ARRÊT DU
11 Janvier 2023
DB/CR
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N° RG 21/00857
N° Portalis
DBVO-V-B7F-C5VY
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[O] [GC],
[LA] [B]
épouse [GC],
[PA] [GC]
C/
Commune DE [Localité 12],
COMMUNE D'[Localité 17]
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GROSSES le
à
ARRÊT n°
COUR D'APPEL D'AGEN
Chambre Civile
LA COUR D'APPEL D'AGEN, 1ère chambre dans l'affaire,
ENTRE :
Monsieur [O] [GC]
né le 04 Septembre 1949 à [Localité 18] (90)
de nationalité Française
Madame [LA] [B] épouse [GC]
née le 08 Août 1955 à [Localité 12] (47)
de nationalité Française
Monsieur [PA] [GC]
né le 17 Février 1985 à [Localité 10] (47)
de nationalité Française
Domiciliés :
'[Localité 15]'
[Localité 12]
Représentés par Me Louis VIVIER, avocat au barreau d'AGEN
APPELANTS d'un Jugement du tribunal judiciaire d'AGEN en date du 22 Juillet 2021, RG 18/01177
D'une part,
ET :
Commune DE [Localité 12]
représentée par son Maire actuellement en exercice
[Adresse 19]
[Localité 12]
Représentée par Me Hélène GUILHOT, avocat au barreau d'AGEN
INTIMEE
COMMUNE D'[Localité 17]
représentée par son Maire en exercice
Au bourg
[Localité 17]
INTIMEE n'ayant pas constitué avocat
D'autre part,
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue et plaidée en audience publique le 12 Octobre 2022, sans opposition des parties, devant la cour composée de :
Jean-Yves SEGONNES, Conseiller qui a fait un rapport oral à l'audience
qui en a rapporté dans le délibéré de la cour, composée outre lui-même de Claude GATE, présidente de chambre et Dominique BENON, Conseiller,
en application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, et après qu'il en a été délibéré par les magistrats ci-dessus nommés.
Greffière : Charlotte ROSA, adjointe administrative faisant fonction de greffière
ARRÊT : prononcé par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile
' '
'
FAITS :
[O] [GC], [LA] [B] épouse [GC] et [PA] [GC] ( les consorts [GC]) sont propriétaires indivis des parcelles suivantes :
- commune de [Localité 12] (47), lieu-dit '[Localité 15]' : section D n° [Cadastre 8], [Cadastre 7], [Cadastre 1], [Cadastre 9].
- commune d'[Localité 17] (47 ) : section A n° [Cadastre 4], [Cadastre 2], [Cadastre 5] et [Cadastre 6].
La maison d'habitation des consorts [GC] est située sur la parcelle n° D [Cadastre 7].
Les parcelles situées à [Localité 12] et celles situées à [Localité 17] sont séparées par un chemin rural, dit 'de [Localité 15]' qui constitue la délimitation entre les deux communes.
Ce chemin longe au Sud les parcelles située à [Localité 12], et notamment la parcelle n° D [Cadastre 7], et au Nord les parcelles situées à [Localité 17].
Par actes délivrés les 11 et 12 juillet 2018, les consorts [GC] ont fait assigner les communes de [Localité 12] et [Localité 17] devant le tribunal de grande instance d'Agen afin de voir dire qu'ils ont acquis par prescription la portion du chemin rural de [Localité 15] implanté au droit des parcelles cadastrées à [Localité 12] section A n° [Cadastre 8], [Cadastre 7], [Cadastre 1] et [Cadastre 9] et à [Localité 17] section D n° [Cadastre 4], [Cadastre 2], [Cadastre 5] et [Cadastre 5], au motif que l'assiette du chemin a, en réalité, disparue, du fait qu'il n'est plus emprunté depuis de nombreuses décennies, et qu'il a été incorporé dans leur propriété.
Seule la commune de [Localité 12] a comparu.
