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07/09/2022 | FRANCE | N°21/00436

France | France, Cour d'appel d'Agen, Chambre civile, 07 septembre 2022, 21/00436


ARRÊT DU

07 Septembre 2022





CV/CR





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N° RG 21/00436

N° Portalis

DBVO-V-B7F-C4HL

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Commune de

CASTELNAU DE MEDOC



C/



S.C.P. BOUVET LLOPIS



S.E.L.A.R.L.

BIROT-RAVAUT

ET ASSOCIES







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GROSSES le

à









ARRÊT













COUR D'APPEL D'AGEN



Chambre Civile









LA COUR D'APPEL D'AGEN, 1ère chambre dans l'affaire,







ENTRE :



[Adresse 8]

Hôtel de Ville

[Adresse 1]

[Localité 7]



Représentée par Me Hélène GUILHOT, avocate postulante inscrite au barreau d'AGEN et par Me Olivier CHAMBORD, avocat plaidant inscr...

ARRÊT DU

07 Septembre 2022

CV/CR

---------------------

N° RG 21/00436

N° Portalis

DBVO-V-B7F-C4HL

---------------------

Commune de

CASTELNAU DE MEDOC

C/

S.C.P. BOUVET LLOPIS

S.E.L.A.R.L.

BIROT-RAVAUT

ET ASSOCIES

------------------

GROSSES le

à

ARRÊT n°

COUR D'APPEL D'AGEN

Chambre Civile

LA COUR D'APPEL D'AGEN, 1ère chambre dans l'affaire,

ENTRE :

[Adresse 8]

Hôtel de Ville

[Adresse 1]

[Localité 7]

Représentée par Me Hélène GUILHOT, avocate postulante inscrite au barreau d'AGEN et par Me Olivier CHAMBORD, avocat plaidant inscrit au barreau de BORDEAUX

APPELANTE d'un Jugement du tribunal judiciaire d'AGEN en date du 16 Mars 2021, RG 17/01902

D'une part,

ET :

S.C.P. BOUVET LLOPIS MULLER & Associés

RCS de Paris n°849 413 885

[Adresse 3]

[Localité 5]

Représentée par Me Erwan VIMONT, avocat postulant inscrit au barreau d'AGEN et par Me Paul-Albert IWEINS, avocat plaidant inscrit au barreau de PARIS

S.E.L.A.R.L. BIROT-RAVAUT ET ASSOCIES

[Adresse 4]

[Localité 2]

Représentée par Me Xavier LAYDEKER de la SCP LAYDEKER - SAMMARCELLI - MOUSSEAU, avocat plaidant inscrit au barreau de BORDEAUX et par Me François DELMOULY, avocat postulant inscrit au barreau d'AGEN

INTIMÉES

D'autre part,

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue et plaidée en audience publique le 02 Mai 2022 devant la cour composée de :

Présidente : Claude GATÉ, Présidente de Chambre

Assesseurs : Dominique BENON, Conseiller

Cyril VIDALIE, Conseiller qui a fait un rapport oral à l'audience

Greffières : Lors des débats : Nathalie CAILHETON

Lors de la mise à disposition : Charlotte ROSA, adjoint administratif faisant fonction de greffier

ARRÊT : prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile

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Faits et procédure :

Par acte notarié du 27 avril 1993, la commune de [Localité 7] a conclu avec la SA Le Médoc Gourmand un contrat de crédit-bail dans le cadre duquel devait être édifié sur un terrain préalablement acquis par la commune, situé lieudit La Pailleyre, commune de Castelnau de Médoc, cadastré section [Cadastre 6], un immeuble destiné à l'exercice par cette société d'une activité de production de pâtisseries industrielles.

Par un jugement du 28 octobre 1999, le tribunal administratif a condamné les constructeurs à verser à la commune de [Localité 7] des indemnités au titre de désordres affectant l'immeuble à hauteur d'une somme de 942 312,72 euros.

