ARRÊT DU
14 MARS 2023
PF/CO
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N° RG 22/00025 -
N° Portalis DBVO-V-B7G-C6VD
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[A] [P]
C/
[K] [M] épouse [V]
[W] [M] épouse [G]
[R] [M]
COMMUNAUTE D'AGGLOMERATION DU [Localité 15]
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Grosse délivrée
le :
à
ARRÊT n° 56 /2023
COUR D'APPEL D'AGEN
Chambre Sociale
Prononcé par mise à disposition au greffe de la cour d'appel d'Agen conformément au second alinéa des articles 450 et 453 du code de procédure civile le quatorze mars deux mille vingt trois par Pascale FOUQUET, conseiller faisant fonction de président assistée de Chloé ORRIERE, greffier
La COUR d'APPEL D'AGEN, CHAMBRE SOCIALE, dans l'affaire
ENTRE :
[A] [P]
née le 10 mars 1959 à [Localité 13]
demeurant [Adresse 11]
[Localité 8]
Représentée par Me Patrick LAMARQUE substituant à l'audience Me Elodie SEVERAC, avocat inscrit au barreau d'AGEN
APPELANTE d'un jugement du Tribunal paritaire des baux ruraux de VILLENEUVE SUR LOT en date du 10 décembre 2021 dans une affaire enregistrée au rôle sous le n° R.G. 51-19-000004
d'une part,
ET :
[K] [M] épouse [V]
née le 13 janvier 1952 à [Localité 8]
demeurant [Adresse 2]
[Localité 3]
[W] [M] épouse [G]
née le 30 mai 1969 à [Localité 12]
demeurant [Adresse 17]
[Localité 10]
[R] [M]
né le 16 mars 1949 à [Localité 12]
demeurant [Adresse 16]
[Localité 7]
Tous trois représentés par Me Daniel VEYSSIERE, avocat inscrit au barreau d'AGEN
La COMMUNAUTE D'AGGLOMERATION DU [Localité 15] prise en la personne de son représentant légal et ayant son siège :
[Adresse 1]
[Localité 9]
Représentée par Me Erwan VIMONT, avocat postulant inscrit au barreau d'AGEN et par Me Benoît TONIN, avocat plaidant inscrit au barreau de BORDEAUX
INTIMÉS
d'autre part,
A rendu l'arrêt contradictoire suivant après que la cause a été débattue et plaidée en audience publique le 10 janvier 2023 sans opposition des parties devant Pascale FOUQUET, conseiller rapporteur, assistée de Chloé ORRIERE, greffier. Le magistrat rapporteur en a, dans son délibéré rendu compte à la cour composée, outre lui-même, de Jean-Yves SEGONNES et Benjamin FAURE, conseillers, en application des dispositions des articles 945-1 et 805 du code de procédure civile et il en a été délibéré par les magistrats ci-dessus nommés, les parties ayant été avisées de la date à laquelle l'arrêt serait rendu.
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EXPOSÉ DES FAITS ET PROCÉDURE :
Mme [U] [T] veuve [M] était propriétaire des parcelles DR [Cadastre 4], [Cadastre 5] et [Cadastre 6] situées à [Localité 8], [Adresse 11].
Le 6 février 1997, le bien a fait l'objet d'une donation partage entre ses trois enfants Mme [K] [M]-[V], Mme [W] [M]-[G] et M. [R] [M].
Mme [U] [T] veuve [M] est décédée le 18 février 2014.
La parcelle DR [Cadastre 4] (grange) est devenue la propriété de M. [R] [M], la parcelle DR [Cadastre 6] (terrain de 79a 70 ca) celle de Mme [W] [M] épouse [G] et la parcelle DR [Cadastre 5] (supportant l'immeuble d'habitation d'une contenance d'1ha 53a 74 ca), celle de Mme [K] [M] épouse [V].
Selon contrat du 3 mai 2015, Mme [K] [M]-[V] a conclu avec Mme [A] [P] un bail d'habitation comprenant l'immeuble d'habitation implanté sur la parcelle DR [Cadastre 5] pour une durée d'un an renouvelable moyennant un loyer de 400€ mensuels.
Mme [A] [P] exerce une activité d'élevage canin et a été déclarée au répertoire Siren à compter du 1er janvier 2018.
Elle est affiliée à la MSA depuis 2018 en tant qu'exploitante agricole.
Après lui avoir accordé deux subventions en 2018 dans le cadre de son activité professionnelle, la communauté d'agglomération du [Localité 15] (ci-après CAGV) a décidé le 27 septembre 2018 d'acquérir la propriété des consorts [M] en vue d'un projet d'extension des zones d'activité et lui a proposé une indemnisation qu'elle a refusée.
Par actes du 24 janvier 2019, les consorts [M] ont vendu les trois parcelles à la communauté d'agglomération du [Localité 15].
Cette dernière a adressé à Mme [A] [P] une copie du bail portant la mention manuscrite « résilié le 24/01/2019 » et a soufaité procéder à la restitution du dépôt de garantie.
Le nouvel acquéreur a informé Mme [A] [P] du transfert de propriété par courrier recommandé du 19 février 2019 portant sur la parcelle DR [Cadastre 5] et l'a enjoint à libérer la parcelle DR[Cadastre 4].
Malgré sommation interpellative du 13 mai 2019 de quitter la parcelle [Cadastre 4], Mme [A] [P] s'est maintenue dans les lieux.
Par requête du 19 juillet 2019, Mme [A] [P] a saisi le tribunal paritaire des baux ruraux de Villeneuve-sur-Lot d'une action dirigée contre Mme [K] [M] épouse [V], Mme [W] [M] épouse [G], M. [R] [G] (ci-après dénommés les consorts [M]) et de la communauté de communes du [Localité 15] (ci après-dénommé CAGV).
