La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

14/06/2022 | FRANCE | N°21/00320

France | France, Cour d'appel d'Agen, Chambre sociale, 14 juin 2022, 21/00320


ARRÊT DU

14 JUIN 2022**



NE/CO



-----------------------

N° RG 21/00320 -

N° Portalis DBVO-V-B7F-C36I

-----------------------





[P] [N]







C/





SA AUTOROUTES DU SUD DE LA FRANCE (ASF)







-----------------------











Grosse délivrée

le :



à

ARRÊT n°65 /2022







COUR D'APPEL D'AGEN

Chambre Sociale







Pron

oncé par mise à disposition au greffe de la cour d'appel d'Agen conformément au second alinéa des articles 450 et 453 du code de procédure civile le quatorze juin deux mille vingt deux par Nelly EMIN, conseiller faisant fonction de président assistée de Chloé ORRIERE, greffier



La COUR d'APPEL D'AG...

ARRÊT DU

14 JUIN 2022**

NE/CO

-----------------------

N° RG 21/00320 -

N° Portalis DBVO-V-B7F-C36I

-----------------------

[P] [N]

C/

SA AUTOROUTES DU SUD DE LA FRANCE (ASF)

-----------------------

Grosse délivrée

le :

à

ARRÊT n°65 /2022

COUR D'APPEL D'AGEN

Chambre Sociale

Prononcé par mise à disposition au greffe de la cour d'appel d'Agen conformément au second alinéa des articles 450 et 453 du code de procédure civile le quatorze juin deux mille vingt deux par Nelly EMIN, conseiller faisant fonction de président assistée de Chloé ORRIERE, greffier

La COUR d'APPEL D'AGEN, CHAMBRE SOCIALE, dans l'affaire

ENTRE :

[P] [N]

née le 19 octobre 1968 à [Localité 5] (GRANDE BRETAGNE)

demeurant [Adresse 1]

[Adresse 1]

Représentée par Me Charlotte LAVIGNE, avocat postulant inscrit au barreau du LOT et par Me Jean-Louis BORIE, avocat plaidant inscrit au barreau de CLERMONT-FERRAND

APPELANTE d'un jugement du Conseil de Prud'hommes - formation paritaire de CAHORS en date du 05 mars 2021 dans une affaire enregistrée au rôle sous le n° R.G. 18/00085

d'une part,

ET :

La SA AUTOROUTES DU SUD DE LA FRANCE (ASF), Direction Regionale [Localité 3], prise en la personne de son représentant légal et ayant son siège social :

[Adresse 2]

[Adresse 2]

[Adresse 2]

Représentée par Me Guy NARRAN, avocat postulant inscrit au barreau d'AGEN et par Me Charlotte BRACHET substituant à l'audience Me Philippe ROUSSELIN-JABOULAY, avocat plaidant inscrit au barreau de LYON

INTIMÉE

d'autre part,

A rendu l'arrêt contradictoire suivant après que la cause a été débattue et plaidée en audience publique le 05 avril 2022 sans opposition des parties devant Benjamin FAURE, conseiller rapporteur, assisté de Danièle CAUSSE, greffier. Le magistrat rapporteur en a, dans son délibéré, rendu compte à la cour composée outre lui-même de Nelly EMIN, conseiller et de Jean-Yves SEGONNES, conseiller, en application des dispositions des articles 945-1 et 805 du code de procédure civile et il en a été délibéré par les magistrats ci-dessus nommés, les parties ayant été avisées de la date à laquelle l'arrêt serait rendu.

* *

*

FAITS ET PROCÉDURE

Selon contrat à durée indéterminée [P] [N] a été embauchée à compter du 2 janvier 2008 par la société Autoroutes du Sud de la France (ci-après ASF) en qualité de conductrice d'engins, affectée sur un site situé à [Localité 7]. Le 8 septembre 2015, à la demande de l'employeur, elle a fait l'objet d'une visite médicale par le médecin du travail du [Localité 6] qui, à l'issue, l'a déclaré apte, sans aucune contre-indication à la conduite d'engins.

