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07/09/2022 | FRANCE | N°20/00431

France | France, Cour d'appel d'Agen, Chambre civile, 07 septembre 2022, 20/00431


ARRÊT DU

07 Septembre 2022





DB/CR





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N° RG 20/00431

N° Portalis

DBVO-V-B7E-CZKM

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S.A.R.L.

OPTIQUE [Localité 4],



S.A.S.U.

OPTIQUE REPUBLIQUE



C/



S.A.R.L.

HOLDING [R]







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GROSSES le

à









ARR

ÊT n°











COUR D'APPEL D'AGEN



Chambre Civile

Section commerciale







LA COUR D'APPEL D'AGEN, 1ère chambre dans l'affaire,







ENTRE :



S.A.R.L. OPTIQUE [Localité 4]

RCS de [Localité 3] n°811 927 748

[Adresse 1]

[Localité 4]



S.A.S.U. OPTIQUE REPUBLIQUE

RCS de [Localité 3] n°352 063 838

[Adresse 2]

[...

ARRÊT DU

07 Septembre 2022

DB/CR

---------------------

N° RG 20/00431

N° Portalis

DBVO-V-B7E-CZKM

---------------------

S.A.R.L.

OPTIQUE [Localité 4],

S.A.S.U.

OPTIQUE REPUBLIQUE

C/

S.A.R.L.

HOLDING [R]

------------------

GROSSES le

à

ARRÊT n°

COUR D'APPEL D'AGEN

Chambre Civile

Section commerciale

LA COUR D'APPEL D'AGEN, 1ère chambre dans l'affaire,

ENTRE :

S.A.R.L. OPTIQUE [Localité 4]

RCS de [Localité 3] n°811 927 748

[Adresse 1]

[Localité 4]

S.A.S.U. OPTIQUE REPUBLIQUE

RCS de [Localité 3] n°352 063 838

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représentées par Me David LLAMAS, avocat postulant inscrit au barreau d'AGEN et par Me Alexis BAUDOIN, avocat plaidant inscirt au barreau de POITIERS

APPELANTES d'un Jugement du Tribunal de Commerce de CAHORS en date du 08 Juin 2020, RG 2016003833

D'une part,

ET :

S.A.R.L. HOLDING [R]

RCS de [Localité 3] n°508 499 571

214 rue du 19 mars 1962

[Localité 4]

Représentée par Me Hélène GUILHOT, avocate postulante inscrite au barreau d'AGEN et par Me Fernando SILVA, avocat plaidant inscrit au barreau de BORDEAUX

INTIMÉE

D'autre part,

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue et plaidée en audience publique le 02 Mai 2022 devant la cour composée de :

Présidente : Claude GATÉ, Présidente de Chambre,

Assesseurs : Dominique BENON, Conseiller qui a fait un rapport oral à l'audience

Cyril VIDALIE, Conseiller

Greffières : Lors des débats : Nathalie CAILHETON

Lors de la mise à disposition : Charlotte ROSA, adjointe administrative faisant fonction de greffière

ARRÊT : prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile

' '

'

FAITS :

Par acte sous seing privé du 24 avril 2015, la SARL Holding [R].A, gérée par [W] [C] [R], s'est engagée à céder à [F] [U] l'intégralité des 748 parts sociales dont elle était propriétaire dans la SARL Société d'Exploitation Optique République, exerçant une activité d'optique et lunetterie à [Localité 4] (46), pour un prix de 892,87 Euros par titre, soit un prix total de 667 868 Euros, avec ajustement du prix selon le chiffre d'affaires, le stock et la situation réelle de la société arrêtés au 31 juillet 2015.

Une garantie de passif et une faculté de substitution ont été stipulées.

L'acte de cession a été établi sous seing privé le 31 juillet 2015 avec la SARL Optique [Localité 4], substituée en qualité d'acquéreur.