Par jugement du 10 décembre 2021, le tribunal paritaire des baux ruraux de Villeneuve-sur-Lot a :
- Débouté Mme [A] [P] de sa demande en requalification du bail conclu le 3 mai 2015 portant sur un local à usage d'habitation, en bail rural
- Débouté Mme [A] [P] de sa demande destinée à se voir attribuer un bail rural sur les parcelles DR [Cadastre 4] et DR [Cadastre 6] à compter du 3 mai 2015
- Débouté Mme [A] [P] de ses autres demandes
Par acte du 7 janvier 2022, Mme [A] [P] a interjeté appel du jugement en visant Mme [K] [M]-[V], Mme [W] [M]-[G], M. [R] [G] et la communauté d'agglomération du [Localité 15] en qualité de parties intimées et en visant les chefs du jugement critiqué qu'elle cite dans sa déclaration d'appel.
L'affaire a été fixée pour être plaidée au 10 janvier 2023.
PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES :
I- Moyens et prétentions de Mme [A] [P], appelante à titre principal et intimée sur appel incident
Selon dernières conclusions oralement soutenues à l'audience, enregistrées au greffe le 23 décembre 2022 et régulièrement signifiées aux intimés, Mme [A] [P] demande à la cour :
- A titre liminaire, dire et juger que la demande d'expulsion de Madame [P], présentée pour la première fois en appel, est irrecevable ;
- Infirmer le jugement du Tribunal paritaire des baux ruraux de Villeneuve-sur-lot du 10 décembre 2021 en toutes ses dispositions, et, statuant de nouveau :
- A titre principal, dire et juger que Madame [P] dispose d'un bail rural à compter du 3 mai 2015 sur l'intégralité de la propriété rurale formant une unité économique, soit les parcelles DR [Cadastre 4] (grange), DR [Cadastre 5] (maison d'habitation) et DR [Cadastre 6] (terrain) ;
- A titre subsidiaire, si la cour ne retenait pas le caractère indivisible desdites parcelles :
' Requalifier le bail écrit du 3 mai 2015 liant Madame [K] [V] à Madame [A] [P] (parcelle DR [Cadastre 5]) en bail rural ;
' Dire et juger que Madame [A] [P] bénéficie d'un bail rural verbal sur la parcelle DR [Cadastre 4] à compter du 3 mai 2015 ;
' Dire et juger qu'elle bénéficie d'un autre bail rural verbal sur la parcelle DR [Cadastre 6] à compter du 3 mai 2015.
- A titre infiniment subsidiaire, si la cour l'estimait nécessaire, elle ordonnerait, avant dire droit sur la qualification du bail, une expertise judiciaire, l'expert désigné recevant la mission suivante :
' Eclairer la cour sur l'identification, au moyen de l'adresse IP, de l'appareil à partir duquel ont été adressés les mails du 18/05/2017 (pièce n°21) et du 13/09/2016 (pièce n°29) émanant de l'adresse mail [Courriel 18], afin de confirmer que leur auteur est bien Madame [K] [V] ;
' Récupérer tous les mails émanant de l'adresse [Courriel 18] qui ont été adressés en 2015 à l'adresse [Courriel 14], plus particulièrement sur la période antérieure au 3 mai 2015 ;
- En tout état de cause, constater la résiliation illégale du bail rural ou des 3 baux ruraux aux torts des bailleurs à la date du 24 janvier 2019 ;
- En conséquence, à titre principal, condamner solidairement Madame [K] [V], Madame [W] [G], Monsieur [R] [M] et la Communauté d'agglomération du [Localité 15] au paiement des sommes suivantes :
' Indemnité de compensation : 28.326,75 €
' Indemnité forfaitaire complémentaire : 10.000 €
' Manque à gagner : indemnité d'exploitation : 72.873 €
' Perte des subventions : 10.500 €
' Préjudice moral : 15.000 €
' Dépôt de garantie : 400 €
' Article 700 du code de procédure civile : 5.000 € ;
- A titre subsidiaire, si la cour l'estimait nécessaire, avant dire droit sur l'indemnisation de Madame [P], elle ordonnerait une expertise judiciaire afin de chiffrer l'indemnité d'exploitation pour le manque à gagner subi du fait de son éviction de la propriété rurale ;
- En tout état de cause, dire et juger que Madame [A] [P] pourra se maintenir dans les lieux jusqu'au complet paiement des indemnités qui lui seront allouées ;
- Débouter Madame [K] [V], Madame [W] [G], Monsieur [R] [M] et la CAGV de l'intégralité de leurs demandes ;
- Les condamner solidairement aux entiers dépens.
