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10/08/2022 | FRANCE | N°21/00386

France | France, Cour d'appel d'Agen, Chambre civile, 10 août 2022, 21/00386


ARRÊT DU

10 Août 2022





DB/CR



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N° RG 21/00386

N° Portalis

DBVO-V-B7F-C4DH

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[L] [B]

épouse [V],

[MO] [V]





C/





S.C.I.

LES BORDS DE LEMANCE







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GROSSES le

à









ARRÊT n°


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COUR D'APPEL D'AGEN



Chambre Civile









LA COUR D'APPEL D'AGEN, 1ère chambre dans l'affaire,





ENTRE :



Madame [L] [B] épouse [V]

née le 28 Juin 1970 à [Localité 8] (47)

de nationalité française



Monsieur [MO] [V]

né le 26 Octobre 1961 à MIRANDELA (PORTUGAL)

de nationalité française



Domiciliés :

[Adresse 1]

[Loca...

ARRÊT DU

10 Août 2022

DB/CR

--------------------

N° RG 21/00386

N° Portalis

DBVO-V-B7F-C4DH

--------------------

[L] [B]

épouse [V],

[MO] [V]

C/

S.C.I.

LES BORDS DE LEMANCE

-------------------

GROSSES le

à

ARRÊT n°

COUR D'APPEL D'AGEN

Chambre Civile

LA COUR D'APPEL D'AGEN, 1ère chambre dans l'affaire,

ENTRE :

Madame [L] [B] épouse [V]

née le 28 Juin 1970 à [Localité 8] (47)

de nationalité française

Monsieur [MO] [V]

né le 26 Octobre 1961 à MIRANDELA (PORTUGAL)

de nationalité française

Domiciliés :

[Adresse 1]

[Localité 2]

Représentés par Me Olivier O'KELLY, avocat inscrit au barreau d'AGEN

APPELANTS d'un jugement du tribunal judiciaire d'AGEN en date du 02 Mars 2021, RG 17/00022

D'une part,

ET :

S.C.I. LES BORDS DE LEMANCE

RCS d'Agen n°423 128 727

[Adresse 3]

[Localité 2]

Représentée par Me Sandrine FOURNIER, avocate inscrite au barreau d'AGEN

INTIMEE

D'autre part,

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue et plaidée en audience publique le 14 Mars 2022, sans opposition des parties, devant la cour composée de :

Dominique BENON, Conseiller qui a fait un rapport oral à l'audience

qui en a rendu compte dans le délibéré de la cour composée outre lui-même de :

Claude GATE, Présidente de chambre

Benjamin FAURE, Conseiller

en application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, et après qu'il en a été délibéré par les magistrats ci-dessus nommés,

Greffière : Charlotte ROSA, adjoint administratif faisant fonction de greffier

ARRÊT : prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile

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FAITS :

[MO] [V] et [L] [B] son épouse (les époux [V]) sont propriétaires au [Adresse 1] (47), d'une maison d'habitation avec jardin, garage et impasse privée, le tout cadastré section AM n°[Cadastre 7].

Mme [V] est propriétaire de cette parcelle depuis un acte de donation partage du 17 décembre 1993.

Cette propriété possède deux entrées : une entrée en façade de leur immeuble [Adresse 1] et une entrée arrière sur cour donnant [Adresse 9].

Cette parcelle est contiguë à la parcelle cadastrée section AM n° [Cadastre 13] acquise par la SCI Les Bords de Lémance (la SCI) le 24 janvier 2002 à l'état de local à usage commercial, appartement et garage, qui y a créé un immeuble à usage locatif dont l'entrée se situe [Adresse 3].

Une ouverture a été pratiquée à l'arrière du bâtiment appartenant à la SCI permettant de passer par l'impasse et de rejoindre la [Adresse 9].