Par ailleurs, la SA Le Médoc Gourmand a assigné la commune de [Localité 7] devant le tribunal de grande instance de Bordeaux, pour obtenir l'indemnisation des préjudices subis en raison de ses manquements à ses obligations de bailleur tenu de fournir une jouissance paisible des lieux. Son action a été rejetée.

Une transaction a été établie le 6 juillet 2000 entre la commune de [Localité 7] et la SA Le Médoc Gourmand, portant sur le reversement par la commune d'une partie des indemnités obtenues des constructeurs, le paiement de loyers impayés, et la suspension pour une durée de 24 mois des loyers exigibles à compter du 1er janvier 2000.

Les paiements des loyers n'ayant pas été honorés, la commune de [Localité 7] a émis des titres exécutoires dont les oppositions formées devant le tribunal de grande instance de Bordeaux ont été rejetées par un jugement du 2 mars 2006.

Ce jugement, assorti de l'exécution provisoire, a prononcé la résiliation du contrat de bail, condamné la SA Le Médoc Gourmand au paiement des loyers échus depuis le 1er janvier 2003, et fixé à un montant équivalent au loyer l'indemnité d'occupation due jusqu'à la libération effective des lieux. Appel en a été interjeté.

La SA Le Médoc Gourmand a sollicité l'arrêt de l'exécution provisoire du jugement, qui a été prononcé par une ordonnance du Premier président de la cour d'appel de Bordeaux du 22 juin 2006.

Par acte du 12 novembre 2007, la SCP Brisse-Bouvet-Llopis, huissiers de justice à Paris, devenue par la suite la SCP Bouvet-Llopis-Muller et associés, a pratiqué entre les mains de la SCP Daigrement - Chapuis, huissiers de justice à Paris, une saisie-conservatoire à la demande de la commune de [Localité 7], à l'encontre de la société Le Médoc Gourmand, pour un montant de 752 171,24 euros sur le fondement de trois titres exécutoires émis en recouvrement des loyers dus pour les années 2000, 2001, et 2002, ainsi que du jugement du tribunal de grande instance de Bordeaux du 2 mars 2006. Un mention manuscrite portée sur le procès-verbal de saisie indique 'nous détenons 2 318 948,66 euros sous réserve des frais'.

Cette saisie a été déférée au juge de l'exécution de Bordeaux, qui a rejeté les contestations émises par la SA Le Médoc Gourmand, aux termes d'un jugement du 10 juillet 2012, confirmé par un arrêt de la cour d'appel de Bordeaux du 5 septembre 2013 à l'encontre duquel un pourvoi a été formé, rejeté par un arrêt de la 2e chambre civile de la Cour de cassation du 8 janvier 2015.

Puis, par un arrêt du 6 juillet 2016, la cour d'appel de Bordeaux, qui avait reporté l'examen du jugement du 2 mars 2006, l'a confirmé.

Cet arrêt a été signifié par voie électronique par la SELARL Birot-Ravaut à l'avocat de la SA Le Médoc Gourmand le 18 juillet 2016.

La SELARL Birot-Ravaut et associés à adressé à la SCP Brisse-Bouvet-Llopis un courrier daté du 21 juillet 2016 indiquant :

'Votre étude est intervenue dans cette procédure déjà ancienne afin de procéder à une saisie conservatoire de créance auprès de la SCP Daigrement Jean-Claude et Chapus Eric, Huissiers de Justice associés.'

'Vous trouverez ci-joint l'original de votre PV de saisie qui portait sur un montant de

752 171,24 euros qui précisait manuscritement 'Nous détenons 2 318 948,66 euros sous réserve des frais'.'

'Je vous prie de trouver également la grosse de l'arrêt rendu par la cour d'appel de Bordeaux le 6 juillet 2016 que je vous remercie de signifier auprès de la SA Le Médoc Gourmand.'

...

'Dans la mesure où l'arrêt précité confirmait la décision ayant donné lieu à la saisie conservatoire de créance, vous voudrez bien procéder à l'exécution de l'arrêt et convertir en conséquence la saisie conservatoire en saisie attribution et engager toutes les poursuites nécessaires pour le reliquat des sommes à recouvrer auprès de la SA Le Médoc Gourmand.'