A l'appui de ses prétentions, Mme [P] fait valoir :
A- Sur la qualification de bail rural
Elle soutient que les trois conditions prévues à l'article L.411-1 du code rural et de la pêche maritime sont réunies à savoir :
- la mise à disposition :
- les consorts [M] ont loué les trois parcelles DR[Cadastre 4], [Cadastre 5] et [Cadastre 6] à Mme [I] qui y déjà exerçait un élevage canin et équin
- l'attestation de Mme [I] le confirme ainsi que celle de M. [F]. Celle-ci utilisait donc les trois parcelles pour son activité d'élevage en contrepartie d'un loyer ce qui emporte la qualification de bail rural
- la destination agricole :
- elle affirme que la destination agricole des terres louées est entrée dans le champ contractuel. En présentant et en lui faisant signer un bail d'habitation, le bailleur avait comme but d'échapper au statut du fermage
- M. [S] [P], son grand-père et caution, atteste de la parfaite connaissance de la destination des lieux par le bailleur, Mme [K] [V]
- le courriel du 18 mai 2017 de Mme [K] [V] démontre qu'elle connaissait l'activité agricole de sa locataire
- la CAGV a eu connaissance de son activité agricole lors de la réunion du 22 mai 2017 qui avait pour objet de l'indemniser
- de plus, la CAGV a accepté sa demande d'aide d'installation jeune agricultrice le 19 septembre 2018 et lui a proposé le 9 octobre 2018 une indemnité forfaitaire complémentaire correspondant aux frais de déménagement professionnels et à ceux liés à son exploitation agricole
- elle produit le constat d'huissier du 25 octobre 2018
- l'élevage sur la propriété, dès son installation, est attestée par M. [Z] [O], M. [H] [F], M. [L] [Y], M. [X] [EE], dr. [B] [C], vétérinaire
- à titre onéreux :
- le bail porte sur les trois parcelles (DR [Cadastre 4], [Cadastre 5] et [Cadastre 6]) qui constituent une même unité économique et sont indivisibles
- elle démontre qu'elle dispose d'un bail rural sur l'ensemble de la propriété rurale formant une unité économique
- la parcelle DR [Cadastre 5] est louée moyennant un loyer
- elle justifie de la mise à disposition de la parcelle DR [Cadastre 6] par la production du courriel de son bailleur du 13 septembre 2016, en contrepartie du règlement des taxes foncières de 90 euros annuels
- Mme [J] [P], sa mère, atteste de la mise à disposition de la parcelle DR [Cadastre 4] appartenant à M. [R] [M] moyennant un loyer mensuel de 40 euros
- elle demande à titre subsidiaire une expertise afin de déterminer l'identité de l'émetteur des courriels du 18 mai 2017 et du 13 septembre 2016 car Mme [K] [V] conteste en être l'auteur alors qu'ils établissent sa connaissance de l'activité agricole des lieux
A titre subsidiaire, si la cour ne retenait pas le caractère indivisible des parcelles, elle demande de requalifier le bail écrit du 3 mai 2015 en bail rural et reconnaître l'existence de baux verbaux sur les parcelles DR [Cadastre 4] et [Cadastre 6] à compter du 3 mai 2015 sur le bail rural verbal portant sur les parcelles DR [Cadastre 4] et [Cadastre 6] ; au besoin, à titre infiniment subsidiaire, en ordonnant une expertise judiciaire de l'adresse IP [Courriel 18] afin d'identifier l'auteur des messages adressés le 18 mai 2017 et 13 septembre 2016 et confirmer ainsi qu'il s'agit de Mme [K] [V]
B- Sur la résiliation du bail du 3 mai 2015
Elle soutient qu'il s'agit d'une résiliation unilatérale du bail, effectuée sans respecter les règles de forme imposées par les articles l'article L.411-31 et -32 du code rural et de la pêche maritime est illégale: Mme [V] lui a adressé un courrier simple avec copie du bail portant la mention manuscrite : « résilié le 24/01/2019 » et un solde de tout compte qu'elle a refusé de signer.
M. [M] et Mme [G], comme la CAGV, nient l'existence d'un bail sur les parcelles DR[Cadastre 4] et [Cadastre 6].
Elle a déposé un permis de construire le 26 juillet 2019 pour poursuivre son activité mais celui-ci a été refusé.
C- Sur la réparation des préjudices subis
Elle fait valoir que cette indemnisation est essentielle pour financer le déménagement de son exploitation, son relogement et celui de ses animaux.
Elle sollicite :
- la somme de 28 326,75 euros au titre d'une indemnisation de compensation correspondant à un « forfait logement », calculée sur la base du loyer de l'immeuble d'habitation sur une durée de trois ans et en tenant compte des loyers sur les parcelles DR[Cadastre 4] (40 euros par mois) et DR[Cadastre 6] (90 euros par an soit 7,5 euros par mois)
- la somme de 10 000 euros au titre d'une indemnité forfaitaire complémentaire correspondant à la somme proposée par la CAGV correspondant aux frais de déménagement
- la somme de 72 873 euros au titre d'une indemnité d'exploitation correspondant à un manque à gagner qu'elle calcule d'après la méthode utilisée pour une expropriation
- la somme de 10 500 euros pour la perte des subventions obtenues en tant que jeune agricultrice qu'elle devra rembourser
- la somme de 15 000 euros au titre du préjudice moral du fait de son état psychologique altéré par la résiliation brutale du bail et le harcèlement moral qu'elle subit et dont elle justifie en produisant le certificat médical de son médecin traitant, le docteur [E]
- la somme de 400 euros, demandée solidairement aux intimés, au titre du dépôt de garantie qu'elle a versé à son entrée dans les lieux
A titre subsidiaire, elle sollicite une expertise judiciaire pour chiffrer son préjudice et en tout état de cause, elle demande à la cour de l'autoriser à se maintenir dans les lieux jusqu'au complet paiement des indemnités qui lui seront allouées.
D- Sur la demande indemnitaire de la CAGV
La CAGV réclame la somme de 50 00 euros pour procédure abusive.
Mme [A] [P] soutient l'absence de preuve d'une faute qu'elle aurait commise, de tout préjudice et de lien de causalité.
E- Sur la demande d'expulsion
A titre principal, elle fait valoir que la demande est irrecevable car nouvelle au sens de l'article 564 du code de procédure civile.
A titre subsidiaire, sur la résiliation amiable :
Elle déclare accepter une résiliation amiable et quitter les lieux mais uniquement sous condition d'une juste indemnisation dont elle chiffre le montant correspondant aux frais de déménagement de son exploitation, à son relogement et à celui de ses animaux soit une indemnité de compensation, une indemnité forfaitaire complémentaire, une indemnité d'exploitation, une perte de subventions et des dommages et intérêts pour préjudice moral et le montant du dépôt de garantie. A défaut, elle refuse de quitter les lieux n'étant pas en mesure d'assurer le déménagement de son exploitation et son relogement à ses propres frais.