Par jugement rendu le 22 juillet 2021, le tribunal judiciaire d'Agen a :
- débouté M. [O] [GC] Mme [LA] [B] épouse [GC] et M. [PA] [GC] de leur demandes en revendication de propriété sur la portion du chemin rural de [Localité 15] implanté au droit des parcelles cadastrées section D [Cadastre 8], [Cadastre 7], [Cadastre 1] et [Cadastre 9] sises à [Localité 12], et des parcelles cadastrées section A [Cadastre 4], [Cadastre 2], [Cadastre 5] et [Cadastre 6] sises à [Localité 17], et pour une contenance de 3a 30ca pour la commune de [Localité 12] (47) et e 4a 20ca pour la commune d'[Localité 17] (47),
- débouté les parties de leurs plus amples demandes,
- condamné M. [O] [GC] Mme [LA] [B] épouse [GC] et M. [PA] [GC] à payer à la commune de [Localité 12] 1 500 Euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné M. [O] [GC], Mme [LA] [B] épouse [GC] et M. [PA] [GC] aux dépens avec distraction au profit de la SCP Tandonnet et Associés, en application de l'article [Cadastre 8] du code de procédure civile.
Le tribunal a retenu que l'absence d'entretien du chemin par les communes était indifférente à la prescription acquisitive ; que les témoins [Z] et [A] indiquaient l'emprunter habituellement, ce que ne pouvait démentir les habitants des lieux indiquant qu'il n'était plus utilisé ; que si [C] [B] indique avoir incorporé dans ses cultures les parcelles n° D [Cadastre 9] et A [Cadastre 5], cet élément ne suffisait pas à considérer que l'ensemble du chemin avait été acquis ; et que la possession était équivoque compte tenu que les consorts [GC] s'étaient rapprochés de la commune au début des années 1990 pour discuter de travaux, et notamment de la création d'une terrasse empiétant sur le chemin.
Par acte du 30 août 2021, [O] [GC], [LA] [B] épouse [GC] et [PA] [GC], ont déclaré former appel du jugement en désignant la commune de [Localité 12] et la commune d'[Localité 17] en qualité de parties intimées et en indiquant que l'appel porte sur la totalité du dispositif du jugement, qu'ils citent dans leur acte d'appel.
La clôture a été prononcée le 21 septembre 2022 et l'affaire fixée à l'audience de la Cour du 12 octobre 2022.
PRETENTIONS ET MOYENS :
Par dernières conclusions notifiées le 8 septembre 2022, auxquelles il est renvoyé pour le détail de l'argumentation, [O] [GC], [LA] [B] épouse [GC] et [PA] [GC] présentent l'argumentation suivante :
- Il a existé un chemin rural :
* ce chemin appartient au domaine privé de la commune et peut ainsi faire l'objet d'une prescription acquisitive.
* il a physiquement disparu depuis plus de 30 ans et est encadré par leurs parcelles section D [Cadastre 8], [Cadastre 7], [Cadastre 1] et [Cadastre 9] sises à [Localité 12], et section A [Cadastre 4], [Cadastre 2], [Cadastre 5] et [Cadastre 6] sises à [Localité 17], et son assiette a été englobée dans leur fonds, mis en culture.
* [C] [B] atteste de cette disparition depuis 1946 et d'autres témoins, résidant sur place, de sa non-utilisation de sorte qu'il ne peut plus être considéré comme affecté à l'usage du public.
* il existe un fossé et une haie infranchissables qui ne permettent plus son accès et, du côté de l'habitation, il constitue l'entrée de leur propriété.
* ils ont construit une terrasse empiétant sur l'assiette du chemin au en 1986/1987.
* il n'y a même plus de communication entre la parcelle n° [Cadastre 9] et le chemin qu'elle surplombe dont elle est séparée par un fossé.
* les photographies aériennes attestent de la disparition du chemin.
* ainsi, ils ont :
- incorporé le chemin dans les 2 parcelles agricoles n° [Cadastre 9] et [Cadastre 5],
- fermé tout passage au-delà des bâtiments d'habitation avec disparition de l'assiette au-delà du chemin,
- construit la terrasse sur le chemin au droit de l'immeuble d'habitation avec création d'un nouveau tracé décalé,
- entretenu le chemin,
- Ce chemin n'est plus entretenu : aucune commune ne revendique de travaux d'entretien.