En 2015, les époux [V] ont informé la SCI qu'ils procédaient à la clôture de l'accès à leur fonds par la rue de la Fraternité, mettant en cause des dégradations qu'ils avaient subies, notamment du fait d'un locataire de la SCI, poursuivi et arrêté dans leur cour par les gendarmes suite à un cambriolage.

Le gérant de la SCI a revendiqué l'existence d'une servitude conventionnelle de passage figurant dans son titre de propriété.

Les époux [V] ont fait poser une chaîne à l'arrière du passage.

A l'occasion de travaux, ils ont fait constater par Me [Y], huissier de justice, qu'une canalisation d'eaux usées appartenant à la SCI se déversait dans un regard leur appartenant.

Ils ont également mis en cause une vue dans le mur du bâtiment de la SCI donnant sur leur passage.

Après avoir fait procéder à une étude par M. [M], géomètre, par acte délivré le 23 décembre 2016, les époux [V] ont fait assigner la SCI devant le tribunal de grande instance d'Agen afin de voir dire qu'elle ne dispose d'aucune servitude de passage sur leur parcelle et de lui en voir interdire l'accès.

Par jugement rendu le 2 mars 2021, le tribunal judiciaire d'Agen a :

- dit que le fonds dont la SCI Les Bords de Lémance est propriétaire, cadastré AM n° [Cadastre 13], bénéficie d'une servitude de passage sur la partie de la parcelle AM n° [Cadastre 7], constituée par une impasse, ainsi que cela résulte des actes de vente du 2 octobre 1921,

- ordonné aux époux [V] de rétablir ce droit de passage dans les termes de l'acte du 2 octobre 1921,

- interdit à la SCI Les Bords de Lémance d'utiliser à l'avenir la canalisation d'eau usée implantée en sous-sol du passage cadastré AM n° [Cadastre 7], débouchant sur la [Adresse 9],

- débouté les parties de toutes leurs autres demandes,

- ordonné l'exécution provisoire du jugement,

- dit que chaque partie conservera la charge de ses dépens.

Le tribunal a admis l'existence d'un usage du passage au profit des propriétaires de la parcelle [Cadastre 13] du fait que les parcelles [Cadastre 7] et [Cadastre 13] sont issues d'une division intervenue le 2 octobre 1921 dont les actes ne sont plus disponibles mais dont il existe des transcriptions au registre de la publicité foncière ; qu'il résulte de ces actes qu'une servitude de passage a alors été créée au profit de la parcelle [Cadastre 13] ; qu'il y avait destination du père de famille de l'article 693 du code civil ; qu'il n'existait toutefois ni servitude d'écoulement des eaux ni servitude de vue au profit de la SCI.

Par acte du 7 avril 2021, [MO] [V] et [L] [B] épouse [V] ont déclaré former appel du jugement en indiquant que l'appel porte sur les dispositions du jugement qui ont :

- dit que le fond dont la SCI Les Bords de Lémance est propriétaire, cadastré AM n° [Cadastre 13], bénéficie d'une servitude de passage sur la partie de la parcelle AM n° [Cadastre 7], constituée par une impasse, ainsi que cela résulte des actes de vente du 2 octobre 1921,

- ordonné aux époux [V] de rétablir ce droit de passage dans les termes de l'acte du 2 octobre 1921,

- rejeté leurs autres demandes.

La clôture a été prononcée le 9 février 2022 et l'affaire fixée à l'audience de la Cour du 14 mars 2022.

PRETENTIONS ET MOYENS :

Par dernières conclusions notifiées le 25 novembre 2021, auxquelles il est renvoyé pour le détail de l'argumentation, [MO] [V] et [L] [B] épouse [V] présentent l'argumentation suivante :

- Il n'existe pas de servitude de passage par destination du père de famille :

* le tribunal a fait référence à une servitude par destination du père de famille alors qu'une telle servitude ne peut concerner une servitude de passage à caractère discontinu et que le fonds appartenant en 1921 à M. [D] a été aménagé après sa division, l'acte mentionnant que le passage qu'il évoquait restait à établir.

