ARRÊT DU
10 Août 2022
DB/CR
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N° RG 21/00213
N° Portalis
DBVO-V-B7F-C3TH
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[I] [T],
[V] [N]
épouse [T]
C/
[X] [S],
[K] [D]
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GROSSES le
à
ARRÊT n°
COUR D'APPEL D'AGEN
Chambre Civile
LA COUR D'APPEL D'AGEN, 1ère chambre dans l'affaire,
ENTRE :
Monsieur [I] [R]
né le 02 septembre 1942 à NADOR (MAROC)
de nationalité espagnole
Madame [V] [N] épouse [R]
née le 08 Mai 1933 à [Localité 8] (15)
Domiciliés :
[Adresse 7]
[Localité 14]
Représentés par Me François DELMOULY, avocat inscrit au barreau d'AGEN
APPELANTS d'un jugement du tribunal judiciaire d'AUCH en date du 20 Janvier 2021, RG 20/00403
D'une part,
ET :
Madame [X] [S]
née le 25 Décembre 1961 à [Localité 12] (51)
de nationalité française
Monsieur [K] [D]
né le 02 Juillet 1969 à [Localité 13] (18)
de nationalité française
Domiciliés :
[Adresse 6]
[Localité 14]
Représentés par Me Carine LAFFORGUE, avocate inscrite au barreau du GERS
INTIMES
D'autre part,
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue et plaidée en audience publique le 14 Mars 2022, sans opposition des parties, devant la cour composée de :
Dominique BENON, Conseiller qui a fait un rapport oral à l'audience
qui en a rendu compte dans le délibéré de la cour composée outre lui-même de :
Claude GATE, Présidente de chambre
Benjamin FAURE, Conseiller
en application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, et après qu'il en a été délibéré par les magistrats ci-dessus nommés,
Greffière : Charlotte ROSA, adjointe administrative faisant fonction de greffière
ARRÊT : prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile
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FAITS :
Le 16 juin 2004, [I] [R] et [V] [N] son épouse (les époux [T]) ont acquis une maison d'habitation située [Adresse 7] (32), cadastrée section AC n° [Cadastre 5] et [Cadastre 10].
Le 8 avril 2008, [X] [S] et [K] [D] ont acquis un immeuble d'habitation avec dépendances bâties et non bâties situé [Adresse 6] dans la même ville, cadastré section AC n° [Cadastre 3], [Cadastre 4] et [Cadastre 9].
La parcelle [Cadastre 9] est constituée d'une allée.
Par jugement du 18 avril 2001, suite à un litige sur cette allée entre Mme [C] (ancienne propriétaire du fonds [S]/[D]) et Mme [F] (ancienne propriétaire du fonds [T]) le tribunal de grande instance d'Auch avait rejeté une demande de déclaration de propriété de la parcelle la supportant fondée sur la prescription acquisitive présentée par Mme [F] et 'dit que la partie allée attribuée par les services du cadastre à la parcelle AC n° [Cadastre 2] correspondant à la parcelle anciennement cadastrée [Cadastre 11] et doit être rattachée à la parcelle AC n° [Cadastre 3] propriété exclusive des consorts [C]'.
Mettant en cause le fait que les époux [T] utilisent l'allée en y laissant stationner des véhicules et qu'ils ont obstrué une bouche d'aération, Mme [S] et M. [D] ont fait savoir à leurs voisins qu'ils ne les autorisaient pas à utiliser l'allée.
A défaut d'accord amiable, par acte délivré le 3 mars 2020, Mme [S] et M. [D] ont fait assigner les époux [T] devant le tribunal de grande instance d'Auch afin qu'il leur soit enjoint de cesser tout passage sur la parcelle cadastrée AC n° [Cadastre 9].
Les époux [T] ont revendiqué l'acquisition d'une servitude de passage et opposé, notamment, l'état d'enclave de leur propriété.