'Je me tiens bien sûr à votre entière disposition pour toute information qui vous serait nécessaire mais vous demande d'agir avec la plus grande fermeté vu l'ancienneté de cette affaire et l'impatience bien comprise de ma cliente la Commune de [Localité 7].'

Par courrier daté du 22 juillet 2016, la SCP Brisse-Bouvet-Llopis a accusé réception de ce mandat, indiqué faire signifier par son confrère l'arrêt avant de procéder à la conversion.

Par courrier du 25 juillet 2016, Maître Pierre Ravaut y a répondu par l'envoi de la provision de 360 euros sollicitée.

Par courrier du 26 août 2016, la SCP Brisse-Bouvet-Llopis a informé la SELARL Michet-Ravaut de la signification de l'arrêt par son confrère des Hauts de Seine en date du 28 juillet 2016, indiqué avoir préparé la conversion de la saisie conservatoire et que la conversion serait pratiquée 'tout début septembre'.

Elle a sollicité des pièces complémentaires par courriel du 6 septembre 2016 auquel il a été répondu le 9 septembre 2016.

Entre temps, par un jugement du tribunal de commerce de Nanterre du 3 août 2016, la SA Le Médoc Gourmand a été placée en liquidation judiciaire.

Cette décision est intervenue à la suite d'une déclaration de cessation des paiements du dirigeant de cette société sollicitant une liquidation judiciaire directe, exposant que l'activité était arrêtée depuis l'année 2008. Le tribunal a relevé que le passif connu était évalué à 4 641 593 euros, l'actif à 265 461 euros, et 'fixé provisoirement au 6 juillet 2016 la date de cessation des paiements correspondant à la date des arrêts prononcés par la cour d'appel de Bordeaux'.

Par actes des 3 et 12 octobre 2017, la commune de [Localité 7] a assigné la SELARL Birot-Ravaut et associés et la SCP Brisse-Bouvet-Llopis en responsabilité devant le tribunal de grande instance, devenu tribunal judiciaire, d'Agen.

Par jugement du 16 mars 2021, le tribunal judiciaire d'Agen a :

- débouté la commune de [Localité 7] de ses demandes à l'encontre de la SCP Bouvet-Llopis et la SELARL Birot-Ravaut et associés concernant la procédure de conversion de la saisie-conservatoire,

- sursis à statuer sur la demande formée par la commune de [Localité 7] à l'encontre de la SELARL Birot-Ravaut et associés et ce dans l'attente de la procédure de vérification des créances portées à la liquidation de la société le Médoc Gourmand pour le moins en ce qui concerne la créance déclarée par la commune de Castelnau de Médoc.

Le tribunal a considéré, s'agissant de la conversion de la saisie-conservatoire, que la SELARL Birot-Ravaut et associés avait fait preuve d'une particulière diligence pour assurer dans des délais raisonnables et réduits le début de la procédure d'exécution, mais avait néanmoins commis une faute en s'abstenant de s'inquiéter du sort de cette procédure.

Le tribunal a retenu que la SCP Bouvet-Llopis n'avait pas eu l'intention de poursuivre la procédure d'exécution avant le début du mois de septembre 2016, et que ce délai était d'autant moins justifiable qu'elle avait procédé à la saisie-conservatoire initiale.

Le tribunal a cependant estimé que le lien de causalité entre les fautes retenues et le préjudice subi n'était pas démontré, compte tenu de la liquidation judiciaire prononcée le 3 août 2016, car, d'une part, la conversion éventuellement obtenue aurait pu être anéantie par application de l'article L.632-2 du Code de commerce, et, d'autre part, les diligences effectuées ne pouvaient être plus rapides.

S'agissant de la responsabilité de la SELARL Birot-Ravaut et associés au titre de la déclaration de créance d'un montant de 1 543 616,32 euros, que la commune évalue à 1 697 290,55 euros, le tribunal a estimé qu'il devait être sursis à statuer en attente de sa vérification.

