ARRÊT DU
19 Octobre 2022
CV / NC
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N° RG 21/01117
N° Portalis DBVO-V-B7F -C6R6
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[V] [T]
C/
[Y] [M]
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GROSSES le
aux avocats
ARRÊT n° 407-22
COUR D'APPEL D'AGEN
Chambre Civile
LA COUR D'APPEL D'AGEN, 1ère chambre dans l'affaire,
ENTRE :
Madame [V] [T]
née le 19 septembre 1954 à [Localité 7] (75)
de nationalité française, retraitée
domiciliée : [Adresse 3]
[Localité 9]
représentée par Me Christine FAIVRE, avocate associée de la SCP NONNON & FAIVRE, avocate au barreau du GERS
APPELANTE d'une ordonnance de référé du président du tribunal judiciaire d'Auch en date du 07 décembre 2021,
RG 21/00104
D'une part,
ET :
Monsieur [Y] [M]
né le 03 mars 1975 à [Localité 8]
de nationalité française, thérapeute
domicilié : [Adresse 4]
[Localité 9]
représenté par Me Isabelle BRU, SCP SEGUY DAUDIGEOS-LABORDE BRU, avocate au barreau du GERS
INTIMÉ
D'autre part,
COMPOSITION DE LA COUR :
l'affaire a été débattue et plaidée en audience publique le 10 août 2022, sans opposition des parties, devant la cour composée de :
Cyril VIDALIE, Conseiller
qui en a rendu compte dans le délibéré de la cour composée outre lui-même de :
Claude GATÉ, Présidente de Chambre,
et Dominique BENON, Conseiller
en application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, et après qu'il en a été délibéré par les magistrats ci-dessus nommés,
Greffière : Nathalie CAILHETON
ARRÊT : prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile
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Faits et procédure :
M. [Y] [M] est propriétaire d'une parcelle située à [Localité 9], cadastrée AB n°[Cadastre 6], qui jouxte une parcelle cadastrée AB n°[Cadastre 2] appartenant à Mme [V] [T].
Exposant que Mme [T] avait implanté une clôture grillagée sur sa parcelle l'empêchant d'accéder à son puits, à l'origine d'un trouble manifestement illicite, M. [M] l'a assignée devant le juge des référés du tribunal judiciaire d'Auch par acte du 27 mai 2021, afin d'obtenir sa condamnation sous astreinte à enlever à ses frais cette clôture, et à lui payer la somme de 1 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Mme [T] s'est opposée à cette demande en faisant valoir l'existence d'une contestation sérieuse portant sur les limites des propriétés, et a présenté une demande reconventionnelle fondée sur l'état d'enclave de la sienne, afin qu'il soit fait interdiction à M. [M] de faire obstacle à son passage sur la parcelle [Cadastre 6] pour accéder à la parcelle [Cadastre 2] en tenant compte d'une pratique trentenaire, et qu'il soit, en outre, condamné à lui payer une somme de 2 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.
Par ordonnance du 7 décembre 2021, le tribunal judiciaire d'Auch a':
- condamné Mme [T] à déposer et enlever à ses frais la clôture grillagée sise sur la parcelle cadastrée AB n°[Cadastre 6] commune de [Localité 9] (32), sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter du 31e jour qui suivra la signification de la décision,
- rejeté toute autre demande plus ample ou contraire,
- condamné Mme [T] à payer la somme de 1 000 euros à M. [M] par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné Mme [T] aux dépens.
Le juge des référés a retenu qu'il ressortait du titre de propriété de Mme [T], qu'il existait un puits à cheval sur les parcelles, que la propriété et l'usage de celui-ci étaient en commun pour le service des deux parcelles, et qu'il faisait allusion à une servitude de puisage, mais que rien n'était inscrit dans l'acte de propriété de M [M] établi en 2018.
La clôture de Mme [T] étant récente, placée largement au-delà des limites cadastrales et en l'absence d'un droit de puisage exclusif pour l'un ou pour l'autre, aucun des deux propriétaires n'était justifié à s'approprier l'usage du puits en y apposant une clôture grillagée. L'installation du dit grillage constituait donc un trouble manifestement illicite qu'il convenait de faire cesser.
Le juge des référés a rejeté les demandes reconventionnelles au motif que l'état d'enclave invoqué n'était pas suffisamment caractérisé.
Par déclaration du 23 décembre 2021, Mme [T] a interjeté appel, désignant M. [M] en qualité d'intimé, et visant dans sa déclaration les dispositions de l'ordonnance qui :
- l'ont condamnée à déposer et enlever à ses frais la clôture grillagée sise sur la parcelle cadastrée AB n°[Cadastre 6] commune de [Localité 9], sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter du 31e jour qui suivra la signification de la présente ordonnance,
- ont rejeté toute autre demande plus ample ou contraire,
- l'ont condamnée à payer la somme de 1 000 euros à M. [M] par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- l'ont condamnée aux dépens.
Par avis du 19 janvier 2022, l'affaire a fait l'objet d'une fixation à bref délai.
Prétentions :
Aux termes de ses dernières conclusions du 7 avril 2022, auxquelles il est renvoyé pour le détail de l'argumentation, Mme [T] demande à la cour de':
- réformer l'ordonnance du juge des référés d'Auch rendue en date du 07 décembre 2021 en ce qu'elle a :
- condamné Mme [T] à déposer et enlever à ses frais la clôture grillagée sise sur la parcelle cadastrée AB n°[Cadastre 6] Commune de [Localité 9], sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter du 31ème jour qui suivra la signification de la présente ordonnance,
- rejeté toute autre demande plus ample ou contraire,
- condamné Mme [T] à payer la somme de 1 000 euros à M. [M] par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné Mme [T] aux dépens,
- dit n'y avoir lieu à référé sur la demande de M. [M] tendant à lui voir ordonner de démonter sous astreinte la clôture qui clôt son fonds,
- condamné M. [M] à remettre en place la clôture démontée au titre de l'exécution provisoire sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter du 31 ème jour suivant la signification de l'arrêt d'appel à intervenir,
- débouté M. [M] de l'intégralité de ses demandes,
- à titre reconventionnel,
- faire interdiction à M. [M] de faire obstacle à son passage sur sa parcelle [Cadastre 6] pour accéder à sa parcelle [Cadastre 2], sous astreinte de 1 000 euros par infraction constatée,
- ordonner une expertise et confier à l'expert la mission de délimiter sur les lieux l'assiette de ce passage du propriétaire de la parcelle [Cadastre 2] sur la parcelle [Cadastre 6] en tenant compte de la pratique trentenaire,
- condamner M. [M] à lui payer la somme de 1 680 euros au titre des frais irrépétibles engagés devant le juge des référés, et la somme de 2 736,95 euros au titre des frais irrépétibles engagés devant la cour, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner M. [M] aux entiers dépens de première instance et d'appel, dont distraction au profit de maître [V] Faivre.
Mme [V] [T] fait valoir que':
- Il n'existe aucun bornage entre les limites des parcelles [Cadastre 2] et [Cadastre 6] ; le bornage effectué ne concerne pas cette limite, la mère de [V] [T] y a été attirée seule, sans convocation préalable, le 29 octobre 2019 et n'y a pas consenti,
- l'acte de 1965 mentionne que la limite était à cheval sur le puits, qui a toujours eu un usage commun aux différents propriétaires des deux parcelles ; c'est à tort que M. [M] estime que la présence du grillage l'empêche de jouir du puits, puisque l'accès à celui-ci était toujours possible ; ceci résulte d'ailleurs du constat d'huissier établi le 13 janvier 2022,
- sa parcelle est enclavée au sens de l'article 682 du code civil, son accès s'est fait par la parcelle [Cadastre 6] depuis des décennies ; ce passage est établi par l'acte de 1965,
- si une servitude de passage ne s'acquiert pas par prescription acquisitive, il en va différemment de son assiette lorsque le bien est enclavé (selon l'article 685 du code civil) ; le passage perdurait depuis au moins 1965 ; l'opposition de M. [M] constitue donc un trouble manifestement illicite qui doit cesser,
- le passage proposé par M. [M], qui traverse les parcelles [Cadastre 5] et [Cadastre 1], comporte des angles droits et il est impossible à Mme [T] d'y passer avec sa tondeuse ; de plus, une largeur d'un mètre est insuffisante pour permettre à des engins agricoles d'accéder au terrain de la concluante pour entretenir les arbres,
- M. [M] n'a pas cessé de faire obstacle au passage de Mme [T], ainsi cette dernière justifie d'un intérêt légitime, au sens de l'article 145 du code civil, à réclamer une expertise afin de délimiter, sur les lieux, l'assiette de ce passage du propriétaire de la parcelle [Cadastre 2] sur la parcelle [Cadastre 6].
Par uniques conclusions du 7 mars 2022, auxquelles il est renvoyé pour le détail de l'argumentation, M. [M] demande à la cour de':
- confirmer en l'intégralité de ses dispositions l'ordonnance prononcée par le juge des référés du tribunal judiciaire d'Auch le 7 décembre 2021,
- en conséquence,
- condamner Mme [T] à déposer et enlever à ses frais la clôture grillagée sise sur la parcelle AB n°[Cadastre 6], commune de [Localité 9] (Gers), et ce à peine d'une astreinte de 100 euros par jour de retard à compter du 31ème jour qui suivra la signification de la décision à intervenir,
- débouter Mme [T] de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions,
- condamner Mme [V] [T] au paiement d'une indemnité de 1 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
- la condamner au paiement des entiers dépens de première instance,
- y ajoutant,
- condamner Mme [T] au paiement d'une indemnité de 2 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles exposés devant la cour d'appel,
- la condamner aux entiers dépens d'appel.
Il fait valoir que :
- même à admettre que le puits matérialise la limite de propriété, ce qui est faux, le grillage a été posé en deçà, sur sa propriété,
- concernant le bornage effectué, même si celui-ci ne concerne pas la limite de propriété entre les parcelles [Cadastre 2] et [Cadastre 6], il n'en reste pas moins qu'une borne E a été posée en limite des parcelles [Cadastre 1], [Cadastre 2] et [Cadastre 6] avec l'accord de la mère de Mme [T] ; cette borne définit clairement la limite de propriété et démontre que le puits est implanté sur la parcelle [Cadastre 2],
- le géomètre-expert relevait d'ailleurs «'la clôture de Mme [T], récente, est largement au-delà des limites cadastrales ce qui fait que le jardin de Mme [T] aurait une superficie cadastrale de 3a 44c, alors que la superficie clôturée est de 397m2. Cette différence de 15% est largement au-delà des tolérances et erreurs cadastrales'»,
- par courrier recommandé du 20 mars 2020, signé par Mme [T] pour ordre de [S] [T], cette dernière a indiqué ne pas contester le procès-verbal de bornage, et a proposé d'acheter la bande de terre empiétant sur la parcelle de M. [M] ; l'expert énonce que Mme [T] avait d'ailleurs déjà donné son accord sur le terrain, avant de refuser de signer ; cette acceptation est opposable à son héritière.
- Mme [T] prétend être titulaire d'une servitude de passage sur la parcelle [Cadastre 2] pour accéder à la sienne, issue de l'acte de vente de 1965 ; or, le titre invoqué par elle évoque un droit de passage «'en bordure des numéros 490 et 491'» et non pas au milieu,
- lors du bornage, il a été envisagé la création d'une servitude de passage au profit de Mme [T] avec l'accord de tous les propriétaires riverains et celui de la commune ; cette servitude, d'une largeur d'1m20, s'exerçait pour partie sur la parcelle de M. [M], et permettait à Mme [T] de contourner les parcelles pour accéder à son verger ; elle avait été envisagée pour la tranquillité de tous et notamment de M. [M] qui voit comme une atteinte à sa vie privée le fait que sa voisine traverse sa propriété en entrant par l'entrée principale aux jours et heures qui lui conviennent ; ce projet avait été accepté par tous les riverains à l'exception de Mme [T] ; ce passage est d'ailleurs praticable, comme en témoigne Monsieur [X] qui l'utilise pour accéder à sa parcelle,
- l'article 683 alinéa 2 du code civil dispose que le passage doit être fixé à l'endroit le moins dommageable à celui sur le fonds duquel il est accordé. Ainsi, M. [M] ne nie pas à [V] [T] son droit d'accéder à sa parcelle, mais pas en traversant sa propriété depuis son entrée dès lors qu'elle peut passer à un endroit moins gênant pour sa tranquillité,
- la demande d'expertise est sans objet, d'autant plus que le projet de servitude de passage piéton fixe l'assiette du dit passage qui est déjà utilisé.
Motifs
Sur la demande d'enlèvement de la clôture grillagée de Mme [T] :
Selon l'article 835 du code de procédure civile, le président du tribunal judiciaire peut toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.
Il ressort sans ambiguïté du courrier daté du 20 mars 2020 adressé par Mme [S] [T], signé précédé de la mention 'P/O' par sa fille, appelante, la reconnaissance du bien-fondé du procès-verbal de bornage qui, en ce qui concerne sa parcelle, positionne le point E constituant l'angle des parcelles [Cadastre 2] de Mme [T], [Cadastre 6] de M. [M] et [Cadastre 1] de Mme [P] ; il en ressort que la parcelle de Mme [T] empiète sur la parcelle de M. [M].
Ce point est corroboré par la mention du courrier indiquant 'je vous propose de racheter... la bande de terre qui empiète sur votre terrain', et qui correspond, à l'examen du plan de bornage, à la bande séparant la limite ouest de la parcelle [Cadastre 2] à la limite est de la parcelle [Cadastre 6], situant le puits à l'intérieur de cette dernière, de même que la clôture litigieuse.
La défenderesse ne peut donc opposer une contestation sérieuse à la demande de M. [M] qui est fondé à solliciter l'enlèvement de la clôture.
L'ordonnance sera confirmée sur ce point.
Sur la demande reconventionnelle de droit de passage
Si les titres de propriété des parties contiennent des mentions contraires quant à l'existence du droit de passage revendiqué par Mme [T] et contesté par M. [M], le titre de M. [M] n'en faisant pas mention, à la différence de celui de Mme [T], M. [M] ne s'oppose pas à la reconnaissance de la servitude invoquée par Mme [T], le désaccord tenant à l'assiette et à l'emprise de la servitude.
Mme [T] revendique le droit de disposer d'un passage d'une largeur suffisante pour le passage d'une tondeuse et d'engins permettant l'entretien de sa parcelle, traversant la parcelle [Cadastre 6].
Cependant, l'acte de vente du 10 juin 1965 mentionne que 'pour l'exploitation et l'accès de la parcelle vendue, il existe un droit de passage depuis le chemin communal s'exerçant à pied sur une largeur d'un mètre environ en bordure des numéros 490 et 491", soit un passage en périphérie, et non traversant, de ces parcelles devenues la parcelle [Cadastre 6].
Enfin, Mme [T] ne produit aucun élément de preuve permettant de démontrer un usage trentenaire du passage qu'elle invoque.
Il n'est pas justifié d'ordonner une expertise qui n'a pas pour finalité de pallier la carence des parties dans l'administration de la preuve.
L'ordonnance sera donc confirmée en ce qu'elle a rejeté la demande reconventionnelle et la demande d'expertise de Mme [T].
Les dépens d'appel seront supportés par Mme [T].
Mme [T] sera condamnée à verser à M. [M] 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS :
La Cour, après en avoir délibéré conformément à la loi, statuant par arrêt contradictoire prononcé par mise à disposition et en dernier ressort,
Confirme l'ordonnance,
Y ajoutant,
Condamne Mme [V] [T] aux dépens d'appel,
Condamne Mme [V] [T] à payer à M. [Y] [M] 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.
Le présent arrêt a été signé par Cyril VIDALIE, conseiller, et par Nathalie CAILHETON, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
La Greffière,Le Conseiller,