Par jugement rendu le 20 janvier 2021, le tribunal judiciaire d'Auch a :
- condamné M. [G] [R] et Mme [V] [R] à cesser d'emprunter la parcelle AC [Cadastre 9] appartenant à Mme [X] [S] et M. [K] [D],
- condamné M. [G] [R] et Mme [V] [R] à créer un accès direct entre la parcelle AC [Cadastre 10] leur appartenant et la RN 21, et ce sous astreinte provisoire de 30 Euros par jour de retard passé un délai de 8 mois à compter de la signification du jugement, la durée de l'astreinte étant fixée à 4 mois,
- débouté Mme [X] [S] et M. [K] [D] du surplus de leurs demandes,
- condamné M. [G] [R] et Mme [V] [R] à verser à Mme [X] [S] et M. [K] [D] la somme de 1 500 Euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné M. [G] [R] et Mme [V] [R] au paiement des entiers dépens dont est exclu le coût du procès-verbal de constat du 2 août 2019 qui reste à la charge des demandeurs,
- dit n'y avoir lieu à ordonner l'exécution provisoire du jugement.
Le tribunal a estimé qu'une servitude de passage ne pouvait s'acquérir par prescription ; qu'il n'existait aucune servitude conventionnelle ; que les époux [T] ne pouvaient se prétendre enclavés dès lors que la parcelle cadastrée section AC n° [Cadastre 10] longe la RN 21, voie publique, et qu'ils ne justifiaient pas de leurs explications selon lesquelles l'autorité administrative leur refuserait toute sortie sur cette voie depuis cette parcelle.
Par acte du 2 mars 2021, [I] [R] et [V] [N] épouse [R] ont déclaré former appel du jugement en désignant [X] [S] et [K] [D] en qualité de parties intimées et en indiquant que l'appel porte sur les dispositions du jugement qui ont prononcé condamnation à leur encontre, qu'ils citent dans leur acte d'appel.
La clôture a été prononcée le 9 février 2022 et l'affaire fixée à l'audience de la Cour du 14 mars 2022.
PRETENTIONS ET MOYENS :
Par dernières conclusions notifiées le 9 novembre 2021, auxquelles il est renvoyé pour le détail de l'argumentation, [I] [R] et [V] [N] épouse [R] présentent l'argumentation suivante :
- La parcelle [Cadastre 9] peut être qualifiée de chemin d'exploitation :
* selon le rapport d'expertise déposé à l'occasion du procès ayant donné lieu au jugement du 18 avril 2001, le chemin desservait non seulement les fonds en litige, mais tout un quartier dit 'De Bernadat'.
* la notion de chemin d'exploitation est distincte de la propriété du sol et n'implique pas que l'usage agricole perdure.
- Subsidiairement, une servitude conventionnelle de passage doit leur être reconnue :
* l'acte de propriété de Mme [S] et de M. [D] mentionne une servitude grevant la parcelle section AC n° [Cadastre 9] permettant aux voisins d'accéder à leur propriété par la route, titre recognitif dont ils peuvent se prévaloir.
* cette servitude avait été mentionnée dans un acte du 5 octobre 1925.
- Très subsidiairement, leur fonds est enclavé :
* si leur propriété longe effectivement la RN 21, ils doivent nécessairement être considérés comme enclavés dès lors que leur propriété est clôturée par un grillage et se trouve à l'arrière d'arbres très hauts.
* tout aménagement à réaliser aurait un coût disproportionné estimé actuellement à 31 000 Euros.
* il est traditionnellement impossible d'obtenir la création d'une nouvelle sortie sur la RN 21.
- Ils ne peuvent être astreints à créer un chemin d'accès sur leur propriété : leurs voisins n'ont pas qualité pour le réclamer.
Au terme de leurs conclusions, ils demandent à la Cour de :
- réformer le jugement en ses dispositions portant condamnation à leur encontre,
- débouter Mme [S] et M. [D] de leurs demandes,
- dire qu'ils disposent du droit de passer sur le chemin référencé au cadastre de la commune de [Localité 14] sous le n° [Cadastre 9] de la section AC,
- condamner Mme [S] et M. [D], sous astreinte, à rétablir l'accès à la RN 21 par la parcelle cadastrée [Cadastre 9] de la section AC et pour cela à supprimer la barrière qu'ils y ont installé,
- les condamner à leur payer la somme de 4 500 Euros en application de l'article 700 du code de procédure civile et à supporter les dépens.
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Par dernières conclusions notifiées le 16 août 2021, auxquelles il est renvoyé pour le détail de l'argumentation, [X] [S] et [K] [D] présentent l'argumentation suivante :
- Leur acte de vente ne mentionne aucune servitude au profit du fonds des époux [T].
- Si l'allée a dans le passé, desservi des champs, lorsque les autorisations d'urbanisme ont été créées, tous les propriétaires, à l'exception des familles [F] et [T], ont créé des accès à la voie publique, lesquels sont donc possibles.
- Les époux [T] bénéficient d'un accès direct sur la RN 21.
- Le comportement de leurs voisins leur a préjudicié : ils ont obstrué une évacuation de chaudière dans le mur donnant sur la parcelle [Cadastre 9], ce qui a dégradé leur brûleur et créé un danger qui les a contraints à déplacer leur conduit.
Au terme de leurs conclusions, ils demandent à la Cour de :
- confirmer le jugement sauf en ce qu'il les a déboutés de leur demande de dommages et intérêts,
- en tant que de besoin, ordonner un transport sur les lieux ou toute autre mesure d'instruction,
- condamner solidairement les appelants à leur payer la somme de 1 072,25 Euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice matériel outre 5 000 Euros correspondant au préjudice moral et aux troubles de santé, ainsi que celle de 3 000 Euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
- mettre les dépens à la charge des appelants, incluant le coût du procès-verbal de constat du 2 août 2019.
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MOTIFS :
1) Sur la qualification de chemin d'exploitation :
L'article L. 162-1 du code rural et de la pêche maritime dispose :
'Les chemins et sentiers d'exploitation sont ceux qui servent exclusivement à la communication entre divers fonds, ou à leur exploitation ; ils sont, en l'absence de titre, présumés appartenir aux propriétaires riverains, chacun en droit soi, mais l'usage en est commun à tous les intéressés ; l'usage de ces chemins peut être interdit au public.'
En l'espèce, en premier lieu l'examen de la configuration des lieux permet de constater que l'allée en litige n'a pas pour finalité la communication entre plusieurs fonds ou leur exploitation.
En effet, cette allée longe la parcelle cadastrée section AC n° [Cadastre 10] appartenant aux époux [T] sur presque la moitié de sa limite Est et y débouche de sorte que ceux-ci n'en revendiquent l'utilisation que pour accéder à la parcelle [Cadastre 10] depuis la voie publique sur la limite Est de leur parcelle.
En deuxième lieu, la parcelle [Cadastre 10] longe directement la RN 21, voie publique, sur plusieurs dizaines de mètres.
L'allée ne présente par conséquent aucun avantage pour les époux [T] qui disposent, pour la desserte de leurs fonds, d'un accès direct sur la voie publique.
En troisième lieu, ils ne prétendent pas avoir entretenu cette allée.
Par conséquent, ce moyen, qui n'avait pas été présenté devant le tribunal doit être écarté.
2) Sur l'existence d'une servitude conventionnelle de passage :
Les époux [T] invoquent la disposition suivante mentionnée dans l'acte d'achat de Mme [S] et de M. [D], selon laquelle le vendeur déclare :
'Qu'il n'a créé ni laissé acquérir aucune servitude sur le bien vendu et qu'à sa connaissance il n'en existe aucune autre que la servitude de passage grevant la parcelle cadastrée section AC n° [Cadastre 9] et permettant aux voisins d'accéder à leur propriété par la route, ainsi qu'il résulte de l'exposé établi en première partie du présent acte.'
Ils estiment qu'il s'agit d'un titre recognitif de servitude tel que prévu à l'article 695 du code civil.
Mais selon ce texte, le titre constitutif de servitude, à l'égard de celles qui ne peuvent s'acquérir par la prescription, ne peut être remplacé que par un titre recognitif de la servitude et émané du propriétaire du fonds asservi.
En outre, un titre recognitif doit faire référence au titre constitutif de la servitude.
Par conséquent, dès lors que l'acte de propriété de Mme [S] et de M. [D] ne fait aucune référence, même dans sa première partie à laquelle la clause mentionnée ci-dessus renvoie, au titre qui aurait constitué la servitude qu'il mentionne, cet acte ne constitue pas un titre recognitif dont pourraient se prévaloir les époux [T].
Il en est de même de l'acte du 5 octobre 1925 également invoqué par les appelants qui fait simplement référence à un chemin de servitude, sans autre précision.
Aucune servitude conventionnelle de passage ne peut être reconnue aux appelants.
Le jugement doit être confirmé sur ce point.
3) Sur l'état d'enclave de la propriété [T] :
C'est par des motifs pertinents que la Cour adopte que le tribunal a dit que les époux [T], dont la parcelle cadastrée AC n° [Cadastre 10] longe la voie publique, ne peuvent se prévaloir d'aucun état d'enclave de leur propriété.
Le jugement sera confirmé en ce qu'il a fait interdiction aux époux [T] d'emprunter la parcelle cadastrée section AC n° [Cadastre 9].
En application de l'article L. 131-1 du code des procédures civiles d'exécution, une astreinte sera prononcée d'office pour assurer le respect de cette interdiction.
Par contre, il convient de préciser que les époux [T] sont libres des travaux à effectuer sur leur propriété pour créer un passage vers la RN 21 et ne sauraient y être astreints.
Il convient de retirer du dispositif du jugement la mention d'une condamnation à effectuer de tels travaux et dire n'y avoir lieu à cette condamnation.
4) Sur la demande de dommages et intérêts présentée par Mme [S] et M. [D] :
C'est également par des motifs pertinents que la Cour adopte que le tribunal a rejeté cette demande.
Enfin, l'équité nécessite d'allouer à Mme [S] et M. [D], en cause d'appel, la somme de 3 000 Euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Parties succombantes, les appelants seront condamnés aux dépens qui ne peuvent inclure le coût d'un constat d'huissier qui n'a pas été désigné en justice.
PAR CES MOTIFS :
- la Cour, après en avoir délibéré conformément à la loi, statuant par arrêt contradictoire prononcé par mise à disposition au greffe et en dernier ressort,
- CONFIRME le jugement SAUF en ce qu'il a condamné M. [G] [R] et Mme [V] [R] à créer un accès direct entre la parcelle AC [Cadastre 10] leur appartenant et la RN 21, et ce sous astreinte provisoire de 30 Euros par jour de retard passé un délai de 8 mois à compter de la signification du jugement, la durée de l'astreinte étant fixée à 4 mois ;
- STATUANT A NOUVEAU sur ce point,
- DIT n'y avoir lieu à cette condamnation ;
- Y ajoutant,
- DIT que l'interdiction d'emprunter la parcelle cadastrée section AC n° [Cadastre 1] est assortie d'une astreinte provisoire, à l'encontre d'[I] [R] et [V] [N] épouse [R], d'un montant de 200 Euros par infraction constatée, due conjointement à [X] [S] et [K] [D] dès signification du présent arrêt ;
- CONDAMNE solidairement [I] [R] et [V] [N] épouse [R] à payer à [X] [S] et [K] [D], en cause d'appel, la somme totale de 3 000 Euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
- CONDAMNE solidairement [I] [R] et [V] [N] épouse [R] aux dépens de l'appel.
- Le présent arrêt a été signé par Claude GATÉ, présidente, et par Charlotte ROSA, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
La Greffière,La Présidente,