* l'ancien garage transformé en logements par la SCI faisait partie intégrante de la parcelle [Cadastre 13] qui dispose depuis toujours d'un accès à la [Adresse 15] et la partie arrière n'a jamais été enclavée, comme l'acte de 1921 l'indique.

* la servitude de passage mentionnée dans l'acte de 1921 n'a en réalité pas été créée.

- Il n'existe aucune servitude de passage par titre :

* le titre constitutif d'une servitude conventionnelle doit être précis, alors que le titre de propriété de la SCI ne fait aucune référence à la constitution d'une servitude et se limite, selon le notaire, à une retranscription des déclarations de la venderesse Mme [Z] ; en outre, l'acte de 1921 mentionne l'interdiction des ouvertures et de l'accès sur le fonds des auteurs [V], ce qui est contradictoire avec l'établissement d'une servitude qui n'est indiquée qu'à établir.

* selon l'acte de 1921, le droit de passage est prévu sur la parcelle [Cadastre 11] (actuellement [Cadastre 12] construite ensuite par M. [W]) et non sur les parcelles [Cadastre 14] à [Cadastre 4] (actuellement n° [Cadastre 7]).

* une servitude est éteinte par le non-usage pendant 30 ans de sorte qu'en l'absence de création effective de la servitude mentionnée à l'acte de 1921, et d'entretien commun du chemin à créer, elle s'est éteinte en 1951.

* cette servitude n'a pas été reprise dans les actes postérieurs à celui de 1921 (actes de 1933, 1940 et 1945).

* elle n'était pas indispensable à l'usage de l'immeuble qui avait accès à la [Adresse 15], et dont l'arrière a été victime d'un incendie en 1980 et qui n'a plus été utilisé pendant de nombreuses années, comme en attestent les témoignages qu'ils produisent.

* les témoignages produits par la SCI sont imprécis et peuvent faire référence à une petite cour située dans la parcelle [Cadastre 13] permettant l'accès à l'arrière depuis la [Adresse 15], constitué d'un seul appartement, puis désormais de deux logements indépendants créés sans autorisation.

- L'écoulement des eaux est illicite :

* la SCI a illicitement raccordé ses eaux à une grille qu'elle a fait installer sur leur propriété, et qu'ils ont retirée compte tenu des odeurs créées.

* le tribunal l'a reconnu.

- Il n'existe aucune servitude de vue :

* la SCI a créé une fenêtre donnant sur leur allée, à une distance inférieure à celle de 1,90m prévue par l'article 678 du code civil.

* le tribunal a confondu cette vue et les brise vues qu'ils ont posés contre la cour intérieure de la parcelle [Cadastre 13].

* cette ouverture a été créée en 2002 de sorte qu'aucune prescription acquisitive ne peut être revendiquée.

* le tribunal ne pouvait rejeter leur demande sur ce point.

- L'exercice illicite du droit de passage leur a causé préjudice :

* ils ont régulièrement été gênés pour stationner leur véhicule.

* les locataires déposent leurs ordures dans le passage et s'en prennent à eux, la SCI leur ayant laissé croire qu'ils pouvaient le faire.

Au terme de leurs conclusions, ils demandent à la Cour de :

- réformer le jugement en ce qu'il a reconnu l'existence d'une servitude de passage et rejeté leurs demandes,

- rejeter les revendications de servitudes présentées à leur encontre,

- dire que la SCI et ses locataires ne pourront plus accéder à la parcelle AM [Cadastre 13] via le passage cadastré AM [Cadastre 7] donnant sur la [Adresse 9],

- condamner sous astreinte la SCI à obstruer la fenêtre du 1er étage de l'immeuble cadastré AM n° [Cadastre 13] donnant sur le passage cadastré AM n° [Cadastre 7] débouchant sur la [Adresse 9],

- condamner sous astreinte la SCI à supprimer la canalisation d'eaux usées implantée sur le passage cadastré AM n° [Cadastre 7] débouchant sur la [Adresse 9],

- la condamner à leur payer la somme de 15 000 Euros de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral et de jouissance, ainsi que 5 000 Euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- mettre les dépens à sa charge, incluant les frais d'expertise de M. [M], avec distraction.

- subsidiairement,

- ordonner une expertise.

*

**

Par dernières conclusions notifiées le 8 février 2022, auxquelles il est renvoyé pour le détail de l'argumentation, la SCI Les Bords de Lémance présente l'argumentation suivante :

- Il existe une servitude par destination du père de famille :

* l'article 694 du code civil ne fait référence qu'au signe apparent de la servitude et non à son caractère continu de sorte que la jurisprudence admet qu'une parcelle peut bénéficier, sur une autre, par destination du père de famille, d'une servitude discontinue, comme un droit d'accès.

* à l'origine, les lieux appartenaient au même propriétaire, comme le tribunal l'a reconnu.

* en pratique l'accès s'est toujours effectué par l'impasse privée, pour l'ancien garage, transformé depuis en appartements suite à un incendie, comme les témoignages qu'elle produit en attestent.

* l'appartement sur l'arrière n'a pas d'accès à la [Adresse 15], sur laquelle se trouve un salon de coiffure.

* les époux [V] ont ainsi autorisé la SCI SMACC qui possède la parcelle [Cadastre 12], à utiliser leur impasse.

- subsidiairement, il existe une servitude conventionnelle :

* la vente de 1921 a divisé les lieux en créant une servitude de passage.

* le passage est mentionné dans des titres de 1948, 1977, 1984 et dans son acte de 2002.

* la SCI SMACC bénéficie d'ailleurs d'une servitude de passage sur le fonds des époux [V].

* l'ancien gérant de la SCI témoigne que l'accès s'est toujours fait par le passage privé pour accéder à l'ancien garage.

- très subsidiairement, son fonds doit être considéré comme enclavé :

* la partie avant de l'immeuble est affectée à l'usage exclusif d'un salon de coiffure.

* les appartements à l'arrière ne peuvent accéder à la voie publique qu'en empruntant l'impasse privée.

- Elle peut bénéficier d'une servitude d'écoulement des eaux :

* les époux [V] ont supprimé une grille d'évacuation des eaux de pluie, leur causant un trouble de voisinage inacceptable.

* l'existence du droit de passage emporte droit de poser des canalisations qui ont toujours existé, une cuve à fuel ayant même été installée sur les lieux.

- Les éléments de Plexiglas doivent être enlevés :

* les époux [V] ont installé, sur le mur séparant le passage intérieur de l'immeuble, des éléments de polycarbonate.

* elle est propriétaire de ce mur et n'a jamais donné cette autorisation, de sorte que ces éléments doivent être enlevés.

- L'attitude de ses voisins lui cause préjudice :

* ils ont initialement refusé de produire leur acte de propriété.

* ils ont mis en cause l'usage normal de ses biens, générant par exemple des effets de chaleur par la pose des éléments de polycarbonate.

Au terme de ses conclusions, elle demande à la Cour de :

- confirmer le jugement en ses dispositions sur la servitude de passage dont elle bénéficie,

- le réformer en ses dispositions lui faisant interdiction d'utiliser une canalisation d'eaux usées,

- ordonner sous astreinte le rétablissement par les époux [V] de la grille d'évacuation d'eau de pluie et de tout autre fluide ou canalisation au droit de la porte de la SCI donnant sur l'impasse, et la suppression des panneaux de Plexiglas installés sur le mur de sa propriété,

- condamner les époux [V] à lui payer la somme de 15 000 Euros à titre de dommages et intérêts,

- subsidiairement :

- à défaut de reconnaissance de la servitude par destination du père de famille, dire qu'il existe une servitude conventionnelle de passage,

- très subsidiairement :

- dire qu'il existe un état d'enclave et que la parcelle lui appartenant bénéficie d'une servitude légale de passage,

- en tout état de cause :

- condamner les époux [V] à lui payer la somme de 5 000 Euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et mettre les dépens à leur charge, avec distraction.