A titre infiniment subsidiaire, sur la nullité du congé délivré par la CAGV :
- si la qualification de bail rural était retenue, elle soutient que le congé délivré le 22 mai 2020 par le CAGV est nul et de nul effet pour ne pas avoir respecté les dispositions d'ordre public de l'article 15 de la loi du 6 juillet 1989.
II- Moyens et prétentions des consorts [M] intimés sur appel principal et appelants sur appel incident :
Selon dernières conclusions oralement soutenues à l'audience, enregistrées au greffe le 21 décembre 2022, régulièrement signifiées à l'appelante et à l'intimée, les consorts [M] demandent à la cour de :
- Confirmer en toutes ses dispositions la décision déférée
- Débouter en conséquence, Mme [A] [P] de l'ensemble de ses demandes comme infondées,
Y ajoutant,
- Condamner Mme [A] [P] à payer à chacun d'eux la somme de 1500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- Laisser à la même les entiers dépens
A l'appui de leurs prétentions, les consorts [M] font valoir que Mme [A] [P] ne rapporte pas la preuve de l'existence d'un bail rural :
- l'attestation de Mme [I] n'est pas probante car celle-ci n'a jamais été locataire des lieux mais seulement compagne de M. [N] qui a bénéficié d'un bail d'habitation et a signé l'état des lieux d'entrée sans avoir jamais exercé d'activité agricole
- l'attestation de M. [F] est trop imprécise pour être probante
- le bail du 3 mai 2015, qui porte uniquement sur la parcelle DR [Cadastre 5] comportant un immeuble d'habitation et un terrain, fait référence à la loi du 6 juillet 1989 sur les baux d'habitation dont les dispositions sont d'ordre public
- l'article L.411-2 du code rural et de la pêche maritime prévoie que ses dispositions ne s'appliquent pas aux conventions conclues en vue d'assurer l'entretien des terrains situés à proximité d'un immeuble à usage d'habitation et en constituant la dépendance
- le terrain étant loué avec un immeuble d'habitation et compris dans le bail visant les dispositions de la loi du 6 juillet 1989, le preneur est tenu de son entretien
- le terrain est inclus dans la location de l'ensemble
- à la date de conclusion du bail, Mme [A] [P] n'était pas encore déclarée comme exploitante agricole à la MSA et ne l'a été que plus de deux ans plus tard
- Mme [A] [P] a déclaré percevoir l'allocation logement ce qui n'est possible que pour une location à usage d'habitation
- le versement d'un loyer ne suffit pas à rapporter la preuve du caractère onéreux de la mise à disposition de l'ensemble de la propriété rurale, qui, de plus, n'existait pas quand elle a signé le bail en 2015
- l'appelante a elle-même présenté le bail aux organismes sociaux comme un bail à usage d'habitation
- en l'absence de toute exploitation agricole en activité depuis l'acte de donation, il n'existe aucune unité économique comme le soutient l'appelante
- l'attestation de M. [R] [M] est sujette à caution et ne suffit pas à rapporter la preuve qu'il aurait reçu la moindre somme de sa part
- la prise en charge des taxes foncières par Mme [A] [P], comme elle le prétend, est contredite par la pièce 29 qui établit au contraire qu'elles n'ont pas été réclamées
- l'attestation de M. [S] [P], grand-père de l'appelante, n'est pas objective en raison du lien de parenté
- Mme [A] [P] ne rapporte pas la preuve d'avoir informé Mme [K] [V] d'une activité professionnelle d'élevage équin et canin
- le procès-verbal d'huissier est insuffisant et ne démontre rien
Sur la résiliation du bail par Mme [K] [V]
- Mme [K] [V] affirme que la mention apposée constitue une « erreur de langage » et n'en tire aucune conséquence
Sur les indemnisations demandées
- il existait uniquement un bail d'habitation
- aucun bail n'a été conclu avec Mme [W] [G] et M. [R] [M]
III- Moyens et prétentions de la communauté d'agglomération du [Localité 15] (CAGV) intimée sur appel principal et appelante sur appel incident :
Selon dernières conclusions oralement soutenues à l'audience, enregistrées au greffe le 5 janvier 2023, régulièrement signifiées à l'appelante et aux intimés, la communauté d'agglomération du [Localité 15] (CAGV) demande à la cour de :
- Recevoir la Communauté d'Agglomération du [Localité 15] en ses entières demandes, fins et prétentions, et l'en déclarer bien fondée ;
- Confirmer le jugement rendu par le tribunal paritaire des baux ruraux le 10 décembre 2021 en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il a condamné Madame [A] [P] au paiement d'une somme de 800 € au titre des frais irrépétibles de première instance ;
Statuant à nouveau,
- Condamner Madame [A] [P] à payer à la Communauté d'Agglomération du [Localité 15] la somme de 2.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles de première instance ;
Et y ajoutant,
- Condamner Madame [A] [P] et tous les occupants de son chef, à libérer de leurs personnes, de leurs biens et de leurs animaux, les biens et parcelles DR [Cadastre 4], DR [Cadastre 5] et DR [Cadastre 6] ;
- Condamner Madame [A] [P] et tous les occupants de son chef, à remettre à la Communauté d'Agglomération du [Localité 15] l'ensemble des clés ;
- Ordonner, à défaut d'exécution volontaire, l'expulsion de Madame [A] [P] et tous les occupants de son chef, des biens et parcelles DR [Cadastre 4], DR [Cadastre 5] et DR [Cadastre 6] ;
- Désigner tel huissier qu'il plaira avec pour mission de procéder à l'expulsion Madame [A] [P] et tous les occupants de son chef, si besoin avec l'assistance de la force publique et d'un serrurier ;
- Ordonner qu'il soit procédé au transport des meubles laissés dans les lieux en un lieu désigné par les personnes expulsées à leurs frais ou, à défaut, que les meubles soient laissés sur place ou entreposés dans un autre lieu approprié aux risques et périls de Madame [A] [P] ;
- Condamner Madame [A] [P] aux frais d'expulsion ;
- Condamner Madame [A] [P] à payer à la Communauté d'Agglomération du [Localité 15] la somme de 50.000 € à titre de dommages intérêts pour procédure abusive ;
En tout état de cause,
- Débouter Madame [A] [P] de toutes ses demandes ;
- Condamner Madame [A] [P] à payer à la Communauté d'Agglomération du [Localité 15] la somme de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens de l'instance.
