ARRÊT DU
21 Septembre 2022
VS / NC
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N° RG 22/00195
N° Portalis DBVO-V-B7G -C7IP
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[G] [W]
C/
[R] [F]
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GROSSES le
aux avocats
ARRÊT n° 379-22
COUR D'APPEL D'AGEN
Chambre Civile
LA COUR D'APPEL D'AGEN, 1ère chambre dans l'affaire,
ENTRE :
Monsieur [G] [W]
né le 15 décembre 1958 à [Localité 6]
de nationalité française, agriculteur
domicilié : [Adresse 9]
[Localité 6]
représenté par Me Christine FAIVRE, avocate associée de la SCP NONNON & FAIVRE, avocate au barreau du GERS
APPELANT d'un jugement du tribunal judiciaire d'Auch en date du 26 janvier 2022, RG 21/01242
D'une part,
ET :
Madame [R] [F]
née le 05 mai 1937 à [Localité 10]
de nationalité française, retraitée
domiciliée : [Adresse 8]
[Adresse 8]
[Localité 5]
Assignée, n'ayant pas constitué avocat
INTIMÉE
D'autre part,
COMPOSITION DE LA COUR :
l'affaire a été débattue et plaidée en audience publique le 15 juin 2022, sans opposition des parties, devant la cour composée de :
Valérie SCHMIDT, Conseiller,
qui en a rendu compte dans le délibéré de la cour composée outre elle-même de :
Cyril VIDALIE et Jean-Yves SEGONNES, Conseillers
en application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, et après qu'il en a été délibéré par les magistrats ci-dessus nommés,
et en présence de [V] [U], et [X] [J], auditeurs de justice, qui ont assisté aux débats et avec voix consultative au délibéré en vertu de l'article 19 de l'ordonnance du 22 décembre 1958,
Greffière : Nathalie CAILHETON
ARRÊT : prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile
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EXPOSÉ DU LITIGE
Par acte authentique du 05 février 1994, Mme [R] [F] a fait donation à son fils unique, M. [G] [W], d'une propriété rurale sise sur la commune d'[Localité 6] consistant en une
maison d'habitation, des bâtiments d'exploitation et des terres, d'une superficie de 30 ha
40 a 43 centiares en contrepartie de quoi, ce dernier s'obligeait à l'égard de la donatrice à la loger et à lui apporter tous les soins nécessaires sa vie durant.
L'acte stipulait également qu'au cas où pour une raison quelconque ou à la demande de la donatrice seule, la vie commune ne serait plus possible, les charges de soins en nature seraient remplacées par une rente annuelle et viagère payable mensuellement et d'avance à la donatrice, sa vie durant.
Ayant quitté la propriété familiale en 2001, Mme [F] a saisi le tribunal d'instance d'Auch afin d'obtenir le paiement d'une rente viagère.
Par jugement du 06 août 2002, le tribunal d'instance a ordonné la conversion de l'obligation de soins mise à la charge de M. [W] en une rente viagère mensuelle d'un montant de 400 euros indexés.
Par un arrêt du 10 mars 2004, la cour d'appel d'Agen a confirmé la décision déférée.
Par jugement du 10 juillet 2012, le juge aux affaires familiales d'Auch a débouté M. [W] de ses demandes tant principale de suppression de la rente viagère que subsidiaire de réduction de la rente viagère à 100 euros par mois.
A compter d'octobre 2013, M. [W] a cessé de verser la rente mensuelle viagère à Mme [F].
Par assignation du 02 septembre 2015, Mme [F] a saisi le tribunal de grande instance d'Auch afin de solliciter la révocation de la donation consentie à son fils selon acte authentique du 15 février 1994, avec effet rétroactif au 1er octobre 2013.
Parallèlement, par acte du 12 juillet 2016, M. [W] a saisi le juge aux affaires familiales d'Auch aux fins de suppression de la rente viagère.
Par jugement du 18 janvier 2017, le tribunal de grande instance a :
- ordonné la révocation de la donation consentie par Mme [F] à M. [W], selon acte authentique du 5 février 1994 avec effet rétroactif au 1er octobre 1993,
- débouté M. [W] de sa demande reconventionnelle,
- condamné M. [W] à verser à Mme [F] la somme de 1.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné M. [W] bénéficiaire de l'aide juridictionnelle totale, au paiement des entiers dépens,
- ordonné l'exécution provisoire du jugement.
Par jugement du 07 février 2017, le juge aux affaires familiales a supprimé la pension alimentaire précédemment mise à la charge de M. [W].
Par arrêt du 1er février 2021, la cour d'appel d'Agen a :
- débouté Mme [F] de sa demande de révocation de la donation consentie par elle le 05 février 1994,
- donné acte à M. [W] de ce qu'il offre de s'acquitter de l'arriéré de rente dans un délai de 24 mois,
- dit n'y avoir lieu à statuer sur le surplus des demandes,
- dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné Mme [F] aux dépens de première instance et d'appel.
Par chèque du 15 septembre 2021, M. [W] a payé à sa mère les arriérés de rente restant dus.
Par assignation du 11 octobre 2021, M. [W] a fait attraire Mme [F] devant le tribunal judiciaire d'Auch aux fins de voir prononcer la levée partielle de la clause d'inaliénabilité comprise dans l'acte de donation du 05 février 1994.
Par jugement du 26 janvier 2022, le tribunal judiciaire a :
- débouté M. [W] de ses demandes,
- débouté Mme [F] de sa demande au titre des articles 37 et 75 de la loi du 10 juillet 1991,
- condamné M. [W] aux entiers dépens.
M. [W] a interjeté appel le 11 mars 2022 de cette décision en visant l'intégralité des chefs de jugement dans sa déclaration d'appel.
Par ordonnance du 05 mars 2022, M. [W] a été autorisé à assigner à jour fixe Mme [F].
Par acte d'huissier du 24 mars 2022, M. [W] a fait délivrer assignation à jour fixe signifiée à personne à Mme [F].
Par uniques conclusions du 05 avril 2022, M. [W] demande à la cour de :
- réformer le jugement déféré,
statuant de nouveau :
- autoriser M. [W] à vendre les biens donnés par sa mère par acte du 05 février 1994, situés sur la commune d'[Localité 6] à l'exclusion des parcelles cadastrées section C, n°[Cadastre 2], [Cadastre 3], [Cadastre 4], [Cadastre 1] et [Cadastre 7].
- débouter Mme [F] de toutes ses demandes,
- dire que chaque partie conservera la charge des dépens de première instance et d'appel qu'elle a engagés.
A l'appui de ses prétentions, M. [W] fait valoir que :
- la liquidation de ses droits à retraite a eu pour conséquence la résiliation des baux de fermage,
- sa cessation d'activité va entraîner la résolution du plan de sauvegarde, et son placement
en liquidation judiciaire, sauf s'il apure son passif,
- la vente d'une partie des biens donnés par sa mère permettrait de payer le passif,
- l'apurement du passif et la conservation d'un solde créditeur pourrait permettre à Mme [F] de voir rétablir une obligation alimentaire à la charge de son fils,
- il n'existe plus d'intérêt légitime à voir cette clause maintenue, car l'obligation de verser la rente viagère a été supprimée,
- si la liquidation judiciaire est ordonnée, la levée de l'inaliénabilité pourra être obtenue par le liquidateur après accord de Mme [F] et tout le patrimoine sera vendu, avec perte des avantages consentis par les créanciers dans le plan de sauvegarde,
- si Mme [F] refuse la levée de l'inaliénabilité, les créanciers ne seront payés qu'à son décès de la dette majorée des intérêts ayant continué à courir,
- il a été contraint de déposer un dossier de demande de retraite car ses droits au revenu minimum de solidarité étaient suspendus à compter du 1er janvier 2021,
- il a réglé sa dette à l'égard de sa mère en vendant du matériel agricole et a obtenu temporairement l'autorisation de cumuler une activité agricole et des droits à la retraite jusqu'au 15 décembre 2022,
- la mise en fermage des terres cultivables par lui détenues pour une superficie de 26, 36 hectares est insuffisante pour répondre des échéances arrêtées au titre du plan de sauvegarde.
L'intimé n'a pas constitué avocat et la déclaration d'appel lui a été signifiée le 24 mars 2022 à sa personne.
La production de la copie intégrale de l'acte de naissance de Mme [F] le 13 juin 2022 ne fait état d'aucun régime de protection au bénéfice de celle-ci.
La cour pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des prétentions et moyens des parties fait expressément référence à la décision entreprise et aux dernières conclusions régulièrement déposées en application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
L'affaire a été fixée à plaider le 15 juin 2022.
MOTIFS
Sur la levée de la clause d'inaliénabilité
Aux termes de l'article 900-1 du code civil 'les clauses d'inaliénabilité affectant un bien donné ou légué ne sont valables que si elles sont temporaires et justifiées par un intérêt sérieux et légitime. Même dans ce cas le donataire ou le légataire peut être judiciairement autorisé à disposer du bien si l'intérêt qui avait justifié la clause a disparu ou s'il advient qu'un intérêt plus important l'exige'.
En l'espèce, l'acte de donation du 05 février 1994 stipule 'la présente donation est faite sans autre charge particulière que les charges viagères sus-énoncées.
Toutefois, la donatrice stipule expressément l'interdiction pour le donataire de vendre, échanger, hypothéquer ou autrement aliéner les biens donnés, sans son comportement exprès sa vie durant et jusqu'à son décès'.
M. [W] a versé à compter de la décision judiciaire du 06 août 2002 une rente viagère payable par mensualités de 400 euros à Mme [F] jusqu'au 07 février 2017, date à laquelle le juge aux affaires familiales l'a libéré de cette obligation alimentaire.
Par conséquent, l'interdiction d'aliéner n'est plus justifiée par l'intérêt légitime de Mme [F] de garantir le paiement d'une rente viagère stipulée à son profit.
Par ailleurs, M. [W] justifie de circonstances nouvelles. D'une part, il est établi qu'il ne peut plus exploiter la majorité des terres agricoles en raison de la résiliation des baux ruraux advenue depuis la liquidation de ses droits à la retraite et d'autre part qu'il a été destinataire d'un nouvel échéancier notifié par le mandataire judiciaire au regard de ses difficultés à respecter le plan de sauvegarde initial.
En tout état de cause, la conversion de la procédure de sauvegarde en liquidation judiciaire sera inéluctable si le statu quo actuel perdure car il conduit à un accroissement de la dette par capitalisation des intérêts de retard au vu de la situation durablement compromise de M. [W] à qui il a été notifié la fin de ses droits au revenu minimum de solidarité à compter de juin 2021.
Actuellement, M. [W] fait état d'une dette contractée à hauteur de 173.362 euros et justifie d'une relance en février 2022 pour non paiement au 15 décembre 2021 de l'échéance du plan. A cet égard, les comptes 2020 de l'EURL [W] attestent de l'exercice déficitaire de l'activité, lequel sera aggravé au regard des conditions d'exploitation à venir plus restreintes.
Toutefois, contrairement à ce que soutient M. [W], le liquidateur judiciaire ne pourra exercer l'action en autorisation judiciaire d'aliéner car cette action est attachée à la personne du donataire. Par conséquent, la clause d'inaliénabilité fait obstacle à la saisie du bien donné de nature à permettre le désintéressement des créanciers et ce jusqu'au décès de Mme [F].
En outre, l'autorisation temporaire de cumuler une activité agricole et la perception d'une retraite prendra fin le 31 décembre 2022 ce qui réduira d'autant plus les capacités financières de M. [W].
En considération des intérêts en cause, celui de répondre du paiement de la dette rapidement en conservant des éléments du patrimoine donné, particulièrement la maison d'habitation, est un intérêt plus important que celui de la donatrice à ne pas voir aliéner tout ou partie du patrimoine alors qu'elle ne bénéficie plus d'aucune contrepartie tant en nature que financière garantie par la clause d'inaliénabilité.
L'intérêt de Mme [F] retenu par le premier juge à ne pas voir aliéner tout ou partie du patrimoine pour le cas du prédécès de M. [W] est un intérêt hypothétique qui ne peut être opposé à celui actuel de faire face au passif.
Dès lors, la clause d'inaliénabilité affectant le bien donné est confrontée à un intérêt plus important qui exige que M. [W] soit autorisé à vendre les biens donnés par sa mère par acte du 05 février 1994 situés sur la commune d'[Localité 6] à l'exclusion des parcelles cadastrées section C, n°[Cadastre 2], [Cadastre 3], [Cadastre 4], [Cadastre 1] et [Cadastre 7].
Le jugement sera infirmé de ce chef.
Sur les dépens
L'équité commande que chacune des parties supporte ses propres dépens de première instance et d'appel.
PAR CES MOTIFS :
La Cour, après en avoir délibéré conformément à la loi, statuant par arrêt réputé contradictoire prononcé par mise à disposition et en dernier ressort,
INFIRME le jugement en toutes ses dispositions ;
Statuant de nouveau :
AUTORISE M. [W] à vendre les biens donnés par Mme [F] par acte du 05 février 1994 situés sur la commune d'[Localité 6] à l'exclusion des parcelles cadastrées section C, n°[Cadastre 2], [Cadastre 3], [Cadastre 4], [Cadastre 1] et [Cadastre 7] ;
DIT que chacune des parties supportera ses propres dépens de première instance et d'appel.
Le présent arrêt a été signé par Valérie SCHMIDT, conseiller faisant fonction de présidente, et par Nathalie CAILHETON, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
La Greffière,La Présidente,