- Les contestations opposées par la commune de [Localité 12] ne peuvent être retenues :
* le chemin a été incorporé dans l'assiette de leurs parcelles et mis en culture.
* l'attestation [A] évoque des lieux que le témoin ne connaît pas suffisamment et est relatif à la bordure d'un fossé situé sur la propriété [OC].
* l'attestation [Z] ne concerne pas le chemin en litige, mais le chemin 'du [Localité 22]', situé à l'Est.
* Mme [S] procède à des confusions.
* les autres témoignages n'apportent rien de concret ou sont erronés.
- Il importe peu qu'ils aient pu se renseigner auprès de la mairie pour acquérir le chemin :
* ils avait déjà usucapé l'ancien chemin.
* la construction de leur terrasse remonte à plus de 30 ans.
* il s'agissait de discussions qui se limitaient à régulariser une situation qui ne correspondait plus à la réalité du terrain.
Au terme de leurs conclusions, ils demandent à la Cour de :
- les déclarer recevables en leur appel,
- réformer le jugement,
- les déclarer propriétaires par prescription acquisitive de la portion du chemin rural de [Localité 15] implanté au droit des parcelles cadastrées section D [Cadastre 8], [Cadastre 7], [Cadastre 1] et [Cadastre 9] sises à [Localité 12], et des parcelles cadastrées section A [Cadastre 4], [Cadastre 2], [Cadastre 5] et [Cadastre 6] sises à [Localité 17], et pour une contenance de 3a 30ca pour la commune de [Localité 12] (47) et e 4a 20ca pour la commune d'[Localité 17] (47),
- condamner la commune de [Localité 12] à leur payer la somme de 5 000 Euros en application de l'article 700 du code de procédure civile et à supporter les dépens.
*
* *
Par conclusions d'intimée notifiées le 23 février 2022, auxquelles il est renvoyé pour le détail de l'argumentation, la commune de [Localité 12] présente l'argumentation suivante :
- Les consorts [GC] sont défaillants :
* la propriété d'un chemin rural ne se perd pas par le non-usage ou l'absence d'entretien.
* les consorts [GC] doivent apporter la preuve d'actes positifs d'appropriation ou d'actes matériels de possession à titre de propriétaires.
* la terrasse invoquée n'a pas été construite sur l'assiette du chemin, le plan Géoportail étant imprécis sur ce point.
* il existe ainsi un décalage de plusieurs mètres entre le plan cadastral et la localisation réelle des constructions.
* le constat d'huissier atteste que le chemin a été laissé libre et qu'il passe devant la terrasse.
* la barrière qui figure sur une photographie peut n'avoir été installée que provisoirement.
* les photographies Géoportail anciennes produites permettent de constater l'existence d'une différence de couleur de part et d'autre du chemin ce qui indique qu'il servait de limite de propriété et qu'il n'était pas incorporé aux cultures.
* la photographie Google Map de 2017 permet de voir le tracé du chemin.
- La possession invoquée est équivoque :
* des usagers ([A] et [Z]) attestent que le chemin était utilisé comme voie de passage.
* les consorts [GC] avaient demandé à la marie de déplacer ce chemin pour éviter les nuisances qu'il leur créait.
* la possession invoquée n'a pas été exclusive et ils ont voulu faire borner le terrain afin de le racheter.
Au terme de ses conclusions, elle demande à la Cour de :
- débouter les appelants de leurs demandes,
- confirmer le jugement,
- les condamner à lui payer la somme de 4 000 Euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
- les condamner aux dépens avec distraction.
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La commune d'[Localité 17] n'a pas constitué avocat.
[O] [GC], [LA] [B] épouse [GC] et [PA] [GC] lui ont fait signifier leur déclaration d'appel dans le délai de l'article 902 du code de procédure civile par acte remis le 5 octobre 2021 à [HA] [YI], maire en exercice.
Ils lui ont fait signifier leurs conclusions d'appelants le 2 décembre 2021 et leurs dernières conclusions le 9 septembre 2022.
La commune de [Localité 12] lui a fait signifier ses conclusions le 4 mars 2022.
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MOTIFS :
Vu les articles 2228 à 2235 (anciens) du code civil,
La prescription acquisitive d'un bien immobilier suppose une possession trentenaire, non interrompue, paisible, publique, non équivoque, et à titre de propriétaire, qu'il appartient à celui qui l'invoque d'établir.
En l'espèce, en premier lieu, M. [RG], géomètre-expert, s'est rendu sur les lieux et a établi un document d'arpentage destiné à préparer l'aliénation du chemin rural 'de [Localité 15]', signé par l'indivision [GC], le 29 août 2017.
Ce document permet de matérialiser précisément l'assiette du chemin, partagée par moitié dans le sens Nord/Sud, entre les communes de [Localité 12] et d'[Localité 17].
En deuxième lieu, la délibération prise par la commune d'[Localité 17] le 14 septembre 2017 indique que le chemin 'de [Localité 15]' n'est plus utilisé et qu'elle envisage de le désaffecter, le déclasser et l'aliéner.
Cette désaffection est mise en évidence de façon claire et précise par le constat établi le 18 avril 2019 par Me [U], huissier de justice, à la demande des appelants, dont les explications et photographies attestent de la disparition totale de l'assiette du chemin, et ce de façon ancienne.
Cette disparition est également attestée par la photographie aérienne 'Geoportail' prise en 2018, selon laquelle il n'existe qu'un seul accès à la maison des consorts [GC] par une voie située à l'Est donnant seulement sur leur maison, ainsi que par une photographie aérienne prise en 1985.
La comparaison de ces photographies avec celles prises par Me [U], avec examen de l'état de la végétation, permet d'en conclure que le chemin n'est plus matérialisé depuis au moins l'année 1985, étant précisé que certaines ombres qui apparaissent sur les photographies aériennes s'expliquent par l'existence de dénivelés avec zones humides et fossé.
La preuve de la disparation du physique du chemin 'de [Localité 15]' est apportée par ces éléments objectifs.
En troisième lieu, ces constatations sont confortées par les témoignages suivants produits par les appelants :
- [C] [B], né en 1920, qui a acquis la propriété rurale par acte du 19 mars 1946, et demeurait toujours sur place lorsqu'il a établi son attestation, déclare 'à cette époque, l'assiette du chemin de [Localité 15] figurant au cadastre avait déjà disparu et elle était déjà considérée comme partie intégrante des terres cultivées que je venais d'acquérir, jusqu'à aujourd'hui, cet état n'a jamais été remis en cause par les communes de [Localité 12] et d'[Localité 17] ou fait l'objet d'un grief quelconque ou quoi que ce soit. J'atteste également que le semblant de reliquat de tracé dudit chemin sur les photos aériennes à proximité de la maison d'habitation n'a jamais été entretenu par la voirie communale, les travaux d'entretien de ce tracé ont toujours été assumés par moi-même puis ma fille [LA] [B] épouse [GC].'
Ce témoignage précis de M. [B], ancien propriétaire des lieux, indique non seulement que le chemin 'de [Localité 15]' a disparu depuis de nombreuses décennies, mais également de l'intégration de son assiette à sa propriété rurale pour la partie des terres cultivées, c'est à dire pour les parcelles n° D [Cadastre 9] et A [Cadastre 5], d'une longueur représentant plus de la moitié de sa longueur, dès 1946.
- [DA] [OC], qui vit à [Localité 17], indique 'J'habite au lieu-dit [Localité 13], l'exploitation la plus proche du lieu-dit [Localité 15] depuis 1954, année de ma naissance. Je n'ai jamais vu le chemin communal remonter en [Localité 15] depuis le [Localité 22]. Du travers, l'emplacement du chemin était cultivé en champ par M. [C] [B] (maïs, blé, tournesol...), aujourd'hui, c'est en herbe et régulièrement tondu par M. et Mme [GC]'.
Ce témoignage confirme de façon très précise que le chemin 'de [Localité 15]' a été incorporé à la propriété agricole et aux cultures d'[C] [B], et des propriétaires qui lui ont succédé.
- [O] [XK] [N], né en 1930, exploitant agricole en retraite demeurant à [Localité 12] déclare 'L'ancien chemin rural situé sur la limite communale [Localité 12] - [Localité 17] et bordant les parcelles [Cadastre 8], [Cadastre 7] et [Cadastre 9] passant devant la maison du [Localité 15] est en désuétude et inexistant depuis très longtemps. Cette situation perdure depuis que j'habite au lieu-dit Brieste depuis 1954. Je n'ai jamais vu son tracé ni personne l'utiliser.'
- [R] [K], née en 1938, demeurant à [Localité 12], indique 'Je n'ai jamais vu la trace ou l'utilisation d'un chemin situé sur la limite séparative des communes de [Localité 12] et d'[Localité 17], passant devant la maison du [Localité 15] pour rejoindre le chemin entre les lieux-dits [Localité 22] et [Localité 13]'.
- [D] [T], née en 1956, qui habite à [Localité 17] témoigne 'J'habite à [Localité 17] au lieu-dit [Localité 21] depuis le mois de septembre 1981. Je n'ai jamais vu la trace ou l'utilisation d'un chemin situé sur la limite séparative des communes de [Localité 12] et d'[Localité 17], passant devant la maison du [Localité 14] pour rejoindre le chemin entre les lieux-dits [Localité 22] et [Localité 13]'.
- [P] [DY], né en 1929, qui demeure à [Localité 17], déclare 'Sur la limite séparative des communes de [Localité 12] et d'[Localité 17], traversant la propriété de [Localité 15], je n'ai jamais vu de tracé de chemin ouvert à la circulation passant devant la maison d'habitation du [Localité 15] pour rejoindre le lieu-dit [Localité 22], j'habite à La Joualle depuis 1945 et je connais bien cet endroit lieu-dit [Localité 14].'
- [E] [BA], né en 1945, déclare 'J'ai été conseiller municipal d'[Localité 17] de 1977 à 1983, puis maire de cette commune jusqu'en 2014. Au cours de mes mandats successifs, la commune d'[Localité 17] n'a jamais empêché [C] [B] et ses héritiers de disposer pleinement et librement de l'assiette de l'ancien chemin rural du [Localité 15] situé sur la limite communale [Localité 12] [Localité 17]. Le chemin n'étant plus ouvert à la circulation depuis plus de 50 ans, n'a fait l'objet d'aucun entretien par la voirie communale.'
- [V] [M], né en 1955, demeurant [Localité 17] atteste 'Dans la continuité de l'activité agricole de M. [B] [C], j'ai pris le relais pour entretenir la propriété du [Localité 15] pendant plusieurs années consécutives depuis 1996, j'ai cultivé dans le cadre d'un prêt à usage gratuit et passé le broyeur sur les terres non cultivées des parcelles de la propriété du [Localité 15] sur [Localité 17] et sur [Localité 12]. Aujourd'hui, je continue encore à passer le broyeur sur les parcelles en herbe à titre gratuit. Je n'ai jamais vu ni rupture, ni passage, ni fossé, ni chemin délimitant les parcelles attenantes de [Localité 12] et d'[Localité 17], à savoir la D [Cadastre 3] commune de [Localité 12] et la A [Cadastre 5] commune d'[Localité 17], l'ensemble étant d'un seul tenant. A noter que ces parcelles entre les deux communes ont des inclinaisons différentes entre lesquelles peut s'écouler de l'eau, la parcelle d'[Localité 17] étant orientée vers le Nord et la parcelle de [Localité 12] vers l'Est.'
Ce témoin vise en réalité la parcelle n° [Cadastre 9] et la [Cadastre 3].