-------------------

MOTIFS :

1) Sur l'existence d'une servitude par destination du père de famille :

L'article 693 du code civil dispose qu'il n'y a destination du père de famille que lorsqu'il est prouvé que les deux fonds actuellement divisés ont appartenu au même propriétaire et que c'est par lui que les choses ont été mises dans l'état duquel résulte la servitude.

L'article 694 du même code dispose que si le propriétaire de deux héritages entre lesquels il existe un signe apparent de servitude, dispose de l'un des héritages sans que le contrat contienne aucune convention relative à la servitude, elle continue d'exister activement et passivement en faveur du fonds aliéné ou sur le fonds aliéné.

Ainsi, une servitude par destination du père de famille ne peut exister que si les fonds concernés constituaient, par le passé, un fond unique ayant appartenu à un même propriétaire qui a réalisé l'aménagement avant de procéder à la division de son fonds.

L'existence d'une telle servitude est, par conséquent, soumise aux conditions suivantes :

- l'identité du propriétaire originel, auteur de l'aménagement puis de la division,

- le maintien de l'aménagement lors de la division,

- l'absence de volonté contraire des parties à l'acte de division,

- l'existence de signes apparents de la servitude au jour de la division, de manière à exclure les servitudes non apparentes.

En l'espèce, initialement, les fonds en litige appartenaient au même propriétaire, les époux [D], qui ont vendu aux époux [H] (auteurs de la SCI) la parcelle actuellement cadastrée [Cadastre 13] par acte notarié établi par Me [O], notaire à [Localité 16], le 2 octobre 1921 après avoir divisé leur fonds.

Les époux [D] ont également vendu la parcelle actuellement cadastrée [Cadastre 7] aux époux [P] (auteurs des époux [V]) par acte établi par le même notaire le même jour.

Rien n'indique que le droit de passage en litige aurait été aménagé avant cet acte par les époux [D].

A fortiori, aucun élément n'est de nature à indiquer qu'il aurait alors existé un signe apparent d'une telle servitude.

La SCI ne le prétend pas.

Le bien vendu aux époux [H] disposait d'ailleurs d'un accès par la [Adresse 15], de sorte que la vente n'impliquait pas la création d'un droit de passage sur la parcelle actuellement cadastrée [Cadastre 7].

Au contraire, l'acte de vente aux époux [H] mentionne qu'ils 'bénéficieront d'une servitude de passage à pied, à cheval, avec boeufs et charettes, et de toutes manières, qui s'exercera en tous temps sur un chemin de service que vendeur et acheteur doivent établir au levant de la parcelle de jardin que M. et Mme [D] possèdent audit lieu de Libos, en longeant la propriété des acquéreurs', ce qui renvoie à la création ultérieure d'une servitude conventionnelle, exclusive d'une servitude déjà existante.

Par conséquent, la SCI n'est pas fondée à invoquer le bénéfice d'une servitude par destination du père de famille et le jugement qui a retenu l'existence d'une telle servitude doit être infirmé.

2) Sur l'existence d'une servitude conventionnelle :

La SCI invoque la servitude créée dans les actes du 2 octobre 1921.

En premier lieu, s'agissant de la vente aux époux [P], il est fait mention de la création d'une servitude sur la parcelle [Cadastre 11], qui correspond actuellement à la parcelle cadastrée section AM n° [Cadastre 12] qui n'appartient à aucune des parties au litige.

Par conséquent, la servitude revendiquée par la SCI ne peut avoir été créée par cet acte.