Le 13 juin 2016 [P] [N] a accepté une mutation sur le point d'appui ASF de Souillac, prenant effet au 1er septembre 2016.

Le 25 octobre 2016, à la suite d'une visite médicale dite 'd'embauche' le médecin du travail du Lot l'a déclaré apte, avec mention 'à revoir à ma demande le 15 novembre'.

Le lendemain, à la suite d'une nouvelle visite médicale toujours qualifiée 'd'embauche' le médecin du travail a déclaré [P] [N] « inapte temporaire le temps de faire le point avec dossier médical de la médecine du travail de [Localité 4] et avis spécialisé ».

Elle a été placée en arrêt-maladie par son médecin traitant le 27 octobre 2016, et n'a jamais repris le travail.

Le 2 novembre 2016, à la suite d'une nouvelle visite médicale, le médecin du travail du Lot a rendu le même avis que le 26 octobre, puis le 29 novembre 2016 le médecin du travail a conclu que [P] [N] ne pouvait occuper son poste actuellement. Le 3 janvier 2017 le même médecin du travail a déclaré [P] [N] inapte au poste d'agent autoroutier conducteur d'engins, puis le 18 janvier 2017, il a mentionné dans un nouvel avis qu'elle ne pouvait occuper son poste actuellement, qu'elle relevait de la médecine de soins et devrait être revue au moment où elle reprendrait son emploi.

Enfin, le 25 janvier 2017, le médecin du travail a déclaré [P] [N] inapte au poste d'ouvrier autoroutier avec mention « peut travailler sur un poste excluant la conduite d'engins autoroutiers ».

Immédiatement [P] [N] a saisi le conseil des prud'hommes pour contester l'avis du médecin du travail et solliciter la désignation d'un médecin expert. La décision du Conseil des prud'hommes rejetant cette demande a été infirmée par arrêt de la présente cour du 29 janvier 2019.

Le 16 avril 2019, le médecin-expert désigné par la Cour a conclu à l'aptitude de [P] [N] à exercer son emploi d'ouvrier d'autoroute sans aucun aménagement.

Par arrêt du 26 mai 2020, la présente Cour a dit qu'à la date du 25 janvier 2017 [P] [N] était apte à son poste d'ouvrier autoroutier sans aucun aménagement nécessaire.

Parallèlement, le 29 mars 2017 ASF avait adressé à [P] [N] un courrier constatant l'impossibilité de procéder à son reclassement, puis le lendemain une convocation à un entretien préalable.

Le 13 avril 2017, ASF avait notifié à [P] [N] son licenciement pour inaptitude.

Contestant son licenciement [P] [N] avait saisi le conseil des prud'hommes de Cahors le 24 septembre 2018 pour voir ordonner, dans le dernier état de ses conclusions sa réintégration à son poste et subsidiairement la condamnation de la société ASF à lui payer au titre du licenciement nul ou à tout le moins dépourvu de cause réelle et sérieuse une indemnité de 40 000 € ainsi que diverses indemnités et une indemnité compensatrice de préavis et de congés payés.

Par jugement en date du 5 mars 2021, auquel le présent arrêt se réfère expressément pour plus ample exposé des faits, la procédure, des moyens et prétentions des parties en première instance et des motifs énoncés par le premier juge, le conseil des prud'hommes de Cahors a :

' dit que le licenciement de [P] [N] est dépourvu de cause réelle et sérieuse ;

' fixé le salaire mensuel brut de [P] [N] à 2730 euros ;

' condamné ASF à payer à [P] [N] les sommes de 5 460 euros bruts au titre du préavis, 546 euros bruts au titre des congés payés afférents, 24 570 euros bruts à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et 1500 euros à titre d'indemnité de procédure, avec intérêts de droit (sic) à compter de la demande avec capitalisation ;

' débouté les parties du surplus de leurs demandes, et donc notamment pour [P] [N] de ses demandes en nullité du licenciement, en réintégration dans son emploi, en indemnisation du préjudice subi entre le jour de son licenciement et celui de sa réintégration.

