La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

13/12/2022 | FRANCE | N°21/00621

France | France, Cour d'appel d'Agen, Chambre sociale, 13 décembre 2022, 21/00621


ARRÊT DU

13 DECEMBRE 2022



PF/CR



-----------------------

N° RG 21/00621

N° Portalis DBVO-V-B7F-C4Y5

-----------------------





[T] [Y]





C/





S.A.R.L. KEOLIS PYRENEES





-----------------------











Grosse délivrée

le :



à

ARRÊT n° /2022







COUR D'APPEL D'AGEN

Chambre Sociale







Prononcé par mise à disposition au

greffe de la cour d'appel d'Agen conformément au second alinéa des articles 450 et 453 du code de procédure civile le treize Décembre deux mille vingt deux par Nelly EMIN, conseillère faisant fonction de présidente de chambre assistée de Charlotte ROSA, adjointe administrative faisant fonct...

ARRÊT DU

13 DECEMBRE 2022

PF/CR

-----------------------

N° RG 21/00621

N° Portalis DBVO-V-B7F-C4Y5

-----------------------

[T] [Y]

C/

S.A.R.L. KEOLIS PYRENEES

-----------------------

Grosse délivrée

le :

à

ARRÊT n° /2022

COUR D'APPEL D'AGEN

Chambre Sociale

Prononcé par mise à disposition au greffe de la cour d'appel d'Agen conformément au second alinéa des articles 450 et 453 du code de procédure civile le treize Décembre deux mille vingt deux par Nelly EMIN, conseillère faisant fonction de présidente de chambre assistée de Charlotte ROSA, adjointe administrative faisant fonction de greffière,

La COUR d'APPEL D'AGEN, CHAMBRE SOCIALE, dans l'affaire

ENTRE :

[T] [G]

né le 26 Novembre 1957 à [Localité 6] (06)

[Adresse 1]

[Localité 2]

Représenté par Me Nadège BEAUVAIS, avocate au barreau du GERS

(bénéficie d'une aide juridictionnelle Partielle numéro 2021/002720 du 02/09/2021 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de AGEN)

APPELANT d'un jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire d'AUCH en date du 05 Mai 2021 dans une affaire enregistrée au rôle sous le n° R.G. F 19/00043

d'une part,

ET :

S.A.R.L. KEOLIS PYRENEES

RCS de Tarbes n°722 780 517

[Adresse 7]

[Adresse 7]

[Localité 5]

Représentée par Me Laurianne BAL DIT SOLLIER, avocate au barreau de BORDEAUX

INTIMEE

d'autre part,

A rendu l'arrêt réputé contradictoire suivant après que la cause a été débattue et plaidée en audience publique le 11 Octobre 2022 sans opposition des parties devant Pascale FOUQUET, conseiller rapporteur, assisté de Chloé ORRIERE, greffière. Le magistrat rapporteur en a, dans son délibéré, rendu compte à la Cour composée, outre lui-même, de Jean-Yves SEGONNES, Conseiller et de Benjamin FAURE, Conseiller, en application des dispositions des articles 945-1 et 805 du code de procédure civile et il en a été délibéré par les magistrats ci-dessus nommés, les parties ayant été avisées de la date à laquelle l'arrêt serait rendu.

* *

*

FAITS ET PROCEDURE

M. [T] [Y] a été engagé par la société KEOLIS PYRÉNÉES qui exerce son activité à [Localité 5] (65), en qualité de conducteur receveur à compter du 28 août 2014, selon contrat de travail à durée indéterminée.

Il a été classé lors de l'embauche " catégorie ouvrier groupe 9 coefficient 140V ".

La convention collective applicable est celle du transport routier de voyageurs et des activités auxiliaires.

Il a fait l'objet d'un avertissement le 5 janvier 2015.

Il a été convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé le 18 juillet 2018 reporté au 1er août 2018.

Le 21 août 2018, la société KEOLIS PYRENEES lui a notifié une mise à pied disciplinaire de deux jours.

Le 24 août 2018, le salarié a été placé en arrêt de travail d'une semaine prolongé jusqu'au 9 septembre puis jusqu'au 24 septembre 2018.

Le salarié a été convoqué à un entretien préalable le 10 septembre 2018. Il lui a été notifié sa mise à pied conservatoire.

L'entretien a été reporté au 18 septembre 2018, date à laquelle il ne s'est pas présenté.

Par courrier du 24 septembre 2018, M.[Y] a été licencié pour faute grave.

Le 28 mai 2019, le salarié a saisi le conseil de prud'hommes d'Auch afin de contester son licenciement.

Par jugement du 5 mai 2021, le conseil de prud'hommes d'Auch, section commerce,l'a débouté de l'ensemble de ses demandes, a débouté le défendeur de sa demande reconventionnelle et l'a condamné aux dépens.

Par déclaration enregistrée au greffe de la cour le 14 juin 2021, M. [T] [Y] a interjeté appel de cette décision en désignant la société KEOLIS PYRENEES [Localité 3] en qualité de partie intimée, en vue d'obtenir l'annulation du jugement et en visant les chefs de jugement critiqués qu'il cite dans sa déclaration d'appel.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 1er septembre 2022 et l'affaire fixée pour plaider à l'audience du 11 octobre 2022.

MOYENS ET PRETENTIONS DES PARTIES

I. Moyens et prétentions de M. [T] [Y], appelant principal et intimé sur appel incident

Dans ses dernières conclusions, reçues au greffe le 8 février 2022, expressément visées pour plus ample exposé des moyens et prétentions de l'appelant, M. [T] [Y] demande à la cour de :

- le déclarer recevable et fondé son appel'

- annuler le jugement du conseil de prud'hommes en date du 5 mai 2021,

Statuant à nouveau :

- dire et juger que son licenciement ne repose pas sur une faute grave,

- constater que son licenciement ne repose sur aucune cause réelle et sérieuse,

- constater qu'il a été victime de harcèlement moral,

En conséquence :

- condamner la société KEOLIS PYRÉNÉES [Localité 3] à lui verser les sommes de :

* 4 096,30 euros brut au titre de l'indemnité de préavis,

* 406,93 euros brut au titre de l'indemnité de congés payés sur préavis,

* 1 651 euros net au titre de l'indemnité de licenciement,

* 48 831,60 euros au titre de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

* 10 000 euros net à titre de dommages et intérêts sur le fondement des dispositions de l'article 1240 du code civil

- condamner la société KEOLIS PYRÉNÉES [Localité 3] au paiement d'une somme de 2 500 euros au titre de l'indemnité fondée sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la société KEOLIS PYRÉNÉES [Localité 3] aux entiers dépens qui seront recouvrés comme en matière d'aide juridictionnelle.

Au soutien de ses prétentions, il fait valoir que :

- aucun grief n'est justifié et il n'a commis aucune faute,

- le 24 août, il ne s'est pas réveillé pour prendre son service à 5h55 car il prenait des anxiolytiques,

- il n'était pas en état de conduire et a prévenu son employeur,

- il a justifié de son absence dans la matinée même s'il l'a fait tardivement,

- il a conduit sur sa route de ligne à 13h car il se rendait chez son médecin et se trouvait en état de conduire car les effets des médicaments s'étaient dissipés,

- il a rencontré des usagers qu'il connaissait et qui marchaient sur le bas côté en raison du retard du bus. Il leur a proposé de les convoyer mais comme le bus est arrivé, il les a ramenés à la station où il a discuté avec sa remplaçante, Mme [L] et un collègue, M. [N] dont il produit l'attestation, - les deux usagers qu'il a transportés ont réglé régulièrement leur titre de transport à KEOLIS selon attestation de Mme [L],

- les faits datant de 2015 sont prescrits,

- l'employeur ne rapporte pas la preuve d'une prétendue désinvolture,

- ses demandes en paiement des heures supplémentaires, le respect des temps de travail et temps de repos ont provoqué des difficultés relationnelles avec son employeur,

- il n'a jamais pu obtenir la communication de ses disques de conduite malgré deux sommations de communiquer à son employeur afin d'apporter la preuve des heures supplémentaires qu'il a effectuées,

- cette rétention d'information l'empêche de démontrer que leur amplitude excessive a contribué à la dégradation de son état de santé et de ses conditions de travail ainsi que de chiffrer une demande à ce titre. Les procès-verbaux de réunion des 5 juillet 2018 et du 20 septembre 2018 qu'il produit le démontre.

- la dégradation de ses conditions de travail est aussi due à l'accident de la circulation le 10 juillet 2018 : M. [F], son responsable, ne s'est préoccupé ni de son état de santé ni du sort d'éventuels passagers ni de l'état du bus,

- le jour de l'accident, il a appliqué son droit de retrait,

- il a été victime de harcèlement moral,

- M. [F] a annoncé à un nouvel employé qu'il allait être licencié,

- M. [F] ne parlait à personne et distribuait ses ordres par textos ou courriels,

- de nombreux salariés ont quitté l'entreprise, volontairement ou non, en raison de son comportement,

- l'employeur n'a pas répondu à son courrier du 20 juillet 2018 à l'encontre de M. [F] faisant état d' exactions " pour harcèlement moral, insultes et " tentative de pouvoir concernant les règles élémentaires de sécurité " hormis la lettre de convocation à entretien préalable,

- les horaires du personnel ont été bouleversés.

II. Moyens et prétentions de la société KEOLIS PYRÉNÉES intimée sur appel principal et appelante sur incident

Dans ses dernières conclusions reçues au greffe le 23 juin 2022, auxquelles il est renvoyé pour une parfaite connaissance des moyens et prétentions, la SARL KEOLIS PYRÉNÉES demande à la cour de :

- confirmer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes d'Auch le 5 mai 2021 en ce qu'il a débouté Monsieur [Y] de l'ensemble de ses demandes,

- infirmer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes d'Auch le 5 mai 2021 en ce qu'il a débouté la société KEOLIS PYRENEES de ses demandes visant à voir condamner Monsieur [Y] à lui verser les sommes de 5.000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Et statuant à nouveau :

- débouter Monsieur [Y] de l'ensemble de ses demandes ;

- condamner Monsieur [Y] à lui verser la somme de 5.000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive,

- condamner Monsieur [Y] à lui verser pour la première instance la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

-condamner Monsieur [Y] à lui verser pour la procédure d'appel la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

-condamner Monsieur [Y] aux entiers dépens.

Au soutien de ses prétentions, la société KEOLIS PYRENEES fait valoir que :

- le salarié ne rapporte aucune preuve à l'appui de ses allégations tenant à la dégradation de ses conditions de travail en lien avec des heures supplémentaires,

- la seule pièce qu'il verse est postérieure à son licenciement et concerne le règlement de frais de déplacement. Sa demande vise à suppléer sa carence dans l'administration de la preuve,

- le décompte des horaires qu'il verse aux débats ne fait apparaître aucune heure supplémentaire,

- le compte-rendu de la réunion des délégués du personnel qu'il produit traduit seulement un malaise ce qui est insuffisant à caractériser les faits allégués,

- il existait des difficultés passagères liées à un manque de personnel pour lesquelles des mesures ont été prises et qui n'ont pas concerné le salarié à titre personnel,

- la production des disques de conduite est inutile et vise à pallier l'absence de preuve d'heures supplémentaires pour lesquelles il n'a jamais formulé de demandes pendant la relation contractuelle,

- il n'a alerté ni le médecin du travail, ni l'inspection du travail, ni les représentants du personnel, durant son contrat,

- elle n'a pas déclaré d'accident du travail en l'absence de lésion et d'arrêt de travail du salarié. D'ailleurs, celui-ci ne reproche plus, dans ses dernières écritures, l'absence de déclaration de l'accident du travail du 10 juillet 2018,

- elle conteste avoir exigé du salarié qu'il rentre immédiatement au dépôt au mépris de son mal être,

- le véhicule accidenté a été ramené au dépôt par un autre salarié,

- le salarié a établi lui-même une déclaration d'accident du travail du 24 août 2018 antidatée du 14 juillet, reçue à la caisse primaire d'assurance maladie le 27 août, indiquant une date d'accident erronée du 12 juillet,

- or, le 12 juillet, le salarié était en congé,

- c'est seulement dans la déclaration d'accident du travail établie le 24 août 2018 que celui-ci a fait état pour la première fois d'un " état de choc psychologique ", qui n'est corroboré par aucune pièce médicale,

- le salarié n'a jamais formulé de demandes concernant son temps de travail dont l'amplitude aurait participé à son état de santé dégradé,

- il ne verse non plus aucun élément de preuve relatif à un harcèlement moral de la part de M. [F],

- la lettre de convocation à l'entretien préalable lui a été adressée le 18 juillet soit deux jours avant son courrier de " dénonciations " du 20 juillet,

- contrairement à ce qu'il affirme, la convocation ne lui a donc pas été délivrée en réponse à son courrier,

- à la suite de sa lettre du 20 juillet, le directeur, M. [S],lui a proposé un entretien au sujet des accusations qu'il portait contre M. [F],

- une enquête interne a été ouverte à laquelle il a été associé et au cours de laquelle, contrairement à ce qu'il prétend, il a été entendu et a été assisté le 3 août par M. [J], représentant du personnel, dont l'attestation est produite,

- au cours de cette réunion, il a déclaré souhaiter une rupture conventionnelle ce qui lui a été refusée,

- il n'établit aucun harcèlement moral, aucune injure ni " tentatives d'abus de pouvoir " et il ne rapporte aucun élément susceptible de corroborer la lettre du 20 juillet rédigée par ses soins,

- les conclusions de l'enquête ont été évoquées lors de la réunion des délégués du personnel du 20 septembre. L'employeur n'est pas tenu d'organiser de confrontation et le salarié avait toute latitude pour prendre connaissance de ses conclusions,

- le salarié ne démontre aucun lien de causalité entre son arrêt de travail du 24 août et la dégradation des conditions de travail invoquées,

- il verse aux débats des pièces médicales (arrêt de travail pour maladie du 24 août 2018 et certificats médicaux pour accident du travail et maladie professionnelle de prolongation pour syndrome dépressif réactionnel débutant le 1er septembre) qui sont seulement en lien avec la procédure disciplinaire,

- la mention d'un " syndrome dépressif réactionnel " ne démontre aucun lien entre ses conditions de travail et sa maladie. De plus, le médecin n' a pas qualité pour se prononcer sur les conditions de travail et sur la seule base des informations données par son patient,

- son licenciement est intervenu alors qu'il avait fait l'objet de plusieurs sanctions : un avertissement le 5 janvier 2015, ce qui colore le contexte bien que les faits soient prescrits, un rappel à l'ordre le 16 décembre 2015 pour un " ramassage sauvage " et une mise à pied disciplinaire le 21 août 2018 qu'il n'a pas contestée

- il a contrevenu aux procédures internes de la société :

* il n'a pas prévenu immédiatement son employeur comme l'impose le règlement intérieur mais à 9h09 alors qu'il devait prendre son service à 05h55

* cette défaillance a désorganisé le service

il produit une ordonnance prescrivant des anxiolytiques postérieure aux faits

* alors qu'il avait averti son employeur de son absence, il a pris en charge avec son véhicule personnel deux usagers de sa ligne et a effectué un transport collectif qui ont attesté,

- la mise à pied disciplinaire du 21 août 2018 était justifiée par la dégradation de son comportement de défiance et de désinvolture et un manque de respect à l'égard de M. [F] alors qu'il avait déjà par le passé été averti deux fois pour des faits similaires concernant deux chefs d'équipe,

- M. [F] atteste du comportement irrespectueux voire provocateur du salarié, ne répondant plus à ses appels et ne suivant plus les consignes,

- M. [J], représentant du personnel, a également attesté et a soulevé un problème inter-générationnel existant entre le salarié et son chef d'équipe plus jeune que lui,

- le courrier du salarié du 21 août adressé à son employeur illustre son comportement par les propos déplacés et désobligeants utilisés tant vis à vis de son employeur que de M. [F],

- M. [Y] sollicite 24 mois de salaire à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, alors qu'il bénéficie d'une ancienneté de seulement 4 ans. Le barème Macron fixe une indemnité maximale de 5 mois de salaire, soit 10 173,25€, sans qu'il soit justifié de l'écarter. Aucune pièce n'est versée pour justifier un quelconque préjudice.

MOTIVATION

I.Sur la rupture du contrat de travail

1.Sur le licenciement

Par courrier du 24 septembre 2018, M. [Y] a été licencié pour faute grave.

Il résulte des dispositions des articles L.1232-1 et L.1235-1 du Code du Travail, que tout licenciement pour motif personnel doit être justifié par une cause réelle et sérieuse ,et qu'en cas de litige relatif au licenciement,le juge auquel il appartient d'apprécier la régularité de la procédure et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties et au besoin après toutes mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si un doute subsiste, il profite au salarié.

Ainsi l'administration de la preuve en ce qui concerne le caractère réel et sérieux des motifs du licenciement n'incombe pas spécialement à l'une ou l'autre des parties , l'employeur devant toutefois fonder le licenciement sur des faits précis et matériellement vérifiables .

Toutefois, s'il invoque une faute grave pour justifier le licenciement, l'employeur doit en rapporter la preuve conformément aux dispositions aux dispositions des articles 1353 du code civil et 9 du code de procédure civile, étant rappelé que la faute grave, privative de préavis et d'indemnité de licenciement, est celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constituent une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise ,même pour la durée limitée du délai-congé .

En l'espèce, la lettre du 24 septembre 2018, précisant les motifs de licenciement, qui fixe les limites du litige en application des dispositions de l'article L. 1235-2, alinéa 2, du code du travail, est libellée dans les termes suivants :

" Le 31 août 2018, nous vous avons convoqué par lettre recommandée avec accusé de réception à un entretien préalable le lundi 10 septembre 2018 à 14h00, dans nos locaux, situés à [Localité 5].

Le 08 septembre 2018, vous nous avez demandé un report de l'entretien, ce que nous avons accepté par courrier du 13 septembre 2018 en vous convoquant de nouveau pour un entretien le 18 septembre 2018. Dans ce courrier, nous avions à la fois pris la précaution de prévoir l'entretien sur notre centre de [Localité 3], à 17h15, tant pour respecter vos horaires de sorties que pour vous éviter un déplacement plus long. Par ailleurs, nous vous confirmions qu'en cas d'empêchement, vous pouviez vous faire représenter par un salarié de l'entreprise.

Malgré ces aménagements démontrant notre volonté de vous entendre, vous nous avez expédié un mail le 16 septembre pour nous indiquer que vous ne vous rendriez pas à cette nouvelle convocation.

Les faits qui nous ont amené à vous convoquer à un entretien préalable à sanction pouvant aller jusqu'au licenciement sont les suivants :

Le 24 août 2018 à 09h09, bien après votre prise de service qui aurait dû avoir lieu à 05h55, vous avez envoyé un SMS à votre Responsable, Monsieur [M] [F], pour l'informer que vous étiez en incapacité de conduire et que vous ne pouviez pas prendre votre service pour raison médicale. Pourtant, ce même jour vers 13h00, au départ de la tournée à [Localité 4], la conductrice qui vous remplaçait sur votre service nous a informé qu'elle vous avait vu faire demi-tour à bord de votre véhicule personnel pour déposer des clients de cette ligne au car.

Cela a de nombreuses conséquences :

La première course du 24 août 2018 à 05h55 n'a pas été réalisée et le manque de prévenance de notre part nous a mis dans l'impossibilité de prendre rapidement les mesures palliatives.

Les clients n'ont donc pu être prévenus, ni même l'autorité organisatrice des transports. Au-delà de l'impact commercial, cela nous expose à des pénalités financières et d'éventuels dédommagements financiers.

Contrairement, à ce que vous avez écrit le 24 août 2018 à 09h09 par SMS, alors que nous déployons tardivement des moyens pour réaliser la continuité des services qui vous avaient été confiés, vous avez réalisé par vos propres moyens un ramassage que l'on peut qualifier de " sauvage ", sans prévenir l'entreprise et qui plus est avec votre voiture personnelle. Cela contrevient à plusieurs règles élémentaires : Alors que nous sommes en délégation de service public pour réaliser du transport collectif, vous placez l'entreprise en situation de réaliser ce transport collectif avec une voiture individuelle ne lui appartenant pas, n'offrant ni les conditions de confort, ni les conditions de sécurité, encore moins les garanties en cas d'accidents. Par ailleurs, les clients voyagent sans s'être acquittés de titre de transport.

Malheureusement, nous avions eu à déplorer déjà par le passé une situation similaire dont vous vous étiez rendu responsable et nous vous avions alors rappelé cette interdiction le 16 décembre 2015, élément rappelé récemment encore, lors d'un entretien le 1er août 2018. A l'évidence, et comme je vous l'ai exposé par courrier du 21 août 2018, vous faites fi de toute consigne. Au contraire même, vos attitudes laissent clairement entrevoir une défiance de l'autorité, des consignes, y compris de sécurité, laissant penser une réelle volonté de nuire à l'entreprise. Cette attitude est totalement inadmissible tant par les faits, ses conséquences réelles et potentielles.

La gravité de ces faits, votre désinvolture manifeste à l'égard de l'entreprise et de ses représentants ne peut que nous conduire à rompre immédiatement votre contrat de travail. Malgré une intention évidente de nuire, nous nous bornerons à vous notifier par la présente votre licenciement pour faute grave.

Une indemnité de congés payés vous sera versée ainsi que les sommes que nous restons vous devoir, et remis votre certificat de travail.

Enfin, nous vous précisons que conformément à l'article 14 de l'accord national interprofessionnel du 11 janvier 2008 à son avenant n°3 du 18 mai 2009, et le dernier accord en la matière, vous conserverez le bénéfice des couvertures frais de santé et de la prévoyance appliquée au sein de la société pendant votre période de chômage et pour une durée égale à la durée de votre contrat de travail, appréciés en mois entiers, dans la limite de 12 mois pour la prévoyance et 12 mois pour la couverture santé.

Afin de pouvoir bénéficier de ce dispositif, vous voudrez bien prendre connaissance des documents annexés à la présente exposant les conditions à respecter par vos soins pour la mise en 'uvre de ce maintien de garanties. L'avis d'option est à nous retourner impérativement dans les 10 jours suivant la fin de votre contrat de travail.

Nous vous contacterons afin que vous puissiez retirer le reçu pour solde de tout compte, l'attestation pôle emploi, et le certificat de travail sur le site Keolis Pyrénées à [Localité 5]. A cette occasion, veuillez ramener le matériel de l'entreprise confié que vous auriez gardé en votre possession à savoir les cartes, les clefs, les badges, la caisse et le fond de caisse.

Vous pouvez faire une demande de précision des motifs du licenciement énoncés dans la présente lettre, dans les quinze jours suivant sa notification par lettre recommandée avec avis de réception ou remise contre récépissé. Nous avons la faculté d'y donner suite dans un délai de quinze jours après réception de votre demande, par lettre recommandée avis avis de réception ou remise contre récépissé. Nous pouvons également, le cas échéant et dans les mêmes formes, prendre l'initiative d'apporter des précisions à ces motifs dans un délai de quinze jours suivant la notification du licenciement.

Nous restons à votre disposition pour vous délivrer toute attestation qui pourrait vous être demandée par l'administration. "

Il ressort de la lettre de licenciement deux griefs à savoir : l'information tardive de son absence à son employeur à 9h09 alors que sa prise de service était prévue à 05h55 et avoir pris en charge dans son véhicule personnel deux usagers de sa ligne habituelle aux alentours de 13h.

Au soutien du premier grief, l'employeur produit le règlement intérieur.

L'absence sans autorisation provoquée par un cas fortuit ne constitue pas une faute, du moins lorsque la durée du retard ou l'absence reste en rapport avec l'événement et lorsque l'employeur a été averti dès que possible.

La cour constate qu'il s'agit d'un fait isolé, que l'employeur n'a été signalé aucun antécédent antérieur de cette nature et que la procédure de licenciement fait suite à une demande de rupture conventionnelle qui avait été refusée par l'employeur. La cour considère qu'il s'agit d'un cas fortuit et que le salarié a avisé son employeur dès qu'il a été en mesure d'y procéder.

En conséquence, le grief n'est pas fondé.

S'agissant du second grief, l'employeur se fonde sur la reconnaissance par le salarié lui-même de la prise en charge à bord de son véhicule personnel de deux usagers de sa ligne de bus habituelle et sur les attestations de Mme [L] et de M. [N]. Le salarié se rapporte, quant à lui, à l'attestation de Mme [L] pour démontrer sa bonne foi et l'absence de tout bénéfice.

La cour constate qu'il ne ressort des pièces, et notamment des attestations, aucune volonté manifeste du salarié de causer du tort à l'entreprise. Comme en atteste Mme [L], sa remplaçante, son geste est à interpréter comme un " service rendu ". Il ressort des attestations des deux passagers pris en charge, qui étaient en retard de son fait, qu'il les a ramenés à la station en voyant le bus arriver. Il est également établi qu'il s'est chargé lui même de l'édition de leur titre de transport aux côtés de sa remplaçante.

La cour juge que le grief n'est pas fondé.

Déclarant au préalable qu'aucun élément ne justifie d'annuler le jugement entrepris, la cour infirme le jugement du 5 mai 2021 et déclare le licenciement sans cause réelle et sérieuse.

2.Sur les conséquences du licenciement

A l'examen des bulletins de salaire des trois derniers mois précédant la rupture, il apparaît que le salaire de référence de M. [Y] s'élève effectivement à 1 613,71€ brut comme l'indique l'employeur.

1.Sur l'indemnité de préavis :

Aux termes de l'article L1234-1 du code du travail, lorsque le licenciement n'est pas motivé par une faute grave, le salarié a droit à un préavis dont le point de départ est fixé par la date de présentation de la lettre recommandée notifiant le licenciement.

L'indemnité de préavis calculée est conforme aux dispositions de l'article L1234-5 du code du travail dont les modalités ne sont pas utilement discutées par l'employeur.

Le jugement du conseil de prud'hommes sera infirmé en ce qu'il a débouté M. [Y] de ses demandes. La société KEOLIS PYRENEES [Localité 3] sera condamnée à lui payer la somme de 4096,30 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis et celle de 409,63 euros au titre des congés payés sur l'indemnité compensatrice de préavis.

2. Sur l'indemnité de licenciement :

Aux termes de l'article L.1234-9 du code du travail, "le salarié titulaire d'un contrat de travail à durée indéterminée licencié alors qu'il compte 8 mois ininterrompus au service du même employeur, a droit, sauf en cas de faute grave, à une indemnité de licenciement.

Les modalités de calcul "de cette indemnité" sont fonction de la rémunération brute dont le salarié bénéficiait antérieurement à la rupture du contrat de travail. Ce taux et ces modalités sont déterminées par voie réglementaire".

Contrairement à ce que sollicite le salarié, le montant fixé au titre de l'indemnité de licenciement s'entend en brut et non en net puisque le salaire de référence est le salaire mensuel brut.

Le jugement du conseil de prud'hommes sera infirmé de ce chef. La société KEOLIS PYRENEES [Localité 3] sera condamnée à lui payer la somme de 1651 euros au titre de l'indemnité de licenciement.

3. Sur les dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse :

L'article L1235-3 du code du travail, dans sa version issue de l'ordonnance n°2017-1387 du 22 septembre 2017, applicable à l'espèce, prévoit que si le licenciement d'un salarié survient pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse, en cas de refus de la réintégra-tion du salarié dans l'entreprise, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l'employeur, dont le montant est compris entre les montants minimaux et maximaux fixés par ledit article, en fonction de l'ancienneté du salarié dans l'entreprise et du nombre de salariés employés habituellement dans cette entreprise.

Par arrêts du 11 mai 2022, la chambre sociale de la Cour de cassation a jugé que le ba-rème d'indemnisation du salarié licencié sans cause réelle et sérieuse n'était pas con-traire à l'article 10 de la convention n°158 de l'Organisation internationale du travail, que le juge français ne peut écarter même au cas par cas, l'application du barême au regard de cette convention internationale et que la loi française ne peut faire l'objet d'un contrôle de conformité à l'article 24 de la charte sociale européenne, qui n'est pas d'effet direct.

En conséquence,en application de l'article L1235-3 du code du travail, compte tenu de l'effectif de l'entreprise, supérieur à 11 salariés et de son ancienneté (4 ans et un mois) à la date de la rupture de la relation de travail et de son salaire de référence de 1 613,71 euros brut pour une durée de travail de 35 heures hebdomadaire, il y a lieu d'allouer à M. [Y], en application de l'article L1235-3 du code du travail, une somme de 8 068,55 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

Le jugement entrepris sera infirmé de ce chef.

Il convient dés lors de fixer les sommes suivantes à son profit :

- 4096,30 euros brut au titre de l'indemnité compensatrice de préavis

- 409,63 euros brut pour les congés payés afférents

- 1651 euros au titre de l'indemnité légale de licenciement

- 8 068,55 euros à titre de dommages et intérêt pour licenciement abusif

Il sera ordonné à la société KEOLIS PYRENEES [Localité 3] de remettre à M. [Y] les documents de fin de contrat rectifiés, conformes au présent arrêt.

II. Sur le harcèlement moral

Aux termes de l'article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Dès lors que sont caractérisés ces agissements répétés, fussent sur une brève période, le harcèlement moral est constitué indépendamment de l'intention de son auteur.

Peuvent caractériser un harcèlement moral les méthodes de gestion mises en 'uvre par un supérieur hiérarchique dès lors qu'elles se manifestent pour un salarié déterminé par des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

La cour confirme le rejet de la demande formée à ce titre en ajoutant que le procès-verbal de réunion des représentants du personnel du 20 septembre 2018 fait état d'un problème relationnel entre les deux salariés, que M. [T] [Y] n'apporte aucun élément corroborant ses allégations, que la réitération de propos imputés à M. [F] n'est pas rapportée et qu'aucune attestation n'est produite en ce sens.

Sur la demande en dommages et intérêts du salarié sur 1240 du code civil

Cette demande reposant sur de simples allégations qui ne sont corroborées par aucune pièce, la cour confirme le rejet de la demande.

Sur la demande en procédure abusive de la société KEOLIS

La société KEOLIS PYRENEES [Localité 3] ne rapporte pas la preuve de ce que M. [T] [Y] aurait fait un usage abusif de son droit d'agir en justice et d'exercer un recours ou aurait commis une faute dans la conduite des procédures de première instance et d'appel.

La cour confirme le jugement entrepris de ce chef.

Sur les demandes annexes

La société KEOLIS PYRENEES [Localité 3], qui succombe, sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel

L'équité commande de laisser à chaque partie la charge des frais non répétibles par elle exposés. La cour confirme le jugement entrepris de ce chef.

PAR CES MOTIFS

La Cour après en avoir délibéré conformément à la loi, par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe et en dernier ressort,

DIT n'y avoir lieu à annulation du jugement du 5 mai 2021,

INFIRME le jugement du 5 mai 2021 en ce qu'il a débouté M. [T] [Y] de l'ensemble de ses demandes et l'a condamné aux dépens,

CONFIRME le jugement du 5 mai 2021 en ce qu'il a débouté la société KEOLIS PYRENEES [Localité 3] de sa demande reconventionnelle et a débouté les parties de leurs demandes au titre des frais irrépétibles de procédure.

Statuant de nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,

DECLARE le licenciement de M. [T] [Y] sans cause réelle et sérieuse,

CONDAMNE la société KEOLIS PYRENEES [Localité 3] à payer à M. [T] [Y] les sommes de :

- 4096,30 euros au titre de l' indemnité compensatrice de préavis

- 409,63 euros au titre des congés payés afférents

- 1651 euros au titre de l'indemnité légale de licenciemenent

- 8 068,55 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement abusif

ORDONNE à la société KEOLIS PYRENEES [Localité 3] la remise d'un bulletin de salaire et d'une attestation Pôle emploi rectifiés conforme au présent arrêt,

DIT n'y avoir lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais exposés en cause d'appel,

CONDAMNE la société KEOLIS PYRENEES [Localité 3] aux dépens de première instance et d'appel.

Le présent arrêt a été signé par Nelly EMIN, conseillère faisant fonction de présidente de chambre et Charlotte ROSA, adjointe administrative faisant fonction de greffière.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Agen
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 21/00621
Date de la décision : 13/12/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-12-13;21.00621 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award