ARRÊT DU
10 JANVIER 2023
NE / NC***
-----------------------
N° RG 21/00485 - N° Portalis DBVO-V-B7F-C4KJ
-----------------------
[L] [U]
C/
S.A.R.L. EOL CAR WASH
-----------------------
Grosse délivrée
le :
à
ARRÊT n° 2 / 2023
COUR D'APPEL D'AGEN
Chambre Sociale
Prononcé par mise à disposition au greffe de la cour d'appel d'Agen conformément au second alinéa des articles 450 et 453 du code de procédure civile le dix janvier deux mille vingt trois par Nelly EMIN, conseiller faisant fonction de présidente de chambre, assistée de Chloé ORRIERE, greffière
La COUR d'APPEL D'AGEN, CHAMBRE SOCIALE, dans l'affaire
ENTRE :
[L] [U]
né le 21 avril 2000 à [Localité 5] (56)
domicilié : [Adresse 2]
[Localité 1]
représenté par M. [O] [H] (Délégué syndical ouvrier)
APPELANT d'un jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation de départage - de CAHORS en date du 02 avril 2021 dans une affaire enregistrée au rôle sous le n° R.G. F 19/00102
d'une part,
ET :
SARL EOL CAR WASH pris en la personne de son représentant légal actuellement en fonctions domicilié en cette qualité au siège
RCS CAHORS 791 392 228 00015
[Adresse 4]
[Localité 3]
représentée par Me Nezha FROMENTEZE, membre de la SELARL FROMENTEZE, avocate au barreau du LOT
INTIMÉE
d'autre part,
a rendu l'arrêt contradictoire suivant après que la cause a été débattue et plaidée en audience publique le 08 novembre 2022 sans opposition des parties devant Nelly EMIN, conseiller faisant fonction de présidente de chambre, et Pascale FOUQUET, conseiller,
toute deux rapporteurs, assistées de Charlotte ROSA, adjointe administrative faisant fonction de greffière. Les magistrats rapporteurs en ont, dans leur délibéré, rendu compte à la Cour composée, outre elles-mêmes, de Benjamin FAURE, conseiller, en application des dispositions des articles 945-1 et 805 du code de procédure civile et il en a été délibéré par les magistrats ci-dessus nommés, les parties ayant été avisées de la date à laquelle l'arrêt serait rendu.
* *
*
EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE
Monsieur [L] [U] a signé un contrat d'apprentissage d'une durée de deux ans, le 7 septembre 2016, avec la société EOL RETAIL HOME, sous l'enseigne CENTRAKOR, exerçant à [Localité 3], dans le cadre de son obtention du certificat d'aptitude professionnelle employé de vente spécialisé option B.
Ce contrat prévoyait une durée hebdomadaire de 35 heures, payées 25 % du SMIC la première année (du 1er septembre 2016 au 31 août 2017), 37 % du SMIC la deuxième année (du 1er septembre 2017 au 30 avril 2018) et 49 % du SMIC pour la période restante (du 1er mai au 31 août 2018).
La convention collective applicable à la relation contractuelle est la convention collective de commerces de détail non alimentaires.
Le contrat d'apprentissage a pris fin le 31 août 2018.
Par courriers des 1er, 10 et 25 septembre 2018, M. [U] a reproché à son employeur de l'avoir fait travailler pour le compte d'une autre de ses sociétés, la société EOL CAR WASH, et ce dans des conditions dangereuses.
M. [L] [U] a saisi le conseil de prud'hommes de Cahors par requête déposée le 6 novembre 2018 à l'encontre de la SARL EOL RETAIL HOME afin, notamment, de voir reconnaître l'existence d'un travail dissimulé et de se voir octroyer la somme de 8 990,22 € à titre d'indemnisation forfaitaire pour travail dissimulé.
Par jugement du 11 octobre 2019, le conseil des prud'hommes, statuant en formation de départage, a débouté M. [U] de ses demandes, au motif qu'elles étaient dirigées contre la SARL EOL RETAIL HOME et non la SARL EOL CAR WASH, société concernée.