En deuxième lieu, s'agissant de la vente aux époux [H] des anciennes parcelles [Cadastre 10], [Cadastre 5] et [Cadastre 6] actuellement réunies sur la section AM n° [Cadastre 13], comme indiqué au paragraphe précédent, il a été prévu au profit des acquéreurs qu'ils 'bénéficieront d'une servitude de passage à pied, à cheval, avec boeufs et charettes, et de toutes manières, qui s'exercera en tous temps sur un chemin de service que vendeur et acheteur doivent établir au levant de la parcelle de jardin que M. et Mme [D] possèdent audit lieu de Libos, en longeant la propriété des acquéreurs'.

Cet acte a stipulé que 'le chemin partira de l'angle Sud Ouest du mur Sud des étables prolongé en ligne droite jusqu'à la propriété vendue et aboutira à la nouvelle rue établie par la société La Laborieuse Immobilière, allant des écoles au pâtus de La Lémance et à pâtus de M. [E]. Il aura une largeur de cinq mètres jusqu'à ladite rue et à la propriété de ce dernier, arrivé à ce point, cette largeur sera réduite d'environ un mètre correspondant à la longueur du (illisible) de M. [E] qui se prolonge au-delà de la décharge de M. et Mme [H]. Le chemin devra être entretenu par les vendeurs et les acquéreurs à frais communs.'

La configuration des lieux ayant complètement changé depuis l'année 1921, des bâtiments ayant été détruits et d'autres construits, il n'est pas possible de déterminer si cette mention peut recouvrer la servitude revendiquée par la SCI.

En outre, cette revendication d'une servitude de passage pour accéder à la propriété de la SCI n'est pas compatible avec la mention, dans cet acte, selon laquelle les acquéreurs 'seront tenus de murer à leurs frais les portes et fenêtres qui se trouvent dans ces murs et ne pourront pratiquer aucune ouverture donnant accès à la propriété restant aux vendeurs ou y prenant jours' qui tend à prouver que la servitude ne devait être établie qu'ultérieurement.

En troisième lieu, à supposer même que cette stipulation recouvre la création de la servitude de passage revendiquée, elle serait éteinte par non-usage en application de l'article 706 du code civil.

En effet, la SCI ne prouve pas que la servitude qui aurait alors été créée a été utilisée entre octobre 1921 et octobre 1951 et se limite à déposer aux débats des témoignages d'utilisation largement postérieurs à cette dernière date :

- [XI] [C] : a habité sur place de 1984 à 1992,

- [F] [PW] : a habité sur place de mars 1989 à mars 2000,

- [CW] [G] : a habité sur place de 1993 à 2003,

- [R] [I] : a habité sur place de 1993 à 2003,

- [A] [T] : gérant de la SCI lors de l'achat en 2002.

Les photographies produites aux débats sont également largement postérieures à l'année 1951.

Il convient de préciser que la seule mention de l'existence de la servitude dans le titre de propriété de la SCI, qui ne résulte que des déclarations de la venderesse, n'a aucun effet.

Par conséquent, la revendication d'une servitude conventionnelle présentée par la SCI doit être rejetée.

3) Sur l'état d'enclave de la parcelle cadastrée section AM n° [Cadastre 13] invoqué par la SCI :

L'article 682 du code civil dispose :

'Le propriétaire dont les fonds sont enclavés et qui n'a sur la voie publique aucune issue ou qu'une issue insuffisante, soit pour l'exploitation agricole, industrielle ou commerciale de sa propriété, soit pour la réalisation d'opérations de construction ou de lotissement, est fondé à réclamer sur les fonds de ses voisins, un passage suffisant pour assurer la desserte complète de ses fonds, à charge d'une indemnité proportionnée au dommage qu'il peut occasionner.'

Toutefois, nul ne peut se prévaloir d'un état d'enclave qui résulte de son propre fait.