Par déclaration enregistrée au greffe de la cour le 22 mars 2021, [P] [N] a relevé appel des dispositions du jugement dans les termes suivants :

'Il est relevé appel du jugement en ce qu'il a :

1) débouté Madame [N] de ses demandes tendant à voir dire que Mme [N] a été victime de discrimination en raison de son état de santé - dire que le licenciement de Mme [N] est nul et de nul effet - ordonner à la SA AUTOROUTES DU SUD DE LA FRANCE la réintégration de Mme [N] à son poste d'ouvrier autoroutier - condamner la SA AUTOROUTES DU SUD DE LA FRANCE à payer et porter à Mme [N] la somme de 141 200 euros net en réparation de l'entier préjudice subi (compte arrêté en juillet 2020 à parfaire)

2) limité la condamnation de la société ASF à payer à Mme [N] 24 570 euros brut au titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse'.

La procédure de mise en état a été clôturée par ordonnance du 3 février 2022 et l'affaire a été renvoyée à l'audience de plaidoirie du 5 avril 2022.

MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

I. Moyens et prétentions de Madame [P] [N], appelante principale

Selon dernières écritures enregistrées au greffe de la cour le 30 novembre 2021, expressément visées pour plus ample exposé des moyens et prétentions de l'appelante, [P] [N] conclut à la réformation du jugement et demande à la cour :

1°) de constater que les chefs de jugement critiqués sont expressément rappelés dans la déclaration d'appel et que la cour est saisie par l'effet dévolutif de l'appel de tous les chefs de jugement critiqués ;

2°) de dire qu'elle a été victime de discrimination en raison de son état de santé et en conséquence de dire que son licenciement est nul et de nul effet en faisant valoir :

' que l'employeur nourrissait des fantasmes quant à son état de santé, imaginant qu'elle avait été déclarée narcoleptique alors qu'il n'en était rien ;

' qu'il a tenté par tous les moyens de la faire déclarer inapte à son poste afin de se débarrasser d'elle ;

' qu'elle a été victime d'une discrimination en raison de son état de santé supposé, discrimination qui n'est pas liée à l'avis d'inaptitude en tant que tel mais aux agissements de l'employeur et du médecin du travail qui sont constitutifs de faits discriminatoires ;

' qu'alors qu'elle avait suivi une formation avec succès et obtenu l'autorisation de conduite pour l'intégralité des véhicules utilisés par ASF, rien ne venait justifier l'objet de la visite médicale du 26 octobre 2016 ni des suivantes ; que ASF a sollicité des visites médicales injustifiées et que c'est à tort que le conseil des prud'hommes a considéré qu'aucun document ne démontrait une connivence entre l'employeur et le médecin du travail ;

' que l'employeur a répandu de fausses rumeurs quant à son état de santé, propos mensongers repris par le médecin du travail dans un courrier adressé à son médecin traitant ;

' que l'avis d'inaptitude du 25 janvier 2017 ne repose sur aucun élément médical sérieux, qu'elle n'avait jamais été en arrêt de travail avant le 26 octobre 2016 et que c'est le médecin du travail qui l'a contraint à un arrêt de travail ;

' que le caractère infondé de l'avis d'inaptitude du médecin du travail ressort du dossier médical de la médecine du travail, puisqu'elle a exercé les mêmes fonctions d'ouvrier autoroutier durant plusieurs années et a toujours été déclarée apte à son poste sans aucune restriction ;