A l'appui de ses prétentions, la communauté d'agglomération du [Localité 15] fait valoir que Mme [A] [P] ne démontre pas l'existence d'un bail rural à son profit sur les parcelles DR[Cadastre 4], [Cadastre 5] et [Cadastre 6] :
- la cour d'appel est incompétente pour statuer sur la validité du congé que le CAGV a délivré à Mme [A] [P] le 22 octobre 2020 car il s'agit d'une compétence exclusive du juge du contentieux de la protection en application des articles L.213-4-1 et L.213-4-4 du code l'organisation judiciaire
Sur l'absence de bail rural
- Mme [A] [P] soutient détenir trois baux ruraux sur les trois parcelles. La CAGV indique n'avoir jamais eu connaissance de l'existence de baux sur les parcelles DR[Cadastre 4] et [Cadastre 5] avant son assignation
- aucun des trois actes de vente ne mentionne un bail sur les parcelles DR [Cadastre 4] et DR [Cadastre 6]
- Mme [A] [P] ne justifie pas de l'accord de M. [R] [M] et de Mme [W] [G] en contrepartie d'un avantage quelconque ni d'avoir réglé un fermage
- Mme [I], attestante, indique seulement avoir utilisé les parcelles pour son élevage sans préciser avoir réglé une contrepartie
- M. [R] [M] et Mme [W] [G] contestent tout bail verbal
- M. [S] [P], grand-père de l'appelante, n'évoque pas le paiement d'un loyer ou contrepartie au titre de cette occupation dans son attestation qui n'est pas probante en raison du lien de filiation
- concernant la parcelle DR [Cadastre 4], l'attestation par la mère de l'appelante du paiement d'un loyer mensuel de 40 euros n'est pas probante
- concernant la parcelle DR [Cadastre 6] et le paiement de la taxe foncière et ordures ménagères, il ressort du courriel produit que Mme [A] [P] n'a jamais payé ces taxes en 2015, ce qui confirme le caractère gratuit de la mise à disposition de la parcelle. Elle ne justifie d'aucun paiement postérieur à ce titre
- elle remarque que, depuis 2019, Mme [A] [P] ne lui a rien payé spontanément au titre de l'occupation des parcelles si elle s'estimait être débitrice de fermages
- s'agissant de la parcelle DR[Cadastre 5]
- le bail d'habitation portant sur cette parcelle ne peut pas être requalifié en bail rural
- les conditions de l'article L.331-6 du code rural et de la pêche maritime relatives à la mise à disposition ne sont pas réunies
- le 3 mai 2015, elle n'était pas exploitante agricole mais l'est devenue seulement en 2018, date à laquelle elle a créé son activité et demandé des subventions. Elle avait alors déclaré ne payer aucun fermage, être propriétaire d'une exploitation de 5,2 hectares et avoir souscrit plusieurs prêts pour l'acquisition d'immeubles
- la conclusion du bail avec terrain correspond à sa passion pour les chevaux et était destinée au loisir ce qui n'entraîne pas l'application du statut du fermage
- aucun accord des parties n'est rapporté concernant l'usage des locaux pour une exploitation agricole
- l'attestation de M. [P], son grand-père, n'est pas probante en raison du lien de filiation
- la demande d'expertise informatique présentée par Mme [A] [P] à titre subsidiaire est fantaisiste et devra être rejetée
- au jour de la conclusion du bail, l'intention des parties n'était pas la mise à disposition des locaux en vue d'une activité agricole
- le constat par l'huissier de justice mandaté le 13 mai 2019 est insuffisant pour caractériser l'existence d'un élevage de chevaux et les terres occupées sont trop exiguës pour accueillir douze chevaux
- l'huissier a constaté la présence de neuf chevaux mais d'aucun chien. L'existence d'un élevage canin n'est pas rapportée
- lorsqu'elle a déposé ses demandes de subventions, elle a déclaré uniquement la présence de sept juments et de trois chiennes
- Mme [A] [P] échoue à démontrer que la destination des terres louées est entrée dans le champ contractuel ce qui ne peut donner lieu à la requalification sollicitée
- à titre subsidiaire, sur l'indemnisation
- elle a délivré congé à Mme [P] pour le 3 mai 2021 mais celle-ci est toujours dans les lieux
- elle est également sans droit ni titre sur les parcelles DR [Cadastre 4] et [Cadastre 6]
- la copie du bail portant le terme « résiliation » apposé par Mme [K] [V] est manifestement une erreur de sa part
- le paiement irrégulier des loyers par la locataire même après le transfert de propriété à son profit et après qu'elle l'en ait informée, démontre que les parties n'ont jamais considéré que le bail était résilié
- elle est occupante à titre gratuit des deux parcelles DR[Cadastre 4] et [Cadastre 6] tel que l'a constaté le commissaire de justice mandaté
Sur les dommages et intérêts sollicités par l'appelante
- les règles de l'expropriation ne s'appliquent pas
- Mme [A] [P] ne démontre aucune faute de sa part
- le préjudice évalué initialement à la somme de 256 584,50 euros puis à 136 699,75 euros par Mme [A] [P] est fictif : indemnité de compensation, indemnité forfaitaire complémentaire, indemnité d'exploitation, perte de subventions
- ces calculs ne sont accompagnés d'aucun rapport réalisé par un expert et elle ne communique aucun élément comptable
Sur ses demandes reconventionnelles
- la locataire actant la résiliation du bail d'habitation sur la parcelle DR [Cadastre 5], elle demande donc l'expulsion de Mme [A] [P] des parcelles DR [Cadastre 4] et [Cadastre 6] où elle se maintient sans droit ni titre
- sa demande de procédure abusive est justifiée par le comportement de l'appelante qui entraîne un ralentissement du projet et un surcoût de l'opération. Un tel comportement constitue une faute lui causant un préjudice que l'appelante devra indemniser à hauteur de 50 000 euros.