Le prix de base de 667 868 Euros a été payé le même jour par versement sur un compte Carpa.

S'agissant du prix définitif, cet acte stipule :

"La situation au 31 juillet 2015 sera remise au cessionnaire au plus tard le 15 septembre 2015.

Ce dernier disposera d'un délai de 15 jours à compter de sa date de réception pour la contrôler à ses frais et pour faire connaître les points de désaccords éventuels par tout moyen écrit adressé au cédant.

L'accord définitif du cessionnaire sur la situation au 30 juin 2015 devra être notifié au cédant au plus tard le 30 septembre 2015.

A défaut de notification de son désaccord à l'issue de ce délai, le cessionnaire sera réputé avoir acquiescé à cette situation et sera déchu du droit de contester celle-ci.

Au cas où, après le 30 septembre 2015, un désaccord subsisterait entre les parties sur la situation au 31 juillet 2015 et faute d'accord amiable, le désaccord sera réglé par un tiers expert choisi d'un commun accord par les parties, au plus tard le 8 octobre 2015, ou à défaut par ordonnance du président du tribunal de commerce de Cahors qui sera saisi par la partie la plus diligente.'

Un litige est né sur la fixation du prix définitif.

Par acte sous seing privé du 2 janvier 2016, les parties ont conclu une convention 'à caractère définitif et irrévocable' en vertu de laquelle le cessionnaire a versé un complément de prix de 26 034,65 Euros.

Par acte du 17 octobre 2017, la SARL Optique [Localité 4] a fait assigner la SARL Holding [R].A devant le juge des référés du tribunal de commerce de Cahors en expliquant s'être aperçue de l'existence de fausses facturations auprès des mutuelles auxquelles les clients étaient affiliés et de tromperies envers eux, certains produits livrés ne correspondant pas à ceux commandés.

La SARL Optique [Localité 4] a sollicité l'organisation d'une expertise comptable de la société.

La SARL Optique [Localité 4] a également fait procéder à une saisie conservatoire :

- de 100 parts sociales de la SARL Optique Les Quatre Routes détenues par SARL Holding [R].A,

- de créances détenues par la SARL Optique Les Quatre Routes sur la SARL Holding [R].A.

Par acte délivré le 10 novembre 2016, elle a fait assigner la SARL Holding [R].A devant le tribunal de commerce de Cahors afin d'être indemnisée des conséquences de la fraude dénoncée et de son incidence sur la valeur de la société acquise, sollicitant un sursis à statuer dans l'attente du dépôt du rapport d'expertise destinée à la chiffrer.

Par ordonnance du 19 décembre 2016, le juge des référés a désigné [E] [O], expert-comptable, pour procéder à une analyse des comptes de la SARL Optique République et des fraudes dénoncées.

Une provision de 2 500 Euros a été allouée à la SARL Optique [Localité 4].

Par arrêt du 27 septembre 2017, cette Cour a confirmé l'ordonnance du 19 décembre 2016 en modifiant la mission de l'expert et en co-désignant le Dr [J] [Y] pour assurer le respect du secret médical.

M. [O] a établi son rapport le 15 janvier 2019.

Il a estimé que les fraudes invoquées, non enregistrées en comptabilité, n'avaient pas eu d'impact sur la valeur de la société.

L'instance au fond s'est poursuivie devant le tribunal de commerce de Cahors, la SARL Optique [Localité 4] invoquant le dol.

La SAS Optique République SASU, anciennement SARL Société d'Exploitation Optique République, est intervenue volontairement aux débats.

Par jugement rendu le 8 juin 2020, le tribunal de commerce de Cahors a :

- dit et jugé que la société SARL Optique [Localité 4] est dépourvue du droit d'agir,

- dit et jugé que les demandes, fins et prétentions de la société SARL Optique [Localité 4], sont irrecevables,

- dit et jugé que les demandes, fins et prétentions de la SASU Optique République sont irrecevables,

- débouté les sociétés SARL Optique [Localité 4] et SASU Optique République de l'ensemble de leurs demandes, fins et prétentions,

- ordonné la restitution de la somme de 2 500 Euros versée à titre provisionnel à la société SASU Optique [Localité 4] en vertu de l'ordonnance de référé du 19 décembre 2016,

- ordonné la mainlevée des mesures conservatoires prises à la requête de la société SARL Optique [Localité 4] sur les parts sociales détenues par la SARL Holding [R].A au sein d'une société Optique Les Quatre Routes,

- condamné in solidum les sociétés SARL Optique [Localité 4] et SASU Optique République au paiement de la somme de 5 000 Euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.

Le tribunal a estimé que le prix de cession n'était pas fixé au regard des perspectives de rentabilité ; que, selon l'expert, les fraudes dénoncées étaient sans conséquence sur le prix de vente des titres ; et que la SAS Optique République n'étant pas contractante, elle n'avait aucun intérêt à agir.

Par acte du 2 juillet 2020, la SARL Optique [Localité 4] et la SAS Optique République SASU ont déclaré former appel du jugement en désignant la SARL Holding [R].A en qualité de partie intimée et en indiquant que l'appel porte sur la totalité du dispositif du jugement, qu'elles citent dans leur acte d'appel.

Par conclusions communes avec la SARL Holding [R].A du 29 décembre 2020, [W] [C] [R] est intervenue volontairement aux débats.

Par ordonnance du 24 novembre 2021, le conseiller de la mise en état a déclaré cette intervention volontaire irrecevable.

La clôture a été prononcée le 9 février 2022 et l'affaire fixée à l'audience de la Cour du 11 avril 2022, reportée au 2 mai 2022.

PRETENTIONS ET MOYENS :

Par dernières conclusions notifiées le 15 juin 2021, auxquelles il est renvoyé pour le détail de l'argumentation, la SARL Optique [Localité 4] et la SAS Optique République SASU présentent l'argumentation suivante :

- La SARL Optique [Localité 4] est en droit d'agir :

* elle a été victime d'un dol à l'occasion de l'achat des parts sociales de la SARL Société d'Exploitation d'Optique République, dont les résultats étaient, en réalités, obtenus par des pratiques frauduleuses.

* le tribunal a estimé qu'elle n'avait pas le droit d'agir, sans en caractériser aucune cause faisant obstacle à ce droit.

* la transaction signée le 2 janvier 2016 ne porte que sur les différends alors connus et purement comptables, et non sur les fraudes qui n'ont été découvertes que postérieurement, comme l'indique son expert-comptable, M. [D] qui atteste qu'il ne lui était alors pas possible de détecter les fraudes commises au détriment des mutuelles.

- La SAS Optique République SASU est également en droit d'agir :

* elle n'est pas la co-contractante de la SARL Holding [R].A.

* son intervention a été rendue nécessaire pour s'opposer à l'argument présenté par cette dernière selon lequel la SARL Optique [Localité 4] ne subit pas de préjudice.

* un tiers peut invoquer un manquement à un contrat auquel il n'est pas partie, s'il lui cause un préjudice.

- Elles ont été victimes d'un dol :

* le dol peut être constitué par le silence frauduleux d'une partie.

* la SARL Optique [Localité 4] a initialement été avisée par deux clients que l'ancienne gérante, Mme [C], facturait à leurs mutuelles des forfaits sur des lunettes ne correspondant pas réellement à des commandes, et qu'elle émettait ensuite des avoirs à leur profit.

* Mme [C] a reconnu seulement deux fraudes, constitutives d'infractions pénales, mais les vérifications entreprises ont mis en évidence qu'elles étaient multiples :

- manipulation des prix des verres et des montures (verres facturés ne correspondant pas à ceux commandés et livrés), ainsi que des taux de correction visuelle,

- substitution d'un client assuré à un client non assuré,

- facturation d'une monture non fournie,

- double facturation d'une même opération.

* le chiffre d'affaires a été augmenté frauduleusement.

* la SARL Holding [R].A ne peut valablement invoquer le secret médical de certains documents, sauf à éluder le coeur de la fraude, alors qu'il s'agit de documents connus des parties contractantes qui ne révèlent aucun secret.

* les pratiques frauduleuses ont été admises par la SARL Holding [R].A dans ses conclusions tant devant le juge des référés, par renvoi à des pratiques 'arrangeantes' avec les clients pour faciliter le tiers payant, que devant le juge du fond.

* les fraudes ont représenté 19,15 % du chiffre d'affaires réalisé en 2013/2014, 12,84 % du chiffre d'affaires réalisé en 2014/2015 et 10,20 % du chiffre d'affaires réalisé en juillet 2015.

* ces pratiques lui ont été dissimulées : lors de la cession, il lui a été affirmé que la SARL Société d'Exploitation Optique République était gérée 'en bon père de famille'.

* l'expert judiciaire a confirmé que le cessionnaire n'avait pas la maîtrise suffisante du logiciel Opium pour appréhender les fraudes que seul un audit pointu pouvait mettre en évidence.

- Le consentement de la SARL Optique [Localité 4] à l'acte de cession a été vicié :

* elle a consenti à l'achat sur la base du bilan 2013/2014, et du chiffre d'affaires actualisé au 31 juillet 2015, dont il s'avère qu'il a été impacté par les fraudes commises à hauteur de 19,15 % puis de 10,20 %.

* elle ne peut envisager de poursuivre ce genre de pratique et des clients, qui y trouvaient leur intérêt, sont partis.

* l'intimée prétend, au vu d'un témoignage du client [K] qu'elle poursuit les fraudes, alors que ce client n'a pas bénéficié d'un mécanisme frauduleux mais d'une offre promotionnelle et elle a déposé plainte à son encontre.

- Un préjudice a été causé :

* la SARL Optique [Localité 4] a été trompée sur la valeur réelle et les perspectives de rentabilité de la société dont une image fallacieuse a été donnée.

* elle peut demander soit la nullité du contrat, soit l'indemnisation du préjudice subi.

* l'expert a conclu que le prix payé n'a pas été impacté par les pratiques frauduleuses, mais sur la base d'une analyse purement comptable de la détermination du prix de vente et n'a pas procédé à un nouveau calcul du prix de cession en retranchant le chiffre d'affaires réalisé frauduleusement.

* les clients avec lesquels les pratiques frauduleuses étaient commises ont quitté la société.

* c'est un chiffre d'affaires de 20 % qui a été perdu, soit une somme liquidable à 138 780,53 Euros, et elle a fait réaliser un constat d'huissier le 17 septembre 2020 en attestant.

* elle a également subi un important préjudice moral.

Au terme de leurs conclusions, elles demandent à la Cour de :

- réformer le jugement en toutes ses dispositions,

- condamner la SARL Holding [R].A à payer à la SARL Optique [Localité 4] la somme de 138 780,53 Euros en réparation du préjudice subi, à titre de réduction du prix de cession à hauteur de 20 % de chiffre d'affaires frauduleux,

- subsidiairement :

- condamner la SARL Holding [R].A à payer à la SAS Optique République SASU la somme de 138 780,53 Euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi,

- en tout état de cause :

- condamner la SARL Holding [R].A à payer à la SARL Optique [Localité 4] la somme de 20 000 Euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral subi,

- condamner la SARL Holding [R].A à payer à la SARL Optique [Localité 4] et à la SAS Optique République SASU la somme de 55 000 Euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- mettre à sa charge les entiers dépens incluant les horaires des experts judiciaires et les frais d'huissier.

*

**

Par dernières conclusions notifiées le 29 décembre 2020, auxquelles il est renvoyé pour le détail de l'argumentation, la SARL Holding [R].A présente l'argumentation suivante :

- Les appelantes ne disposent pas du droit d'agir :

* la SAS Optique République SASU n'est pas sa co-contractante dans un acte qui portait sur ses propres titres.

* il est invoqué une perte de rentabilité alors que le prix de cession n'a pas été fixé en fonction de cette rentabilité mais sur la base des éléments figurant à l'actif et au passif, de la valeur de la clientèle et en considération du chiffre d'affaires et des capitaux propres.

* l'expert a conclu que les fraudes invoquées n'ont pas influencé le prix de cession.

* ainsi, il ne peut y avoir ni réduction du prix de cession, ni perte de rentabilité de la filiale.

- La transaction du 2 janvier 2016 fait obstacle à l'action :

* le protocole de cession a prévu un mécanisme de fixation du prix définitif de cession.

* la transaction a stipulé qu'elle était définitive et irrévocable.

* les incohérences sur la marge ont pourtant été prises en compte et l'attestation produite par les appelantes n'a aucune valeur probante.

* les fraudes dénoncées étaient visibles par un professionnel du chiffre.

- Il n'existe aucune manoeuvre dolosive :

* le cessionnaire ne peut invoquer un manquement à une obligation d'information lorsque les renseignements qu'il a demandés ont été mis à sa disposition.

* elle ne conteste pas avoir pu procéder à des 'fraudes aux mutuelles' permettant aux clients de bénéficier d'une couverture de remboursement plus importante que celle accordée par ces organismes, mais les a abandonnées peu à peu (99 144 Euros en 2013/2014 ; 70 637 Euros en 2015/2015 ; 6 361 Euros en 2015/2016).

* l'expert judiciaire a indiqué que ces 'possibles fausses factures' ne figurent pas dans les ventes et le constat d'huissier désormais produit, par un officier ministériel sans compétence comptable, ne peut être admis.

* elle a fait preuve de transparence, les journaux des ventes mentionnant les arrangements convenus avec les clients ('facture modifiée', 'faux verres').

* initialement, la SARL Optique [Localité 4] avait expliqué qu'il lui suffisait de se plonger dans le journal des ventes pour être en mesure d'identifier les dossiers frauduleux.

* il existait une clause d'accompagnement à la reprise par Mme [C] qui n'a pas été utilisée, et le cessionnaire est resté muet sur les propositions de désignation d'un expert-comptable.

* M. [U], repreneur, est un professionnel confirmé des magasins d'optique.

- Les fraudes invoquées n'ont pas d'incidence :

* les appelantes évitent soigneusement de reprendre les conclusions de l'expert judiciaire qui avait pour mission, notamment, de déterminer les conséquences des fraudes aux mutuelles sur la valorisation de la clientèle, les capitaux propres, la perte de marge et la valeur des titres.

* l'expert a conclu à la totale absence d'incidence et les calculs auxquels procèdent les appelantes méconnaissent ses conclusions.

* la baisse du chiffre d'affaires postérieure à la cession est légère, sans caractère déterminant, sans lien avec les pratiques dénoncées et la valeur des titres de la SAS Optique République SASU a même progressé.

* la SARL Optique [Localité 4] pratique elle-même des fraudes comme en atteste le client Latlati.

Au terme de ses conclusions, elle demande à la Cour de :

- confirmer le jugement,

- à titre subsidiaire, rejeter les demandes présentées à son encontre,

- en tout état de cause, condamner solidairement les appelantes à lui payer la somme supplémentaire de 15 000 Euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et mettre les dépens à sa charge.

-------------------

MOTIFS :

1) Sur le droit à agir de la SAS Optique République SASU :

Vu l'article 31 du code de procédure civile,

Il est exact que cette société n'était pas partie à l'acte de cession.

Il n'est toutefois pas possible d'exclure a priori son droit à agir en indemnisation des fraudes commises dans sa gestion sans avoir examiné, au préalable, ces fraudes et leurs conséquences.

Le jugement qui a déclaré ses demandes irrecevables doit être infirmé.

2) Au fond :

En premier lieu, la SARL Holding [R].A reconnaît qu'antérieurement à la cession des titres de la SARL Société d'Exploitation Optique République, la gestion de cette société par Mme [C] [R] a donné lieu à des pratiques frauduleuses envers les mutuelles permettant aux clients d'obtenir une prise en charge plus importante que celle prévue par leurs contrats.

Ainsi, dans ses conclusions déposées devant cette Cour lors de l'appel sur l'ordonnance de référé, elle a déclaré 'les fraudes aux mutuelles dont la société Optique [Localité 4] entend aujourd'hui se prévaloir n'ont jamais été dissimulées par la société Holding [R].'

Elle réitère cette reconnaissance dans ses dernières conclusions déposées devant cette Cour dans les termes suivants :

'Comme la société Holding [R] l'a indiqué depuis le début du litige, elle a en son temps pu procéder à des pratiques dites de 'fraudes aux mutuelles' es-qualité de gérante de la société Optique République.

La concluante n'a jamais entendu le contester de sorte que les 3 pages qui y sont consacrées par les appelantes pour en faire la démonstration apparaissent quelque peu superflues.

Il est rappelé par la société Optique [Localité 4] que les pratiques de 'fraudes aux mutuelles' visent à faire bénéficier les clients d'une couverture de remboursement plus large que celle accordée initialement par leur mutuelle.

Doit être souligné que la société Holding [R] a peu a peu abandonné les pratiques dénoncées par la société Optique [Localité 4].'

En deuxième lieu, l'expert judiciaire a expliqué que la fraude en question consistait à émettre des factures sans cause, ou partiellement inexactes, présentées aux mutuelles, afin de permettre aux adhérents de bénéficier de remboursements supérieurs à ceux qui auraient été perçus s'ils avaient été adossés à des factures normalement rédigées.

Il a constaté que ces factures irrégulières figuraient dans le programme de gestion commerciale mais que celui-ci n'interférait pas, sur les exercices comptables 2013/2014 et 2014/2015, avec la comptabilité et que, de même, le journal des ventes, issu de la gestion commerciale, ne faisait pas, non plus, sur ces exercices, l'objet d'une centralisation en comptabilité.

Il a mis en évidence que les ventes réalisées sur ces exercices étaient comptabilisées au fur et à mesure de leur encaissement avec en fin d'année la comptabilisation du montant des créances détenues sur les clients qui n'avaient pas payé à la clôture de l'exercice et que, de plus, les créances clients ont toutes été acquittées à l'exception d'une perte de 812 Euros sur l'exercice 2014/2015 et de 351 Euros sur l'exercice 2015/2016.

L'expert a ainsi constaté que les factures irrégulières ne figurent pas dans les ventes comptables du magasin.

Il résulte de ces éléments que la SARL Holding [R].A ne peut valablement opposer le protocole d'accord du 2 janvier 2016.

En effet, la fixation définitive du prix a été effectuée sur des éléments comptables qui n'incluaient pas les fraudes commises.

En outre, ce protocole ne contient aucune référence à de telles fraudes et, a fortiori, aucune renonciation de l'acquéreur à s'en prévaloir.

En troisième lieu, à partir de ses constatations, l'expert judiciaire a conclu ses travaux dans les termes suivants :

'Les 'fausses factures' sur la période allant du 01 07 2013 au 30 06 2015 n'ont eu aucun impact sur les recettes qui ont servi à déterminer la valeur vénale de la clientèle et dans un deuxième à fixer la valeur vénale des actions.

Donc en matière de sincérité quant aux états financiers d'Optique République qui ont été présentés au cessionnaire pour évaluer les actions, je n'ai pas d'observation à formuler.

(...)

Donc ces possibles 'fausses factures' ne figurent pas dans les ventes d'Optique République. La comptabilité sort ainsi indemne de ces possibles 'fausses factures' et de la sorte les éléments d'actif et de passif ne sont nullement impactés par ces possibles fraudes aux mutuelles.

(...

Ces possibles 'fausses factures' sont sans impact sur la valorisation de la clientèle telle qu'elle a été arrêtée par les parties le 31 juillet 2015.

(...)

Les conséquences sur la valeur des titres des possibles fraudes aux mutuelles, ainsi que déjà indiqué dans la 7ème partie du rapport sont nulles'.

Ses conclusions sont les suivantes :

'En résumé, ces possibles fraudes aux mutuelles, sur les exercices 2013/2014 et 2014/2015, étant sans effet sur les éléments d'actifs et de passif du bilan d'Optique République, ni sur le compte de résultat ni sur la valeur de la clientèle dans le cadre de la cession des parts sociales, n'influencent pas la valeur des titres selon la méthode retenue par les parties dans le protocole de cession et la convention d'arrêté de prix définitif.'

Il résulte clairement de ces constatations que les fraudes commises par l'ancienne gérance sont restées dans le programme de gestion commerciale et n'ont pas été prises en compte dans la comptabilité du magasin, fondée sur les ventes en encaissements réels, de sorte qu'elles n'ont eu d'incidence ni sur le chiffre d'affaires, contrairement à ce que plaident les appelantes, ni sur les éléments pris en compte pour fixer tant le prix de base payé le 31 juillet 2015 par la SARL Optique [Localité 4] que le complément de prix objet de la convention du 2 janvier 2016, fixés à partir du chiffre d'affaires, du stock et de la situation comptable de la SARL Société d'Exploitation Optique République, tels que ces éléments résultaient des comptes n'intégrant pas les éléments fraudés.

Par conséquent, la SARL Optique [Localité 4] n'a pas été lésée sur le prix des parts dont elle s'est acquittée qui correspond à la situation effective de l'exploitation.

En quatrième lieu, l'appelante prétend que la rentabilité réelle de l'entreprise ne correspond pas à ce qu'elle en attendait.

Mais l'expertise n'a pas mis en évidence de chute de rentabilité.

Ainsi, M. [O] a noté :

- Pour la période précédent la cession :

- un chiffre d'affaires mensuel moyen de 44 490 Euros au cours des 24 derniers mois de gestion par Mme [C] [R].

- un taux de marge brute sur l'exercice 2013/2014 de 70,73 % et de 64,03 % sur l'exercice 2014/2015.

- un résultat d'exploitation avant prise en compte des provisions et de la rémunération versée à la gérante d'une moyenne mensuelle de 14 575 Euros.

- Pour la période postérieure à la cession :

- un chiffre d'affaires mensuel moyen de 39 468 Euros sur la période du 1er juillet 2015 au 30 septembre 2017.

- un taux de marge brute sur l'exercice 2015/2016 de 63,83 %et de 70,63 % sur l'exercice 2016/2017.

- un résultat d'exploitation avant prise en compte des provisions et de la rémunération versée au gérant d'une moyenne mensuelle de 10 924 Euros.

Il a relevé que s'il y avait un fléchissement du chiffre d'affaires, le taux de marge brute était revenu, sous la nouvelle gérance, à son niveau de 2013/2014, et que si la rentabilité avait légèrement baissé après la cession, le résultat d'exploitation après retraitement des provisions et prise en compte de la rémunération du gérant 'fait ressortir une rentabilité très proche'.

L'expert n'a pu mettre en évidence que cette baisse serait liée à l'arrêt de la pratique des fraudes aux mutuelles et a évoqué la possibilité qu'elle soit liée à la conjoncture économique ou au changement de gérant.

Il n'est donc pas possible d'affirmer que l'arrêt des fraudes a généré une perte de rentabilité.

De plus, il n'existe aucun élément objectif tangible confortant les affirmations de la SARL Optique [Localité 4] selon laquelle des clients, mécontents que le gérant ne se livre plus à des pratiques permettant de majorer frauduleusement les remboursements, ont cessé de s'approvisionner au magasin.

Les articles de presse déposés aux débats par les appelantes, relatifs à des fraudes commises en matière para-médicale, sont étrangers au présent litige.

Finalement, la Cour ne peut que constater, tout comme le tribunal, que les fraudes commises antérieurement à la cession n'ont eu aucune incidence sur la valeur de l'entreprise et sur sa rentabilité de sorte qu'il n'existe aucun vice du consentement à l'acte de cession.

En cinquième lieu, il n'est pas possible de saisir en quoi la SARL Optique [Localité 4] aurait subi un préjudice moral, alors qu'il n'est aucunement justifié que l'image de la société aurait été atteinte par les pratiques antérieures à la cession.

Enfin, le constat d'huissier que la SARL Optique [Localité 4] a fait établir le 17 septembre 2020 n'apporte aucun élément sur ce point, l'officier ministériel n'ayant constaté que le mécanisme des fraudes tels qu'il lui a été expliqué par le gérant.

Le jugement doit être confirmé en ce qu'il a rejeté les demandes, mais réformé en ce qu'il les a déclarées irrecevables alors que la SARL Optique [Localité 4] était par principe fondée à prétendre avoir été lésée par les pratiques frauduleuses de l'ancienne gérante.

La mainlevée des mesures conservatoires doit également être confirmée avec restitution de la provision sur dommages et intérêts allouée par le juge des référés.

Toutefois, en sixième lieu, en application de l'article 696 du code de procédure civile, l'ensemble des dépens et le coût de l'expertise seront mis à la charge de la SARL Holding [R].A.

En effet, l'organisation de l'expertise sollicitée était justifiée face aux fraudes commises dans la gestion de cette dernière, ainsi que l'action en justice intentée par la SARL Optique [Localité 4].

Seules les conclusions de l'expertise ont mis en évidence l'absence d'incidence de ces fraudes pour le cessionnaire.

Pour ces mêmes motifs, une indemnité de 15 000 Euros sera allouée à la SARL Optique [Localité 4] en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Par contre, le coût du constat d'huissier réalisé de leur seule initiative restera à leur charge.

PAR CES MOTIFS :

- la Cour, après en avoir délibéré conformément à la loi, statuant par arrêt contradictoire prononcé par mise à disposition au greffe et en dernier ressort,

- CONFIRME le jugement SAUF en ce qu'il a :

- dit et jugé que la société SARL Optique [Localité 4] est dépourvue du droit d'agir,

- dit et jugé que les demandes, fins et prétentions de la société SARL Optique [Localité 4], sont irrecevables,

- dit et jugé que les demandes, fins et prétentions de la SASU Optique République sont irrecevables,

- condamné in solidum les sociétés SARL Optique [Localité 4] et SASU Optique République au paiement de la somme de 5 000 Euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.

- STATUANT A NOUVEAU sur les points infirmés,

- DECLARE les demandes présentées par la SARL Optique [Localité 4] et la SAS Optique République SASU recevables ;

- CONDAMNE la SARL Holding [R].A à payer à la SARL Optique [Localité 4] la somme de 15 000 Euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- CONDAMNE la SARL Holding [R].A aux dépens de 1ère instance et d'appel qui comprendront le coût de l'expertise réalisée par M. [O].

- Le présent arrêt a été signé par Claude GATÉ, présidente, et par Charlotte ROSA, adjointe administrative faisant fonction de greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

La Greffière,La Présidente,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Agen
Formation : Chambre civile
Numéro d'arrêt : 20/00431
Date de la décision : 07/09/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-09-07;20.00431 ?
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