ARRÊT DU
14 MARS 2023
PF/CO
-----------------------
N° RG 21/00715 -
N° Portalis DBVO-V-B7F-C5DL
-----------------------
[K] [W]
C/
SA LA POSTE
-----------------------
Grosse délivrée
le :
à
ARRÊT n° 52 /2023
COUR D'APPEL D'AGEN
Chambre Sociale
Prononcé par mise à disposition au greffe de la cour d'appel d'Agen conformément au second alinéa des articles 450 et 453 du code de procédure civile le quatorze mars deux mille vingt trois par Pascale FOUQUET, conseiller faisant fonction de président assistée de Chloé ORRIERE, greffier
La COUR d'APPEL D'AGEN, CHAMBRE SOCIALE, dans l'affaire
ENTRE :
[K] [W]
née le 20 décembre 1973 à [Localité 5]
demeurant [Adresse 1]
[Localité 3]
Représentée par Me Charlotte DE BASTOS VALENTE, avocat postulant inscrit au barreau d'AGEN et par Me Imane KRIMI CHABAB, avocat plaidant inscrit au barreau de TARN-ET-GARONNE
APPELANTE d'un jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de CAHORS en date du 08 octobre 2020 dans une affaire enregistrée au rôle sous le n° R.G. 19/00091
d'une part,
ET :
La SA LA POSTE prise en la personne de son représentant légal et ayant son siège social :
[Adresse 4]
[Localité 2]
Représentée par Me David LLAMAS, avocat postulant inscrit au barreau d'AGEN et par Me Emmanuel GIL, avocat plaidant inscrit au barreau d'ALBI
INTIMÉE
d'autre part,
A rendu l'arrêt contradictoire suivant après que la cause a été débattue et plaidée en audience publique le 10 janvier 2023 sans opposition des parties devant Pascale FOUQUET, conseiller rapporteur, assistée de Chloé ORRIERE, greffier. Le magistrat rapporteur en a, dans son délibéré rendu compte à la cour composée, outre lui-même, de Jean-Yves SEGONNES et Benjamin FAURE, conseillers, en application des dispositions des articles 945-1 et 805 du code de procédure civile et il en a été délibéré par les magistrats ci-dessus nommés, les parties ayant été avisées de la date à laquelle l'arrêt serait rendu.
* *
*
EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE
Selon contrat de travail Emploi jeune du 3 mars 1999, Mme [K] [W] a été embauchée par la société La Poste, en qualité d'agent rouleur de distribution, grade 1.2. La relation contractuelle s'est poursuivie suivant contrat de travail à durée indéterminée à compter du 1er novembre 2001.
Elle est actuellement affectée au service courrier colis, au centre de tri de [Localité 6] (82).
Mme [K] [W] est membre du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT), déléguée régionale du personnel et conseiller prud'homme.
La convention collective applicable est la « convention commune » de 2015 des salariés contractuels de La Poste et de La Banque Postale.
Par courrier du 7 janvier 2019,un avertissement a été notifié à Mme [K] [W] en ces termes :
« Le règlement intérieur de la Poste qui est affiché dans votre établissement, stipule en son article 4 bis que 'tous les personnels sont tenus de respecter les règles de conduite individuelles ou collectives figurant dans le référentiel de déontologie du groupe la Poste...'
Cependant, le mardi 13 novembre 2018 vers les 13h30, vous avez eu un comportement déplacé à l'égard de l'un de vos collègues de travail, entraînant une altercation.
Les éléments décrits dans le règlement intérieur ne sont pas optionnels, et particulièrement ceux ayant trait aux respects des règles de conduite en collectivité.
Aussi, je vous informe que j'ai pris la décision de vous mettre un avertissement.
Je souhaite vivement que vous preniez acte de cette sanction et changiez votre comportement en la matière.
Dans le cas contraire, je me verrai dans l'obligation de prendre des sanctions plus importantes. »
Mme [K] [W] a saisi le conseil de prud'hommes de Cahors le 20 septembre 2019, aux fins notamment de voir prononcer l'annulation de l'avertissement reçu.
Par jugement du 8 octobre 2020, le conseil de prud'hommes, section commerce, a :
- débouté les parties de l'ensemble de leurs demandes,
- condamné Mme [K] [W] aux entiers dépens.
Par déclaration enregistrée au greffe de la cour le 7 juillet 2021, Mme [K] [W] a régulièrement déclaré former appel du jugement en visant les chefs du jugement critiqué qu'elle cite dans sa déclaration d'appel.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 17 novembre 2022 et l'affaire fixée pour plaider à l'audience du 10 janvier 2023.
MOYENS ET PRÉTENTIONS
I. Moyens et prétentions de Mme [K] [W] appelante principale
Dans ses dernières conclusions, enregistrées au greffe le 9 novembre 2022, expressément visées pour plus ample exposé des moyens et prétentions de l'appelant, Mme [K] [W] demande à la cour de :
- rejeter toutes conclusions adverses comme injustes et mal fondées,
- infirmer le jugement rendu le 8 octobre 2020 par le conseil de prud'hommes de Cahors,
Statuant à nouveau,
- dire et juger que l'employeur a manqué à son obligation de sécurité en ne mettant pas en place des mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, au moment de l'incident et postérieurement à l'incident,
- dire et juger que l'avertissement qui lui a été notifié le 7 janvier 2019 par la Poste est infondé et totalement injustifié,
En conséquence,
- prononcer l'annulation de l'avertissement qui lui a été notifié le 7 janvier 2019,
- condamner l'employeur au versement de 8 000 euros de dommages et intérêts au titre du préjudice qu'elle a subi,
- condamner l'employeur au versement de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner l'employeur aux entiers frais et dépens de l'instance.
Au soutien de ses prétentions, Mme [K] [W] fait valoir que :
I. Sur la demande d'annulation de l'avertissement prononcé le 7 janvier 2019
- M. [V] [E] a tenu des propos injurieux et diffamatoires à son encontre, alors qu'elle était absente et en présence de ses collègues de travail. Le 13 novembre 2019, elle lui a répété les propos tenus et une altercation est survenue.
- Elle produit des attestations :
- M. [C] [P], salarié de la Poste : M. [E] lui reprochait : « son affectation à la PPDC de [Localité 6] alors qu'elle ne peut pas effectuer le travail qui lui est prescrit »,
- M. [G] [L] : « Mme [W] a interpelé M. [E] au sujet de reproches qu'il avait formulés la semaine dernière »,
- Mme [T] [Y] : « il y avait eu des griefs sur Mme [W] »,
- Mmes [R] et [A], collègues de travail, lui ont rapporté que M. [E] aurait dit « qu'il en avait marre de travailler avec une handicapée », ou encore « ferme ta gueule, si tu n'es pas contente, tu peux rentrer chez toi »,
-Elle a déposé plainte le 16 novembre 2018 en indiquant : « M. [E] s'est positionné devant moi, nez à nez et il m'a bousculée violemment en me poussant de ses deux mains. Il a exercé une pression au niveau de mes épaules ». Face à la situation, elle n'a pas eu d'autre choix que de crier pour se défendre contre les propos tenus, constitutifs de harcèlement. Cette sanction est injustifiée et démesurée.
- L'article 4 bis du règlement intérieur prévoit que « tous les personnels sont tenus de respecter les règles de conduite individuelles ou collectives figurant dans le référentiel de Déontologie du Groupe LA POSTE ». L' article est vague et ne précise pas explicitement les règles de conduite à respecter.
- L'employeur reste imprécis quant au comportement qu'il lui reproche. Dans le courrier d'avertissement, il lui est reproché « un comportement déplacé à l'égard d'un de ses collègues de travail, entraînant une altercation », sans déterminer avec précision la faute reprochée.
- En 20 ans de carrière, elle n'a jamais fait l'objet de la moindre sanction disciplinaire.
II. Sur le manquement de l'employeur à son obligation de sécurité
- L'employeur n'a pas convoqué en réunion extraordinaire le CHSCT alors que l'incident a été immédiatement inscrit sur le registre d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail, et malgré les rappels des membres des délégués du personnel
- M. [O] [M], membre représentant du personnel, a notamment écrit par mail du 15 novembre 2018 : « Nous vous avons informé de l'accident grave qui s'est produit à la PPDC de [Localité 6] le mardi 13 Novembre 2018. Cet accident a entraîné une Incapacité Totale de Travail d'au moins l'un des deux agents concernés. Nous n'avons aucune information concernant l'autre agent. A ce jour, vous n'avez toujours par convoqué de CHSCT extraordinaire. Nous vous demandons donc, en conséquence, de réunir l'instance, dans les plus brefs délais »
- Elle produit une jurisprudence de la Cour de cassation qui a reconnu que l'employeur, informé d'une altercation entre deux salariés, ayant eu des répercussions immédiates sur la santé de l'un d'entre eux, ne prenant aucune mesure concrète pour prévenir la survenue d'un nouvel incident, manque à son obligation de sécurité
- Malgré son état de santé, elle est rentrée seule chez elle et s'est rendue seule chez le médecin, alors que l'employeur devait prendre les mesures nécessaires pour assurer sa protection. Elle a présenté un état anxieux suite à ces faits se manifestant par des pleurs, des contractures musculaires, des tremblements et des cervicalgies, justifiant un repos pendant 5 jours, sans incapacité totale de travail
- L'employeur n'a apporté aucune réponse aux propos dégradants tenus par M. [V] [E], il ne lui a apporté aucun soutien et a passé sous silence la situation, laissant la mésentente entre son collègue et elle s'accentuer
- Après les faits, M. [V] [E] et elle ont été entendus par Mme [H] [X], directrice de l'établissement, et M. [S] [U], responsable des ressources humaines. Deux rapports ont été établis et démontrent le sentiment d'impunité que M. [V] [E] a pu développer face à l'attentisme de l'employeur :
- celui de M. [S] [U] énonçant : « M. [E] n'a pas cessé de couper la parole de Mme [W], malgré ses rappels à l'ordre », « la colère de M. [E] est montée en pression lorsque Mme [W] a évoqué la bousculade »,
- l'autre rapport non signé énonce que : « Mme [W] était visiblement secouée ».
- Elle ne présente pas de nouvelle demande au titre du manquement de l'employeur à son obligation de sécurité, elle souhaite seulement préciser le contexte entourant le comportement qu'elle a eu.
**************
II. Moyens et prétentions de la société La Poste intimée sur appel principal
Dans ses dernières conclusions enregistrées au greffe le 21 janvier 2022, auxquelles il est renvoyé pour une parfaite connaissance des moyens et prétentions, la société La Poste demande à la cour de :
- déclarer irrecevable comme nouvelle en cause d'appel la mise en cause de l'employeur pour manquement à son obligation de sécurité,
- confirmer dans toutes ses dispositions le jugement déféré,
- débouter Mme [K] [W] de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions,
- condamner Mme [K] [W] au paiement d'une somme de 800 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
l- a condamner aux entiers dépens de l'instance.
Au soutien de ses prétentions, l'employeur, la société La Poste fait valoir que :
I. Sur l'irrecevabilité d'une demande nouvelle
- En première instance, il ne lui a pas été reproché de manquement à son obligation de sécurité, par la salariée. Les demandes de Mme [K] [W] en première instance concernaient l'annulation de l'avertissement, et sa condamnation à des dommages et intérêts en réparation de tous les préjudices confondus. En cause d'appel, la salariée demande à la cour de dire et juger qu'elle aurait manqué à son obligation de sécurité.
- L'employeur qui manque à son obligation de sécurité et de protection engage sa responsabilité et ainsi la conséquence est l'octroi de dommages et intérêts à ce titre et non l'annulation d'une sanction disciplinaire. La salariée sollicite donc en cause d'appel une indemnisation en invoquant un prétendu manquement. La cour devra juger irrecevable cette demande comme nouvelle.
II. Sur le bien-fondé de la sanction disciplinaire
- Il a décidé d'infliger un avertissement à Mme [K] [W] après examen de deux rapports :
- celui d'un agent ayant été témoin de la scène, dont l'identité n'est pas révélée, indiquant : « M. [E] était visiblement énervé par ce qui s'est produit. Il a expliqué que [W] avait pris le temps de fumer, en dehors du temps de pause, alors qu'elle était prévue pour travailler avec les équipes. Ces faits l'ont énervé et il l'a ouvertement dit à sa responsable d'équipe le lendemain, lors du brief, devant ses collègues. M. [E] a dit ne pas s'entendre avec sa collègue qui ne lui dit jamais bonjour. Il indique que lorsque Mme [W] est venue le voir à la prise de service le 13 novembre, elle s'est approchée nez-à-nez de lui pour lui faire part de son désaccord. Cette proximité le gênait, il a demandé à plusieurs reprises à Mme [W] de reculer et comme elle ne le faisait pas il lui a posé les mains sur les épaules pour l'éloigner de lui. »
- celui rédigé par M. [S] [U] qui énonce notamment : « Pour l'incident de ce jour, il indique avoir été agressé par Mme [W]. Sa collègue étant venue l'interpeller en se mettant trop près de lui, à ce moment il reconnaît avoir eu le geste de poser ses mains au niveau de ses épaules pour conserver 'sa zone de confort' en présence de témoins. Il insiste sur le fait qu'il ne l'a pas bousculée ».
- Il ressort des attestations que la salariée est à l'origine de l'altercation relativement violente avec son collègue, M. [E], comme l'a jugé le conseil de prud'hommes.
- Le règlement intérieur sanctionne ce type de comportement et Mme [W] en a effectivement pris connaissance ainsi que du référentiel de déontologie, comme en témoigne l'attestation de prise de connaissance.
- Dans le cadre de son pouvoir de direction et disciplinaire, il a pris la décision de sanctionner ces faits. M. [E] a également reçu un avertissement.
La sanction est strictement proportionnée aux faits commis et ne doit pas être annulée.
- La salariée tente de faire annuler l'avertissement infligé en présentant des arguments infondés :
- Mme [K] [W] estime que l'accident du travail est la conséquence de l'altercation du 13 novembre 2018 : en tout état de cause, l'employeur peut sanctionner la faute commise par la salariée car la reconnaissance professionnelle de l'accident n'enlève rien au caractère fautif du comportement de la salariée,
- Mme [K] [W] tente de justifier son comportement par un prétendu harcèlement moral : la salariée ne prouve pas que sa sécurité ou sa santé ont été menacées par M. [V] [E] avant l'événement du 13 novembre, ainsi un acte isolé ne peut pas être qualifié de harcèlement moral,
- en tout état de cause, il produit l'ensemble des justificatifs démontrant les mesures prises afin d'assurer la sécurité de ses salarié : un protocole de prévention des situations de harcèlement est mis en place, le règlement intérieur prévoit également un dispositif de recours et de soutien aux personnels,
- la salariée se prévaut de l'absence de convocation du CHSCT, alors que cette convocation n'était pas obligatoire puisque l'accident ne présentait pas un caractère grave et imminent pour les travailleurs, justifiant une réunion extraordinaire de l'instance représentative. Des mesures doivent être prises uniquement en cas de menace susceptible de provoquer une atteinte sérieuse à l'intégrité physique d'un salarié dans un délai proche,
- la référence au règlement intérieur et au référentiel de déontologie n'est pas vague, puisqu'il est fait référence à la date et l'heure du fait fautif, et à sa nature, ce qui prive donc la sanction de toute ambiguïté.