' qu'au moment du licenciement l'employeur avait parfaitement connaissance de son aptitude au poste et que c'est de manière incompréhensible que le médecin du travail, alors qu'il disposait d'éléments médicaux démontrant sa parfaite aptitude à son poste, a conclu à l'inaptitude le 25 janvier 2017, aux termes d'un raisonnement ne s'appuyant sur aucun argument médical et traduisant une concertation entre lui et employeur ;

' que dans son arrêt du 26 mai 2020, la cour d'appel a stigmatisé le comportement anormal du médecin du travail ;

' qu'elle a présenté des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe et que la société ne démontre pas le contraire, que cette discrimination a conduit à l'avis d'inaptitude délivrée par le médecin du travail puis à son licenciement et que dès lors le licenciement prononcé est nul et de nul effet ;

2°) d'ordonner à la ASF de la réintégrer à son poste d'ouvrier autoroutier et de condamner ASF à lui payer la somme de 194 150 euros en réparation de l'entier préjudice subi, arrêté à novembre 2021, en soutenant :

' qu'elle est en droit de solliciter sa réintégration et en outre la réparation de la totalité du préjudice subi au cours de la période qui s'est écoulée entre son licenciement et sa réintégration ;

' que cette indemnisation à un caractère forfaitaire puisqu'elle sanctionne la violation d'un droit ou d'une liberté garantie par la constitution et que dès lors les sommes perçues durant cette période n'ont pas à être déduite de l'indemnisation ;

' que son contrat de travail prévoyait la mise à disposition gratuite d'un logement par l'employeur, dont la valeur locative peut être estimée à 800 euros par mois, qu'elle aurait donc dû bénéficier de ce logement pendant 55 mois soit pour un montant de 44 000 euros arrêtés à novembre 2021 ;

3°) subsidiairement, de confirmer le jugement en ce qu'il a dit et jugé que son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse et en ce qu'il a condamné ASF à lui payer les sommes de 5462 euros bruts à titre d'indemnité compensatrice de préavis et de 546,20 euros bruts au titre des congés payés afférents en indiquant que la décision de la cour du 26 mai 2020, la déclarant apte à son poste d'ouvrier autoroutier sans aucun aménagement nécessaire, s'étant substituée à l'avis d'inaptitude du 25 janvier 2017, le licenciement prononcé pour inaptitude est dépourvu de cause réelle et sérieuse ;

4°) subsidiairement toujours, de réformer le jugement en ce qu'il a limité son indemnisation pour licenciement sans cause réelle et sérieuse à la somme de 24 570 euros bruts et de porter à 80 000 euros nets les dommages-intérêts pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse en exposant :

' que l'article L.1235-3 du code du travail, dans sa rédaction applicable au jour de son licenciement, soit le 13 avril 2017, prévoit en cas de refus de réintégration une indemnité ne pouvant être inférieure aux salaires des six derniers mois ;

' qu'elle était âgée de 49 ans, avait plus de huit années d'ancienneté, que son salaire brut mensuel moyen était de 2730 euros, qu'elle n'a toujours pas retrouvé de travail et a été contrainte de retourner en Angleterre, qu'elle ne perçoit aucun revenu, que sa perte financière s'est élevée à plus de 82 000 euros, qu'elle a perdu la mise à disposition à titre gratuit d'un logement et a subi en outre un préjudice moral considérable de sorte qu'elle est en droit de réclamer une indemnité de 80 000 euros ;

5°) de confirmer le jugement ce qu'il lui a alloué la somme de 1500 euros à titre d'indemnité de procédure en première instance et de condamner en outre ASF aux entiers dépens et à lui payer une indemnité de procédure de 4000 euros à hauteur d'appel.