M. [U] a de nouveau saisi le conseil de prud'hommes par requête du 17 octobre 2019 des mêmes demandes à l'encontre de la société EOL CAR WASH. L'affaire a été renvoyée devant le bureau de jugement du 23 avril 2020, puis du 8 octobre 2020. Le conseil de prud'hommes s'est déclaré en partage de voix le 21 janvier 2021 et l'affaire a été appelée à l'audience du 19 février 2021.
Par jugement du 2 avril 2021, le conseil de prud'hommes de Cahors a :
- rejeté l'exception d'incompétence soulevée par la société EOL CAR WASH,
- débouté M. [L] [U] de sa demande d'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé
- débouté la société CAR WASH de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive,
- dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné M. [L] [U] aux dépens.
Par déclaration enregistrée au greffe de la cour le 26 avril 2021, [L] [U] a interjeté appel partiel de cette décision, en ce qu'elle concerne les dispositions relatives au travail dissimulé.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 5 mai 2022 et l'affaire fixée pour plaider à l'audience du 5 juillet 2022 puis renvoyée à l'audience du 8 novembre 2022.
MOYENS ET PRÉTENTIONS
I. Moyens et prétentions de [L] [U] appelant principal
Dans ses dernières conclusions, reçues au greffe le 3 novembre 2021 expressément visées pour plus ample exposé des moyens et prétentions de l'appelant, M. [L] [U] demande à la cour de :
- rejeter l'exception d'incompétence soulevée par la société EOL CAR WASH et venir en condamnation contre la société EOL CAR WASH pour travail dissimulé,
- dire et juger légitime et fondée la demande de l'appelant, dans toutes ses dispositions, faire droit, réformer la décision rendue par les premiers juges rejetant le travail dissimulé,
- dire et juger que le travail dissimulé est caractérisé dans toutes ses dispositions, principe même qu'un emploi dissimulé ne comporte pas de contrat de travail, de fiche de paye, de déclaration préalable d'embauche et de rémunération aléatoire,
- dire et juger que la société EOL CAR WASH tombe dans toutes les dispositions visées caractérisant le travail dissimulé et la condamner conformément aux dispositions définies par la loi.
Sur ce, en appel :
- se déclarer compétente et rejeter l'exception d'incompétence soulevée par la société EOL CAR WASH,
- condamner la société EOL CAR WASH en application des dispositions définies par les articles L. 8221-5 et L. 8223-1 pour travail dissimulé, au versement de l'indemnité forfaitaire de 6 mois, soit : 1 498,47 euros x 6 = 8 990,82 euros net,
- condamner la société EOL CAR WASH au titre de l'article 700 du code de procédure civile au versement de la somme de 800 euros pour frais de procédure, constitution du dossier, déplacements, divers,
- condamner l'employeur aux entiers dépens et frais d'exécution de l'arrêt par huissier de justice dans la totalité des honoraires de son ministère.
Au soutien de ses prétentions, il fait valoir que :
Sur l'exception d'incompétence
- la relation de travail ayant été invoquée par M. [U], il s'agit de l'objet du litige et le conseil de prud'hommes est donc compétent.
Sur le travail dissimulé
- la nature des travaux confiés à un apprenti doit être en relation directe avec la formation professionnelle prévue au contrat d'apprentissage. Or, il a travaillé à plusieurs reprises pour la société CAR WASH. Il a manipulé des produits dangereux et effectué des travaux non conformes à la tâche qui était prévue dans son contrat initial. Il lui est également arrivé de travailler le dimanche, de nuit, et sans avoir deux jours de repos consécutifs.
- prenant conscience de la situation en août 2018, il a envoyé plusieurs courriers à l'employeur pour évoquer ces missions effectuées pour une autre société, sans contrat ni rémunération, sans avoir reçu les documents et paiements de salaire. Ces manquements de l'employeur caractérisent le travail dissimulé.
- un courrier de Mme [R] [A], sa mère, du 14 février 2018 sera également adressé à M. [W] pour lui demander de cesser de faire travailler son fils à la station de lavage et pour dénoncer les manquements de l'employeur.
- ces faits sont attestés par Madame [M] [S], qui travaillait à proximité du CENTRAKOR, et par Mme [V] [Z], ancienne stagiaire,
- les attestations versées par l'employeur témoignent également du fait que M. [U] travaillait à la station sous ses directives, en sa qualité de gérant de la société.
- l'employeur n'a jamais contesté cette situation de travail, alléguant que Mme [A] elle-même demandait que son fils travaille à la station de lavage. L'employeur ne s'y est jamais opposé et a laissé perdurer cette situation illicite, au profit de la société EOL CAR WASH. La matérialité de ce travail a même été admis en départage le 11 octobre 2019. L'employeur s'est délibérément détourné de ses obligations impératives découlant du contrat d'apprentissage.
**************
II. Moyens et prétentions de la SARL EOL CAR WASH intimée sur appel principal
Dans ses uniques conclusions reçues au greffe le 30 août 2021, auxquelles il est renvoyé pour une parfaite connaissance des moyens et prétentions, la société EOL CAR WASH demande à la cour de :
- réformer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes du 2 avril 2021 en ce qu'il a rejeté l'exception d'incompétence soulevée par la société et l'a déboutée de sa demande formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- juger à nouveau :
à titre principal,
- se déclarer incompétent
à titre subsidiaire,
- confirmer le jugement rendu par le conseil des prud'hommes du 2 avril 2021 en ce qu'il a débouté M. [L] [U] de sa demande d'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé formée à son encontre, et a condamné M. [L] [U] aux entiers dépens,
- débouter M. [U] de l'ensemble de ses demandes,
- condamner M. [U] à payer la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et à l'ensemble des dépens.
Au soutien de ses prétentions, elle fait valoir que :
À titre principal, sur l'exception d'incompétence du conseil de prud'hommes
- la dissimulation d'emploi salarié est constituée seulement en présence d'un lien de subordination réel et effectif, il faut qu'un contrat de travail existe. Or, il a été jugé par le conseil de prud'hommes que M. [U] n'avait produit aucune pièce permettant d'établir l'existence d'un tel lien de subordination.
- il ressort des attestations de M. [N] [E], M. [K] [T], Mme [D] [I] et Mme [B] [P] que les activités de M. [U] à la station de lavage étaient réalisées en dehors de tout lien de subordination. Il n'était soumis à aucune directive, ni horaires imposés, ni tâches précises, ni aucun contrôle de la part de M. [W]. Il s'y rendait sur demande de sa mère, pour le canaliser, car il avait des difficultés de comportement au travail.
- faute de lien de subordination, l'existence d'un contrat de travail entre M. [U] et la société CAR WASH ne peut être retenue et le conseil de prud'hommes doit décliner sa compétence.
À titre subsidiaire, sur l'absence de travail dissimulé en l'absence de contrat de travail
- le salarié n'apporte pas la preuve de l'existence d'un contrat de travail. Il verse aux débats plusieurs attestations venant étayer la matérialité d'une prestation de travail, de manière ponctuelle, pour le compte de la société EOL CAR WASH. Ceci n'est pas contesté, cependant cela s'est installé suite à la volonté de M. [U] et sa mère, et en dehors de toute relation de travail.
- M. [U] verse aux débats l'attestation de Mme [M] [S] dont on ne connaît pas les fonctions, ni son lieu de travail et la période concernée. Il verse également l'attestation de Mme [V] [Z], présente en qualité de stagiaire durant 6 jours uniquement, qui est contredite par d'autres témoignages provenant de personnes qui ont travaillé bien plus de temps avec M. [U]. Il a fallu attendre la fin du contrat d'apprentissage et le licenciement pour faute grave de sa mère, Mme [A], pour que des reproches soient faits à l'encontre de la société. La prétendue infraction de travail dissimulé n'a pas été portée à la connaissance de l'inspection du travail, alors même que M. [U] l'a saisie à l'issue de son contrat.
Sur l'indemnisation de la société EOL CAR WASH
- M. [U] n'a jamais été condamné à verser une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ce qui l'incite à continuer dans sa démarche juridique infondée. Ainsi, il serait inéquitable de ne pas octroyer à la société la somme de 3 000 euros en application de ces dispositions.
MOTIVATION
Sur l'exception d'incompétence
L'article L1411-1 du contrat de travail stipule que : «le conseil de prud'hommes règle par la voie de la conciliation les différends qui peuvent s'élever à l'occasion de tout contrat de travail soumis aux dispositions du présent code entre les employeurs, ou leurs représentants, et les salariés qui les emploient.
Il juge des litiges lorsque la conciliation n'a pas abouti».
La juridiction prud'homale est en conséquence compétente pour trancher un litige ayant pour objet un différend relatif à l'existence d'un contrat de travail, opposant le salarié à son employeur prétendu, et cette compétence d'attribution du conseil de prud'hommes en matière de contestation de la réalité du contrat de travail a un caractère exclusif et d'ordre public.
Le jugement du conseil de prud'hommes de Cahors du 2 avril 2021 est en conséquence confirmé en ce qu'il a retenu sa compétence pour statuer sur le litige opposant M. [U] et la société EOL CAR WASH portant sur l'existence d'une relation de travail.
Sur l'existence d'un contrat de travail
L'existence d'une relation de travail salarié dépend des conditions de fait dans lesquelles l'activité professionnelle est exercée.
En application des dispositions de l'article L1221-1 du code du travail, le contrat de travail est soumis aux règles de droit commun et il peut être établi selon les formes que les parties contractantes décident d'adopter.
S'il appartient à celui qui se prévaut d'un contrat de travail d'en établir l'existence, la présence d'un contrat de travail apparent impose à celui qui invoque son caractère fictif d'en rapporter la preuve.
L'existence d'un contrat de travail suppose la réunion de trois conditions cumulatives, à savoir l'exécution d'une tâche, rémunérée en contrepartie, exécutée dans un rapport de subordination.
Le lien de subordination est caractérisé par l'exécution d'un travail sous l'autorité de l'employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné. Ce sont les circonstances de fait qui déterminent l'existence d'une situation de dépendance dans l'exercice du travail.
Par des motifs pertinents, que la cour adopte, les premiers juges ont retenu que la preuve de l'existence d'un contrat de travail liant la société EOL CAR WASH à M. [U] n'était pas rapportée par ce dernier en retenant que :
- aucune des pièces versées par M. [U] ne permet d'établir l'existence d'un lien de subordination, le seul témoignage de Mme [Z] qui n'a travaillé au magasin CENTRAKOR qu'une semaine en 2017 étant à lui seul insuffisant,
- les attestations versées par l'employeur (M. [E], Mme [I], Mme [G], M. [T]) établissent que c'est à la demande de la mère de M. [U], Mme [A], alors directrice du magasin CENTRAKOR, que celui-ci se rendait à la station de lavage afin de le canaliser et de le responsabiliser, qu'il disposait d'une grande liberté de s'y rendre ou non et que rien de lui était imposé.
La décision du conseil des prud'hommes ayant débouté M. [U] de ses prétentions au titre du travail dissimulé sera ainsi confirmée.
Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens
M. [U] qui succombe doit être condamné aux dépens de la procédure d'appel et ne peut prétendre à une indemnité au titre des frais irrépétibles.
Les conditions économiques des parties conduisent à écarter en équité la demande formée par l'intimée au titre de ses frais irrépétibles.
PAR CES MOTIFS :
LA COUR, statuant publiquement, dans les limites de sa saisine, par arrêt contradictoire rendu par mise à disposition au greffe et en dernier ressort,
CONFIRME le jugement du conseil des prud'hommes de Cahors du 2 avril 2021 en toutes ses dispositions,
y ajoutant
DÉBOUTE M. [U] de sa demande au titre des frais irrépétibles,
DÉBOUTE la SARL EOL CAR WASH de sa demande au titre des frais irrépétibles,
CONDAMNE M. [U] aux dépens de la procédure d'appel.
Le présent arrêt a été signé par Nelly EMIN, conseiller faisant fonction de présidente de chambre, et Chloé ORRIERE, greffière.
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE