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13/12/2022 | FRANCE | N°21/00671

France | France, Cour d'appel d'Agen, Chambre sociale, 13 décembre 2022, 21/00671


ARRÊT DU

13 DECEMBRE 2022



PF/CF



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N° RG 21/00671

N° Portalis DBVO-V-B7F-C46X

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[V] [I]





C/





S.A.S. FONROCHE LIGHTING





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Grosse délivrée

le :



à

ARRÊT n° /2022







COUR D'APPEL D'AGEN

Chambre Sociale







Prononcé par mise à disposi

tion au greffe de la cour d'appel d'Agen conformément au second alinéa des articles 450 et 453 du code de procédure civile le treize décembre deux mille vingt deux par Pascale FOUQUET, conseillère assistée de Charlotte ROSA, adjointe administrative faisant fonction de greffière,





La COUR d'A...

ARRÊT DU

13 DECEMBRE 2022

PF/CF

-----------------------

N° RG 21/00671

N° Portalis DBVO-V-B7F-C46X

-----------------------

[V] [I]

C/

S.A.S. FONROCHE LIGHTING

-----------------------

Grosse délivrée

le :

à

ARRÊT n° /2022

COUR D'APPEL D'AGEN

Chambre Sociale

Prononcé par mise à disposition au greffe de la cour d'appel d'Agen conformément au second alinéa des articles 450 et 453 du code de procédure civile le treize décembre deux mille vingt deux par Pascale FOUQUET, conseillère assistée de Charlotte ROSA, adjointe administrative faisant fonction de greffière,

La COUR d'APPEL D'AGEN, CHAMBRE SOCIALE, dans l'affaire

ENTRE :

[V] [I]

Né le 03 Juin 1987 à [Localité 4] (33)

Directeur administratif et financier

[Adresse 2]

[Localité 1]

Représenté par Me Hélène GUILHOT, avocat au barreau d'AGEN

APPELANT d'un jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire d'AGEN en date du 21 Mai 2021 dans une affaire enregistrée au rôle sous le n° R.G. 19/00087

d'une part,

ET :

S.A.S. FONROCHE LIGHTING

RCS d'Agen n°749 986 030

[Adresse 6]

[Localité 5]

Représentée par Me Gregory VEIGA, avocat au barreau de TOULOUSE

INTIMEE

d'autre part,

A rendu l'arrêt réputé contradictoire suivant après que la cause a été débattue et plaidée en audience publique le 11 Octobre 2022 sans opposition des parties devant Pascale FOUQUET, conseiller rapporteur, assisté de Chloé ORRIERE, greffière. Le magistrat rapporteur en a, dans son délibéré, rendu compte à la Cour composée, outre lui-même, de Jean-Yves SEGONNES, Conseiller et de Benjamin FAURE,Conseiller, en application des dispositions des articles 945-1 et 805 du code de procédure civile et il en a été délibéré par les magistrats ci-dessus nommés, les parties ayant été avisées de la date à laquelle l'arrêt serait rendu.

* *

*

FAITS ET PROCEDURE :

M. [V] [I] a été recruté par la société Fonroche Lighting qui exerçait son activité à [Localité 5] (47), suivant contrat de travail à durée indéterminée du 22 février 2018 en qualité de directeur des finances et développement, statut cadre.

De par ses fonctions d'accompagnement de la direction dans son développement, il était amené à effectuer des déplacements en France et en particulier à l'étranger.

Par lettre du 16 avril 2019 remise en main propre, M. [V] [I] a été convoqué à un entretien préalable fixé le 29 avril 2019 avec mise à pied conservatoire immédiate.

Par courrier daté du 10 mai 2019 avec avis de réception, la société Fonroche Lighting a notifié à M. [V] [I] son licenciement pour faute grave.

Par requête enregistrée au greffe le 23 juillet 2019, M. [V] [I] a saisi le conseil de prud'hommes d'Agen afin de contester son licenciement.

Par jugement du 21 mai 2021, auquel le présent arrêt se réfère pour plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens et prétentions des parties en première instance et des motifs énoncés par les premiers juges, le conseil de prud'hommes, section Encadrement, a jugé que que le licenciement de M. [V] [I] reposait sur une faute grave, l'a débouté de l'ensemble de ses demandes et l'a condamné à payer la somme de 1000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

Par déclaration du 25 juin 2021, M. [V] [I] a régulièrement déclaré former appel du jugement en toutes ses dispositions en désignant la société Fonroche Lighting en qualité de partie intimée et en visant les chefs de jugement critiqué qu'il cite dans sa déclaration d'appel.

La procédure de mise en état a été clôturée par ordonnance du 7 juillet 2022.

MOYENS ET PRETENTIONS DES PARTIES

I. Moyens et prétentions de M. [V] [I] appelant principal

Selon dernières conclusions enregistrées au greffe le 20 septembre 2021 expressément visées pour plus ample exposé des moyens et prétentions de l'appelant, M. [V] [I] demande à la cour, accueillant son appel,d'infirmer le jugement en ce qu'il a dit que son licenciement reposait sur une faute grave et en conséquence, l'a débouté de l'ensemble de ses demandes :

- indemnité légale de licenciement : 2 459.60 euros

- indemnité compensatrice de préavis : 7 378.83 euros

- indemnité compensatrice de congés payés sur préavis : 737,88 euros

- indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 22 136,99 euros

-dommages et intérêts pour licenciement abusif et atteinte à l'image professionnelle : 22 136,99 euros

- 1 000,00 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

- l'a condamné à verser à la société Fonroche Lighting la somme de 1 000,00 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

- l'a condamné aux dépens.

Statuant à nouveau,

- juger que son licenciement est dénué de toute faute grave ainsi que de toute cause réelle et sérieuse

En conséquence,

- débouter la société Fonroche Lighting de ses contestations et demandes et au contraire,

- condamner la société Fonroche Lighting à lui verser les sommes suivantes

*Indemnité légale de licenciement : 2 459,61 euros

*Indemnité compensatrice de préavis : 7 378,83 euros

*Indemnité compensatrice de congés payés sur préavis : 737,88 euros

*Indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 22 136,99 euros à titre principal et subsidiairement la somme de 14 757,66 euros, outre la somme de 7 000 euros en réparation du préjudice moral subi.

- condamner la société Fonroche Lighting à lui verser la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile

- condamner la société Fonroche Lighting aux entiers dépens.

A l'appui de ses prétentions, M. [V] [I] fait valoir que :

Sur le non respect des directives :

- l'employeur ne rapporte pas la preuve de la réunion du 4 avril 2019 qu'il invoque

- il soutient qu'une discussion informelle de quelques minutes seulement a eu lieu le 4 avril 2019 avec les acteurs concernés au cours de laquelle deux objectifs ont été dégagés : être majoritaire sans pourcentage précis et en tirer le meilleur prix

- il produit un constat d'huissier de justice attestant de l'accord des acteurs pour un engagement des discussions à hauteur de 65% sur un groupe WhatsappChat créé à cette fin

- le courriel du 16 avril 2019 sur lequel l'employeur se fonde pour démontrer sa faute concernait de simples pourparlers et non un accord définitif

- le courriel est intitulé Pro Forma ce qui démontre l'absence de tout caractère définitif

- ce courriel était adressé en réponse à celui du partenaire Solar One dans lequel il répondait que les négociations ne pourraient débuter à 53% du capital, l'objectif de la société qu'il représentait étant plus ambitieux

- la société Fonroche n'a subi aucun préjudice car elle est parvenue au rachat de la société Solarone peu de temps après son licenciement

Sur le non respect des horaires :

- l'employeur ne rapporte pas la preuve de la visite d'un parc naturel pendant son déplacement professionnel au Kenya

- en tant que cadre, son contrat prévoit qu'il gère librement son temps de travail et de ses déplacements professionnels

- il a accompli les tâches pour lesquelles il avait été missioné

- il n'était pas tenu de rester pendant six jours à disposition permanente de son employeur

Sur les absences injustifiées :

- il conteste toutes absences répétées et non justifiées des 5 avril 2019 et 15 avril 2019 qui, selon l'employeur, ont entraîné une desorganisation du service car il s'agissait de l'avancée de dossiers stratégiques pour lesquels sa présence était indispensable

- l'absence du 5 avril était due à une urgence personnelle et il a immédiatement averti par SMS M. [S], directeur financier, respectant ainsi les termes de son contrat qui prévoyait d'aviser immédiatement son employeur par tous moyens en cas d'empêchement. Celui-ci n'a évoqué aucune nécessité absolue quant à sa présence pour traiter de dossiers particulièrement importants mais au contraire lui a donné toute latitude pour régler son problème

- il produit l'attestation de Mme [G] [B], employée de restauration, qui atteste n'avoir aucun lien de parenté avec lui et qui témoigne l'avoir conduit à [Localité 4] le 5 avril pour une urgence

- l'attestation produite par l'employeur émamant de Mme [K], sa collégue chargée du financement, selon laquelle il se trouvait en sa compagnie et celle de collègues en soirée puis en discothéque à 2h du matin en état d'ébriété, ne porte pas la date des faits et ne peut fonder le grief

- il était en déplacement professionnel du 7 au 15 avril 2019 et arrivant en France en fin de journée, il ne pouvait matériellement pas se rendre au siège de la société dont les horaires collectifs de travail se terminaient à 17H

- il produit un constat d'huissier de justice attestant du message via l'application WhatsAppChat adressé le 14 avril 2019 à M. [Z], directeur général, pour poser un jour de récupération le 15 avril en compensation de la journée de retour des Etats Unis.

- la veille, soit le 14 avril, il a adressé un message à M. [Z] et un courriel à Mme [E], responsable des ressources humaines pour être en heures de récupération le 15 avril

Sur les difficultés de communication :

- il conteste toutes difficultés de communication avec les autres services et produit des courriels démontrant qu'il a toujours pris soin de communiquer les informations, échanges et plannings en copie aux interlocuteurs concernés ainsi que son souci constant d'échanger avec eux dans le cadre de ses missions outre les messages de satisfaction de ses supérieurs et les échanges sur les groupes WhatsAppChat constatés par huissier de justice

- la création d'une filiale aux Etats-Unis a été réalisée en étroite collaboration avec un cabinet spécialisé et sous le couvert de la direction

- il justifie de l'envoi par message de cette information, le vendredi soir 15 avril alors qu'il se trouvait encore aux Etats-unis, à M. [S] et à M. [Z]

- le salarié demande d'écarter l'application de l'article L1235-3 du code du travail en raison de son inconventionnalité au regard du droit international, pour obtenir la réparation intégrale de son préjudice. Il soumet à la cour plusieurs décisions de conseil de prud'hommes dont quatre rendues après les avis de la Cour de cassation du 18 juillet 2019.

- il a perdu son emploi, sa compagne et n'a pu retrouver un emploi de même nature dans la région

- il produit son attestation Pôle emploi

II. Moyens et prétentions de la société Fonroche Lighting intimé sur appel principal

Selon dernières conclusions enregistrées au greffe de la cour le14 décembre 2021 expressément visées pour plus ample exposé des moyens et prétentions de l'intimé, la société Fonroche Lighting demande à la cour de dire et juger que l'appel de Monsieur [V] [I] est irrecevable ou en tout état de cause mal fondé.

- dire et juger que le licenciement de Monsieur [V] [I] est justifié par une faute grave.

- débouter Monsieur [V] [I] de l'ensemble de ses demandes

- confirmer le jugement attaqué dans toutes ses dispositions

Subsidiairement, ramener l'éventuelle indemnisation de Monsieur [V] [I] à de justes proportions :

- débouter Monsieur [V] [I] de sa demande indemnitaire pour licenciement prétendument vexatoire

Y ajoutant, condamner Monsieur [V] [I] à verser à la société Fonroche Lighting une somme de 2.500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

A l'appui de ses prétentions, la société Fonroche Lighting fait valoir que:

Sur les non respect des directives :

- le salarié avait été embauché pour ses compétences linguistiques et financières

- il a effectué un déplacement aux Etats-Unis du 7 au 14 avril 2019

- il avait comme mission d'assister le responsable commercial export, M. [R] [Y], dans ses discussions en vue du rachat par la société Fonroche d'une société américaine partenaire commercial, Solar One

- il a pris des initiatives des discussions et les a menées seul

- il a proposé au partenaire américain le rachat de 65% du capital social pour 750 000 dollars US alors qu'il avait été convenu d'engager les négociations d'un rachat à hauteur de 85 à 100% du capital social, idéalement 90%

- ce montant avait été décidé en sa présence lors d'une réunion le 4 avril 2019, précédant son départ, avec la direction : MM. [H], [Z], [O], [S] et [Y]

- les 9 et 10 avril, M. [Y], dont l'arrivée aux US avait été retardée, apprenant ces négociations, a essayé de les corriger

- le 16 avril, le partenaire américain a transmis un courriel à M. [Y] émanant de M. [I], après son retour, confirmant l'intention de sa société de racheter 65% du capital

- M. [Y] n'avait pas eu connaissance de ce message

- le courriel, produit et traduit par un traducteur assermenté, a faussé la négociation

car, sur cette base, le partenaire américain a surenchéri et la société Fonroche a dû accepter des conditions financières moins favorables

- il n'a pas respecté les directives définies par la direction

- il avait déjà pris cette initiative par échanges téléphoniques en amont de son départ

Sur le non respect des horaires de travail :

- il n'a pas respecté ses horaires de travail en profitant d'un déplacement professionnel au Kenya de 4 jours, du 26 février au 1er mars 2019, soit deux jours utiles sur place, pour visiter un parc naturel pendant l'une des deux journées de travail

- il ne l'a contesté qu'en appel

Sur les absences répétées et injustifiées:

- il a été absent sans justification les 5 et 15 avril 2019 alors que sa présence était indispensable pour traiter de dossiers stratégiques

- l'employeur produit une attestation de Mme [K] qui témoigne avoir vu M. [I] en état d'ébriété à 2h du matin à [Localité 3] à la sortie d'une discothéque

- l'attestation de Mme [B] produite par le salarié, ne répondant pas aux prescriptions de l'article 202 du code de procédure civile, non datée et sans mention de la qualité de son rédacteur, doit être écartée

- il a prévenu M. [S] le 5 avril de son absence à 10h30 alors qu'il était attendu pour une réunion importante à 8h30

Sur les difficultés de communication avec les autres services :

- l'employeur invoque des difficutés de communication notamment avec le service juridique qui a appris, le 15 avril 2019, que M. [I] avait ouvert une filiale aux Etats Unis sans l'en informer préalablement.

- sur la demande en dommages et intérêts à titre subsidiaire, elle conteste toute circonstances abusives ou vexatoires susceptibles d'avoir entouré le licenciement du salarié, qui ne sont, au demeurant, pas étayées selon elle.

- le véhicule a été restitué dans un état déplorable et a nécessité des réparations pour 2 828,54 euros qu'elle a dû acquitter.

- le salarié a dénigré la société notamment auprès de son établissement bancaire au point de fragiliser les relations.

- il n'existe donc aucun abus de sa part qui justifierait de faire droit à sa demande en dommages et intérêts excédant le plafond prévu par l'article L1235-3.

MOTIVATION

I. SUR LA RUPTURE DU CONTRAT DE TRAVAIL

1.Sur le licenciement :

Par courrier du 10 mai 2019, M. [I] a été licencié pour faute grave.

Il résulte des dispositions des articles L.1232-1 et L.1235-1 du code du Travail, que tout licenciement pour motif personnel doit être justifié par une cause réelle et sérieuse ,et qu'en cas de litige relatif au licenciement , le juge auquel il appartient d'apprécier la régularité de la procédure et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties et au besoin après toutes mesures d'instruction qu'il estime utiles .Si un doute subsiste, il profite au salarié.

Ainsi l'administration de la preuve en ce qui concerne le caractère réel et sérieux des motifs du licenciement n'incombe pas spécialement à l'une ou l'autre des parties , l'employeur devant toutefois fonder le licenciement sur des faits précis et matériellement vérifiables .

Toutefois, s'il invoque une faute grave pour justifier le licenciement, l'employeur doit en rapporter la preuve, étant rappelé que la faute grave, privative de préavis et d'indemnité de licenciement, est celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constituent une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise, même pour la durée limitée du délai-congé.

Il ressort de la lettre de licenciemment quatre motifs, à savoir : un non respect des instructions, un non respect des horaires de travail pendant son déplacement professionnel au Kenya, des absences injustifiées les 5 et 15 avril 2019 et des difficultés de communication avec les autres services notamment avec le service juridique de la société lors de la création d'une filiale aux Etats Unis.

La lettre de licenciement du 10 mai 2019, qui fixe les limites du litige, est ainsi rédigée:

« Vous avez été engagé le 22/02/2018 en qualité de Directeur des Finances et du Développement Fonroche Lighting, assorti d'une rémunération significative qui vous positionne directement sous l'autorité de la Direction Générale.

Vos missions consistaient donc à accompagner la Direction dans son développement ; les compétences linguistiques et financières que vous avez mis en avant lors de votre recrutement nous ont conduit à vous demander d'assister notre Responsable Commercial dans ses discussions avec un Partenaire Commercial potentiel visant à racheter sa société pour nous aider à exporter nos produits aux USA. Pour autant à aucun moment il n'a été question de vous laisser orienter seul ces discussions et encore moins d'engager notre entreprise dans une négociation.

Or, lors de vos nombreux échanges téléphoniques avec ce Partenaire et de votre déplacement professionnel aux Etats Unis du 07/04/2019 au 14/04/2019, vous avez, de votre propre initiative, modifié l'esprit des discussions et engagé une négociation avec le représentant légal du Partenaire concernant son rachat à hauteur de 65% de son capital seulement et en acceptant que ce rachat puisse de faire principalement par voie d'augmentation se capital.

Le 08/04/2019, lorsque notre Responsable Commercial vous a rejoint dans la réunion avec les représentants de ce Partenaire potentiel, celui-ci a été surpris par la tournure des négociations que vous aviez mené en son absence.

Vous saviez pourtant qu'il avait été convenu, lors de la réunion de direction, qui s'est tenue le 04/04/2019, en présence des actionnaires de Fonroche Lighting, du Directeur Administratif et Financier, du Responsable Commercial et de vous-même, d'un rachat du Partenaire à hauteur de 90%, et au minimum de 85%, du capital pour un montant de 750K USD.

Le 09/04/2019 et 10/04/2019, notre Responsable Commercial, en votre présence, a repris les termes de votre proposition avec les représentants du Partenaire en revenant à un rachat à hauteur de 90% du capital pour un montant de 750K USD. Proposition qui a été confirmée le 13/04/2019, dans son compte-rendu d'activité que vous avez également reçu par mail.

Nous aurions pu penser à une erreur de votre part mais le 16/04/2019, notre Responsable Commercial a été interpellé par le Partenaire au sujet d'un mail de votre part, reçu le matin même, dans lequel vous confirmiez la volonté de la société Fonroche Lighting de racheter le Partenaire à hauteur de 65% du capital. Quels propos avez-vous tenu au vendeur pour qu'il s'imagine pouvoir valoriser sa société à 6 M$, soit 6 fois le prix que nous avions fixé ' Vous nous aviez pourtant signalé que cette société ne réalise que 3M$ de Chiffre d'Affaire et perd chaque année 1.5M$ '

Au-delà de notre étonnement et de notre incompréhension face à votre comportement gravement fautif, les conséquences pour notre société sont désastreuses étant donné que le vendeur utilise dorénavant votre proposition pour réenchérir et refuser celle initialement convenue.

Ces fautes interviennent dans un contexte de travail déjà compliqué dans lequel plusieurs rappels à l'ordre vous avaient été faits, en particulier pour le non-respect des horaires de travail. Une nouvelle illustration de votre désinvolture a été le loisir de visiter des sites touristiques, au cours des horaires de travail et lors de déplacements professionnels (Visite du Parc Naturel au Kenya lors de votre déplacement professionnel du 26/02/2019 au 01/03/2019).

Lors de l'entretien préalable :

Vous avez nié avoir engagé la Société dans le rachat du Partenaire Commercial à hauteur de 65% de son capital. Vous avez indiqué avoir seulement débuté des discussions sans aucun engagement et sans aucun écrit.

Nous ne pouvons accepter un tel déni de la réalité dès lors que malheureusement vous avez écrit un mail au vendeur dans lequel vous lui confirmez le 16/04/2019, le souhait de la Société Fonroche Lighting de les racheter à hauteur de 65% de leur capital. Notre partenaire s'étonne lui-même de ma contradiction entre la proposition faite par le Responsable Commercial, conforme aux directives définies lors de la réunion de direction du 04/04/2019, et celle faite par vous-même.

Nous avons évoqué, lors de notre entretien, vos absences répétées, non autorisées et non justifiées comme celle du vendredi 05/04/2019 et celle du Lundi 15/04/2019 pour lesquelles votre présence était indispensable pour l'avancée des dossiers stratégiques.

Si vous reconnaissez ces absences non autorisées et non justifiées du vendredi 05/04/2019 et du lundi 15/04/2019, vous n'êtes pas en mesure de les justifier. Compte tenu de l'importance des sujets qui mobilisent notre entreprise une telle légèreté est inacceptable.

Nous avons également abordé des problèmes de communication avec les autres services, notamment avec le service juridique qui a appris le 15/04/2019, l'existence d'une filiale aux US ouverte par vous-même et cela sans les avoir préalablement informés comme cela vous avait été demandé.

Votre argument consistait à dire que vous aviez toujours agi de la sorte et que d'autres sociétés ont été ouvertes sans que ce dernier en soit informé.

Nous ne pouvons nous satisfaire d'un tel argument incompatible avec votre niveau de responsabilité et votre statut de Cadre dont le rôle est aussi la coordination entre les services, surtout que vous connaissez l'importance de disposer de protection juridique et d'assurances pour couvrir nos activités dans un pays aussi procédurier que les USA !

Vous ne semblez visiblement pas prendre conscience de la gravité de ce qui vous est reproché et des conséquences financières que cela peut engendrer pour la société.

Vos explications n'atténuent en rien notre regard sur la gravité des faits reprochés qui constituent une faute grave et inacceptable à vos fonctions et obligations dans l'entreprise et qui rendent impossible votre maintien même temporaire dans l'entreprise ».

2. Sur le premier grief tenant au non respect des directives :

Le but de l'opération était de disposer d'un réseau de distribution des produits de la société Fonroche Lighting aux Etats-Unis.

L'employeur reproche au salarié d'avoir engagé l'entreprise dans le cadre de négociations sur une base différente et inférieure à celle dégagée par la direction et rappelée au cours de la réunion du 4 avril 2019, soit 750 000 dollars US pour acquérir 100 à 85%, idéalement 90%, du capital social de la société américaine. Il verse aux débats le courriel du 16 avril 2019. Il fait valoir que,dès son retour, le salarié a poursuivi les négociations en réitérant sa proposition faite au partenaire américain sur la base de 65% en lui écrivant : '... notre objectif est d'avoir au moins 65% des parts'.

Cependant, l'employeur ne produit aucun compte rendu de réunion. Il ne rapporte pas non plus la preuve de la décision de la direction de mener les négociations sur la base de 80 à 90 % du capital social et de l'information à M. [V] [I]. La seule attestation de M. [R] [Y] ne suffit pas à l'établir.

En conséquence, le grief n'est pas fondé.

3. Sur le second grief tenant au non respect de ses horaires de travail pendant son déplacement au Kenya

L'employeur soutient que sur les deux journées de travail, le salarié n'en a fait effectué qu'une seule et en a profité pour visiter un parc naturel.

Or, d'une part, l'employeur ne rapporte pas la preuve de cette visite.

D'autre part, il ne justifie pas de l'absence du salarié pendant ses heures de travail et ce dernier ne le reconnaît pas.

Enfin, il est mentionné à l'article 5 de son contrat de travail que la gestion de l'organisation de son temps de travail et de ses déplacements professionnels lui appartenaient.

En conséquence, le grief n'est pas fondé.

4. Sur le troisième grief tenant à ses absences injustifiées les 5 et 15 avril 2019

L'absence sans autorisation provoquée par un cas fortuit ne constitue pas une faute, du moins lorsque la durée du retard ou l'absence reste en rapport avec l'événement et lorsque l'employeur a été averti dès que possible.

L'employeur lui reproche deux absences injustifiées le 5 avril et le 15 avril 2019 alors que 'sa présence était indispensable pour l'avancée de dossiers stratégiques'.

Le salarié justifie avoir contacté dès que possible M. [S] le 5 avril à 10h20 pour l'aviser de son absence fortuite due à un sinistre survenu dans un bien qu'il venait d'acquérir. M. [I] a ainsi indiqué à son employeur le motif de son absence. En réponse, M. [S] n'a émis aucune observation, sans mentionner non plus que 'sa présence était indispensable' dans le cadre de dossiers délicats, dont il n'est pas rapporté la moindre preuve.

L'attestation de Mme [K] insinue des raisons sur les causes de son retard qui ne peuvent fonder raisonablement un grief pour faute grave et sans préciser la date des faits attestés. La cour déclare l'attestation non probante.

Le dimanche 14 avril, soit antérieurement à son absence reprochée du lundi15, le salarié justifie avoir demandé une journée de récupération à M.[S] et avoir averti la responsable des ressources humaines.

Il ressort de ces éléments que le grief n'est pas fondé.

5. Sur le quatrième grief tenant aux difficultés de communication et à la création d'une filiale aux Etats Unis sans en avertir préalablement le service juridique

Il ressort d'une part des échanges sur le groupe WhatsAppChat que M. [V] [I] partageait les informations avec les équipes et était félicité par son supérieur hiérarchique, le président M. [H].

D'autre part, il ressort du procés verbal d'entretien préalable et de son contrat de travail, qu'étant chargé du développement de la société à l'étranger, il avait déjà procédé d'une manière identique sans remarque de son employeur et que, s'agissant des faits reprochés, il avait tenu informé ses supérieurs tant M. [Z] et M. [S] par message parvenus le 15 avril de la création d'une filiale aux Etats Unis.

Ce grief est insuffisant et sera déclaré non fondé.

En conséquence de ces éléments, la cour infirme le jugement entrepris et déclare le licenciement de M. [V] [I] sans cause réelle et sérieuse.

II. SUR LES CONSEQUENCES DU LICENCIEMENT

A titre liminaire, aux termes de l'article 954 alinéa 3 du code de procédure civile, la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et n'examine les moyens au soutien de ces prétentions que s'il sont invoqués dans la discusiion.

La demande en rappel de salaire n'étant pas reprise dans le dispositif des conclusions de l'appelant, la cour se déclare non saisie.

1.Sur l'indemnité de préavis :

Aux termes de l'article L1234-1 du code du travail, lorsque le licenciement n'est pas motivé par une faute grave, le salarié a droit à un préavis dont le point de départ est fixé par la date de présentation de la lettre recommandée notifiant le licenciement.

L'indemnité de préavis calculée est conforme aux dispositions de l'article L1234-5 du code du travail dont les modalités ne sont pas utilement discutées par l'employeur.

Le jugement du conseil de prud'hommes du 21 mai 2021 sera infirmé en ce qu'il a débouté M. [V] [I] de ses demandes. La société Fonroche Lighting sera condamnée à lui payer la somme de 7 378,83 € au titre de l'indemnité compensatrice de préavis et celle de 737,88 € au titre des congés payés sur l'indemnité compensatrice de préavis.

2. Sur l'indemnité de licenciement

Aux termes de l'article L.1234-9 du code du travail, 'le salarié titulaire d'un contrat de travail à durée indéterminée licencié alors qu'il compte 8 mois ininterrompus au service du même employeur, a droit, sauf en cas de faute grave, à une indemnité de licenciement.

Les modalités de calcul 'de cette indemnité' sont fonction de la rémunération brute dont le salarié bénéficiait antérieurement à la rupture du contrat de travail. Ce taux et ces modalités sont déterminées par voie réglementaire'.

Le calcul de l'indemnité de licenciement est conforme aux pièces salariales du dossier et aux dispositions législatives sur ce point dont les modalités ne sont pas utilement discutées par l'employeur.

Le jugement du conseil de prud'hommes sera infirmé de ce chef. La société Fonroche Lighting sera condamnée à lui payer la somme de 2 459,60 € au titre de l'indemnité de licenciement.

3. Sur les dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

L'article L1235-3 du code du travail, dans sa version issue de l'ordonnance n°2017-1387 du 22 septembre 2017, applicable à l'espèce, prévoit que si le licenciement d'un salarié survient pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse, en cas de refus de la réintégration du salarié dans l'entreprise, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l'employeur, dont le montant est compris entre les montants minimaux et maximaux fixés par ledit article, en fonction de l'ancienneté du salarié dans l'entreprise et du nombre de salariés employés habituellement dans cette entreprise.

Par arrêts du 11 mai 2022, la chambre sociale de la Cour de cassation a jugé que le barème d'indemnisation du salarié licencié sans cause réelle et sérieuse n'était pas contraire à l'article 10 de la convention n°158 de l'Organisation internationale du travail, que le juge français ne peut écarter même au cas par cas, l'application du barême au regard de cette convention internationale et que la loi française ne peut faire l'objet d'un contrôle de conformité à l'article 24 de la charte sociale européenne, qui n'est pas d'effet direct.

A la date du licenciement, M. [I] percevait une rémunération mensuelle brute de 7 378,83, avait 33 ans et bénéficiait d'une ancienneté de 1 an et 4 mois au sein de l'établissement.

Compte tenu notamment de l'effectif de l'entreprise (supérieur à 11 salariés), des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération versée à M. [I], de son âge, de son ancienneté, de sa capacité à trouver un nouvel emploi eu égard à sa formation et à son expérience professionnelle et des conséquences du licenciement à son égard, tels qu'ils résultent des pièces et des explications fournies, il y a lieu de lui allouer, en application de l'article L 1235-3 du code du travail, une somme de 14 757,66 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Le jugement du conseil de prud'hommes sera infirmé de ce chef.

III. SUR LE PREJUDICE MORAL

En l'absence de toute démonstration d'une atteinte à l'honneur, à la considération ou aux sentiments d'affection de M. [I], la demande en préjudice moral sera rejetée.

IV. SUR LES DEMANDES ANNEXES

La société Fonroche Lighting, qui succombe, sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel.

Il apparaît équitable en l'espèce d'allouer à M. [V] [I] la somme de 3000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS :

La Cour après en avoir délibéré conformément à la loi, par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe et en dernier ressort,

SE DECLARE non saisie de la demande en rappel de salaire pendant la période de mise à pied conservatoire,

INFIRME le jugement du conseil de prud'hommes d'Agen du 21 mai 2021 en toutes ses dispositions,

Statuant de nouveau et y ajoutant,

DECLARE le licenciement de M. [V] [I] sans cause réelle et sérieuse,

CONDAMNE la société Fonroche Lighting à payer à M. [V] [I] les sommes de :

- 7 378,83 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis

- 737,88 euros au titre des congés payés sur l'indemnité compensatrice de préavis

- 2 459,60 euros au titre de l'indemnité de licenciement

- 14 757,66 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

DEBOUTE M. [V] [I] de sa demande en préjudice moral,

DEBOUTE la société Fonroche Lighting de sa demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

CONDAMNE la société Fonroche Lighting aux entiers dépens de première instance et d'appel

CONDAMNE la société Fonroche Lighting à payer à M. [V] [I] la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Le présent arrêt a été signé par Pascale FOUQUET, Conseillère, et Charlotte ROSA, adjointe administrative faisant fonction de greffière.

LE GREFFIER LE CONSEILLER


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Agen
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 21/00671
Date de la décision : 13/12/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-12-13;21.00671 ?
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