MOTIVATION
A titre liminaire la cour rappelle qu'en application des dispositions de l'article 954 du code de procédure civile, elle ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et que les « dire et juger » et les « constater » ne sont pas des prétentions, mais des rappels des moyens invoqués à l'appui des demandes, ne conférant pas - hormis les cas prévus par la loi - de droit à la partie qui les énonce.
I. Sur le manquement de l'employeur à son obligation de sécurité et de santé au travail
La société La Poste considère que la demande de Mme [K] [W] concernant un manquement de l'employeur à son obligation de sécurité et de santé au travail est irrecevable car nouvelle en cause d'appel.
L'effet dévolutif de l'appel est encadré par les articles 561 à 567 du code de procédure civile.
L'article 563 du code de procédure civile prévoit que : « Pour justifier en appel les prétentions qu'elles avaient soumises au premier juge, les parties peuvent invoquer des moyens nouveaux, produire de nouvelles pièces ou proposer de nouvelles preuves. »
Cependant, il est précisé par l'article 564 du même code que : « A peine d'irrecevabilité relevée d'office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d'un fait. »
Enfin, d'après l'article 565 du code de procédure civile : « Les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu'elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge, même si leur fondement juridique est différent. »
En première instance, Mme [K] [W] a demandé aux conseils de prud'hommes qu'il prononce :
- l'annulation d'un avertissement,
- la condamnation de la société La poste à lui verser la somme de 8 000 euros à titre de dommages intérêts en réparation de tous préjudices confondus,
- la condamnation de la société La poste aux dépens,
- la condamnation de la société La poste à lui verser la somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Si la cour constate qu'effectivement aucune demande n'était faite expressément au titre du manquement de l'employeur à son obligation de sécurité et de santé au travail, il ne s'agit en revanche pas d'une demande nouvelle faite par Mme [K] [W].
D'une part, Mme [K] [W] demandait au conseil de prud'hommes la condamnation de la société La poste à lui verser la somme de 8 000 euros au titre des dommages-intérêts en réparation de tous les préjudices confondus qu'elle aurait subis. Elle se prévalait donc, dès le départ, de plusieurs préjudices, sans toutefois les nommer précisément.
Elle avait également avancé le fait que l'employeur n'avait pas convoqué le CHSCT, alors même qu'elle avait inscrit l'incident sur le registre d'hygiène et de sécurité. Cet argument, soulevé en première instance, est le même que celui avancé devant la cour pour affirmer que la société la Poste aurait manqué à son obligation de sécurité et de santé au travail.
D'autre part, si Mme [K] [W] demande à la cour de « dire et juger que l'employeur a manqué à son obligation de sécurité en ne mettant pas en place des mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, au moment de l'incident et postérieurement à l'incident », elle n'en tire aucune conséquence et ne demande, à ce titre précisément, aucun dommages-intérêts.
Il ne s'agit donc pas d'une demande nouvelle mais d'un simple moyen tendant aux mêmes fins que la demande principale à savoir l'obtention de dommages et intérêts.
En conséquence, la cour déboute la société La Poste de sa demande d'irrecevabilité pour demande nouvelle.
L'employeur est tenu envers ses salariés d'une obligation de sécurité en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs dont il lui appartient d'assurer l'effectivité. Elle lui impose de prendre toutes les mesures de prévention visées aux articles L.4121-1 et L.4121-2 du code du travail, mais également toutes les mesures propres à faire cesser les agissements mettant en péril la santé ou la sécurité des salariés.
En l'espèce, Mme [K] [W] considère que la société La Poste a manqué à son obligation de sécurité et de santé au travail :
- alors que l'incident a été immédiatement inscrit sur le registre d'hygiène et de sécurité et des conditions de travail, l'employeur a commis un délit d'entrave puisqu'il n'a pas convoqué en réunion extraordinaire le CHSCT, malgré les différents rappels de certains membres des délégués du personnel,
- elle a été dans l'obligation de se rendre seule chez le médecin, malgré son état psychologique, alors qu'il appartenait à l'employeur de mettre en place les mesures nécessaires pour assurer sa protection,
- elle a dû rentrer seule chez elle par ses propres moyens.
L'employeur répond que :
- la convocation du CHSCT n'était pas obligatoire car l'accident du travail dont a été victime Mme [K] [W] ne présentait pas un caractère grave et imminent pour les travailleurs, justifiant une réunion extraordinaire de l'instance représentative. De plus, un seul membre avait formulé cette demande,
- de nombreuses mesures ont été prises afin d'assurer la sécurité des salariés. Cela ressort notamment de la mise en place d'un protocole de prévention des situations de harcèlement permettant d'ouvrir une enquête pluridisciplinaire et de sanctionner les agissements susceptibles de porter atteinte à la santé et à la sécurité des personnes, ainsi que d'un dispositif de recours et de soutien aux personnels.
L'ancien article L.4614-10 du code du travail prévoyait : « Le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail est réuni à la suite de tout accident ayant entraîné ou ayant pu entraîner des conséquences graves ou à la demande motivée de deux de ses membres représentants du personnel. »
Concernant l'absence de convocation du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail en urgence, la cour constate qu'un seul membre du comité en a fait la demande, à savoir M. [O] [M]. En l'absence d'une demande motivée par deux membres, l'employeur était ainsi libre de juger du bien-fondé de la demande et de la nécessité de réunir le comité. La société La Poste n'a pas jugé opportun de réunir cette instance représentative et l'analyse sera confirmée par la cour. En effet, Mme [K] [W] a bénéficié d'un repos après l'incident et ce afin d'apaiser la situation et se remettre de ses émotions. Elle n'a bénéficié d'aucune incapacité totale de travail contrairement à ce que M. [O] [M] a avancé.
Le certificat médical présenté par Mme [K] [W] fait état des propos rapportés par la salariée qui ne sont pas des constatations médicales. Il est précisé « Elle présentait un état anxieux avec pleurs, contractures musculaires, des tremblements des extrémités, des cervicalgies. ». Aucun élément ne permet d'établir que son état était en lien direct avec un manquement reproché à l'employeur. Le certificat médical poursuivait en indiquant : « Son état justifie une mise au repos pendant 5 jours. »
Il est établi que l'employeur a pris toutes les mesures concrètes de nature à éviter et faire cesser le risque professionnel.
Enfin, s'agissant du fait que la salariée a dû rentrer à son domicile par ses propres moyens et effectuer seule une visite chez son médecin, la cour constate qu'il ressort du compte-rendu, non signé et daté du 13 novembre 2018, que la salarié a discuté avec Mme [H] [X] vers 16 heures 30 pour demander à rentrer à son domicile. Il est noté :« son état le permettant elle en a eu l'autorisation avec demande expresse de nous informer de son arrivée au domicile ».
Ceci est corroboré par le compte-rendu établi par M. [S] [U] qui énonce : « L'agent (Mme [K] [W]) semblait sous le coup de l'émotion et donc fébrile, aussi nous avons décidé de l'emmener voir l'infirmière présente au cabinet médical.
Mme [F] [I] l'a prise en charge et après examen l'a amené à la salle de pause. (') Vers 16h30 Mme [W] est descendue de la salle de pause pour nous demander de pouvoir rentrer chez elle et d'aller voir son médecin.
Nous lui avons donné l'autorisation en s'assurant qu'elle allait bien et en lui demandant de nous informer de son arrivée chez elle. »
Il ressort des attestations produites par l'employeur que Mme [K] [W] a demandé à rentrer à son domicile car elle ne se sentait pas apte à assurer son service. La direction a pris la mesure de la situation de sa salariée après l'avoir orientée vers l'infirmière présente sur le lieu de travail. Après un temps de repos et après s'être assuré que la salariée était en état de rentrer par ses propres moyens, l'employeur l'a autorisée à quitter le lieu de travail. Il a également été demandé à Mme [K] [W] d'avertir ses supérieurs de son arrivée à son domicile, témoignant ainsi l'importance apportée à la situation et au bien-être de la salariée.
Par ailleurs, dans sa plainte adressée au procureur de la République, la salariée indique : « J'ai vu l'infirmière en urgence qui a pris ma tension 16.9 et qui m'a gardée un quart d'heure car elle ne pouvait pas me garder plus elle devait recevoir un salarié à 1 heures 30 précisément et il m'a conseillé d'aller en salle de repos où se trouvaient d'autres salariées, j'avais tellement mal à la nuque et aux épaules plus le choc j'ai décidé de faire valoir mon droit de retrait ». La salariée a explicitement exprimé le souhait de rentrer à son domicile, volonté respectée par l'employeur après avoir pris les précautions qui s'imposaient.
La cour considère ainsi que la société La Poste n'a pas manqué à son obligation de sécurité et de santé au travail.
II. Sur l'annulation de l'avertissement
Mme [K] [W] demande l'annulation de l'avertissement du 7 janvier 2019 car il est injustifié et imprécis. Les termes de l'article 4 bis du règlement intérieur invoqué sont généraux et son comportement n'est pas décrit.
L'article L. 1331-1 du code du travail énonce que : « Constitue une sanction toute mesure, autre que les observations verbales, prise par l'employeur à la suite d'un agissement du salarié considéré par l'employeur comme fautif, que cette mesure soit de nature à affecter immédiatement ou non la présence du salarié dans l'entreprise, sa fonction, sa carrière ou sa rémunération. »
La possibilité offerte à l'employeur d'infliger une sanction, et notamment un avertissement, à ses salariés fait partie de son pouvoir disciplinaire.
L'article L.1332-1 du code du travail précise que « Aucune sanction ne peut être prise à l'encontre du salarié sans que celui-ci soit informé, dans le même temps et par écrit, des griefs retenus contre lui. »
Il est possible de demander l'annulation d'une sanction « irrégulière en la forme ou injustifiée ou disproportionnée à la faute commise », selon l'article L.1333-2 du code du travail.
La société La poste a envoyé un courrier recommandé à Mme [K] [W] le 7 janvier 2019 en lui exposant sa volonté de lui infliger une sanction, sur le fondement de l'article 4 bis du règlement intérieur, qui prévoit que « tous les personnels sont tenus de respecter les règles de conduite individuelles ou collectives figurant dans le référentiel de Déontologie du Groupe LA POSTE ».
L'employeur reproche à Mme [K] [W] d'avoir eu « un comportement déplacé à l'égard de l'un de vos collègues de travail, entraînant une altercation ». Il est précisé que l'événement a eu lieu le 13 novembre 2018 vers 13 heures 30. L'employeur a indiqué la date et de l'heure de l'événement, et l'altercation entre la salariée et son collègue. Ces termes sont suffisamment précis pour motiver la sanction.
Par ailleurs, la cour constate que l'article 4 bis du règlement intérieur sur lequel se fonde l'employeur est suffisamment précis. Il renvoie au référentiel de déontologie du groupe La Poste qui est consultable par tous les salariés. La société La poste produit un document, signé le 2 mai 2017 par Mme [K] [W], attestant que cette dernière a reçu et pris connaissance du règlement intérieur et de l'extrait du référentiel de déontologie de La poste. Ces documents étaient également affichés à « l'entrée principale (entrée du personnel) de la PPDC ».
