullité du licenciement

Vu l'article L.1121-1 du code du travail et l'article 10 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Il résulte de ces textes que sauf abus, le salarié jouit, dans l'entreprise et en dehors de celle-ci, de sa liberté d'expression, à laquelle seules des restrictions justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché peuvent être apportées.

Les appréciations qu'un salarié est amené à émettre ne sauraient légitimer un licenciement qu'à la condition que les propos soient injurieux, excessifs ou diffamatoires.

Le licenciement prononcé par l'employeur pour un motif lié à l'exercice non abusif par le salarié de sa liberté d'expression est nul.

En l'espèce, aux termes de la lettre de licenciement, l'employeur fait grief à la salariée d'avoir « adopté une attitude de dénigrement » à son encontre « en violation totale de l'obligation de loyauté » à laquelle elle était contractuellement tenue et notamment d'avoir tenu « des propos particulièrement choquants auprès d'autres salariés de l'Etude (à titre d'exemple, sans que la liste soit limitative : « qu'est-ce que ça peut leur foutre que j'aille chez le médecin pendant les heures de boulot » '), et avoir indiqué qu'elle aurait «très bien pu ne pas prévenir de vos éventuelles absences ».

Contrairement à ce que soutient la SELARL ARVA, Madame [Y] épouse [D] n'a pas été licenciée compte tenu de son comportement déloyal envers son employeur relatif à ses heures de travail mais bien, aux termes du premier grief, pour des propos tenus auprès d'autres salariés de l'étude.

Les propos de la salariée, tels que retranscrits au procès verbal d'huissier du 11 janvier 2021 produit par l'employeur ne sont pas exactement ceux rapportés dans la lettre de licenciement mais sont les suivants :

« Mais qu'est ce que ça peut leur foutre quoi ; en gros je travaille, j'aurais très bien pu en plus rien dire et m'arranger avec [V], tu vois juste, j'aurais très bien pu faire ça....».

Ainsi que l'ont justement relevé les premiers juges, aucun des termes reprochés à la salariée pour fonder le licenciement n'était injurieux, diffamant ou excessif et il ne s'agissait par celle-ci que de l'exercice de sa liberté d'expression.

L'expression employée « qu'est que ça peut leur foutre », ne saurait à elle seule être considérée comme injurieuse, étant une traduction grossière de l'expression « qu'est ce que ça peut leur faire » et n'étant nullement une injure à l'adresse de l'employeur.

Le reste de la conversation téléphonique ne contient aucun propos injurieux, diffamants ou excessifs.

Les premiers juges ont également rappelé à bon droit que durant l'entretien préalable au licenciement, la liberté d'expression du salarié est soumise aux mêmes conditions de libre expression. Dès lors, ce que dit le salarié au cours de l'entretien préalable ne peut constituer une cause de licenciement sauf abus.

La cour constate que les propos prêtés à la salariée lors de l'entretien préalable au licenciement, qu'elle ne conteste toutefois pas, s'inscrivent dans l'exercice de son moyen de défense sans être constitutifs d'un abus.

C'est donc à juste titre que le conseil des prud'hommes en a en déduit la nullité du licenciement et le jugement sera confirmé.

Sur les conséquences financières du licenciement

Le licenciement prononcé étant entâché de nullité, Madame [Y] épouse [D] peut prétendre au paiement par l'employeur d'une indemnité compensatrice de préavis, et les congés payés y afférents, une indemnité légale de licenciement et une indemnité pour licenciement nul.

Sur la base des bulletins de salaire produits, le salaire mensuel moyen à retenir est de 1539 euros bruts. Elle bénéficiait d'une ancienneté de 9 mois.

La SELARL ARVA doit en conséquence être condamnée à payer à Madame [Y] épouse [D] :

- 9234 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul ;

- 1 539 € brut à titre d'indemnité compensatrice de préavis ;

- 153,90 € brut à titre d'indemnité compensatrice de congés payés sur préavis ;

- 288 € à titre d'indemnité de licenciement ;

Le jugement du conseil de prud'hommes sera réformé en ce sens.

Sur les circonstances brutales, vexatoires et humiliantes du licenciement

Madame [Y] épouse [D] verse la procédure copie de l'agenda électronique de l'étude qui mentionne le rendez vous pour son entretien préalable au licenciement, ce qui n'est pas contesté par l'employeur.

Cette information donnée à l'ensemble du personnel confère à la procédure de licenciement un caractère vexatoire pour la salariée.

En conséquence, la décision du conseil des prud'hommes ayant accordé une indemnité à ce titre d'un montant de 500 euros sera confirmée.

Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens

La SELARL ARVA succombant en son appel, il y a lieu de confirmer la décision du conseil de prud'hommes qui l'a condamnée à payer à Madame [Y] épouse [D] une somme de 1500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.

La SELARL ARVA sera en outre condamnée à payer à Madame [Y] épouse [D] une somme de 1500 euros sur ce fondement pour les frais liés à la procédure d'appel et sera également tenue au paiement des dépens d'appel.

PAR CES MOTIFS

LA COUR, statuant publiquement, par arrêt contradictoire rendu par mise à disposition au greffe et en dernier ressort,

CONFIRME le jugement du conseil de prud'hommes d'Agen du 1er février 2022 en ce qu'il a :

- dit et jugé recevables les demandes de Mme [Y] épouse [D] visant à déclarer nul le licenciement intervenu le 30 juillet 2019 et visant à voir condamner la SELARL Vincent Méquinion au paiement d'une indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile

- dit et jugé que le licenciement dont a fait l'objet Mme [Y] épouse [D], intervenu en violation de sa liberté d'expression est nul

- condamné la SELARL Vincent Méquinion à verser à Mme [Y] épouse [D] les sommes de :

- 500 € à titre de dommages et intérêts pour circonstances vexatoires ;

- 1.500 € au titre de l'article 700 du du du code de procédure civile ;

- dit que les sommes objet de la condamnation produisent intérêt au taux légal à compter du prononcé du jugement ;

- condamné la SELARL Vincent Méquinion aux entiers dépens.

INFIRME le jugement du conseil de prud'hommes d'Agen du 1er février 2022 en ce qu'il a condamné la SELARL Vincent Méquinion à verser à Mme [Y] épouse [D] les sommes de :

- 9 703,804 € net à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul ;

- 1 765,83 € brut à titre d'indemnité compensatrice de préavis ;

- 176,58 € brut à titre d'indemnité compensatrice de congés payés sur préavis ;

- 349,50 € net à titre d'indemnité de licenciement ;

Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant :

CONDAMNE la SELARL Vincent Méquinion à verser à Mme [Y] épouse [D] les sommes de :

- 9234 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul ;

- 1 539 € brut à titre d'indemnité compensatrice de préavis ;

- 153,90 € brut à titre d'indemnité compensatrice de congés payés sur préavis ;

- 288 € à titre d'indemnité de licenciement ;

- 1.500 € au titre de l'article 700 du du du code de procédure civile

DÉBOUTE la SELARL Vincent Méquinion de sa demande au titres des frais irrépétibles,

CONDAMNE la SELARL Vincent Méquinion aux dépens d'appel.

Le présent arrêt a été signé par Nelly EMIN, conseiller faisant fonction de président de chambre et Chloé ORRIERE, greffier.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Agen
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 22/00176
Date de la décision : 09/05/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-05-09;22.00176 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award