- [J] [WE], né en 1946, qui réside à [Localité 12], témoigne 'En tant que randonneur, je suis passé plusieurs fois par le [Localité 15] et jusqu'à ce jour, j'ai toujours emprunté le chemin vicinal qui passe par [Localité 11], [Localité 16], [Localité 20], et qui peut rejoindre [Localité 12] en passant par la Gougette. Lors de randonnées organisées par diverses associations bruchaises auxquelles j'ai participé, nous ne sommes jamais passés au pied de la maison de la famille [GC] mais par la voie communale déjà citée, le chemin goudronné qui va de la voie communale à la maison m'ayant paru un chemin privé.'
- [V] [M], né en 1955, qui demeure à [Localité 17] et a cultivé certaines parcelles sur les lieux déclare qu'il n'a jamais vu 'ni rupture, ni passage, ni fossé, ni chemin délimitant les parcelles attenantes de [Localité 12] et d'[Localité 17], à savoir la D [Cadastre 9] commune de [Localité 12] et A [Cadastre 5] commune d'[Localité 17], l'ensemble étant d'un seul tenant. A noter que ces parcelles mitoyennes ont des plans inclinés différents entre lesquels peut s'écouler de l'eau par fortes pluies répétées, la parcelle sur [Localité 17] étant orientée vers le Nord et la parcelle sur [Localité 12] vers l'Est.'
En outre, [W] [B] indique que l'entreprise dans laquelle il a travaillé a fait des travaux de terrassement entre 1984 et 2009 devant la maison des consorts [GC] 'sur le chemin qui passait devant leur maison (moins de 50 cm) et qui aboutissait à la basse-cour', qu'il a creusé des tranchées sur cette partie afin de faire passer des canalisations et câbles et qu'il a reculé l'assiette du chemin desservant la maison pour y créer un trottoir terrasse, les lieux étant ensuite embellis de murettes en pierres.
Ces éléments précis, et objectivés par les photographies et le constat d'huissier, ne sont pas réellement remis en cause par les témoignages produits par la commune de [Localité 12] dont certains sont imprécis ou empreints d'une certaine subjectivité.
Ainsi :
- [XC] [A] se limite à indiquer être passé sur l'assiette de l'ancien chemin lorsqu'il chassait, ce qui ne préjuge en rien de la configuration des lieux et de la prescription acquisitive des parcelles traversées, les chasseurs ayant l'habitude de suivre le gibier sans se préoccuper des propriétés, suivant leurs anciennes habitudes.
En outre, et même si M. [A] a joint un plan à son témoignage, [DA] [OC] répond qu'en réalité, M. [A] confond le chemin d'exploitation, à proximité, effectivement utilisé lors de battues, et le chemin rural 'de [Localité 15]'.
[I] [MG] atteste également de cette confusion, ajoutant que les chasseurs n'ont pas le droit de passer à proximité de la maison d'habitation de la famille [GC].
- [Y] [S], secrétaire de mairie, indique qu'il y a eu des discussions en 1989 à 1997 pour 'trouver une solution à la gêne causée par le passage des usagers sur le chemin rural du [Localité 14] du [Localité 22]' ce qui, d'une part, ne contredit pas la possession invoquée par les consorts [GC] et, d'autre part, entretient une ambiguïté sur le chemin en question, susceptible d'être confondu avec le chemin du [Localité 22] qui se trouve un peu plus loin et il en est de même de [DA] [IG] qui ne fait également état que de nuisances causées par des passages.
- [NE] [X] ne précise pas de quel chemin exact il fait mention, alors qu'il en existe plusieurs.
- [FE] [F] n'est pas assez précis dans un témoignage qui fait référence au 'chemin rural qui passe à proximité' de l'habitation [GC], et qui peut recouvrer la période de réalisation des travaux par l'entreprise [B], comme [O] [H] en atteste en faisant référence à des discussions avec la municipalité lors 'd'un projet de rénovation ou d'extension' de la famille [GC] dans les années 1990.
- [ZG] [Z] se limite à indiquer circuler sur les sentiers de la commune.