MOTIFS
A titre liminaire sur l'exception d'incompétence soulevée par la CAGV :
La CAGV demande à la cour de se déclarer incompétente pour trancher le litige en l'absence d'un bail rural et de renvoyer les parties devant le juge du contentieux de la protection exclusivement compétent.
La cour adopte les motifs des premiers juges et confirme le rejet de l'exception d'incompétence ainsi soulevée.
I- Sur l'existence d'un bail rural depuis le 3 mai 2015, portant sur l'ensemble de la propriété rurale formant une entité économique, parcelles DR [Cadastre 4], DR [Cadastre 5] et DR [Cadastre 6] demandée à titre principal
Une entité économique autonome est un ensemble organisé de personnes et d'éléments corporels et incorporels permettant l'exercice d'une activité économique qui poursuit un objectif propre.
L'article L.411-1 du code rural et de la pêche maritime dispose que : « Toute mise à disposition à titre onéreux d'un immeuble à usage agricole en vue de l'exploiter pour y exercer une activité agricole définie à l'article L.311-1 est régie par les dispositions du présent titre, sous les réserves énumérées à l'article L.411-2. Cette disposition est d'ordre public.
Il en est de même, sous réserve que le cédant ou le propriétaire ne démontre que le contrat n'a pas été conclu en vue d'une utilisation continue ou répétée des biens et dans l'intention de faire obstacle à l'application du présent titre :
- de toute cession exclusive des fruits de l'exploitation lorsqu'il appartient à l'acquéreur de les recueillir ou de les faire recueillir ;
- des contrats conclus en vue de la prise en pension d'animaux par le propriétaire d'un fonds à usage agricole lorsque les obligations qui incombent normalement au propriétaire du fonds en application des dispositions du présent titre sont mises à la charge du propriétaire des animaux.
La preuve de l'existence des contrats visés dans le présent article peut être apportée par tous moyens. »
Mme [P] soutient que les parcelles DR [Cadastre 4], [Cadastre 5] et [Cadastre 6] constituent une entité économique car elles ont comme unique destination l'élevage, source de son activité professionnelle et que les trois conditions de nature à démontrer l'existence d'un bail rural sur ces trois parcelles, au sens de l'article L411-1, sont réunies à savoir : la mise à disposition de trois parcelles (DR [Cadastre 4], [Cadastre 5] et [Cadastre 6]), la destination agricole des terres louées et son caractère onéreux
Comme l'ont énoncé les premiers juges, l'activité agricole d'élevage canin et équin depuis le 1er janvier 2018 ne fait pas débat sur les trois parcelles. Il en ressort l'existence d'une unité économique mais uniquement depuis le 1er janvier 2018, date de son inscription à la MSA.
Or, à la date de la conclusion du bail soit le 3 mai 2015, Mme [A] [P] n'était pas encore inscrite à la MSA comme exploitante agricole.
De plus, la cour constate qu'il ne ressort nullement des attestations de Mme [I] et de M. [F] l'existence d'une mise à disposition des trois parcelles à son profit par référence à une situation antérieure. A cet effet, l'appelante produit l'attestation de Mme [I], compagne du locataire précédent, certifiant qu'elle utilisait les trois parcelles pour son élevage canin. D'une part, le bail de Mme [I] n'est pas produit et sa qualité de locataire est contestée par les consorts [M]. D'autre part, l'attestation de M. [F] est trop imprécise pour être probante. La condition de l'existence d'une mise à disposition des trois parcelles à son profit n'est pas démontrée.
La seconde condition tient à la destination agricole du fonds.
Mme [P] soutient que le projet d'élevage équin et canin était connu du bailleur dès la conclusion du bail en 2015, que son grand-père, M. [S] [P] était présent en sa qualité de caution et en atteste, qu'elle avait acquis en 2014 des animaux reproducteurs, chevaux et chiens, installés dans la propriété dès 2015 ; que le beau-frère de Mme [V] avait forcément vu l'élevage en se déplaçant sur le site pour des réparations et que Mme [V] reconnaissait la destination agricole du fonds dans son courriel du 18 mai 2017 en ces termes : « Nous serons présents sur la propriété le lundi 22 mai à 14h30 en compagnie de la personne des services des domaines pour effectuer une évaluation de la maison et des terres que vous avez en location (...) ».
D'une part, la seule attestation de M. [S] [P], dont le lien de filiation est connu, ne peut suffire à établir que les consorts [M] avaient nécessairement connaissance de l'utilisation de leur propriété à des fins d'élevage ; que, du déplacement d'un membre de la famille du bailleur sur la parcelle de DR[Cadastre 5], ne peut se déduire la connaissance par ce dernier d'un élevage sur ses terres ; que le simple courriel de Mme [K] [V] faisant allusion « aux terres » louées ne démontre pas qu'elle avait connaissance d'une utilisation agricole ; qu'enfin les attestations de MM. [O], [Y], [F], [EE] et du docteur [C] ne renseignent pas sur la date ni sur les parcelles où s'exerçait l'élevage ni sur l'accord des propriétaires des fonds.
S'agissant du caractère onéreux et de l'unité économique du bail, aucun versement d'un fermage sur l'ensemble des trois parcelles n'est rapporté de nature à démontrer une unité économique.