II. Moyens et prétentions de la société autoroute du Sud de la France, intimée

Selon dernières écritures enregistrées au greffe de la cour le 2 septembre 2021, expressément visées pour plus ample exposé des moyens et prétentions de l'intimée, la société ASF demande à la cour :

1°) de constater qu'elle n'est saisie d'aucune demande et de dire n'y avoir lieu à statuer en faisant valoir :

' que la déclaration d'appel ne précise aucunement si la salariée entend obtenir la réformation ou l'annulation du jugement, se contentant de relever appel, et qu'elle ne permet pas de savoir concrètement quels sont les chefs de jugement que l'appelante entend critiquer, la salariée, se contentant de faire état de l'énoncé des demandes formulées devant le premier juge et non des chefs de jugement prononcé par le conseil des prud'hommes ;

' que face à une telle énonciation il est acquis que l'effet dévolutif de l'appel ne peut exister et que la cour d'appel n'est saisi d'aucun chef du dispositif du jugement ;

' l'absence de régularisation par une nouvelle déclaration d'appel dans le délai imparti à l'appelant pour conclure ;

2°) subsidiairement, d'infirmer le jugement ce qu'il a dit le licenciement sans cause réelle et sérieuse et a condamné ASF à payer 5460 euros au titre du préavis, 546 euros au titre des congés payés afférents, 24 570 euros au titre des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et 1500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et statuant à nouveau de dire et juger que le licenciement de [P] [N] n'est pas nul et repose sur une cause réelle et sérieuse et de débouter celle-ci de toutes ses demandes en soutenant :

' qu'il est de jurisprudence constante que le licenciement n'est pas nul lorsque l'autorité saisie d'une contestation de l'avis d'inaptitude rendue par le médecin du travail décide de l'annuler et qu'il a été jugé par la Cour de cassation à de multiples reprises que dans une telle hypothèse le licenciement est seulement privé de cause réelle et sérieuse ;

' que dès lors la seule infirmation de l'avis du médecin de travail ne peut suffire à démontrer l'existence d'une discrimination ;

' que Madame [P] [N] fait état d'une manigance, mais qu'elle procède par voie d'affirmations sur de prétendus agissements constitutifs de faits de discrimination ;

' qu'elle ne fait état d'aucun élément impartial caractérisant une discrimination liée à son état de santé, que le médecin du travail est totalement autonome et indépendant vis-à-vis de l'employeur et qu'à la lecture du dossier il n'est absolument pas démontré qu'il y aurait eu une quelconque connivence avec le médecin du travail pour obtenir l'inaptitude de la salariée ;

' qu'elle n'a en aucun cas licencié [P] [N] en raison de son état de santé mais sur la base d'un avis d'inaptitude physique établi par le médecin du travail ;

' qu'elle a licencié [P] [N] pour inaptitude et impossibilité de reclassement, dans le respect des dispositions légales et jurisprudentielles, qu'aucune faute ne peut lui être imputée ;

3°) subsidiairement toujours, de confirmer le jugement en ce qu'il a débouté Mme [P] [N] du surplus de ses demandes en exposant :

' qu'en l'absence de toute discrimination, la simple annulation de l'avis médical ne peut avoir pour effet d'entraîner la nullité du licenciement et que [P] [N] n'est pas fondée à solliciter sa réintégration et ne peut prétendre au versement de dommages-intérêts à ce titre ; notamment au paiement des salaires entre la date de son licenciement et de sa réintégration ;

' que [P] [N], licenciée le 13 avril 2017, réclame 30 mois de salaire à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, mais qu'il lui appartient de démontrer l'existence du préjudice dont elle se prévaut ainsi que son quantum, ce qu'elle ne fait pas ;

4°) de condamner [P] [N] aux dépens et au paiement d'une indemnité de procédure de 2000 euros.

