ARRÊT DU
26 Avril 2023
AB / NC
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N° RG 21/00839
N° Portalis DBVO-V-B7F -C5TJ
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[H] [J]
C/
Maître [O] [N]
[Z] [G] [B]
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GROSSES le
aux avocats
ARRÊT n° 188-23
COUR D'APPEL D'AGEN
Chambre Civile
Section commerciale
LA COUR D'APPEL D'AGEN, 1ère chambre dans l'affaire,
ENTRE :
Monsieur [H] [J]
né le 13 juin 1972 à [Localité 7]
de nationalité française
domicilié : Centre communal d'action sociale
[Adresse 3]
[Localité 2]
(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2021/002069 du 02/07/2021 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle d'AGEN)
représenté par Me Olivier O'KELLY, avocat au barreau d'AGEN
APPELANT d'un jugement du tribunal de commerce de CAHORS en date du 12 avril 2021, RG 2019 3326
D'une part,
ET :
Maître [O] [N], agissant ès qualités de liquidateur de M. [Z] [G] [B] exerçant sous la forme de l'EIRL V KING de nationalité française
[Adresse 1]
[Localité 4]
représenté par Me Nezha FROMENTEZE, membre de la SELARL FROMENTEZE, avocate au barreau du LOT
INTIMÉ
D'autre part,
COMPOSITION DE LA COUR :
l'affaire a été débattue et plaidée en audience publique le 08 Mars 2023 devant la cour composée de :
Président : André BEAUCLAIR, Président de chambre, qui a fait un rapport oral à l'audience
Assesseurs : Dominique BENON, Conseiller
Jean-Yves SEGONNES, Conseiller
Greffière : Nathalie CAILHETON
ARRÊT : prononcé par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile
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EXPOSÉ DU LITIGE
Vu l'appel interjeté le 18 août 2021 par M. [H] [J] à l'encontre d'un jugement du tribunal de commerce de CAHORS en date du 12 avril 2021.
Vu les conclusions de M. [H] [J] en date du 17 mars 2022.
Vu les conclusions de Maître [N] ès qualités de liquidateur de L'EIRL V KING en date du 29 décembre 2022.
M. [Z] [B] gérant de l'EIRL V KING n'a pas constitué avocat.
Vu l'ordonnance du conseiller de la mise en état en date du 26 octobre 2022 ayant :
- débouté Maître [N] es qualité de mandataire judiciaire à la liquidation judiciaire de M. [B] exerçant sous la forme de l'EIRL V KING de toutes ses demandes, aux fins de voir déclarer irrecevables les tierces oppositions de M. [J], des sociétés AKI-NRJ-CONSTRUCTION, et SL SOLEIL DE QUILLAN, en ce que cette demande relève de la compétence de la cour.
- l'a condamné aux dépens de l'incident et à payer à M. [J] la somme de 2.000,00 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Vu l'ordonnance de clôture du 25 janvier 2023 pour l'audience de plaidoiries fixée au 8 mars 2023.
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Le 3 septembre 2015, M. [J] a acquis un bien immobilier situé à [Localité 6]. Le 4 octobre 2016, a été conclue une promesse de bail emphytéotique entre M. [J] et la société ACQUI-ENERGY.
Le 25 avril 2018, M. [J] a vendu le bien à M. [Z] [B], pour le prix de 84.000,00 euros, payable pour partie comptant, et par échéances mensuelles pendant 120 mois. Un privilège de vendeur avec action résolutoire a été inscrit.
Le 6 juin 2019, M. [B] a déclaré l'état de cessation des paiements de l'EIRL V KING. Le tribunal de commerce de CAHORS a prononcé, le 1er juillet 2019, la liquidation judiciaire de M. [B] exerçant sous forme d'EIRL V KING et désigné Maître [N] en qualité de liquidateur.
Le bien immobilier situé à [Localité 6] ne faisait pas partie du patrimoine affecté à l'EIRL. Par contre, M. [B] ne payait plus les mensualités du crédit vendeur, et M. [J] a engagé des poursuites à son encontre.
Le 10 juillet 2019, Maître [N] a indiqué à M. [J] que l'ouverture de la procédure de liquidation judiciaire empêchait toute action afin de récupérer la pleine propriété du bien immobilier.
Le 12 août 2019, sans en informer M. [J] ou son conseil, Maître [N], a assigné M. [B] afin de faire entrer le bien immobilier dans le patrimoine de l'EIRL.
Le 24 octobre 2019, M. [J] a fait délivrer un commandement de payer visant la clause résolutoire.
Par jugement du 4 novembre 2019, le tribunal de commerce a constaté la confusion des patrimoines de M. [B] et de l'EIRL V KING. Ce jugement a été publié au BODAC le 8 novembre 2019.
Le 30 novembre 2019, M. [J] a formé tierce opposition.
Par jugement en date du 12 avril 2021, le tribunal de commerce de CAHORS a notamment :
- débouté Maître [N] de sa demande de jonction,
- déclaré irrecevable la tierce opposition de M. [J] pour défaut de moyens propres et absence de démonstration de fraude,
- condamné M. [J] au paiement de 1.500,00 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile
- condamné M. [J] aux entiers dépens.
Tous les chefs du jugement sont expressément critiqués dans la déclaration d'appel.
M. [J] demande à la cour de :
- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté Maître [N] de sa demande tendant à déclarer la tierce opposition de M. [J] irrecevable pour défaut de respect des formalités légales relatives à cette voie de recours et des délais de recours.
- infirmer le jugement du 12 avril 2021, en ce qu'il a :
- réformer le jugement en date du 4 novembre 2019, du tribunal de commerce de CAHORS en ce qu'il a :
- statuant à nouveau,
- débouter Maître [N] de l'ensemble de ses demandes
- le condamner à lui payer la somme de 3.000,00 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile
- le condamner aux entiers dépens.
Il fait valoir que :
- il réside en Espagne les délais de recours sont allongés de deux mois en application de l'article 643 du code de procédure civile.
- il a intérêt à la tierce opposition, le prix de vente du bien immobilier attrait à la procédure collective n'a pas été payé par M. [B] en personne, et il n'a pas été partie ou représenté au jugement entrepris.
- subsidiairement le jugement a été rendu en fraude de ses droits
- il est en droit de réclamer, moyen propre, la résolution de la vente de l'immeuble si les conditions de confusion des patrimoines ne sont pas réunies
- les biens non-affectés par l'entrepreneur individuel ne peuvent être saisis par les créanciers dont les droits naissent à l'occasion de l'exercice de l'activité professionnelle et le bien litigieux, destiné à l'habitation, n'a pas été affecté. Le manquement de l'entrepreneur à son obligation de déclaration du patrimoine affecté à l'EIRL n'est pas sanctionné par la réunion du patrimoine privé de l'entrepreneur et son patrimoine affecté, en application de la réforme portée par la loi PACTE.
- il n'est pas démontré que le bien a été utilisé pour l'activité de l'EIRL V KING
- les conditions de réunion des patrimoines ne sont pas réunies : ne sont pas démontrées des relations financières anormales entre les deux patrimoines.
Maître [N] ès qualités demande à la cour de :
- confirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce le 12 avril 2021 en ce qu'il a :
- juger à nouveau et :
- déclarer irrecevable au besoin d'office, la tierce opposition pour défaut de respect des formalités légales relatives à l'exercice de cette voie de recours ;
- déclarer irrecevable, au besoin d'office subsidiairement, la tierce opposition pour défaut de respect des délais dans l'exercice d'une voie de recours infirmant, sur ce seul point, le jugement déféré ;
- déclarer irrecevable la tierce opposition de M. [J], pour défaut de moyens propres et absence de démonstration de fraude ;
- confirmer, en tout état de cause, le jugement entrepris ce qu'il a rejeté toutes les prétentions de M. [J] et, par voie de conséquence,
- confirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de CAHORS le 4 novembre 2019 en ce qu'il a constaté la confusion des patrimoines de M. [B] exerçant sous la forme d'EIRL V KING et de Monsieur [Z] [B] :
- condamner M. [J] à payer à Me [N] ès qualités la somme de 3.000,00 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la société M. [J] aux entiers dépens de l'instance.
Il est fait renvoi aux écritures des parties pour plus ample exposé des éléments de la cause, des prétentions et moyens des parties, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Aux termes de l'article 583 code de procédure civile, est recevable à former tierce opposition toute personne qui y a intérêt, à la condition qu'elle n'ait été ni partie ni représentée au jugement qu'elle attaque.
Les créanciers et autres ayants cause d'une partie peuvent toutefois former tierce opposition au jugement rendu en fraude de leurs droits ou s'ils invoquent des moyens qui leur sont propres.
En matière de procédures collectives, l'article R. 661-2 du code de commerce précise que la tierce opposition doit être formée, comme l'opposition, par déclaration au greffe dans le délai de dix jours à compter du prononcé de la décision, de la publication de la décision au Bulletin des annonces civiles et commerciales, ou de la publication de son insertion dans un journal d'annonces légales, le cas échéant. Ce délai est exigé à peine d'irrecevabilité de la tierce opposition.