En conséquence, la cour déboute Mme [A] [P] de sa demande en reconnaissance d'un bail rural sur les trois parcelles composant une entité économique.
II- Sur la demande subsidiaire :
1- en requalification du bail portant sur la parcelle DR [Cadastre 5] en bail rural
Pour confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté Mme [A] [P] de sa demande de requalification du contrat de bail conclu le 3 mai 2015 pourtant sur un local à usage d'habitation principal en bail rural, il suffira de rappeler qu'il existe un bail d'habitation du 3 mai 2015 en bonne et due forme, qui ne suppose aucune ambiguïté, signé par Mme [K] [V] et Mme [A] [P], portant sur un immeuble d'habitation situé [Adresse 11] à [Localité 8], pour une durée d'un an renouvelable et moyennant un loyer de 400 euros mensuels, comprenant « une maison d'habitation 3 pièces + cuisine + salle de bain et un terrain », soumis aux dispositions de la loi du 6 juillet 1989 et qu'en conséquence, la destination des lieux loués est l'habitation.
La cour ajoute que, des courriels de l'appelante du 13 septembre 2016 avec le conjoint de son bailleur, il ressort qu'elle a effectivement perçu des aides au logement, ce qu'elle n'a pu obtenir qu'en produisant le bail d'habitation. Cet élément démontre qu'elle avait pertinemment conscience de la nature du bail.
De même, lors de son dépôt de formulaire en vue d'obtenir une aide forfaitaire « nouveaux installés en agriculture » au 1er janvier 2018 auprès du département, elle a déclaré ne pas avoir débuté son projet et ne pas verser de fermage.
En conséquence, la cour adopte les motifs des premiers juges en ce qu'ils ont jugé que Mme [A] [P] ne rapportait pas la preuve qu'elle avait convenu, au moment de la conclusion du bail, de la destination agricole de la parcelle DR[Cadastre 5] auprès de Mme [K] [M]-[V] et sur laquelle elle aurait exercé une activité d'élevage canin et équin à titre professionnel.
2- en reconnaissance de l'existence de baux verbaux sur les parcelles DR [Cadastre 4] et DR [Cadastre 6] depuis le 3 mai 2015
Pour confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté Mme [A] [P] de sa demande de ce chef, il suffira de rappeler que l'appelant ne rapporte pas plus qu'en première instance la preuve du versement d'un loyer à M. [R] [M] et du paiement de la taxe foncière à Mme [W] [M]-[G], d'autant plus qu'elle doit être payée par le propriétaire.
III- Sur la demande d'expertise judiciaire demandée à titre infiniment subsidiaire :
La demande d'expertise aux fins d'identifier l'adresse IP de l'appareil émanant de l'adresse mail [Courriel 18], qui, aux termes de l'article 232 du code de procédure civile, est à l'appréciation de la cour si elle estime nécessaire d'être renseignée par les lumières d'un technicien, sera rejetée.
Sur la demande d'expulsion présentée par la CAGV sur les parcelles DR[Cadastre 4], Dr [Cadastre 5] et DR [Cadastre 6] :
La CAGV demande de condamner Mme [A] [P] et tous occupants de son chef à libérer de leurs personnes, de leurs biens et de leurs animaux, les biens et parcelles DR[Cadastre 4], DR[Cadastre 5] et DR[Cadastre 6] avec toutes leurs conséquences de droit.
En réponse, Mme [A] [P] soutient qu'il s'agit d'une demande nouvelle au sens de l'article 564 du code de procédure civile pour être pour la première fois en appel.
L'article 564 dudit code dispose que : « A peine d'irrecevabilité relevée d'office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n'est pour opposer une compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers ou de la survenance ou de la révélation d'un fait. »
En l'espèce, la demande d'expulsion des parcelles susdites est irrecevable à un double titre :
En premier lieu, car il s'agit d'une demande nouvelle qui ne vise pas à « opposer une compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers ou de la survenance ou de la révélation d'un fait » comme l'énonce l'article précité mais elle est au surplus sans lien avec une demande éventuellement présentée devant les premiers juges dont elle serait « l'accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire » aux termes de l'article 566 du code de procédure civile.
En second lieu, car ces demandes relèvent de la compétence exclusive du juge du contentieux de la protection.
S'agissant de la parcelle DR[Cadastre 5], l'article L.213-4-4 du code de l'organisation judiciaire dispose que : « le juge des contentieux de la protection connaît des actions dont un contrat de louage d'immeubles à usage d'habitation ou un contrat portant sur l'occupation d'un logement est l'objet, la cause ou l'occasion ainsi que les actions relatives à l'application de la loi n°48-1360 du 1er septembre 1948 portant modification de la législation relative aux rapports des bailleurs et des locataires ou occupants de locaux à usage d'habitation ou à usage professionnel et instituant des allocations de logement. »
S'agissant des parcelles DR[Cadastre 4] et DR[Cadastre 6], l'article L.213-4-3 du même code dispose que : « le juge du contentieux de la protection connaît des actions tendant à l'expulsion des personnes qui occupent aux fins d'habitation des immeubles bâtis sans droit ni titre ». L'occupation des deux parcelles par l'appelante a été constatée par le commissaire de justice dans son procès verbal dressé le 25 octobre 2018.
IV- Sur la résiliation du bail rural du 3 mai 2015 ou des trois baux aux torts des bailleurs à la date du 24 janvier 2019 :
La cour rappelle que le bail conclu le 3 mai 2015 est un bail d'habitation soumis aux dispositions d'ordre public de la loi du 6 juillet 1989 et, qu'en aucun cas, les dispositions articles L.411-31 et L.411-32 du code rural et de la pêche maritime ne sont applicables.