MOTIFS DE L'ARRÊT

I. SUR L'EFFET DEVOLUTIF DE L'APPEL

A titre liminaire, il convient de rappeler :

- qu'aux termes de l'article 901,4° du code de procédure civile, la déclaration d'appel doit contenir, à peine de nullité, les chefs du jugement expressément critiqués auxquels l'appel est limité, sauf si l'appel tend à l'annulation du jugement ou si l'objet du litige est indivisible ;

- que l'article 562 du dit code dispose que l'appel défère à la cour la connaissance des chefs de jugement qu'il critique expressément et de ceux qui en dépendent, la dévolution ne s'opérant pour le tout que lorsque l'appel tend à l'annulation du jugement ou si l'objet du litige est indivisible ;

- qu'il s'en déduit, selon l'interprétation donnée à ces textes par la Cour de cassation, d'une part, que seul l'acte d'appel emporte la dévolution des chefs critiqués du jugement, d'autre part, que lorsque la déclaration d'appel tend à la réformation du jugement sans mentionner les chefs de jugement critiqués, l'effet dévolutif n'opère pas et qu'il en est notamment ainsi lorsque les chefs critiqués ne sont pas énoncés dans la déclaration d'appel ;

- que par ailleurs l'effet dévolutif de l'appel n'est pas subordonné à la mention dans la déclaration d'appel qu'il tend à la réformation ou à l'annulation du jugement.

En l'espèce, c'est en dénaturant la déclaration d'appel que l'intimée vient soutenir que celle-ci ne constitue qu'un relevé des prétentions soumises aux premiers juges par [P] [N].

La simple lecture de la déclaration d'appel, dont les termes ont été rappelés précédemment permet à la Cour de s'assurer du contraire.

En effet les premiers juges ont, dans le dispositif du jugement entrepris, débouté Mme [N] du surplus de ses demandes après avoir dans les motifs énoncés les raisons pour lesquelles les demandes en nullité du licenciement, en réintégration dans son emploi, en indemnisation du préjudice subi entre le jour de son licenciement et celui de sa réintégration étaient rejetées. Ils ont par ailleurs limité à 24 570 euros les dommages et intérêts alloués en réparation du préjudice résultant du licenciement sans cause réelle et sérieuse, alors que [P] [N] réclamait une indemnité de 80 000 euros.

Or c'est en des termes clairs et non équivoques que [P] [N] a relevé appel d'une part, des dispositions du jugement l'ayant débouté de ces demandes, d'autre part de la disposition ayant limité son indemnisation à 24 570 euros.

Dès lors, la Cour ne peut que constater qu'elle est régulièrement saisie par l'effet dévolutif de l'appel des chefs de jugement expressément critiqués par la déclaration d'appel.

II. SUR LA RUPTURE DU CONTRAT DE TRAVAIL

A. Sur la nullité du licenciement

L'article L.1132-1 du code du travail dispose qu'aucune personne ne peut faire l'objet d'un mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de formation, de rémunération, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle en raison de l'un des motifs énoncés à l'article 1er de la loi du 27 mai 2008, à savoir l'origine, le sexe, la situation de famille, la grossesse, l'apparence physique, la vulnérabilité particulière résultant de la situation économique, le patronyme, le lieu de résidence, l'état de santé, la perte d'autonomie, le handicap.

L'article L.1134-1 du même code précise qu'en cas de survenance d'un litige relatif à une discrimination invoquée par un salarié, celui-ci doit seulement présenter des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte, l'employeur devant au vu de ces éléments prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.

En l'espèce, [P] [N], pour solliciter la nullité du licenciement, soutient que celui-ci a été prononcé en raison son état de santé et qu'il constitue donc une mesure discriminatoire.

Pour rejeter ce moyen et confirmer les dispositions du jugement déboutant [P] [N] de sa demande de nullité du licenciement, il suffira de relever :

- que le licenciement est intervenu à la suite d'un avis d'inaptitude établi le 25 janvier 2017 par le Dr [H] [D], médecin du travail du Lot ;

- que [P] [N] fait état de manigances et d'une connivence entre l'employeur et le médecin du travail qui a établi les divers avis et finalement l'avis d'inaptitude, afin de permettre son licenciement, mais qu'il s'agit là d'une simple allégation que rien ne vient corroborer et notamment pas la succession de visites auprès du médecin du travail, celui-ci ayant justifié son attitude par le souci de recueillir des avis spécialisés compte tenu des déclarations que lui avaient faites [P] [N] ;

- que les dénégations de cette dernière à cet égard ne sont pas de nature à établir la connivence alléguée, le médecin du travail étant totalement indépendant de l'employeur ;

- que par suite le licenciement pour inaptitude médicalement constatée par le médecin du travail ne présente pas un caractère discriminatoire.