La commune de [Localité 7] a formé appel le 16 avril 2021, désignant en qualité d'intimés la SCP Bouvet-Llopis, et la SELARL Birot-Ravaut et associés, visant dans sa déclaration la totalité des dispositions du jugement à l'exception de celle ordonnant un sursis à statuer.

Prétentions :

Par dernières conclusions du 28 décembre 2021, la commune de [Localité 7] demande à la Cour de :

- infirmer le jugement du tribunal judiciaire d'Agen en date du 16 mars 2021, en ce qu'il l'a :

- déboutée de ses demandes à l'encontre de la SCP Marie-Josèphe Bouvet, Jérôme Llopis huissiers de Justice associés et de la SELARL Birot-Ravaut et associés concernant la procédure de conversion de la saisie conservatoire,

- déboutée de sa demande tendant à les voir condamnées sous l'exécution provisoire à lui payer une indemnité sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,

- statuant de nouveau,

- condamner in solidum la SCP Brisse-Bouvet-Llopis et la SELARL Birot-Ravaut et associés à lui payer la somme de 752 171,24 euros à titre de dommages et intérêts, avec intérêts au taux légal à compter de la saisie conservatoire et anatocisme en application des dispositions de l'article 1343-2 du code civil,

- condamner en outre in solidum la SCP Brisse-Bouvet-Llopis et la SELARL Birot-Ravaut et associés à lui payer une somme de 7 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens,

- débouter la SCP Brisse-Bouvet-Llopis et la SELARL Birot-Ravaut et associés de leurs demandes,

- ordonner l'exécution provisoire de l'arrêt à intervenir.

La Commune de [Localité 7] fait valoir que :

- la SCP Brisse-Bouvet-Llopis a commis une faute :

- alors que sa mission était urgente, elle n'a commencé à agir qu'au mois de septembre, presque deux mois après l'avoir reçue,

- la célérité de son action pour signifier l'arrêt et solliciter une provision contraste avec sa lenteur pour procéder à la conversion de la saisie qui était plus urgente,

- elle a tardé à faire signifier l'arrêt qui l'a été le 28 juillet 2016, puis a tardé à l'exécuter,

- elle a omis de s'assurer de la santé financière de la SA Le Médoc Gourmand,

- la SELARL Birot-Ravaut et associés a commis une faute :

- avocat de la commune depuis le début du litige, pleinement consciente de l'urgence de la situation résultant de la situation alarmante de la société, elle n'a assuré aucun suivi de la réalisation de la conversion demandée à l'huissier,

- il appartient à l'avocat de s'assurer de la réalisation effective des missions qu'il confie à un huissier,

- le lien de causalité avec le préjudice est établi :

- la conversion emporte attribution immédiate de la créance saisie en vertu de l'article L.523-2 du Code des procédures civiles d'exécution,

- l'arrêt de la cour d'appel de Bordeaux du 6 juillet 2016 était exécutoire de plein droit,

- la conversion était possible dès sa signification,

- les retards accumulés par l'avocat et l'huissier, particulièrement l'huissier, ont fait perdre à la commune une chance sérieuse de recouvrer les sommes dues,

- le tribunal a considéré par erreur que la conversion aurait pu être mise à néant en application de l'article L.632-2 du Code de commerce, lequel suppose la connaissance de l'état de cessation des paiements, car la commune n'a été informée que le 22 septembre 2016 de l'ampleur des difficultés de la SA Le Médoc Gourmand,

- la jurisprudence retient qu'une saisie conservatoire convertie avant l'ouverture de la procédure contre le débiteur ne peut être annulée, et que toute contestation est irrecevable si elle a été régulièrement convertie avant l'ouverture du redressement judiciaire,

- l'acte de signification de l'acte de conversion emporte attribution immédiate de la créance saisie,

- le montant du préjudice est justifié :

- la créance s'élève à 1 670 259,67 euros, en exécution de l'arrêt de la cour d'appel de Bordeaux du 6 juillet 2016, la saisie conservatoire a été pratiquée à hauteur de 752 171,24 euros, somme qui était disponible, de sorte que la perte de chance est caractérisée et que le préjudice est égal à ce montant.