- [G] [JE] témoigne de faits survenus pendant son mandat de conseiller municipal entre 1995 et 2002, indique que les consorts [GC] ont sollicité la commune 'par rapport au chemin rural passant près de leur habitation, ils souhaitaient une modification du tracé de ce dernier afin d'éviter le passage d'usagers trop proches de leur habitation (randonneurs et motos). M. [PI], maire de la commune à cette époque, et M. [L] et certains conseillers se sont déplacés sur le terrain. Après discussions en séance, le conseil municipal a acté pour le nettoyage du chemin mais n'a pas donné suite à la demande de changement de son tracé'.
Ce témoignage se heurte toutefois, d'une part, au constat objectif de la disparition physique du chemin 'de [Localité 15]' à partir de l'Est de la propriété des consorts [GC] et, d'autre part et surtout, au fait que l'examen de la délibération dont fait état M. [JE], produite par les appelants, permet de constater qu'elle concerne le chemin du '[Localité 22]' à l'Est de celui 'de [Localité 15]'.
En tout état de cause, le fait que certaines personnes ont pu passer, ponctuellement, sur l'ancienne assiette du chemin 'de [Localité 15]', n'exclut pas les actes de possession à titre de propriétaires des consorts [GC] et de leurs auteurs, les promeneurs pouvant, tout comme les chasseurs, divaguer dans la campagne sans se préoccuper du caractère privé, ou non, de parcelles non clôturées.
Enfin, rien ne démontre objectivement que les discussions qui ont eu lieu au début des années 1990 avec la commune de [Localité 12] portaient sur la propriété du chemin plutôt que sur des projets de construction relatifs à la maison des consorts [GC].
Au terme de l'examen de ces éléments, la Cour constate que les consort [GC] apportent la preuve que le chemin 'de [Localité 15]' a été incorporé à leur propriété cultivée et entretenue dans sa partie Est depuis 1946 et qu'ils utilisent sa partie Ouest, sur laquelle ils ont fait des travaux à partir de l'année 1984, exclusivement pour la desserte de leur maison.
Ces éléments caractérisent une possession à titre de propriétaires, au vu et au su de tous, de l'ancien chemin, telle que définie supra permettant aux consorts [GC] d'invoquer une prescription acquisitive ayant produit ses effets au plus tard en 2014 pour la totalité du chemin litigieux.
Par suite, les dicussions en 2017 entre les consort [GC] et les communes sur le rachat du chemin qui ont généré l'intervention d'un géomètre sont sans portée du fait qu'ils avaient déjà acquis le chemin par prescription à cette date.
Le jugement doit être infirmé et il sera fait droit à leur demande.
Enfin, l'équité nécessite de condamner la commune de [Localité 12] à payer aux appelants la somme de 3 000 Euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS :
- la Cour, après en avoir délibéré conformément à la loi, statuant par arrêt réputé contradictoire prononcé par mise à disposition au greffe et en dernier ressort,
- INFIRME le jugement en toutes ses dispositions ;
- STATUANT A NOUVEAU,
- DECLARE [O] [GC], [LA] [B] épouse [GC] et [PA] [B], propriétaires indivis par prescription acquisitive du chemin dit 'de [Localité 15]' situé :
1) en limite Sud des parcelles situées sur la commune de [Localité 12] (47), cadastrées section D n° [Cadastre 8], [Cadastre 7], [Cadastre 1] et [Cadastre 9],
2) en limite Nord des parcelles situées sur la commune d'[Localité 17] (47), cadastrées section A n° [Cadastre 4], [Cadastre 5], [Cadastre 2] et [Cadastre 6],
- DIT que [O] [GC], [LA] [B] épouse [GC] et [PA] [B] procéderont aux formalités de publicité foncière de la présente décision à leurs frais ;
- CONDAMNE la commune de [Localité 12] à payer conjointement à [O] [GC], [LA] [B] épouse [GC] et [PA] [B] la somme totale de 3 000 Euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
- CONDAMNE la commune de [Localité 12] aux dépens de première instance et d'appel.
Vu l'article 456 du code de procédure civile, le présent arrêt a été signé par Dominique Benon, conseiller ayant participé au délibéré en l'absence de Madame la présidente de chambre empêchée, et par Charlotte ROSA, adjointe administrative faisant fonction de greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LE GREFFIER LE CONSEILLER