En l'absence de nullité du licenciement, la confirmation du rejet de la demande de réintégration présentée par [P] [N] et de la demande d'indemnisation au titre du préjudice subi jusqu'à réintégration - actualisée à hauteur d'appel à 194 150 euros s'impose également.

B. Sur la cause du licenciement

A titre liminaire, il convient de rappeler d'une part, qu'en application de l'article L.4624-7 du code du travail, en cas de contestation d'un avis d'inaptitude émis par le médecin du travail, la décision de la juridiction prud'homale se substitue à l'avis contesté, d'autre part, que lorsque l'inaptitude ayant fondée un licenciement est écartée le licenciement n'est pas nul, mais seulement privé de cause réelle et sérieuse.

En l'espèce, dans le cadre de la contestation formée par [P] [N] contre l'avis d'inaptitude du 25 janvier 2017, la présente Cour a dit par arrêt du 26 mai 2020 qu'à la date du 25 janvier 2017 [P] [N] était apte à son poste d'ouvrier autoroutier sans aucun aménagement nécessaire.

Dès lors, sans qu'il soit besoin de répondre à l'argumentation d'ASF relative à son absence de faute, la confirmation du jugement en ses dispositions énonçant que le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse s'impose.

C. Sur les conséquences financières de la rupture du contrat de travail

Le licenciement étant dépourvu de cause réelle et sérieuse, [P] [N] est fondée à obtenir payement d'une indemnité compensartrice de préavis dont la non-exécution incombe à l'employeur, et d'une indemnité compensatrice de congés -payés afférents.

Les premiers juges ont fait une juste évaluation de ces indemnités, qui n'est pas contestée par ASF, par suite le jugement sera confirmé de ces chefs.

Aux termes de l'article L.1235-3 du code du travail, dans sa version applicable au litige compte tenu de la date du licenciement, l'indemnité octroyée par le juge en l'absence de réintégration ne peut être inférieure aux salaires des 6 derniers mois, soit en l'espèce à la somme de 16 380 euros selon les justicatifs produits.

Compte tenu notamment de l'âge de [P] [N], née en octobre 1968, de son ancienneté (9 ans et 3 mois), de l'absence de justification de ses recherches d'emploi et de justification de sa situation professionnelle actuelle, les premiers juges ont fait une exacte appréciation du préjudice en allouant à l'appelante la somme de 24 570 euros, bruts, au titre du préjudice résultant du licenciement sans cause réelle et sérieuse. Le jugement entrepris sera donc également confirmé de ce chef.

III. SUR LES FRAIS NON RÉPÉTIBLES ET LES DÉPENS

[P] [N], qui succombe sur son appel, ne peut bénéficier des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

L'équité n'impose pas de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au profit de ASF.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant contradictoirement, par arrêt prononcé par sa mise à disposition au greffe et en dernier ressort,

CONSTATE qu'elle est régulièrement saisie, par l'effet dévolutif de l'appel, des chefs de jugement entrepris critiqués par la déclaration d'appel ;

CONFIRME le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;

y ajoutant,

DÉBOUTE les parties de leurs demandes respectives fondées sur l'aticle 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE [P] [N] aux dépens d'appel.

Le présent arrêt a été signé par Nelly EMIN, conseiller faisant fonction de président et Chloé ORRIERE, greffier.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Agen
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 21/00320
Date de la décision : 14/06/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-06-14;21.00320 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award