Par dernières conclusions du 22 mars 2022, la SELARL Birot-Ravaut et associés demande à la Cour de :

- réformer le jugement en ce qu'il a dit qu'elle avait commis un défaut de diligence dans le suivi de la procédure de conversion,

- le confirmer en ce qu'il a débouté la commune de [Localité 7] des demandes dirigées à son encontre,

- condamner la commune de [Localité 7] à lui payer une indemnité de 5 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.

La SELARL Birot-Ravaut et associés fait valoir que :

- elle n'a pas commis de faute :

- le délai de saisine de l'huissier est raisonnable, la grosse de l'arrêt, indispensable à toute mesure d'exécution, ayant été reçue 7 jours ouvrés après le prononcé de l'arrêt du 6 juillet 2016, l'arrêt ayant été signifié électroniquement à l'avocat adverse le 18 juillet 2016, l'huissier contacté le 20 juillet 2016, ayant été missionné par courrier recommandé du 21 juillet 2016, et destinataire de la provision sollicitée le 25 juillet au moyen d'une avance de l'avocat de la commune afin de permettre une exécution immédiate des diligences de l'huissier,

- le délai de trois jours pour saisir l'huissier, et de six jours entre la réception de la grosse de l'arrêt et le moment où l'huissier a été mis en mesure de poursuivre l'exécution de l'arrêt ne présente pas un caractère excessif, étant observé qu'entre le 22 juillet et le 2 août, 7 jours ouvrés se sont écoulés,

- l'urgence a été portée à la connaissance de l'huissier,

- l'huissier saisi, qui avait traité initialement la saisie conservatoire, devait mandater un huissier territorialement compétent,

- il ne peut lui être reproché de ne pas avoir veillé à l'exécution de la conversion de la saisie entre le 25 juillet et le 26 août 2016, compte tenu des diligences accomplies, l'huissier étant tenu d'accomplir sans délai sa mission,

- une telle surveillance aurait été sans effet compte tenu de la survenance de la liquidation judiciaire, l'avocat ayant contacté l'étude d'huissier à réception de son courrier du 16 août 2016 pour s'étonner de l'absence de réalisation de la conversion et lui ayant enjoint de le faire sans délai, ce qui n'a pas été le cas,

- le lien de causalité n'est pas démontré :

- entre le manque de diligence reproché et le préjudice, les mesures d'exécution relevant de l'office de l'huissier,

- il n'est pas établi que la commune aurait recouvré les fonds gelés si la conversion avait été réalisée avant l'ouverture de la liquidation judiciaire, car elle aurait été exposée à un risque d'annulation fondée sur l'article L.632-2 du Code de commerce, et la commune de Castelnau du Médoc, contrairement à ses affirmations en cause d'appel, était informée de la cessation des paiements du débiteur, qui ressort des conclusions prises pour son compte dans le cadre de l'instance l'ayant opposée à la SA Le Médoc Gourmand, illustrée notamment par la fermeture de l'usine en 2008 ; ce fait ressort également de l'arrêt du 5 septembre 2013 se référant, outre à la fermeture et à l'abandon du site, à l'instance en suspension d'exécution provisoire au cours de laquelle la débitrice avait 'fait elle-même l'aveu de son impossibilité de payer' ; en outre, la commune ne démontre pas l'irrecouvrabilité de sa créance, de sorte que le caractère certain de son préjudice n'est pas établi.

Par uniques conclusions du 5 octobre 2021, la SCP Bouvet-Llopis-Muller et associés demande à la Cour de :

- confirmer le jugement en ce qu'il a débouté la commune de [Localité 7] de l'intégralité de ses demandes à son encontre,

- infirmer le jugement en ce qu'il l'a déboutée de sa demande sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,

- statuant à nouveau,

- condamner la commune de [Localité 7] à lui payer la somme de 8 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamner la commune de [Localité 7] aux dépens avec distraction en application de l'article 699 du Code de procédure civile.

La SCP Bouvet-Llopis-Muller et associés fait valoir que :

- elle n'a pas commis de faute :

- elle a reçu le courrier de l'avocat de la commune le vendredi 22 juillet 2016, adressé l'acte de signification le même jour à la SELARL Baroni-Hermet Debu Hardy Bressand, huissiers de justice à Puteaux territorialement compétents pour le signifier au siège de la SA Le Médoc Gourmand, SELARL qui en a accusé réception le mardi 26 juillet 2016, l'a signifié le jeudi 28 juillet 2016, et elle a reçu le second original en retour le lundi 1er août 2016, avant-veille du jugement ordonnant la liquidation judiciaire,

- elle a entrepris de mettre en oeuvre les instructions de la commune le jour même de leur réception, avant de recevoir une provision,

- il ne peut lui être reproché d'avoir retardé au mois de septembre ses diligences, l'ouverture de la liquidation entraînant une interdiction des paiements, en vertu de l'article L.622-7 du Code de commerce, l'article L.622-21 arrêtant ou interdisant également toute procédure d'exécution,

- dès lors que la signification de l'arrêt constituait un préalable à toute démarche, et qu'ayant reçu le retour du procès-verbal de signification le lundi 1er août 2016, elle ne disposait que d'une journée avant la liquidation pour procéder à la conversion de la saisie qui supposait d'établir l'acte et de le signifier au tiers saisi, cet acte emportant l'effet attributif, elle n'a pas tardé dans ses diligences,

- la commune soutient qu'il y avait urgence à agir, sans avoir attiré l'attention de l'huissier sur une telle nécessité, ainsi qu'elle l'a reconnu dans son assignation, et il ne peut être attendu de l'huissier de deviner l'état de cessation de paiement du débiteur,

- la saisie conversion aurait pu être annulée sur le fondement de l'article L.632-2 du Code de commerce pour avoir été effectuée durant la période suspecte,

- il ne peut être utilement soutenu que le courrier de l'huissier du 26 août 2016 indiquant que la conversion serait réalisée en septembre présenterait un caractère fautif, une éventuelle absence de diligence postérieure à l'ouverture de la liquidation judiciaire du débiteur ne pouvant être à l'origine du préjudice invoqué,

- il n'est pas démontré de lien de causalité entre la faute et le préjudice,

- le préjudice n'est pas démontré :

- le préjudice ne peut résulter que de la perte d'une chance de recouvrer ses fonds, or ni l'irrecouvrabilité totale de la créance, ni le montant du préjudice ne sont démontrés.

La Cour, pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des prétentions et moyens des parties, fait expressément référence à la décision entreprise, et aux dernières conclusions déposées.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 13 avril 2022, et l'affaire a été fixée pour être examinée le 2 mai 2022.

Motifs

Sur la responsabilité :

Selon l'article 1147 du Code civil en vigueur à la date des actes en litige, devenu l'article 1231-1 du même Code à compter du 1er octobre 2016, le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au payement de dommages et intérêts, soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, toutes les fois qu'il ne justifie pas que l'inexécution provient d'une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu'il n'y ait aucune mauvaise foi de sa part.

Lorsque l'obligation souscrite est de moyens, et oblige celui qui s'y engage à accomplir des diligences en vue de parvenir au résultat attendu, la mise en oeuvre de cette responsabilité nécessite la preuve d'une inexécution fautive des engagements souscrits, d'un préjudice, et d'un lien de causalité entre le dommage subi et la faute commise.

L'avocat est tenu d'accomplir dans le respect des règles déontologiques, toutes les diligences utiles à la défense des intérêts de son client, et astreint, en cas de faute, à indemniser le préjudice résultant de la perte d'une chance d'obtenir le résultat espéré par son client.

L'huissier de justice est, notamment, responsable envers son client de l'inexécution ou du retard dans l'exécution du mandat dont il a été chargé.

Dans le cas présent, est en débat l'article L.523-2 du Code des procédures civiles d'exécution selon lequel, si la saisie conservatoire porte sur une créance, le créancier, muni d'un titre exécutoire, peut en demander le paiement. Cette demande emporte attribution immédiate de la créance saisie jusqu'à concurrence du montant de la condamnation et des sommes dont le tiers saisi s'est reconnu ou a été déclaré débiteur.

Les articles R.523-2 et suivants du même code déterminent les règles applicables à cette conversion.

Il doit être ajouté qu'en vertu de l'article L.111-2 du Code des procédures civiles d'exécution, constitue un titre exécutoire une décision de justice ayant acquis force exécutoire, c'est-à-dire qui a été signifiée (art 503 et 675 du Code de procédure civile) et est insusceptible de recours suspensif d'exécution (ce qui est le cas d'un arrêt).

Est également en débat l'article L.622-21 du Code de commerce relatif à la suspension des poursuites individuelles, qui dispose que le jugement d'ouverture arrête ou interdit toute procédure d'exécution tant sur les meubles que sur les immeubles ainsi que toute procédure de distribution n'ayant pas produit un effet attributif avant le jugement d'ouverture.

Il en résulte que le créancier qui n'a pas signifié l'acte de conversion de la saisie avant l'ouverture de la procédure collective ne peut se prévaloir d'un droit acquis avant le jugement d'ouverture, et que la saisie conservatoire non convertie à la date du jugement d'ouverture doit être levée.

La commune de [Localité 7], qui fait grief à son avocat et à l'huissier mandaté pour son compte par celui-ci, d'avoir manqué de rapidité dans la réalisation des diligences destinées à obtenir la conversion de la saisie conservatoire en saisie attribution, verse aux débats au soutien de son action l'acte de crédit-bail, l'arrêt de la cour d'appel de Bordeaux du 6 juillet 2016, et les correspondances échangées entre son avocat et l'huissier.

Elle ne démontre pas avoir demandé à son avocat d'agir avec une particulière rapidité, ou a fortiori dans l'urgence.

De même, il ne résulte pas du premier courrier adressé par Maître Pierre Ravaut à la SCP Brisse-Bouvet-LLopis en date du 21 juillet 2016, d'élément tenant à l'urgence des actes à accomplir.

Ce courrier, qui ne contient pas le terme 'urgence', n'évoque pas l'attente d'une action immédiate du créancier, ou de son avocat, mais fait état de l'ancienneté du litige, de l'impatience de la commune et de la fermeté attendue de l'huissier, traduisant une attente de diligence efficace et dépourvue de retard, mais non d'une action immédiate destinée à prévenir un risque imminent de dépérissement de la créance.

La SELARL Birot-Ravaut, dont il n'est pas contesté qu'elle a reçu la grosse de l'arrêt du greffe de la cour d'appel de Bordeaux, prononcé le 6 juillet 2016, 7 jours ouvrés après son prononcé, soit le lundi 18 juillet 2016, l'a signifié à l'avocat de la SA Le Médoc Gourmand le jour même, et a délivré mandat d'exécution à la SCP Brisse-Bouvet-Llopis par courrier daté du jeudi 21 juillet 2016.

Il ne peut être considéré qu'elle ait manqué à son devoir de diligence en poursuivant l'exécution de la décision de justice dans un délai de trois jours.

S'agissant du suivi du mandat confié à l'huissier de justice chargé de signifier et d'exécuter l'arrêt, la SELARL Birot-Ravaut a indiqué dans le courrier précité du 21 juillet 2016 'je me tiens bien sûr à votre entière disposition pour toute information qui vous serait nécessaire', puis, à la suite du courrier adressé en réponse par la SCP Brisse-Bouvet-Llopis du vendredi 22 juillet 2016, y a répondu par un courrier du lundi 25 juillet 2016, en lui adressant la provision sollicitée et en l'invitant à 'tenir [Maître Pierre Ravaut] informé de la procédure d'exécution'.

Il est ainsi démontré que la SELARL Birot-Ravaut a dépondu dès le premier jour ouvré à la sollicitation de la SCP Brisse-Bouvet-Llopis qui lui a été adressée avant l'ouverture de la procédure de liquidation judiciaire de la SA Le Médoc Gourmand, et l'a expressément invitée à porter à sa connaissance les événements à venir.

Il ne peut par ailleurs être tiré motif des faits postérieurs au jugement d'ouverture du 3 août 2016 pour rechercher si elle a manqué à ses devoirs, le dommage invoqué s'étant manifesté à la suite de cette décision.

La SELARL Birot-Ravaut ne s'est donc pas rendue auteur d'un manquement fautif aux obligations la liant à la commune de [Localité 7].

S'agissant de la SCP Brisse-Bouvet-Llopis, celle-ci indique, sans être démentie, avoir reçu le courrier de la SELARL Birot-Ravaut le 22 juillet 2016 qui était un vendredi ; elle lui a adressé un courrier de réponse daté du même jour ; l'arrêt a été signifié à la SA Le Médoc Gourmand le 28 juillet 2016, qui était le jeudi suivant la réception du courrier la mandatant, soit un délai d'exécution de la mission de signification, qui a nécessité l'intervention d'une autre étude d'huissier territorialement compétente, de 4 jours, étant ici rappelé que cette signification constituait un préalable obligatoire à la conversion de la saisie.

Le second original du procès-verbal de signification a été réceptionné par la SCP Brisse-Bouvet Llopis le lundi 1er août 2016, date à partir de laquelle elle s'est trouvée munie d'un titre exécutoire ; or la liquidation judiciaire est intervenue le jeudi 3 août 2016, de sorte qu'il ne s'est écoulé qu'une journée ouvrée avant le prononcé de la liquidation judiciaire et la suspension des poursuites.

Au regard des diligences accomplies entre le 22 juillet et le 3 août 2016, il ne peut être considéré que la SCP Brisse-Bouvet-Llopis ait été négligente dans l'accomplissement des diligences attendues d'elle.

Le jugement sera donc confirmé par substitution de motifs, en l'absence de faute de la SELARL Birot-Ravaut et de la SCP Brisse-Bouvet-Llopis.

Sur les autres demandes

En application de l'article 696 du Code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge d'une autre partie.

En l'espèce, la commune de [Localité 7], qui a succombé en première instance, a été à juste titre condamnée à en supporter les dépens.

Son recours étant injustifié, elle sera tenue de supporter les dépens d'appel.

L'article 700 du Code de procédure civile prévoit que le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

La commune de [Localité 7] sera condamnée à payer à la SELARL Birot-Ravaut et associés et à la SCP Bouvet-Llopis-Muller et associés 2 000 euros chacune en application de ces dispositions.

Par ces motifs,

La Cour, après en avoir délibéré conformément à la loi, statuant par arrêt contradictoire prononcé par mise à disposition au greffe, et en dernier ressort,

Confirme le jugement du tribunal judiciaire d'Agen du 16 mars 2021 du chef déféré,

Y ajoutant,

Condamne la commune de [Localité 7] aux dépens d'appel,

Condamne la commune de [Localité 7] à payer à la SELARL Birot-Ravaut et associés 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,

Condamne la commune de [Localité 7] à payer à la SCP Bouvet-Llopis-Muller et associés 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,

Autorise Maître Erwan Vimont et la SELAS Valsamidis Amsallem Jonath Flaicher associés à recouvrer directement ceux des dépens dont ils ont fait l'avance sans en avoir reçu provision, conformément à l'article 699 du Code de procédure civile.

Le présent arrêt a été signé par Claude GATÉ, présidente, et par Charlotte ROSA, adjointe administrative faisant fonction de greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

La Greffière,La Présidente,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Agen
Formation : Chambre civile
Numéro d'arrêt : 21/00436
Date de la décision : 07/09/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-09-07;21.00436 ?
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