En l'espèce, lors de la vente du 2 octobre 1921 par les époux [D] aux époux [H] des anciennes parcelles [Cadastre 10], [Cadastre 5] et [Cadastre 6] actuellement réunies sur la section AM n° [Cadastre 13], les parcelles vendues disposaient d'un accès [Adresse 15].

Cette parcelle [Cadastre 13] dispose toujours de cet accès au n° 6 de cette voie publique.

Elle ne peut donc par principe être considérée comme enclavée.

A l'origine, l'arrière de cette parcelle, c'est à dire sa partie Ouest, était constituée d'une remise qui a été détruite par incendie au début des années 1980 et qui est restée en l'état pendant de nombreuses années, comme en attestent [U] [B], [J] [DR], [K] [S] [X] [SL] et [N] [SL].

Ce n'est qu'au milieu des années 2000 que cette partie arrière a été rénovée et transformée en logements par la SCI après qu'elle a fait l'acquisition de cette parcelle.

La SCI explique que les occupants de ces logements ne peuvent y accéder que par l'impasse en litige, compte tenu, notamment, qu'un salon de coiffure occupe la partie de la parcelle qui donne sur la [Adresse 15].

Mais cet état de fait ne résulte que de l'imprévoyance de la SCI qui, en reconstruisant des bâtiments sur la partie arrière de sa parcelle ne s'est pas préoccupée de leur assurer une desserte suffisante par la [Adresse 15], au besoin en aménageant l'accès du salon de coiffure, ce qui n'apparait nullement radicalement impossible.

Par conséquent, la SCI n'est pas fondée à invoquer l'état d'enclave de sa propriété.

Finalement, le jugement qui a reconnu l'existence de la servitude revendiquée par la SCI doit être infirmé et il lui sera fait interdiction d'utiliser l'impasse en litige.

4) Sur une servitude de vue sur le passage appartenant aux époux [V] :

Les époux [V] mettent en cause l'existence d'une fenêtre de taille standard située à l'arrière du bâtiment locatif construit au milieu des années 2 000 par la SCI, et à l'étage, qui ouvre une vue directe sur l'impasse leur appartenant.

Cette ouverture contrevient aux dispositions des articles 676 et 677 du code civil qui n'autorisent que des jours ou fenêtres à verre maillé et verre dormant et seulement à partir d'une hauteur de 19 décimètres du plancher ou sol de la pièce d'étage qu'on veut éclairer.

Les appelants sont en droit d'en réclamer la suppression sous astreinte.

Le jugement qui a rejeté cette demande doit être infirmé.

5) Sur l'écoulement des eaux en provenance de la propriété de la SCI :

Le constat établi par Me [Y], huissier de justice, le 5 juillet 2019, à la demande des époux [V] atteste qu'une canalisation d'eaux usées en provenance de l'immeuble de la SCI empiète sur leur propriété et se déverse dans leur regard d'eaux pluviales.

La SCI estime que ce droit est lié à son droit de passage, mais en l'absence de reconnaissance de la servitude revendiquée, cet argument est inopérant.

Les époux [V] sont également en droit d'exiger le retrait, sous astreinte, de cet élément.

La décision du tribunal, qui s'est limité à interdire l'utilisation de cette canalisation alors que c'est son retrait, sollicité les époux [V], qui doit être ordonné, doit être infirmée sur ce point.

6) Sur les brise vues placés au-dessus du mur de la cour par les époux [V] :

La SCI dépose aux débats des photographies qui permettent de constater que les époux [V] ont mis en place sur le mur appartenant à la SCI tout un ensemble d'éléments en polycarbonate dont cette dernière explique qu'ils génèrent, pendant les étés, une augmentation anormale de la chaleur de la petite cour intérieure située au milieu de sa parcelle.

Ces photographies permettent en outre de constater que ces éléments n'ont pas pour effet d'obstruer des vues qui auraient été ouvertes par la SCI, les fenêtres de l'étage qui donnent sur la cour intérieure étant à l'évidence éloignées de plus de 19 décimètres tel que prévu à l'article 678 du code civil.

La SCI est en droit d'en réclamer le retrait, sous astreinte.

Le jugement qui a rejeté cette demande sera réformé et il y sera fait droit.

Compte tenu de la gêne qui a été occasionnée à la SCI par l'implantation illicite de ces éléments, les époux [V] seront condamnés à lui payer la somme de 500 Euros à titre de dommages et intérêts en réparation de ce poste de préjudice.

7) Sur la demande de dommages et intérêts présentée par les époux [V] :

Il est acquis que les locataires de la SCI ont régulièrement utilisé l'impasse en litige.

Ils l'ont même obstruée en y garant des véhicules empêchant les époux [V] d'utiliser normalement cette impasse.

La SCI sera condamnée à leur payer la somme de 2 000 Euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice de jouissance subi, à l'exclusion d'un préjudice moral non justifié.

Enfin, l'équité permet d'allouer aux appelants la somme de 3 000 Euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS :

- la Cour, après en avoir délibéré conformément à la loi, statuant par arrêt contradictoire prononcé par mise à disposition au greffe et en dernier ressort,

- INFIRME le jugement en toutes ses dispositions ;

- STATUANT A NOUVEAU sur les points infirmés,

- REJETTE la demande de reconnaissance d'un droit de passage présentée par la SCI Les Bords de Lémance sur la parcelle cadastrée section AM n° [Cadastre 7] de la commune de Monsempron Libos ;

- en conséquence, FAIT interdiction à la SCI Les Bords de Lémance, ou tout occupant de son chef, d'utiliser le passage situé sur la parcelle cadastrée section AM n° [Cadastre 7] de la commune de [Adresse 9] ;

- ORDONNE à la SCI Les Bords de Lémance de supprimer la fenêtre située au 1er étage à l'arrière du bâtiment de la parcelle section AM n° [Cadastre 13], donnant sur l'impasse débouchant sur la [Adresse 9], et ce sous astreinte provisoire de 100 Euros par jour due à compter du 60ème jour qui suivra celui de la signification du présent arrêt ;

- ORDONNE à la SCI Les Bords de Lémance de supprimer la canalisation d'eaux usées implantée à l'arrière de son bâtiment, sur la parcelle AM n° [Cadastre 7], et ce sous astreinte provisoire de 100 Euros par jour due à compter du 60ème jour qui suivra celui de la signification du présent arrêt ;

- ORDONNE à [MO] [V] et [L] [B] épouse [V] de retirer les panneaux de Polycarbonate posés sur le mur donnant sur la cour intérieure de la parcelle cadastrée AM n° [Cadastre 13], et ce sous astreinte provisoire de 100 Euros par jour due à compter du 60ème jour qui suivra celui de la signification du présent arrêt ;

- CONDAMNE [MO] [V] et [L] [B] épouse [V] à payer à la SCI Les Bords de Lémance la somme de 500 Euros à titre de dommages et intérêts ;

- CONDAMNE la SCI Les Bords de Lémance à payer à [MO] [V] et [L] [B] épouse [V] la somme de 2 000 Euros à titre de dommages et intérêts ainsi que la somme de 3 000 Euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

- ORDONNE la compensation entre les sommes dues par les parties ;

- CONDAMNE la SCI Les Bords de Lémance aux dépens de 1ère instance et d'appel et dit que les dépens pourront être recouvrés directement par Me O'Kelly pour ceux dont il a fait l'avance sans avoir reçu provision, conformément à l'article 699 du code de procédure civile.

- Le présent arrêt a été signé par Claude GATÉ, présidente, et par Charlotte ROSA, adjointe administrative faisant fonction de greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

La Greffière,La Présidente,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Agen
Formation : Chambre civile
Numéro d'arrêt : 21/00386
Date de la décision : 10/08/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-08-10;21.00386 ?
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