Enfin, pour juger l'avertissement comme justifié et proportionné à la faute commise, il conviendra de rappeler que :
- Mme [K] [W] n'a pas nié l'altercation survenue avec son collègue, M. [E],
- l'employeur démontre par des témoignages que Mme [K] [W] a poussé un cri, fait confirmé par la salariée elle-même,
- s'il découle de plusieurs attestations que M. [V] [E] avait fait des reproches à l'encontre de Mme [K] [W] en son absence, cela ne légitime aucunement la réaction de la salariée et ne lui enlève pas pour autant son caractère fautif,
- il ressort, notamment du procès-verbal d'audition de Mme [K] [W] et des comptes-rendus établis par M. [V] [E], et certainement Mme [H] [X], que c'est la salariée qui est allée à la rencontre de M. [E] afin de demander des explications sur des propos qu'il aurait tenus à son sujet,
- aucun élément objectif ne permet de corroborer l'affirmation de Mme [K] [W] selon laquelle M. [V] [E] l'aurait poussée, alors que plusieurs témoins affirment n'avoir vu aucun coup échangé. Par ailleurs, Mme [K] [W] n'a plus confirmé ce point lors de son second entretien avec M. [S] [U], comme cela ressort du compte-rendu établi par ce dernier,
- la seule attestation témoignant d'un contact de la part de M. [V] [E] sur Mme [K] [W] est celle de Mme [Z] [B] qui indique : « Comme [K] s'approchait toujours plus d'allain, il a levé ses mains pour garder une distance respectable. Mais [K] hurlait toujours davantage et se trouvait à présent au contact des mains d'[V], car elle s'avançait toujours plus de lui. S'est alors qu'un collègue, s'est interposé, pour qu'enfin elle recule. Jamais aucun coup devant l'équipe n'a été porté. »
- Mme [K] [W] produit un certificat médical du Docteur [J] [N], daté du 13 novembre 2018 qui a indiqué avoir examiné la salariée « dans les suites d'une agression sur son lieu de travail ». Il ne s'agit pas d'une constatation médicale mais seulement d'une information retranscrite d'après les dires de Mme [K] [W],
- le comportement fautif de la salariée est établi,
- l'avertissement fait partie des sanctions disciplinaires parmi les plus faibles dans l'échelle des sanctions, de sorte que celui-ci est proportionnée à la faute commise par Mme [K] [W].
En conséquence, la cour confirme le jugement du conseil de prud'hommes du 8 octobre 2020 en ce qu'il a estimé que l'avertissement était justifié et ne l'a pas annulé.
III. Sur la demande de dommages et intérêts formulée par Mme [K] [W]
Mme [K] [W] demande que lui soit octroyée la somme de 8 000 euros à titre de dommages et intérêts pour le préjudice subi.
Il a été constaté que l'employeur n'avait pas manqué à son obligation de sécurité et de santé au travail et que Mme [K] [W] avait eu un comportement fautif justifiant que l'employeur lui inflige un avertissement. La salariée ne démontre pas l'existence d'un préjudice subi.
En conséquence, la cour confirme le jugement entrepris en ce qu'il a débouté Mme [K] [W] de sa demande de dommages-intérêts en réparation de tous les préjudices confondus.
IV. Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile
Mme [K] [W], qui succombe, sera condamnée aux dépens en cause d'appel.
La cour confirme le jugement entrepris en ce qu'il a condamné Mme [K] [W] aux entiers dépens en première instance.
Mme [K] [W] sera condamnée à payer à la société La Poste la somme de 500 euros au titre des frais non répétibles de procédure.
L'appelante ne peut prétendre à une indemnité au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et sera déboutée de sa demande.
PAR CES MOTIFS
LA COUR, statuant publiquement, par arrêt contradictoire rendu par mise à disposition au greffe et en dernier ressort,
CONFIRME le jugement rendu par le conseil de prud'hommes d'Agen le 8 octobre 2020 en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
REJETTE l'exception d'irrecevabilité soulevée par la société La Poste,
CONDAMNE Mme [K] [W] aux dépens d'appel,
CONDAMNE Mme [K] [W] à payer à la société La Poste la somme de 500 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
DÉBOUTE Mme [K] [W] de sa demande au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Le présent arrêt a été signé par Pascale FOUQUET, conseiller faisant fonction de président et Chloé ORRIERE, greffier.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT