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18/05/2022 | FRANCE | N°21/00268

France | France, Cour d'appel d'Agen, Chambre civile, 18 mai 2022, 21/00268


ARRÊT DU

18 Mai 2022





CG/CR





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N° RG 21/00268

N° Portalis

DBVO-V-B7F-C3Z3

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[F] [N],

[R] [K]



C/



CAISSE D'EPARGNE ET DE PREVOYANCE AQUITAINE NORD







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GROSSES le

à









ARRÊT n°


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COUR D'APPEL D'AGEN



Chambre Civile









LA COUR D'APPEL D'AGEN, 1ère chambre dans l'affaire,







ENTRE :



Monsieur [F] [N]

né le [Date naissance 2] 1965 à [Localité 8] (33)

de nationalité Française

Madame [R] [K]

née le [Date naissance 1] 1971 à [Localité 9] (82)

de nationalité Française

Domiciliés :

[Adresse ...

ARRÊT DU

18 Mai 2022

CG/CR

---------------------

N° RG 21/00268

N° Portalis

DBVO-V-B7F-C3Z3

---------------------

[F] [N],

[R] [K]

C/

CAISSE D'EPARGNE ET DE PREVOYANCE AQUITAINE NORD

------------------

GROSSES le

à

ARRÊT n°

COUR D'APPEL D'AGEN

Chambre Civile

LA COUR D'APPEL D'AGEN, 1ère chambre dans l'affaire,

ENTRE :

Monsieur [F] [N]

né le [Date naissance 2] 1965 à [Localité 8] (33)

de nationalité Française

Madame [R] [K]

née le [Date naissance 1] 1971 à [Localité 9] (82)

de nationalité Française

Domiciliés :

[Adresse 6]

[Localité 5]

Représentés par Me Elodie SEVERAC, avocate inscrite au barreau d'AGEN

APPELANTS d'un Jugement du tribunal judiciaire d'Agen en date du 21 Janvier 2021, RG 17/00393

D'une part,

ET :

CAISSE D'EPARGNE ET DE PREVOYANCE AQUITAINE NORD

[Adresse 7]

[Localité 4]

Représentée par Me Ludovic VALAY, avocat inscrit au barreau d'AGEN

INTIMÉE

D'autre part,

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue et plaidée en audience publique le 02 Février 2022 devant la cour composée de :

Présidente : Claude GATÉ, Présidente de Chambre, qui a fait un rapport oral à l'audience

Assesseurs : Dominique BENON, Conseiller

Jean-Yves SEGONNES, Conseiller

Greffières : Lors des débats : Nathalie CAILHETON

Lors de la mise à disposition : Charlotte ROSA, adjoint administratif faisant fonction de greffier

ARRÊT : prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile

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FAITS ET PROCÉDURE

Suivant acte authentique du 23 avril 2002, [F] [N] a constitué l'EURL Restaurant [N] (EURL [N]) dont il était l'unique gérant.

Le 4 novembre 2004, [F] [N] et [R] [K], sa concubine, ont constitué la SCI SYRB dont ils étaient co-gérants.

Suivant offre de crédit du 6 octobre 2004, la Caisse d'épargne a consenti à la SCI SYRB un emprunt de 390 000 € sur 180 mois, soit des échéances mensuelles de 3088,49 € garanti par deux actes de cautionnement solidaire donnés par [F] [N] et [R] [K], à hauteur de 507 000 € chacun, en vertu d'un accord donné à la même date. Ce prêt avait pour objet l'achat des murs du restaurant exploité par l'EURL [N], soit deux immeubles à usage commercial et d'habitation sis à [Localité 10] (47).

Le 11 janvier 2005, la Caisse d'épargne a publié un privilège de prêteur de deniers sur les immeubles acquis par la SCI SYRB pour une créance garantie de 457 356 €.

La SCI SYRB et l'EURL [N] ont rencontré des difficultés financières, le premier incident de paiement de la SCI SYRB est survenu le 12 janvier 2009.

Par jugement du 15 septembre 2010, le tribunal de commerce d'Agen a ouvert une procédure de redressement judiciaire de l'EURL [N], laquelle a été étendue à la SCI SYRB par décision de la même juridiction du 8 décembre 2010. Le tribunal de commerce d'Agen a prononcé la liquidation judiciaire des deux sociétés par jugement du 11 février 2014.

La Caisse d'épargne a déclaré sa créance au titre de l'emprunt consenti à la SCI SYRB auprès de Maître [H] [B], mandataire judiciaire puis liquidateur judiciaire de ladite société, par courriers des 22 décembre 2010, 31 janvier 2011 et 28 février 2014 et a rappelé à [F] [N] et [R] [K] leurs engagements de caution par courrier recommandé du 3 septembre 2012 avec accusés de réception signés le 5 septembre 2012.

Les versements intervenus entre le 1er décembre 2004 et décembre 2008 et la vente du fonds de commerce pour un montant de 115 000 € n'ayant pas permis de totalement désintéresser ce créancier, la Caisse d'épargne a, par courrier recommandé du 26 février 2016, mis en demeure [F] [N] et [R] [K] en leur qualité de cautions solidaires de la SCI SYRB d'avoir à lui rembourser les sommes restant dues relativement au prêt contracté.

Faute d'obtenir satisfaction, la Caisse d'épargne a, par acte d'huissier du 3 mars 2017, assigné [F] [N] et [R] [K] devant le tribunal de grande instance d'Agen pour obtenir leur condamnation à lui payer la somme de 417 396,95 euros en principal et intérêts suivant décompte arrêté au 7 février 2017, outre la somme de 1500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Par jugement en date du 27 juin 2018, le tribunal de commerce d'Agen a prononcé la clôture de la procédure de liquidation judiciaire de la SCI SYRB et le 12 mars 2018 la Caisse d'épargne a reçu la somme de 48 165 € au titre de son rang de créancier privilégié.

Par jugement du 21 janvier 2021 le Tribunal judiciaire d'Agen a :

- débouté [F] [N] et [R] [K] de leur demande tendant à voir écarter la pièce numéro 12 produite par la Caisse d'épargne ;

- débouté [F] [N] et [R] [K] de leur demande tendant à voir prononcer la nullité de leurs engagements de caution ;

- prononcé la déchéance de tout droit de la Caisse d'épargne à intérêts conventionnels sur la période du 6 octobre 2004 au 3 mars 2007 ainsi que du droit à percevoir toute clause pénale et frais ;

- ordonné la réouverture des débats à l'audience du 20 mai 2021 ;

- enjoint à la Caisse d'épargne de produire un décompte des sommes dues par [F] [N] et [R] [K] et ce en imputant les versements effectués à titre principal par la SCI SYRB sur le capital et les sommes obtenues dans le cas de la liquidation judiciaire ;

- sursis à statuer sur les autres demandes ;

- réservé les dépens.

Le tribunal a notamment retenu qu'il ressort de la fiche patrimoniale remplie par les cautions en juin 2004 à l'occasion de la souscription de leurs engagements, dont les éléments sont confortés par les autres pièces versées aux débats par les cautions, que le couple vivait avec des revenus s'élevant à environ 4000 € par mois, avec quatre enfants à charge, qu'il ressortait de l'étude des bilans comptables de l'EURL [N] que la banque avait pu légitimement se fonder sur le caractère prospère de l'entreprise, et que l'opération financée par le prêt consenti par la Caisse d'épargne à la SCI SYRB, à savoir le rachat des murs de l'EURL [N] était particulièrement intéressante pour [F] [N] et [R] [K] dans la mesure où cela leur permettait de réduire de manière importante les charges de la vie courante ; le fait que [F] [N] soit engagé comme caution pour trois autres prêts souscrits avec la Caisse d'Epargne pour améliorer le fonds de commerce et donc l'outil de travail a permis à la banque de considérer que l'engagement souscrit par chacune des cautions n'était pas manifestement disproportionné.

Pour le tribunal l'engagement souscrit par [F] [N] était donc raisonnable vu le montant de son salaire, la stabilité de son emploi de dirigeant d'entreprise rentable et ses charges courantes. Pour [R] [K] dont le salaire était moins important, il n'y avait pas non plus de disproportion dès lors qu'elle partageait ses charges avec son compagnon et que le couple avait les moyens de s'acquitter de ses obligations envers la Caisse d'Epargne, soit en contractant un emprunt auprès d'un autre établissement bancaire, soit en négociant un plan d'apurement de leur dette dans un délai raisonnable.

La Caisse d'épargne ne produisant pas les accusés de réception des courriers d'information des cautions, elle a été déchue de son droit à percevoir les intérêts conventionnels échus réclamés à [F] [N] et [R] [K] pour toute la durée de la défaillance, soit du 6 octobre 2004 au 12 janvier 2019 date de la déchéance du terme. Ne démontrant pas non plus le respect de son obligation d'information de la défaillance du débiteur, la Caisse d'épargne est déchue de son droit de percevoir l'indemnité de déchéance du terme ainsi que les frais et intérêts de retard jusqu'à la date de l'assignation, soit le 3 mars 2017 ; compte tenu du cumul temporel des deux sanctions la déchéance est encourue entre le 6 octobre 2004 et le 3 mars 2017 et la Caisse d'Epargne tenue de produire un décompte actualisé des sommes versées par le débiteur principal ainsi que les sommes perçues dans le cas de la liquidation judiciaire, justifiant qu'il soit sursis à statuer sur ses demandes financières.

Par déclaration du 13 mars 2021, [F] [N] et [R] [K] ont interjeté appel de la décision du 21 janvier 2021 en ce que le tribunal :

- les a déboutés de leur demande tendant à voir prononcer la nullité de leurs engagements de cautions,

- a prononcé la déchéance de tout droit de la Caisse d'Epargne à intérêts conventionnels sur la période du 6 octobre 2004 au 3 mars 2007 ainsi que du droit à percevoir toutes clauses pénales et frais.

Par jugement du 20 mai 2021, le tribunal judiciaire d'Agen visant la déclaration d'appel du 13 mars 2021 a constaté son dessaisissement.

PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Aux termes de leurs dernières conclusions du 9 novembre 2021, [F] [N] et [R] [K] demandent à la Cour de :

- infirmer le jugement du Tribunal judiciaire d'Agen du 21 janvier 2021 en ce qu'il :

-les a déboutés de leur demande tendant à voir prononcer la nullité de leurs engagements de cautions ;

- a prononcé la déchéance de tout droit de la CAISSE D'EPARGNE à intérêts conventionnels sur la période du 6 octobre 2004 au 3 mars 2007 ainsi que du droit à percevoir toutes clauses pénales et frais.

Et, statuant de nouveau :

A TITRE PRINCIPAL,

- dire et juger que, lors de leur conclusion, leurs engagements de caution étaient manifestement disproportionnés à leurs biens et revenus, au sens de l'article L 341-4 (ancien) du code de la consommation ;

- en conséquence, dire et juger que la CAISSE D'EPARGNE ne peut pas se prévaloir de ces 2 actes de cautionnement, lesquels sont nuls et de nul effet ;

- débouter la CAISSE D'EPARGNE de l'intégralité de ses demandes à leur encontre ;

A TITRE SUBSIDIAIRE, si par extraordinaire la Cour considérait que la CAISSE D'EPARGNE peut se prévaloir des 2 actes de cautionnement litigieux :

- prononcer la déchéance de tout droit de la CAISSE D'EPARGNE à intérêts conventionnels et de retard sur la période du 6 octobre 2004 au 3 mars 2017 ainsi que du droit à percevoir toutes clauses pénales (indemnité de déchéance du terme) et frais.

Y ajoutant :

- débouter la CAISSE D'EPARGNE de ses demandes plus amples ou contraires ;

- condamner la CAISSE D'EPARGNE au paiement d'une somme de 3.500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner la CAISSE D'EPARGNE aux entiers dépens de première instance et d'appel, dont distraction au profit de Maître Elodie Severac, membre de la SELARL ACTION JURIS, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Ils font valoir :

À titre liminaire, sur la détermination de l'objet de la présente procédure d'appel

*L'appel du jugement mixte du 21 janvier 2021 ne dessaisit pas le tribunal judiciaire d'Agen de la connaissance des points du litige que celui-ci n'a pas encore tranché par cette décision en vertu de l'article 481 du code de procédure civile ; l'effet dévolutif prévu aux articles 561 et suivants ne portant que sur les points du litige tranchés par le premier juge ;

Sur la nullité du cautionnement pour disproportion

* Les deux actes de cautionnement litigieux ont été souscrits le 6 octobre 2004 dans le cadre de l'achat des murs du restaurant exploité par l'EURL Restaurant [N], à cette date ils étaient novices en matière de gestion, [F] [N] venant tout juste d'ouvrir son propre restaurant dont il était l'unique gérant alors que [R] [K] était serveuse et n'avait aucune compétence en matière de comptabilité de gestion ; en tout état de cause, contrairement à ce qu'a retenu le tribunal, les chances de succès de l'opération garantie ne constituent pas un critère d'appréciation de la proportionnalité de l'engagement, seuls les revenus et le patrimoine des cautions sont à prendre en compte ;

* Ils détaillent dans leurs écritures les différents prêts souscrits, ainsi que les résultats de l'EURL [N] qui s'étaient dégradés entre 2002 et 2004, année de souscription de l'engagement de caution, accusant alors une perte de 1986,10 € et entraînant des bénéfices industriels et commerciaux à hauteur de 16 014 € soit 1334,50 € par mois ; le salaire de [R] [K] salariée de l'EURL [N] avait diminué en 2003 en raison de la limitation de son activité professionnelle liée à la naissance de son quatrième enfant et ses revenus mensuels étaient de 849,83 € en 2004 ;

* Le questionnaire qu'ils avaient rempli lors de la souscription des deux actes de cautionnement ne portait mention d'aucun patrimoine immobilier, [F] [N] ne disposait que d'une épargne de 15 000 € alors que [R] [K] n'avait aucun patrimoine mobilier à l'exception de ses parts dans la SCI SYRB ;

*Lors de la souscription, [F] [N] était déjà engagé au titre de plusieurs actes de cautionnement à hauteur de 81 500 €, portant son engagement de caution à la somme totale de 588 500 € soit plus de 36 fois son revenu net annuel de 2004 démontrant que l'acte de cautionnement était manifestement disproportionné à ses biens et revenus au sens de l'article L. 341-4 du code de la consommation ; quant au cautionnement de [R] [K] à hauteur de 507 000 €, il correspondait à plus de 49 fois son revenu net annuel de 2004 et était également manifestement disproportionné ;

* Leurs revenus actuels ne leur permettent pas de faire face à leurs engagements de caution tel que décrit dans leurs écritures, les deux immeubles acquis par la SCI Syrb au moyen de l'emprunt litigieux ayant été vendus dans le cadre de la procédure de liquidation judiciaire et ils ne disposent d'aucun patrimoine susceptible de leur permettre de faire face à leurs engagements ; ils sont par ailleurs séparés et ne partagent plus les charges à l'exception des frais d'entretien et d'éducation de leur enfant commun ;

* En réponse aux arguments soulevés par l'intimée, l'EURL [N] était dans l'incapacité d'assumer la charge de l'emprunt immobilier de 3088,49 € mensuels sauf à courir un risque de surendettement mettant en péril sa santé financière tel que cela ressort d'une étude de l'expert-comptable du restaurant, ayant démontré que le rachat des murs en 2004 par la SCI SYRB avait entraîné une augmentation des loyers trop lourde pour la société ; les chiffres avancés par la Caisse d'épargne ne sont nullement justifiés, en particulier la valorisation du fonds de commerce entre 140 000 et 150 000 €, reprise à tort par le tribunal de première instance ;

Sur le défaut d'information annuelle des cautions

*La Caisse d'épargne ne communique aucune preuve de l'envoi ou de la distribution des courriers qu'elle produit, les seuls récépissés versés aux débats portant la mention « destinataire inconnue à l'adresse » étant précisé qu'ils avaient communiqué leur adresse correcte et qu'ils n'ont pas été touchés par ces courriers ;

Sur le défaut d'information de la défaillance du débiteur

* La Caisse d'épargne indiquant dans ses conclusions que le premier incident de paiement remontait au 12 janvier 2009, il lui appartenait d'informer les cautions de cette défaillance au plus tard le 12 février 2009 ce dont elle ne justifie pas, ne versant aux débats aucun accusé de réception, le jugement déféré doit être confirmé sur ce point ;

* Le jugement est entaché d'une erreur matérielle indiquant dans son dispositif que la déchéance du droit à intérêts conventionnels court sur la période du 6 octobre 2004 au 3 mars 2007 en lieu et place de 2017 tel qu'il l' a jugé dans le corps de sa décision ;

*****************************

Aux termes de ses uniques conclusions du 10 septembre 2021, la Caisse d'Epargne et de prévoyance Aquitaine Nord demande à la Cour de :

- confirmer le jugement à titre principal sur la validité des engagements de caution.

- le réformer en ce qu'il a sanctionné la Caisse d'Epargne sur le chef de l'information des cautions.

- renvoyer les parties devant le premier juge sur les effets du sursis à statuer.

- condamner les appelants à lui verser la somme de 2 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Elle fait valoir :

Sur le caractère manifestement disproportionné de l'engagement de caution

*La pièce numéro 12, constituant le « dossier client » comprenant les informations fournies par les cautions et l'analyse financière effectuée par elle, révèle l'absence du caractère manifestement disproportionné de l'engagement de caution telle que décrit dans les écritures ;

* L'opération engagée par le rachat des murs s'avérait propice à l'intérêt principal de l'EURL [N] dont [F] [N] était actionnaire unique et permettait également d'une part à l'EURL d'être indirectement propriétaire des murs par le biais d'une SCI dont les associés étaient en lien, et d'autre part, d'assurer sans autres frais le logement desdits associés ;

* L'EURL [N] s'acquittait avant l'opération d'un loyer annuel minimum de 27 400 € soit 2280 € mensuels alors que la base du financement proposée était de 3088 € mensuels soit un différentiel de seulement 800 € ;

* L'opération financière était favorable aux exploitants sur la base de la valeur locative et d'un amortissement minimum de 15 ans du prix de l'immeuble ;

* Les cautions versent en cause d'appel, le bail notarié permettant d'apprécier dans quelle mesure le montant des loyers couvrait les échéances d'emprunts, puisque celui-ci s'élevait à la somme de 3500 € rendant l'économie de l'opération certaine ;

*Il ressort du questionnaire d'information et des données financières communiquées par les cautions que l'engagement disproportionné n'était pas avéré : le total des ressources de [R] [K] étant estimé à 1791 € tenant compte de son salaire, des indemnités de la CAF et de la pension alimentaire ; les bénéfices industriels et commerciaux de [F] [N] étaient de l'ordre de 45 000 € , il détenait une épargne personnelle de 15 000 € et était l'associé unique de l'EURL [N] valorisée entre 140 000 € et 150 000 €, disposait d'un excédent de trésorerie placé à hauteur de 30 000 €, retenu pour asseoir la décision d'octroi de prêt ; ainsi les revenus et ressources cumulées du couple représentaient 5207€ pour des dépenses personnelles et d'autoconsommation intégrées dans l'exploitation commerciale, démontrant l'existence d'une capacité financière personnelle non négligeable pour faire face à leurs engagements indirects ;

* Les cautions ne contestent pas leur engagement dans l'acquisition du fonds de commerce et le commentaire de leur expert-comptable sur le bilan 2005 qui n'est étayé par aucune pièce ni aucun examen objectif de la situation comptable de la société, leur conseille de renégocier les emprunts ; il ne peut servir à démontrer une quelconque disproportion, la Cour ne devant prendre en compte que l'effet du loyer majoré après l'acquisition immobilière sur la société ;

*La situation d'endettement personnel était infime lors de la souscription de l'engagement de caution, étant rappelé que l'engagement portait sur la garantie d'emprunt destiné à l'acquisition de biens patrimoniaux dont la valorisation était conforme au prix du marché et permettait ainsi la constitution d'un patrimoine personnel et professionnel à vocation mixte tel que le logement de famille, le paravent de la constitution d'une société civile immobilière ne devant pas cacher l'intérêt très personnel des associés ;

* Les cautions ne justifient nullement de leur situation actuelle, ni de leurs revenus de 2020 et 2021 pas plus que de leur situation de séparation, leurs charges et encore moins de leur situation patrimoniale ;

Sur l'absence de violation du devoir de mise en garde

* [F] [N] et [R] [K] ne peuvent prétendre à la qualité de cautions non averties, l'acquisition étant intervenue plus de deux ans après l'acquisition du fonds et alors qu'ils bénéficiaient des conseils de leur expert-comptable notaire et qu'ils avaient eux-mêmes la qualité de chef d'entreprise bénéficiant des compétences financières de base pour apprécier le risque d'entreprise, l'opportunité d'un crédit ainsi que de son cautionnement ;

* En tout état de cause en leur qualité de dirigeant des deux sociétés ils ne peuvent soutenir ignorer l'étendue et la nature des engagements du débiteur principal et tant [F] [N] que [R] [K] se sont largement immiscés dans la gestion de l'entreprise ;

* Ils ne démontrent pas que la Caisse d'Epargne leur aurait caché des informations ;

Sur le prétendu défaut d'information des cautions

* Sont versés aux débats la totalité des courriers recommandés avec accusé de réception d'information annuelle des cautions sur la période 2011 à 2018 ; certains accusés de réception portent la mention « destinataire inconnu à cette adresse » alors qu'il s'agissait de l'adresse du restaurant [N] tel qu'elle figurait sur le contrat de prêt en tant que siège social de l'emprunteur et qu'elle avait été communiquée par les cautions ; il ne saurait lui être reproché de ne pas avoir envoyé à une autre adresse les dits courriers.

La Cour, pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des prétentions et moyens des parties fait expressément référence à la décision entreprise et aux dernières conclusions déposées.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 12 janvier 2022 et l'affaire fixée au 2 février 2022.

MOTIFS

1/ Sur la disproportion de l'engagement de caution

Aux termes de l'ancien article L. 341-4 du code de la consommation devenu l'article L. 332-1, un créancier professionnel ne peut se prévaloir d'un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l'engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation.

Ce texte n'impose pas au créancier de vérifier la situation financière de la caution lors de son engagement, laquelle supporte, lorsqu'elle l'invoque, la charge de la preuve de démontrer que son engagement de caution était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus.

En outre, la disproportion invoquée doit être manifeste, c'est à dire flagrante ou évidente, au regard de tous les éléments du patrimoine de la caution et pas seulement de ses revenus, étant ajouté que les engagements postérieurs à la date de chaque cautionnement considéré n'ont pas à être pris en compte, tout comme les revenus escomptés de l'opération garantie.

L'établissement d'une fiche patrimoniale signée de la caution n'étant pas obligatoire, l'existence d'un tel document certifié exact par son signataire permet simplement à la banque ou à l'établissement de crédit, sauf anomalies apparentes, de s'y fier et la dispense de vérifier l'exactitude des déclarations de son client, lequel ne peut ensuite se prévaloir de leur fausseté pour échapper à ses obligations.

Enfin en cas de pluralité de cautions, la situation individuelle de chacune d'elle doit être examinée.

En l'espèce l'analyse du tribunal selon laquelle la banque avait pu considérer que l'engagement souscrit par chacune des cautions n'était pas manifestement disproportionné au vu des éléments dont elle disposait ne peut être suivie, puisque la disproportion éventuelle doit être caractérisée de façon objective, indépendamment de l'opinion de la banque.

De même le tribunal a à tort retenu s'agissant de [R] [K] dont le salaire était moins important, qu'il n'y avait pas non plus de disproportion dès lors qu'elle partageait ses charges avec son compagnon et que le couple avait les moyens de s'acquitter de ses obligations envers la Caisse d'Epargne, soit en contractant un emprunt auprès d'un autre établissement bancaire, soit en négociant un plan d'apurement de leur dette dans un délai raisonnable, puisque c'est au moment des engagements de cautionnement que la situation financière des cautions doit leur permettre de s'en acquitter, ou au moment où elles sont appelées, avec leur patrimoine personnel.

1-1 sur la situation respective de [F] [N] et [R] [K] au 6 octobre 2004.

** la situation financière et patrimoniale de [F] [N] au regard de son engagement de 507 000 € ;

[F] [N] exerçait la profession de chef de cuisine depuis 1998 et produit ses bulletins de salaire des années 2000 et 2001 à hauteur de 1400 € par mois, en moyenne.

Le 23 avril 2002 il a constitué l'EURL RESTAURANT [N] en apportant la somme de 8000 € en numéraire au titre du capital social. L'EURL a acquis un fonds de commerce de restaurant café, hôtel pour un prix de 76 224,51 € financé par le recours à l'emprunt.

La Caisse d'Epargne a consenti à la société le 17 mai 2002 un prêt 30200565 de 35 000 € pour lequel [F] [N] s'est porté caution pour le même montant majoré des intérêts au taux de 5,05% frais et accessoires, sans mention de durée, le terme du prêt étant fixé au 5 juin 2009.

La banque a à la même date consenti un prêt 30200566 de 23500 € au taux de 5,50 % sur 60 mois dont [F] [N] s'est porté caution à hauteur de même montant.

La Caisse d'Epargne a consenti à la société un prêt travaux le 31 janvier 2004 de 23 000 € d'une durée de 60 mois au taux de 4,25% et [F] [N] s'est porté caution pour le même montant pour une durée de 60 mois.

Au 6 octobre 2004, [F] [N] était donc déjà engagé en qualité de caution pour 81 500 € tel qu'il l'a déclaré au questionnaire patrimonial signé le 2 octobre 2004.

[F] [N] fait valoir que l' EURL connaissait des difficultés financières dès 2002.

Le bilan arrêté au 31 décembre 2002 mentionne des dettes financières de 68 640 € pour des capitaux propres de 36 463 €, le résultat net de l'exercice étant positif à 28 463 €.

L'exercice 2003 a été clôturé avec un résultat net de 6287 €, soit une baisse de 77,9 % par rapport à 2002, l'excédent brut d'exploitation permettant de définir la capacité d'autofinancement de la société étant en baisse de 20 430 € pour 37 690 € en 2002, soit une capacité d'autofinancement de 14 005 € en 2003 pour 33 569 € en 2002.

La rémunération de l'exploitant a été comptabilisée pour 35 000 € annuels.

Les comptes annuels arrêtés au 31 décembre 2004 mettent en évidence un résultat de l'exercice négatif de 1986 €, un excédent brut d'exploitation en baisse de 16 450 € malgré une augmentation du chiffre d'affaire.

La rémunération de l'exploitant a été comptabilisée pour 18 000 € annuels, soit 1500 € par mois.

Les bénéfices industriels et commerciaux déclarés pour l'année 2004 ont été de 16 014 € soit 1334,50 € par mois.

[F] [N] à titre personnel n'était propriétaire d'aucun bien immobilier et a déclaré des placements bancaires pour 15 000 €. Au titre de son endettement il a mentionné un crédit de trésorerie de 6250 € souscrit à la Caisse d'Epargne dont le capital restant du était de 1333 € pour se terminer le 14 mars 2005, échéance mensuelle de 155,67 €.

Au titre de ses charges, [F] [N] indique être père d'un enfant né le [Date naissance 3] 2003 issu de sa relation avec [R] [K] et précise que le couple prenait en charge les trois enfants issus d'une précédente union de [R] [K].

Il convient d'ajouter à ces éléments les parts détenues par [F] [N] dans l'EURL RESTAURANT [N] pour 8000 € ce qu'il omet de faire, mais non la valeur du fonds de commerce comme le fait la Caisse d'Epargne.

Cette dernière argumente essentiellement sur l'intérêt présenté pour l'EURL RESTAURANT [N] de l'opération engagée pour le rachat des murs du fonds de commerce, qui devait profiter à son associé unique, [F] [N], et aux économies substantielles faites par le couple [N]/[K] pour assurer son logement et ses charges courantes. Mais d'une part, en procédant de la sorte, la banque opère une confusion entre les intérêts de deux personnalités juridiques différentes, quand bien même ils seraient liés, et surtout se réfère aux résultats escomptés de l'opération garantie qui ne peuvent être pris en considération comme rappelé ci-avant.

Faute pour la banque d'apporter des éléments pertinents, il sera retenu au vu de ceux analysés précédemment, qu'il est manifeste que l'engagement de caution souscrit par [F] [N] au 6 octobre 2004 à hauteur de 507 000 € était disproportionné à ses capacités financières et patrimoine.

** la situation financière et patrimoniale de [R] [K] au regard de son engagement de 507 000 € ;

[R] [K] exerçait la profession de serveuse ou commis de cuisine comme elle en justifie par les bulletins de salaire qu'elle produit, depuis 1998, et pour les années 2000 /2001 elle percevait en moyenne environ 1000 € par mois. Au titre de son emploi au sein de l' EURL [N], en 2004 elle travaillait à temps partiel et a déclaré 8554 € selon son avis d'imposition, ou 712,83 € par mois. Il n'y a pas lieu d'ajouter à ses revenus les pensions alimentaires déclarées, celles-ci étant destinées à contribuer à l'entretien et l'éducation des enfants. Il en va de même des allocations versées par la caisse d'allocations familiales pour 934 €.

Le questionnaire de situation patrimoniale qu'elle a signé le 9 juin 2004 ne mentionne aucun patrimoine immobilier ni mobilier, et elle a déclaré un endettement au titre d'un véhicule de 8400 €, capital restant dû de 6170 €, se terminant le 16 avril 2007, échéance mensuelle de 202,99 €.

La Caisse d'Epargne se livre à une argumentation globale de la situation des cautions qui ne peut qu'être écartée.

Ainsi il résulte des éléments analysés que l'engagement de caution souscrit par [R] [K] le 6 octobre 2004 à hauteur de 507 000 € était manifestement disproportionné à ses capacités financières et patrimoine personnels.

La création de la société civile immobilière SYRB est intervenue postérieurement à l'engagement de caution de [F] [N] et [R] [K], par acte établi le 13 octobre 2014, moyennant l'apport de 600 € pour [F] [N] et de 400 € pour [R] [K] pour constituer le capital social, ce qui ne change pas l'appréciation de leurs situations respectives.

Il convient dès lors d'examiner leurs situations au moment où ils ont été appelés comme cautions, soit à la date de la mise en demeure délivrée par la Caisse d'Epargne le 26 février 2016, puis en dernier lieu de l'assignation de mars 2017.

1-2 sur la disproportion au moment où les cautions sont appelées.

Il appartient à la Caisse d'Epargne de rapporter la preuve que la situation des cautions s'est améliorée et leur permettait de faire face à leurs engagements au moment où ils ont été appelés.

** situation de [F] [N]

La Caisse d'Epargne se prévaut de la valeur du fonds de commerce de l' EURL [N] qu'elle valorise à 150 000 €, mais comme déjà dit il ne peut être considéré qu'il s'agit d'un patrimoine personnel à [F] [N]. En tout état de cause en 2017 ce patrimoine, via la société civile immobilière SYRB, n'était pas disponible pour [F] [N] compte tenu d'une part de la procédure de liquidation judiciaire intervenue le 11 février 2014, de l'inscription du privilège de prêteur de denier obtenue par la Caisse d'Epargne le 11 janvier 2005 en vertu de laquelle elle a finalement obtenu de Me [B] liquidateur une somme de 48 165 € en 2018 après la vente de l'immeuble.

La Caisse d'Epargne ne démontre pas que [F] [N] serait propriétaire d'un bien immobilier ou de valeurs mobilières.

Celui-ci en tout état de cause justifie avoir perçu en 2017 un revenu net imposable de 20 621 €, ou 1718,41 € par mois et être locataire pour un loyer de 590 € selon contrat de bail du 2 mars 2021.

** situation de [R] [K]

En 2017 [R] [K] justifie avoir perçu un revenu net imposable de 13 357 € ou 1113,08 € par mois.

La Caisse d'Epargne ne démontre pas qu'elle serait propriétaire d'un bien immobilier ou de valeurs mobilières.

Il n'est donc pas démontré par la banque que la situation des cautions au moment où elles sont appelées leur permettrait de s'acquitter de leurs engagements.

En conséquence, la Caisse d'Epargne ne peut se prévaloir des deux actes de cautionnements souscrits le 6 octobre 2004 par [R] [K] et [F] [N], elle sera déboutée de toutes ses demandes et le jugement déféré infirmé en toutes ses dispositions.

2/ Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile

Succombant à l'instance la Caisse d'Epargne sera condamnée en application de l'article 696 du code de procédure civile aux dépens de première instance et d'appel et à payer à [F] [N] et [R] [K] la somme de 3000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile. Me [X] sera autorisée à faire application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La Cour, après en avoir délibéré conformément à la loi, statuant par arrêt contradictoire prononcé par mise à disposition au greffe, et en dernier ressort,

INFIRME en toutes ses dispositions le jugement du tribunal judiciaire d' Agen du 21 janvier 2021

STATUANT A NOUVEAU

DIT que la Caisse d'Epargne et de prévoyance Aquitaine Nord ne peut se prévaloir des actes de cautionnement solidaire souscrits le 6 octobre 2014 n° 30401109/CB par [F] [N] et [R] [K] en garantie du prêt accordé à la société civile immobilière SYRB en cours d'immatriculation à cette date

DEBOUTE la Caisse d'Epargne et de prévoyance Aquitaine Nord de toutes ses demandes

CONDAMNE la Caisse d'Epargne et de prévoyance Aquitaine Nord à payer à [F] [N] et [R] [K] la somme de 3000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile

CONDAMNE la Caisse d'Epargne et de prévoyance Aquitaine Nord aux dépens de première instance et d'appel

DIT qu'ils pourront être recouvrés par Me [X], membre de la SELARL ACTION JURIS pour ceux dont elle a fait l'avance sans avoir reçu provision, conformément à l'article 699 du code de procédure civile

Le présent arrêt a été signé par Claude GATÉ, présidente, et par Charlotte ROSA, adjointe administrative faisant fonction de greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

La Greffière,La Présidente,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Agen
Formation : Chambre civile
Numéro d'arrêt : 21/00268
Date de la décision : 18/05/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-05-18;21.00268 ?
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