Pour confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a constaté qu'aucune résiliation de bail d'habitation du 3 mai 2015 n'était valablement intervenue, il suffira de rappeler que les délais et les formes légales, d'ordre public, prévues à l'article 15 I de la loi du 6 juillet 1989 n'ont pas été respectées ; que la simple mention « résilié le 24/01/2019» est sans aucun effet juridique et que, comme l'ont énoncé les premiers juges, le contrat continue à produire ses effets.
Les parcelles DR [Cadastre 4] et [Cadastre 6] n'étant pas louées, aucune résiliation n'est de nature à intervenir.
Sur les demandes en dommages et intérêts demandée solidairement à l'encontre de M. [R] [M], Mme [D] [V], Mme [G] et la CAGV :
Une indemnité de compensation a été proposée par la CAGV à Mme [A] [P] mais celle-ci l'a jugée insuffisante et soutient qu'elle doit être recalculée sur 63,3 mois pour un montant de 28 326,75 euros.
Elle demande également une indemnité forfaitaire complémentaire de 10 000 euros correspondant aux frais engendrés par le déménagement et une indemnité d'exploitation correspondant à un manque à gagner semblable à celle perçue en cas d'expropriation de l'exploitant locataire, soit 72 873 euros.
Elle demande en outre une somme de 10 500 euros au titre de la perte des subventions obtenues qu'elle devra rembourser.
Ainsi, pour obtenir réparation, Mme [P] doit démontrer l'existence d'une faute, d'un préjudice et d'un lien de causalité entre la faute et le préjudice.
A défaut de démontrer une faute des intimés à l'origine des préjudices qu'elle estime avoir subis et d'en justifier, la cour confirme le jugement entrepris en ce qu'il l'a déboutée Mme [P] sera déboutée de ses demandes indemnitaires.
Le bail n'étant pas résilié, le dépôt de garantie n'est pas dû. La cour confirme le jugement entrepris de ce chef.
En outre, il ressort des écritures de l'appelante que le permis de construire déposé pour poursuivre son élevage a été refusé le 4 décembre 2019 ce qui remet en cause son activité et son maintien dans les lieux. Par conséquent, il ne s'agit pas d'une faute imputable aux intimés qui serait à l'origine de son départ.
Enfin, le remboursement de subventions qu'elle invoque est hypothétique et ne constitue pas un préjudice certain indemnisable.
Sur le préjudice moral
L'appelante soutient que son état de santé psychologique est altéré en raison de l'incertitude dans l'avenir de son élevage. Elle produit le certificat médical du docteur [E] qui est basé sur ses seules déclarations.
En conséquence, la cour confirme le jugement entrepris l'ayant déboutée de ce chef.
La demande d'expertise judiciaire formée par Mme [A] [P] aux fins de chiffrer son préjudice sera rejetée car il n'appartient pas à la juridiction de pallier la carence des parties.
En raison du rejet des demandes indemnitaires, la demande de Mme [A] [P] aux fins de se maintenir dans les lieux jusqu'au paiement complet des indemnités sera rejetée.
Sur la condamnation en procédure abusive
La CAGV sollicite des dommages et intérêts estimant que la procédure initiée par Mme [P] est abusive.
L'exercice d'une action en justice, de même que la défense à une telle action, constitue en principe un droit et ne dégénère en abus pouvant donner naissance à une dette de dommages et intérêts que s'il constitue un acte de malice ou de mauvaise foi ou s'il s'agit d'une erreur grossière équipollente au dol.
En l'espèce, il ne ressort pas de l'examen du litige que Mme [A] [P] soit de mauvaise foi.
En conséquence, il convient de débouter la CAGV de sa demande de dommages et intérêts.
Sur les demandes annexes :
Mme [P], qui succombe, sera condamnée aux dépens d'appel.
La cour confirme la condamnation de Mme [A] [P] au de la somme de 800 euros à M. [R] [M], Mme [V] et Mme [G] au titre des frais non irrépétibles de procédure prononcée en première instance et déboute la CAGV de sa demande de condamnation à ce titre.
En cause d'appel, la cour condamne Mme [A] [P] à payer à M. [R] [M], Mme [M]-[V] et Mme [M]-[G], ensemble, la somme de 1000 euros ainsi que la somme de 1000 euros à la CAGV.
Mme [A] [P] sera déboutée de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS :
La Cour statuant publiquement, par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe et en dernier ressort,
DÉCLARE irrecevable la demande d'expulsion formée par la CAGV portant sur la parcelle DR[Cadastre 5],
DÉCLARE irrecevable la demande d'expulsion formée par la CAGV portant sur les parcelles DR[Cadastre 4] et [Cadastre 6],
CONFIRME le jugement du 10 décembre 2021 en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
DÉBOUTE Mme [A] [P] de sa demande en reconnaissance d'un bail rural depuis le 3 mai 2015, portant sur l'ensemble de la propriété rurale formant une entité économique, parcelles DR [Cadastre 4], DR [Cadastre 5] et DR [Cadastre 6],
DÉBOUTE Mme [A] [P] de ses demandes d'expertise judiciaire,
DÉBOUTE la Communauté d'Agglomération du [Localité 15] de sa demande en dommages et intérêts,
CONDAMNE Mme [A] [P] à payer les dépens d'appel,
CONDAMNE Mme [A] [P] à payer à M. [R] [M], Mme [W] [M]-[G] et Mme [K] [M]-[V] ensemble la somme de 1000 euros au titre des frais irrépétibles de procédure d'appel,
DÉBOUTE la CAGV de sa demande en frais irrépétibles de procédure de première instance et condamne Mme [A] [P] à lui payer la somme de 1000 euros à ce titre en cause d'appel.
Le présent arrêt a été signé par Pascale FOUQUET, conseiller faisant fonction de président et Chloé ORRIERE, greffier.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT