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14/11/2022 | FRANCE | N°21/01079

France | France, Cour d'appel d'Agen, Chambre civile, 14 novembre 2022, 21/01079


ARRÊT DU

14 Novembre 2022





CG/CR





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N° RG 21/01079

N° Portalis

DBVO-V-B7F-C6OX

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LE PROCUREUR GENERAL



C/



[R] [V]

[M] [W]

CHAMBRE

INTERDEPARTEMENTALEDES NOTAIRES DU [Localité 5], [Localité 7] ET [Localité 8]





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GROSSES le

à









ARRÊT nÂ

° 426-2022









COUR D'APPEL D'AGEN



Chambre Civile







LA COUR D'APPEL D'AGEN, 1ère chambre dans l'affaire,





ENTRE :



LE PROCUREUR GENERAL

Cour d'Appel d'Agen

[Adresse 10]

[Adresse 10]



comparant en la personne de Monsieur Derens avocat général



APPELANT d'un Jugement du ...

ARRÊT DU

14 Novembre 2022

CG/CR

---------------------

N° RG 21/01079

N° Portalis

DBVO-V-B7F-C6OX

---------------------

LE PROCUREUR GENERAL

C/

[R] [V]

[M] [W]

CHAMBRE

INTERDEPARTEMENTALEDES NOTAIRES DU [Localité 5], [Localité 7] ET [Localité 8]

------------------

GROSSES le

à

ARRÊT n° 426-2022

COUR D'APPEL D'AGEN

Chambre Civile

LA COUR D'APPEL D'AGEN, 1ère chambre dans l'affaire,

ENTRE :

LE PROCUREUR GENERAL

Cour d'Appel d'Agen

[Adresse 10]

[Adresse 10]

comparant en la personne de Monsieur Derens avocat général

APPELANT d'un Jugement du tribunal judiciaire d'AUCH en date du 17 Novembre 2021, RG 21/0368

D'une part,

ET :

Monsieur [R] [V]

né le [Date naissance 1] 1970 à [Localité 9]

de nationalité Française, Notaire

[Adresse 2]

[Adresse 2]

Comparant

Assisté par Me Michel MONTAZEAU et Me Robin TESSEYRE, avocats inscrits au barreau de TOULOUSE

CHAMBRE INTERDEPARTEMENTALE

DES NOTAIRES DU [Localité 5], [Localité 7] ET [Localité 8]

représentée par son Président Maître [M] [W]

[Adresse 3]

[Adresse 3]

Assistée par Me Rémy CERESIANI et Me Jean-Michel REY, avocats inscrits aux barreaux d'AGEN et du TARN ET GARONNE

INTIMÉE

En présence de

Maître [M] [W]

en qualité de président de la chambre interdépartementale

des Notaires du [Localité 7], [Localité 8] et [Localité 5] en sa formation disciplinaire

[Adresse 3]

[Adresse 3]

D'autre part,

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue et plaidée en chambre du conseil le 12 Septembre 2022 devant la cour composée de :

Présidente : Claude GATÉ, Présidente de Chambre, qui a fait un rapport oral à l'audience

Assesseurs : Dominique BENON, Conseiller

Cyril VIDALIE, Conseiller

Greffières : Lors des débats : Charlotte ROSA, adjointe administrative faisant fonction de greffière

Lors de la mise à disposition : Nathalie CAILHETON, greffière

ARRÊT : prononcé publiquement, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 452 du code de procédure civile

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FAITS ET PROCEDURE

L'étude de maître [R] [V], notaire à [Localité 6], a fait l'objet d'une inspection annuelle le 16 octobre 2020.

Les inspecteurs ont relevé dans leur rapport des irrégularités sur le plan comptable notamment.

Autorisé par ordonnance du 15 mars 2021 du président du tribunal judiciaire d'Auch, le procureur de la République près ledit tribunal a fait assigner à jour fixe maître [R] [V] par acte du 19 mars 2021 aux visas des articles 2 et suivants de l'ordonnance 45-1418 du 28 juin 1945, des articles 13 et suivants du décret 73-1302 du 28 décembre 1973, du règlement national approuvé par arrêté du Garde des sceaux, aux fins de :

- constater que maître [R] [V] a commis à [Localité 6] le 10 septembre 2020 les manquements aux règles professionnelles suivants : d'avoir employé, même temporairement, les sommes ou valeurs dont ils sont constitués détenteurs, à un titre quelconque, à un usage auquel elles ne seraient pas destinées, et notamment de les placer en son nom personnel, manquement prévu par l'article 14 du décret 45-117 du 19 décembre 1945 pris pour l'application du statut du notariat,

en conséquence,

- venir entendre statuer ce que de droit sur la sanction par lui encourue, sur réquisition duprocureur de la République et le président de la Chambre régionale de discipline entendu en ses observations,

- le condamner aux entiers dépens de l'instance ;

- rappeler que le jugement à intervenir sera exécutoire par provision sur minute.

La Chambre interdépartementale des notaires du [Localité 7], [Localité 8] et du [Localité 5] est intervenue volontairement à la procédure le 20 avril 2021 et a sollicité que la faute disciplinaire soit reconnue, a demandé le versement par maître [R] [V] d'une somme de 2 150,41 euros au titre du préjudice économique, 7 000 euros au titre du préjudice d'image et celle de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

A l'audience du 15 septembre 2021, le procureur de la République a demandé au tribunal aux visas des articles 2 et suivants de l'ordonnance 45-1418 du 28 juin 1945, des articles 13 et suivants du décret 73-1302 du 28 décembre 1973, de l'arrêté du 22 juillet 1988 relatif au plan comptable notarial, de :

- constater que maître [R] [V] a commis à [Localité 6] le 10 septembre 2020 un manquement aux règles professionnelles résultant du plan comptable notarial en inscrivant en compte de charge de l'étude un prélèvement pour paiement d'une dette 'scale personnelle, manquement prévu par les articles 2 et 58 du règlement national du Conseil supérieur du notariat approuvé par arrêté du Garde des sceaux du 22 mai 2018, 2 de l'ordonnance 45-1418 du 28 juin 1945, 1 de l'arrêté du 22 juillet 1988 relatif au plan comptable notarial,

- statuer ce que de droit sur la sanction par lui encourue, sur réquisition du procureur de la République et le président de la chambre nationale de discipline entendu en ses observations,

- condamner maître [R] [V] à la sanction disciplinaire de défense de récidiver, à titre subsidiaire, à celle de censure simple ou de rappel à l'ordre,

- le condamner aux entiers dépens,

- rappeler que le jugement intervenir sera exécutoire par provision sur minute.

Suivant jugement du 17 novembre 2021, le tribunal judiciaire d'Auch a :

- déclaré l'intervention volontaire de la Chambre interdépartementale des notaires du [Localité 7], [Localité 8] et du [Localité 5], prise en sa formation disciplinaire, recevable,

- dit n'y avoir lieu à prononcer une sanction disciplinaire à l'encontre de maître [R] [V],

- débouté la Chambre interdépartementale des notaires du [Localité 7], [Localité 8] et du [Localité 5], prise en sa formation disciplinaire, de ses demandes d'indemnisation,

- condamné la Chambre interdépartementale des notaires du [Localité 7], [Localité 8] et du [Localité 5], prise en sa formation disciplinaire, à payer à maître [R] [V] la somme de 2.500 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile et aux dépens,

- rappelé que le jugement est exécutoire par provision sur minute.

Le tribunal a rappelé qu'en application de l'arrêté du 22 juillet 1988, la comptabilité notariale est soumise à un plan comptable particulier. Deux comptabilités doivent être tenues, une relevant des comptes clients et l'une relevant du compte of'ce. Sont comptabilisées dans les comptes clients les sommes d'argent détenues par le notaire pour le compte de ses clients. Le notaire ne peut procéder à aucun prélèvement sur ces comptes pour lui-même ou pour le compte de son office, cet argent ne lui appartenant pas. Sont comptabilisées dans le compte of'ce, toutes les opérations comptables relevant du fonctionnement de l'étude.

Maître [R] [V] a fait le choix d'exercer sa profession par le biais d'une entreprise individuelle, entreprise en nom propre ou en nom personnel et l'identité de l'entreprise est celle de son dirigeant qui est responsable sur ses biens propres. Il y a donc confusion du patrimoine.

S'agissant de l'écriture comptable incriminée suite au prélèvement de l'administration fiscale, le tribunal a notamment retenu que si elle n'était pas régulière, le résultat comptable de l'étude n'était déterminé qu'une fois l'exercice comptable clos, et que jusqu'à la clôture toutes les erreurs pouvaient être rectifiées. Le fait que la modi'cation de l'affectation comptable ne soit intervenue que le 16 octobre 2020, soit le jour de l'inspection dont il a fait l'objet, après remarque des inspecteurs, sans attendre la communication du rapport le 14 décembre 2020, démontre que maître [R] [V] s'est conformé aux observations de la Chambre des notaires puisque, faisant l'objet de nouvelles saisies administratives en novembre 2020, ces opérations ont été affectées sur le compte 108. Partant, l'intention et l'aspect moral étant déterminants dans la caractérisation de la faute disciplinaire, la preuve d'une négligence grave, erreur grossière ou méconnaissance des règles professionnelles n'était pas rapportée. Maître [R] [V] n'étant poursuivi que pour cette seule écriture comptable et non pour ne pas avoir suivi des mises en garde résultant d'inspections précédentes, aucune faute disciplinaire n'était caractérisée et il n'y avait pas lieu de prononcer une sanction à l'encontre de maître [R] [V].

Suivant déclaration au greffe du 13 décembre 2021 le procureur de la République d'[Localité 4] a relevé appel de la décision en citant tous les chefs du jugement, appel régulièrement notifié aux parties intimées par lettres recommandées avec accusé de réception.

**********************

A l'audience du 12 septembre 2022 :

- Le ministère public, représenté par Monsieur Derens avocat général a oralement repris ses réquisitions écrites du 22 juin 2022.

- la chambre interdépartementale des notaires du [Localité 7], [Localité 8] et du [Localité 5] en sa formation disciplinaire prise en la personne de son président Me [W] a comparu, assistée de Me [E], se référant également à ses dernières conclusions du 9 septembre 2022.

- Me [W] a été entendu en ses observations

- Maître [R] [V] a comparu assisté de ses conseils lesquels ont soutenu oralement les conclusions adressées à la Cour en dernier lieu le 5 septembre 2022.

Toutes les parties ont confirmé avoir eu connaissance des écritures et pièces déposées au greffe de la Cour, n'avoir aucune demande à formuler à ce titre.

[R] [V] a eu la parole en dernier.

****************************

Le Procureur général demande à la Cour d'infirmer la décision déférée et de, statuant à nouveau, prononcer à l'égard de maître [R] [V] la sanction disciplinaire du rappel à l'ordre.

A l'appui de ses prétentions le ministère public fait valoir :

- le manquement visé à la poursuite initiée par le procureur de la République d'[Localité 4] en date du 10 septembre 2020 n'est pas isolé et d'autres irrégularités ont été constatées :

* contrôle effectué le 16 octobre 2016 : sur le compte de prélèvements personnels, un reçu de 150000 euros avait été comptabilisé le 31/12/2016 pour être annulé le 5/01/2017, opération effectuée selon la comptable de l'étude, pour minorer les prélèvements de maître [R] [V] au titre de l'année 2016 ;

* contrôle du 16 octobre 2020 : selon le rapport :

«1°/ - passage en charge d'un rappel concernant une imposition personnelle du notaire d'un montant de 34 826 euros, ce qui est formellement interdit car illégal,

2°/ - apport d'une somme d'argent d'un montant de 23 480,46 euros depuis le compte prélèvement du notaire vers un compte client de l'office, écriture comptable formellement interdite, a'n de passer outre le blocage informatique, un compte de débours (compte greffe) a été utilisé permettant ainsi de créditer le compte client, tout cela en contradiction avec l 'obligation d'image fidèle du plan comptable général,

3°/ - taxation notoirement insuffisante et de manière récurrente des émoluments de formalité et notamment :

a/ le nombre des pages des copies authentiques est systématiquement faux alors que la signature des actes électroniquement permet d 'en avoir le nombre exact,

b/ non perception des émoluments pour l'interrogation des 'chiers obligatoires en matière de vente et notamment GEORISQUE, BASIAS, BASOL, ICPE, BODACC,

c/ la non taxation de ces émoluments permet concrètement d 'avoir un tarif à l'acte inférieur de 50 à I50 euros par dossier et aboutit à faire une concurrence à ses confrères interdite dans notre profession,

d/ constat sur une donation partage d 'une erreur de taxation importante ; en effet, l'émolument perçu a été celui des donations de sommes d 'argent et non celui des donations de parts sociales, de ce fait l'émolument payé par le client était de l'ordre de 2600 € au lieu de 5200 €. Il est d'ailleurs à noter dans ce dossier que contrairement à nos obligations comptables les frais n'ont pas été versés le jour de l'acte mais quelques jours plus tard .

Sur le plan juridique : manque de rigueur dans 1e formalisme des actes de succession.»

* les anomalies précitées, bien qu'elles n'aient pas été mentionnées dans l'assignation, constituent incontestablement des approximations et des négligences en matière de comptabilité, qui confirment sinon la désinvolture du moins le manquement professionnel précisément reproché à maître [R] [V] ;

- le manquement visé à la poursuite est établi tant sur le plan matériel qu'intentionnel :

* maître [R] [V] était parfaitement informé des sommes qu'il devait à l'administration fiscale au titre d'une imposition personnelle : il avait reçu des mises en demeure le 11 décembre 2019, 12 mars, 23 juillet et 12 août 2020 à son domicile personnel, restées sans suite ; une notification de saisie administrative à tiers détenteur auprès de la Banque populaire occitane de Balma(31) lui avait été adressée le 7 septembre 2020 mentionnant la possibilité de régulariser directement auprès des services fiscaux ; sans contestation de la part de maître [R] [V] le prélèvement a été effectué le 10 octobre 2020 sur le compte bancaire connu de l'administration fiscale, correspondant à celui de l'étude ;

* il est étonnant qu'un avis à tiers détenteur arrive sur le compte professionnel d'un notaire ;

* l'obligation faite à tout comptable d'une étude notariale de vérifier les prélèvements quotidiennement a immanquablement conduit le comptable de cet office à informer son employeur, de l'arrivée d'un prélèvement portant sur une somme d'un montant important ( 34286 €), correspondant à la dette fiscale ;

* le choix délibéré d'inscrire ce prélèvement sur le compte charge de l'étude ne peut avoir été décidé par le comptable seul mais bien par le notaire qui, partant, a employé, même temporairement, les sommes ou valeurs, dont il est détenteur à un titre quelconque, à un usage auquel elles n'étaient pas destinées.

* maître [R] [V] n'a pas justifié d'un avertissement ou remontrance adressés au comptable de l'étude au motif qu'il aurait, de sa propre initiative, choisi d'inscrire le prélèvement sur 1e compte 635 (soit une affectation dans le compte 'impôts et taxes' de l'étude).

* son empressement à procéder à la régularisation le jour même de l'inspection inopinée sans attendre que les conclusions définitives lui soient notifiées caractérise l'intention ;

* selon une jurisprudence constante, l'appréciation de la faute du notaire ne peut être retenue que s'il est établi que son auteur a eu connaissance de la fraude ou a pu s'en rendre compte (Cass Civ 3 24 mai 1976) ; ces deux conditions sont réunies en l'espèce ;

* la régularisation n'empêche pas le prononcé d'une sanction ;

- sur la sanction du rappel à l'ordre :

* l'honneur et la délicatesse pour un of'cier public et ministériel s' entendent de l'exigence générale d'honnêteté au sens de la loyauté à l'égard de ses pairs, du respect dû aux fonctions de chacun, et de l'exigence qui s'impose à lui d'avoir constamment à l'esprit la grandeur et les exigences de la profession et de s'efforcer d'y correspondre.

* l'action de tout notaire doit s'inscrire dans le respect des normes législatives et réglementaires applicables à cette profession réglementée et celui des obligations résultant notamment du règlement national du notariat édicté par le Conseil supérieur du notariat et agrée par le ministère de la Justice.

* ces normes morales et professionnelles qui dé'nissent les usages de la profession s'imposent à maître [R] [V] au-delà du litige l'opposant aux services 'scaux.

* les sanctions prévues à l'article 3 de l'ordonnance du 28/6/1945 demeurent applicables aux faits de 1'espèce lors même que l'ordonnance du 28 juin 1945 a été abrogée par l'ordonnance n°2022-544 du 13 avril 2022 relative à la déontologie et à la discipline des of'ciers ministériels, applicable à compter du 1 juillet 2022, qui prévoit, en son article 16 les peines disciplinaires désormais en vigueur dans la mesure où ces sanctions sont plus sévères que celles prévues par l'article 3 précité.

La Chambre interdépartementale des notaires du [Localité 7], [Localité 8] et du [Localité 5] prise en la personne de son président Me [W] demande de :

- Confirmer le jugement rendu le 17 novembre 2021, RG n°21/00368, par le Tribunal Judiciaire d'AGEN, en tant qu'il a :

-Déclaré recevable l'intervention volontaire de la Chambre Interdépartementale des notaires du [Localité 7], [Localité 8] et du [Localité 5] (n° SIREN 483 921 441), prise en sa formation disciplinaire, agissant en qualité de partie en application de l'article 10 de l'ordonnance du 28 juin 1945, représentée par son Président Maître [M] [W], ès qualité ;

Infirmer le jugement rendu le 17 novembre 2021 par le tribunal judiciaire d'Agen, en tant qu'il a :

- Dit n'y avoir lieu à prononcer une sanction disciplinaire à l'encontre de Maître [R] [V] ;

- Débouté la Chambre Interdépartementale des Notaires du [Localité 7], [Localité 8] et du [Localité 5], prise en sa formation disciplinaire, de ses demandes d'indemnisations ;

- Condamné la Chambre Interdépartementale des Notaires du [Localité 7], [Localité 8] et du [Localité 5], prise en sa formation disciplinaire, à payer à Maître [R] [V], la somme de 2.500 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile ;

- Condamné la Chambre Interdépartementale des Notaires du [Localité 7], [Localité 8] et du [Localité 5], prise en sa formation disciplinaire, aux entiers dépens de la procédure ;

- Rappelé que le jugement est exécutoire par provision sur minute ;

Statuant à nouveau :

Débouter Maître [R] [V] de l'ensemble de ses demandes, fins et moyens ;

Prononcer à l'encontre de Maître [R] [V] la peine disciplinaire du rappel à l'ordre ;

Condamner Maître [R] [V] à verser à la Chambre Interdépartementale des notaires du [Localité 7], [Localité 8] et du [Localité 5] :

- 2.150, 41 euros au titre du préjudice économique ;

- 7.000,00 euros au titre du préjudice d'image ;

- 5.000,00 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

Condamner Maître [R] [V] au paiement des dépens de la procédure d'appel et de son exécution.

A l'appui elle fait valoir :

- sur la faute :

* un impôt personnel du notaire ne peut être comptabilisé en compte charge de l'étude, le résultat comptable de l'étude s'en trouvant ainsi modifié. Cette écriture aurait dû être inscrite sur le compte 108 comptabilisant les dépenses personnelles du notaire.

* pour rappel, selon l'alinéa 1 de l'article 2 de l'Ordonnance n°45-1418 du 28 juin 1945 :

« Toute contravention aux lois et règlements, toute infraction aux règles professionnelles, tout fait contraire à la probité, à l'honneur ou à la délicatesse commis par un officier public ou ministériel, même se rapportant à des faits extra professionnels, donne lieu à sanction disciplinaire ».

La faute disciplinaire se rapporte donc à un manquement aux principes généraux de la déontologie.

* le juge disciplinaire a un large pouvoir d'appréciation des fautes et faiblesses du notaire sans être restreint par des textes précis. Ainsi la responsabilité disciplinaire est la responsabilité qui permet de sanctionner les manquements des notaires aux devoirs de leur profession.

* la faute disciplinaire est dépourvue de tout élément moral et ne requiert donc pas la constatation d'une intention frauduleuse.

* le fait qu'un impôt personnel soit comptabilisé sur le compte charge de l'étude est susceptible de fausser le résultat comptable de l'étude, ce qui contrevient au plan comptable notarial prévu à l'article 1er de l'arrêté du 22 juillet 1988.

* le fait pour un notaire, expert-comptable de formation, de comptabiliser un impôt personnel sur le compte charge de l'étude, contrevient nécessairement aux obligations de délicatesse auxquelles il est contraint.

* il ne s'agit pas de la première « erreur » commise par maître [R] [V] s'agissant de la tenue de la comptabilité de son étude.

* peu importe que maître [R] [V] ait régularisé l'écriture comptable puisqu'au moment de la commission de l'acte, il avait parfaitement connaissance de la fraude.

* les notaires ont l'obligation de tenir leur comptabilité au jour le jour, ils procèdent à ce titre à une clôture journalière, car il est impératif que les écritures comptables saisies correspondent à la date de l'acte.

- sur le préjudice économique

* Le dossier de maître [R] [V] encombre la Chambre depuis plusieurs années. En effet, les membres de la Chambre mais également l'équipe administrative ont été mobilisés à de nombreuses reprises compte tenu des difficultés, récurrentes, de la gestion comptable de son office. La Chambre a pourtant, directement ou par l'intermédiaire de l'Inspecteur comptable, effectué des recommandations qui n'ont pas été suivies.

* maître [R] [V] prétend qu'un tel préjudice est inexistant dans la mesure où ces inspections annuelles sont prévues par la loi, et que la Chambre était tenue de les réaliser. Cependant, non seulement la Chambre produit une inspection occasionnelle datant de 2017, n'étant, elle, pas obligatoire, montrant un travail supplémentaire par la Chambre en raison des doutes qu'elle émettait relativement à la tenue des comptes de l'étude de Maître [V].

- sur le préjudice d'image

* le fait que maître [R] [V] contrevienne à ses obligations déontologiques emporte nécessairement un préjudice d'image pour la Chambre. Le notaire, en tant qu'officier public, est investi d'une mission d'autorité publique.

* la Chambre a subi un préjudice d'image compte tenu de l'atteinte au sérieux et à la respectabilité de la profession notariale du fait des difficultés relevées lors des inspections.

[R] [V] demande à la Cour de :

- confirmer le jugement déféré,

- débouter le Procureur général de l'ensemble de ses demandes énoncées à ses conclusions et de toute demande complémentaire formulée lors de l'audience,

- laisser à la charge de Monsieur le procureur de la République ( sic) et du président de la Chambre interdépartementale des notaires du [Localité 7], [Localité 8] et du [Localité 5] en sa formation disciplinaire les dépens exposés par eux et condamner les mêmes à supporter les entiers dépens de l 'instance,

- condamner la Chambre interdépartementale des notaires du [Localité 7], [Localité 8] et du [Localité 5] à payer une somme de 4000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile

A l'appui de ses prétentions il fait valoir :

- l'article 14 1° du décret 45-0117 du 19 décembre 1945 n'est pas applicable :

* cet article n'est relatif qu'à la comptabilité clients ; le Procureur général ne le vise plus dans ses conclusions ;

* exerçant son activité de notaire sous le statut d'entreprise individuelle, il y a unité de patrimoine personnel et professionnel ;

* l'administration fiscale a fait le choix d'une saisie sur son compte courant à la Banque populaire occitane ; le mouvement de fonds est totalement étranger à des fonds clients, tout comme l'écriture comptable afférente ;

- aucune faute justifiant une sanction disciplinaire n'est établie pour manque de base légale :

* l'écriture comptable reprochée ne porte pas sur des sommes ou valeurs dont maître [R] [V] serait le dépositaire ; il ne peut y avoir détournement même temporaire ;

* le Procureur général ne vise plus expressément les textes fondant les poursuites du procureur de la République d'[Localité 4], soit l'article 57 du décret 73 609 du 5 juillet 1973 et le préambule du règlement national de la profession tout en évoquant les notions de probité, conscience professionnelle, respect des circulaires chartes, convention, guides ;

* la norme comptable qui aurait été violée à raison de l'écriture comptable du 9 septembre 2020 n'est pas précisée aux poursuites ;

* il est impossible de savoir comment l'on peut transposer la violation d'une éventuelle norme comptable à la violation d'un principe général quelconque ;

* en l'état des règles de la comptabilité applicables à la profession il n'existe pas de sanction liée à des irrégularités comptables sur la seule base d'opérations en cours ; c'est le bilan qui permet d'assurer le contrôle de l'entreprise ;

* s'il y a obligation d'enregistrer les opérations comptables au jour le jour cela ne veut pas dire qu'il faut corriger une erreur le jour même ; l'erreur peut ne pas être détectée de suite et des retraitements peuvent être opérés ; une erreur sur les opérations en cours n'a pas d'incidence car elle ne change pas le résultat annuel;

* une erreur peut survenir cela ne signifie pas qu'il s'agisse d'une faute;

- l'élément intentionnel n'est pas caractérisé :

* l'écriture temporairement erronée n'a jamais concerné les opérations de bilan et il n'y a pas eu d'intention de tenir une comptabilité erronée ;

* cette écriture n'a pas été dissimulée et a été identifiée dès le premier contrôle de l'étude ;

* la référence à l'importance de la somme mouvementée n'est que subjective au regard des sommes maniées quotidiennement ;

* la faute reprochée n'est pas d'avoir eu un litige avec l'administration fiscale et ne tient pas à la manière dont celui-ci a été soldé comme développé aux écritures du Procureur général ; l'avis de saisie a été adressé par lettre simple datée du 7 septembre 2020 et il n'est pas prouvé que maître [R] [V] l'ait reçue ; il n'avait donc aucune raison d'attirer l'attention de ses salariés sur cette saisie ni son enregistrement comptable ;

* il n'est pas poursuivi pour d'autres comportements fautifs pourtant évoqués sans preuve aux écritures du ministère public ;

* aucune conséquence ne peut être tirée comme le fait le Procureur général, de la manière dont maître [R] [V] a géré vis à vis de sa salariée, en poste depuis 2006, l'erreur commise ;

* de même pour la correction de cette écriture avant la réception du rapport d'inspection qui n'est intervenue que le 12 janvier 2021 ; a contrario ne rien faire jusqu'à cette date aurait eu comme conséquence une déclaration d'activité annuelle erronée ;

* aucune sanction ne peut être prononcée à défaut d'intention de commettre une fraude ;

- à titre subsidiaire sur les demandes de réparations formulées par la Chambre :

* le préjudice économique n'est pas caractérisé car la Chambre doit procéder à des inspections ;

* le préjudice d'image protège des personnes physiques bien identifiées, pour les personnes morales il faut un acte de dénigrement ou de concurrence déloyale ; la Chambre n'est pas concurrente et rien de la discrédite.

Me [R] [V] précise que le litige avec l'administration fiscale date de 2008, qu'il est « harcelé de courriers », elle a saisi un compte office cela aurait pu être grave.

SUR QUOI LA COUR

1/ sur la faute disciplinaire

L'ordonnance 45-1418 du 28 juin 1945 modifiée, relative à la discipline des notaires et de certains officiers ministériels dispose en son article 2 :

«Toute contravention aux lois et règlements, toute infraction aux règles professionnelles, tout fait contraire à la probité, à l'honneur ou à la délicatesse commis par un officier public ou ministériel, même se rapportant à des faits extraprofessionnels, donne lieu à sanction disciplinaire. L'officier public ou ministériel peut être poursuivi disciplinairement, même après l'acceptation de sa démission, si les faits qui lui sont reprochés ont été commis pendant l'exercice de ses fonctions. Si la sanction est prononcée, alors que la nomination de son successeur est déjà intervenue, celui-ci demeure titulaire de l'office quelle que soit la peine infligée ».

Il se déduit de ce texte, qu'il existe deux sortes de manquements pouvant recevoir la qualification de fautes disciplinaires : les premiers sont constitués par les contraventions aux lois et aux règlements et par les infractions aux règles professionnelles ; les seconds sont ceux qui proviennent de l'accomplissement de faits contraires à la probité, à l'honneur ou à la délicatesse.

La faute disciplinaire commise par un officier public ou ministériel au sens de cet article n'implique pas l'intention de nuire ou un comportement inexcusable. Il suffit que soient caractérisées des négligences graves, des erreurs grossières ou une méconnaissance des règles professionnelles.

Le notaire, délégataire de l'autorité publique, doit à ce titre , envers son client, lui garantir probité et conscience professionnelle, et à l'égard de la profession, qui en assume la responsabilité collective, il a l'obligation de respecter les circulaires, chartes, conventions et guides émanant notamment du Conseil supérieur du notariat et d'alimenter sans délai toute base de données existant en vertu des lois et des règlements en vigueur.

Un notaire peut être poursuivi disciplinairement pour avoir méconnu l'obligation qui lui est faite de tenir une comptabilité conforme aux normes réglementaires.

Le notaire doit subir des inspections de comptabilité organisées par les chambres, les conseils régionaux et le Conseil supérieur du notariat à la diligence de leur président. Ces inspections concernent l'ensemble de l'activité professionnelle du notaire inspecté et portent notamment sur la comptabilité, l'organisation et le fonctionnement de son étude tel que prévu à l'article 3 du décret de 1974.

L'article 16 du décret no 55-398 du 2 avril 1955 prévoit : Chaque notaire doit tenir une comptabilité destinée à constater les recettes et dépenses en espèces, ainsi que les entrées et sorties de valeurs effectuées pour le compte de ses clients. Il tient à cet effet au moins un livre-journal des espèces, un registre de frais d'actes, un grand livre des espèces, un livre-journal des valeurs et un registre spécial de balances trimestrielles, conformes à un modèle arrêté par le garde des Sceaux, ministre de la justice.

Aux termes de l'assignation délivrée le 19 mars 2021 et des débats devant le tribunal judiciaire d'Auch du 15 septembre 2021 il est reproché par le ministère public à maître [R] [V] d'avoir commis à L'Isle-Jourdain le 10 septembre 2020 un manquement aux règles professionnelles résultant du plan comptable notarial en inscrivant en compte de charge de l'étude un prélèvement pour paiement d'une dette 'scale personnelle, manquement prévu par l'article 14 du décret 45-117 du 19 décembre 1945 pris pour l'application du statut du notariat, l'article 1 de l'arrêté du 22 juillet 1988 relatif au plan comptable notarial, les articles 2 et 58 du règlement national du Conseil supérieur du notariat approuvé par arrêté du Garde des sceaux du 22 mai 2018, sanctionné comme caractérisant une faute disciplinaire au titre de l'article 2 de l'ordonnance 45-1418 du 28 juin 1945.

L'article 14 du décret n° 45-117 du 19 décembre 1945 dispose « il est également interdit aux notaires ['] 1° d'employer, même temporairement, les sommes ou valeurs dont ils sont constitués détenteurs, à un titre quelconque, à un usage auquel elles ne seraient pas destinées, et notamment de les placer en son nom personnel».

Les principes fondamentaux de la comptabilité notariale sont énoncés aux articles 15 et suivants du décret du 19 décembre 1945 qui renvoient quant au plan comptable à l'arrêté du 22 juillet 1988 modifié par arrêté du 6 décembre 2000. Il est ainsi prévu la tenue quotidiennement de toutes les opérations de la journée et l 'édition d'un tableau de bord également journalier. Cette obligation est distincte de celle de présenter annuellement au 31 décembre le bilan et les comptes de résultats.

Me [R] [V] ne conteste pas que le prélèvement effectué sur son compte ouvert à la Banque populaire occitane de 34 826 € correspond au paiement d'une dette fiscale personnelle qu'il n'avait pas honorée spontanément. Il résulte des pièces du dossier qu'il était informé d'avoir à payer cette somme notamment par une mise en demeure du 12 mars 2020 qu'il a lui-même versée aux débats. L'administration fiscale dans ce courrier lui signifiait d'avoir à régulariser sa situation sans délai, à défaut passé un délai de huit jours des poursuites seraient engagées. Il lui était également indiqué qu'il pouvait contester cette mise en demeure dans un délai de deux mois suivant sa notification.

Me [R] [V] n'invoque pas avoir usé de cette possibilité dans ce délai. Il prétend qu'il n'a pas eu connaissance du courrier de l'administration fiscale du 7 septembre 2020 lui notifiant la saisie administrative opérée sur son compte à la Banque populaire occitane, également affecté au fonctionnement de l'office notarial eu égard au mode d'exercice choisi par lui, ce qui est indifférent. En effet cette saisie, en l'absence d'un recours qu'il aurait pu faire, s'inscrit dans la suite des moyens mis en oeuvre par l'administration fiscale pour obtenir paiement de l'impôt, et à laquelle maître [R] [V] devait s'attendre.

En tout état de cause ce qui est reproché à maître [R] [V] c'est l'enregistrement dans un compte charges de l'étude de ce paiement pour une dette personnelle.

Dans le cadre de ses obligations de tenue d'une comptabilité de l'office au jour le jour, dont il reconnaît le principe, maître [R] [V] ne pouvait laisser enregistrer ce prélèvement dans le compte de charge «impôts et taxes et versements assimilés» de l'étude. Or selon le rapport d'inspection du 16 octobre 2020, cette écriture a perduré au compte 635 jusqu'au jour de l'inspection, ce qui signifie qu'il a laissé supporter depuis la date du 10 septembre 2020 cette dépense sur le compte charges de l'étude, faussant nécessairement la sincérité de sa comptabilité durant toute cette période. En effet c'est le compte 108 « compte du notaire » qui aurait dû être mouvementé pour comptabiliser cette dépense avec l'obligation inhérente à toute écriture comptable d'une écriture au crédit d'un compte courant personnel de maître [R] [V].

Par principe un officier public ministériel ne peut faire supporter ses dépenses personnelles sur les fonds de l'étude, qui sont nécessairement des fonds détenus à un titre quelconque.

La circonstance que cette imputation ne concerne pas directement les fonds clients comme le fait valoir maître [R] [V] est sans portée au regard des règles ci-dessus rappelées, sauf éventuellement à relever qu'il ne s'agit pas d'un détournement de fonds dont la gravité serait toute autre.

Maître [R] [V] prétend que cette écriture comptable serait une simple erreur ne pouvant justifier une sanction disciplinaire.

Selon lui, « la finalité de la comptabilité d'un notaire se matérialise au moment des opérations de bilan des comptes annuels après les éventuelles corrections nécessaires ['] les déclarations d'activité professionnelle et de revenus correspondent aux comptes annuels établis par le notaire. C'est uniquement sur la base du bilan que l'administration fiscale et la chambre nationale effectuent leur contrôle [...] ».

A suivre le raisonnement de maître [R] [V], il pourrait, au cours de l'année, s'affranchir des règles du plan comptable notarial qui s'imposent à chaque notaire, dont la gestion est très encadrée en sa qualité de détenteur de fonds pour le compte de tiers, clients et Etat, et il suffirait qu'au moment de l'établissement des comptes annuels il présente des comptes conformes.

Mais les règles imposées à tout officier ministériel ont pour finalité de garantir la fiabilité et la sincérité de sa comptabilité. La fiabilité de la gestion des offices notariaux repose sur un système d'inspections de la comptabilité des offices, destiné à garantir aux clients et aux autorités de tutelle la sécurité qu'exige la fonction. C'est précisément à ce titre que les instances professionnelles décident, à des dates variables, de contrôles, annuels, et le cas échéant occasionnels.

Cela signifie bien que ce ne n'est pas qu' au 31 décembre de chaque année qu'un office notarial doit présenter une comptabilité conforme.

Au cas particulier, l'écriture comptable incriminée ne peut être qualifiée de simple erreur comme le soutient maître [R] [V]. En effet, comme déjà rappelé, il savait qu'il devait honorer cette dette fiscale depuis au moins le mois de mars 2020. Ensuite il fait valoir à tort l' absence d'incidence fiscale de cette erreur, alors que ce n'est pas vis à vis de l'administration fiscale que doit s'apprécier son comportement, mais vis à vis des règles de son statut d'officier public ministériel qui le distingue nécessairement de celui d'un entrepreneur individuel, parallèle qu'il effectue dans son argumentation relative à ce qu'est, selon lui, une tenue régulière de comptabilité.

Maître [R] [V] soutient également « qu'une écriture comptable erronée dans les opérations en cours n'en fait pas une faute, notamment dans le contexte où cette erreur est corrigée avant les opérations de clôture des comptes ». Si le plan comptable notarial prévoit de façon précise des dérogations pour des prestations en cours, ( par exemple acte signé mais non encore taxé) cette notion à l'évidence ne saurait s'appliquer à l'opération incriminée en l'espèce : le prélèvement comptabilisé sur le compte étude n'a rien «d'en cours », il correspond au contraire à un paiement définitif. Comme déjà dit, la notion de    'clôture des comptes' n'a pas à être prise en considération au sens que veux lui donner maître [R] [V]. La régularisation intervenue le jour de l'inspection ne saurait faire disparaître le manquement reproché d'une tenue régulière au jour le jour de la comptabilité d'un office notarial.

Enfin il résulte d'un précédent rapport d'inspection de 2017 communiqué par la Chambre interdépartementale, que les inspecteurs avaient déjà fait de nombreuses remarques sur la tenue de la comptabilité, la gestion de l'office et sa situation financière (pages 16 et 17 de ce rapport): «au titre du compte prélèvements personnels un reçu de 150 000 € avait été comptabilisé le 31 décembre 2016 pour être annulé le 5 janvier 2017, opération faite aux dires de la comptable de l'étude pour minimiser les prélèvements de Maitre [V] au titre de l'année 2016. ['] Au delà des conséquences sur le fond des problèmes rencontrés leur analyse sur la forme montre un réel manque de fiabilité de la comptabilité rendant difficile voire impossible la lecture du tableau de bord et donc son analyse ['] l'analyse des différents ratios d'activité ['] montre plutôt un mode de fonctionnement «à risque» du titulaire en ce sens que celui-ci ne laisse aucune marge de manoeuvre financière dans son étude. La quasi-totalité du bénéfice depuis l'origine est appréhendé par Maître [V], il n'y a de ce fait aucun fond de roulement disponible ce qui a pu conduire au cours de l'année 2016 la couverture des fonds détenus à un niveau très bas ».

Maître [R] [V] critique la production de ce rapport en arguant du fait qu'il n'a pas fait l'objet à l'issue d'une sanction disciplinaire : comme le précise la Chambre interdépartementale, les inspections ont aussi pour but d'amener le notaire à modifier ses pratiques. L'inspection de septembre 2022 a conduit la Chambre a faire à nouveau des recommandations sur l'établissement des reçus de fonds qui doivent correspondre à la date de la réception des fonds et non être antérieurs. Par la production de ces rapports la Chambre démontre que la pratique professionnelle de maître [R] [V] ne correspond pas à la rigueur attendue d'un officier public ministériel et qu'il n'a pas été tenu compte des mises en garde antérieures.

De l'ensemble des éléments soumis à la Cour il résulte que maître [R] [V] a laissé délibérément perdurer pendant près d'un mois un enregistrement comptable d'une dépense qui lui était personnelle, sur un compte charges de son étude, ce qui caractérise une faute disciplinaire au sens de l'article 2 de l'ordonnance 45-1418 du 28 juin 1945 modifiée, et de l'article 14 du décret n° 45-117 du 19 décembre 1945.

La décision sera en conséquence infirmée.

2/sur la sanction

Le prononcé d'une sanction en cas de faute disciplinaire commise par un officier public ou ministériel, ne requiert pas qu'il soit démontré ni une intention de nuire, ni une fraude, ni même un enrichissement personnel ou un comportement inexcusable. Il suffit que soient caractérisées des négligences graves, des erreurs grossières ou une méconnaissance des règles professionnelles.

Tel est le cas en l'espèce.

Le ministère public a requis le prononcé d'un rappel à l'ordre.

Le manquement reproché à maître [R] [V], expert-comptable de formation, s'inscrit dans une suite de recommandations de la Chambre des notaires, et il s'est manifestement montré négligent dans le règlement de sa dette fiscale en s'en désintéressant malgré les mises en demeure adressées.

Il n'a pris aucune initiative pendant plus d'un mois pour la régularité des comptes de son office notarial, alors qu'il est tenu de respecter une comptabilité renforcée en étant investi d'une délégation de la puissance publique de l' Etat au nom duquel il confère l'authenticité aux actes relevant de sa compétence et assure la sécurité des opérations auxquelles il prête son concours, en particulier sur le plan financier.

Il sera prononcé à l'encontre de maître [R] [V] la sanction de l'avertissement sanction désormais prévue à l'ordonnance 2022-544 du 13 avril 2022 applicable au 1 juillet 2022.

3 /Sur les demandes de la Chambre interdépartementale des Notaires du [Localité 7], du [Localité 8] et du [Localité 5] en sa formation disciplinaire :

Lorsque la procédure disciplinaire est engagée par le procureur de la République devant le tribunal, l'article 10 de l'ordonnance du 28 juin 1945 dispose que le président de la chambre de discipline agissant au nom de celle-ci peut intervenir à l'instance et demander l'allocation de dommages et intérêts.

La Chambre demande une somme de 2150,41 € au titre de son préjudice économique et communique à l'appui de cette demande un tableau récapitulatif des heures passées depuis 2016 à 2021 pour le traitement du dossier de maître [R] [V]. Il est précisé que «le chiffrage a été réalisé en fonction des mails et courriers adressés et des événements intervenus durant ces périodes».

Cet élément est insuffisant pour caractériser le préjudice invoqué dès lors qu'il ressort des attributions de la Chambre de procéder au moins annuellement à l'inspection d'un office notarial et celui de maître [R] [V] n'a pas donné lieu au vu du dossier soumis à la Cour à des diligences particulières et excédant celles relevant de la mission des inspecteurs.

Cette demande sera rejetée.

Il est également demandé l'allocation d'une somme de 7000 € en réparation du préjudice d'image, les manquements de Me [R] [V] ayant causé une atteinte à la respectabilité de la profession et à l'image de sérieux qu'elle doit donner.

Il est avéré qu'en ne se conformant pas aux règles et devoirs de sa profession, alors que des recommandations lui avaient été délivrées les années antérieures pour l'amener à plus de rigueur dans la tenue de sa comptabilité, et particulièrement la gestion de ses prélèvements personnels, maître [R] [V] a causé par son comportement une atteinte à l'image de la profession qu'il exerce par délégation de la puissance publique et dont la Chambre Interdépartementale est la garante.

La somme de 4000 € est justifiée et sera allouée.

Il sera également fait droit à la demande de Me [W] en sa qualité de Président de la Chambre de discipline interdépartementale des Notaires du [Localité 7], du [Localité 8] et du [Localité 5] au titre de l'article 700 du code de procédure civile et Me [R] [V] sera condamné à verser la somme de 3000 €, outre aux entiers dépens.

PAR CES MOTIFS :

La Cour, après en avoir délibéré conformément à la loi, statuant par arrêt contradictoire, prononcé publiquement, et en dernier ressort,

INFIRME le jugement rendu le 17 novembre 2021 par le tribunal judiciaire d'Auch en toutes ses dispositions,

STATUANT A NOUVEAU

PRONONCE à l'encontre de maître [R] [V] la sanction disciplinaire de l'avertissement ;

CONDAMNE maître [R] [V] à payer à la Chambre Interdépartementale des Notaires du [Localité 7], du [Localité 8] et du [Localité 5] prise en sa formation disciplinaire représentée par son président Me [W] la somme de 4000 € en réparation du préjudice d'atteinte à l'image ;

REJETTE la demande de dommages-intérêts pour préjudice économique ;

CONDAMNE maître [R] [V] à payer à la Chambre Interdépartementale des Notaires du [Localité 7], du [Localité 8] et du [Localité 5] prise en sa formation disciplinaire représentée par son président Me [W] la somme de 3000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE maître [R] [V] aux dépens de première instance et d'appel.

Vu l'article 456 du code de procédure civile, le présent arrêt a été signé par Cyril VIDALIE, Conseiller ayant participé au délibéré en l'absence de Mme la présidente de chambre empêchée, et par Nathalie CAILHETON, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

La Greffière, Le Conseiller,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Agen
Formation : Chambre civile
Numéro d'arrêt : 21/01079
Date de la décision : 14/11/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-11-14;21.01079 ?
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