M. [J] demeurant [Adresse 5] ESPAGNE à la date de publication du jugement au BODAC a formé tierce opposition par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 30 novembre 2019 reçue au greffe du tribunal de commerce de CAHORS le 3 décembre 2019.
D'une part, la lettre recommandée avec demande d'avis de réception ne peut être assimilée à la déclaration au greffe qu'exige l'article R. 661-2 du code de commerce. M. [J] n'a pas respecté la forme requise puisqu'il a adressé au tribunal une déclaration par lettre sans que personne ne se soit présenté au greffe pour faire la déclaration.
La tierce-opposition faite autrement que par déclaration au greffe étant irrecevable comme ne répondant pas au mode de saisine prescrit par la loi, celui qui invoque l'irrecevabilité n'a pas, en conséquence, à justifier d'un grief.
La réglementation relative aux formalités à observer pour former un recours vise à assurer la bonne administration de la justice et le respect, en particulier, du principe de la sécurité juridique, les intéressés devant s'attendre à ce que ces règles soient appliquées. Toutefois, une réglementation, ou l'application qui en est faite, ne doit pas empêcher le justiciable de se prévaloir d'une voie de recours disponible, et si le droit d'exercer un recours est soumis à des conditions légales, les tribunaux doivent, en appliquant des règles de procédure, éviter à la fois un excès de formalisme qui porterait atteinte à l'équité de la procédure, et une souplesse excessive qui aboutirait à supprimer les conditions de procédure établies par les lois.
En l'espèce, M. [J] était assisté dans le cadre de la présente procédure collective. Son conseil en FRANCE a été informé le 14 novembre - dans le délai de la tierce opposition - de la décision du 4 novembre publiée le 8 novembre, l'invitant à déclarer la créance de son client et à remettre les clés du bâtiment litigieux à Maître [N]. M. [J] avait toute latitude, en cas d'impossibilité pour lui de se déplacer au greffe, de mandater son conseil pour former sa tierce opposition par déclaration au greffe.
L'exigence d'une présentation au greffe n'a pas restreint l'accès ouvert à M. [J] d'une manière ou à un point tels que son droit d'accès à un tribunal s'en était trouvé atteint dans sa substance même, étant relevé que cette exigence tend à un but légitime, à savoir le traitement rapide des affaires compte tenu des enjeux économiques pour le débiteur, ses créanciers, et qu'il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre l'exigence d'un déplacement pour faire la déclaration, assurant une fiabilité maximale sans pour autant induire des coûts importants pour les contestants, et le but visé.
D'autre part, l'article 643 du code de procédure civile dispose que lorsque la demande est portée devant une juridiction qui a son siège en FRANCE métropolitaine, les délais de comparution, d'appel, d'opposition, de tierce opposition dans l'hypothèse prévue à l'article 586, alinéa 3, de recours en révision et de pourvoi en cassation sont augmentés de deux mois.
Selon l'article 586 alinéa 3 du code de procédure civile, en matière contentieuse, la tierce opposition n'est recevable, de la part du tiers auquel le jugement a été notifié, que dans les deux mois de cette notification, sous réserve que celle-ci indique de manière très apparente le délai dont il dispose ainsi que les modalités selon lesquelles le recours peut être exercé.
L'application des règles de droit commun de l'article 586 est exclue en matière de redressement et de liquidation judiciaires, que la tierce opposition soit principale ou incidente, où seuls s'appliquent, selon les régimes, les délais spéciaux de l'article R.661-2 du code de commerce.
M. [J] ne peut donc se prévaloir de la prorogation des délais de l'article 643 du code de procédure civile et sa tierce opposition formée le 30 novembre 2019 à l'encontre d'un jugement publié au BODAC le 8 novembre 2019 est irrecevable pour tardiveté.
Le jugement est confirmé en ce qu'il a déclaré la tierce opposition de M. [J] irrecevable.
M. [J] succombe ; il supporte les dépens d'appel, l'équité commande qu'il ne soit pas fait application de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS :
La Cour, après en avoir délibéré conformément à la loi, statuant par arrêt contradictoire prononcé par mise à disposition au greffe, et en dernier ressort,
Dans la limite de sa saisine,
Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile.
Condamne M. [H] [J] aux entiers dépens d'appel.
Le présent arrêt a été signé par André BEAUCLAIR, président, et par Nathalie CAILHETON, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
La Greffière, Le Président,