DU 26 Janvier 2005-------------------------
C. A/ S. à DIRECTION DES SERVICES FISCAUX DE LOT ET GARONNE C/ Georgette Suzanne X... épouse Y... RG N : 03/ 01671- A R R E T N°------------------------------ Prononcé à l'audience publique du vingt six Janvier deux mille cinq, par Bernard BOUTIE, Président de Chambre, LA COUR D'APPEL D'AGEN, 1re Chambre dans l'affaire,
ENTRE : DIRECTION DES SERVICES FISCAUX DE LOT ET GARONNE prise en la personne de son représentant légal actuellement en fonctions domicilié en cette qualité au siège Dont le siège social est 108 boulevard CARNOT 47916 AGEN CEDEX représentée par Z... Jean-Michel BURG, avoué APPELANTE d'un jugement rendu par le Tribunal de Grande Instance d'AGEN en date du 10 Octobre 2003 D'une part,
ET : Madame Georgette Suzanne X... épouse Y... représentée par la SCP Henri TANDONNET, avoués assistée de la SCP TANDONNET-BASTOUL, avocats INTIMEE D'autre part, a rendu l'arrêt contradictoire suivant après que la cause ait été débattue et plaidée en audience publique, le 15 Décembre 2004, devant Bernard BOUTIE, Président de Chambre, Chantal AUBER et Benoît MORNET, Conseillers, assistés de Dominique SALEY, Greffière, et qu'il en ait été délibéré par les magistrats du siège ayant assisté aux débats, les parties ayant été avisées de la date à laquelle l'arrêt serait rendu.
FAITS ET PROCÉDURE :
Jean Y... est décédé le 23 avril 1998, laissant à sa survivance son épouse, Georgette X..., avec laquelle il s'était marié le 18 octobre 1946 sans contrat préalable et avait adopté le régime de la communauté universelle par acte du 7 septembre 1990, homologué par jugement du 21 janvier 1991.
La déclaration de succession déposée pour le compte de Mme X... veuve Y... le 29 octobre 1998 comportait parmi les éléments d'actif de la communauté la somme de 1. 247. 066, 66 F représentant la valeur de rachat au jour du décès de M. Y..., du contrat d'assurance vie non dénoué souscrit par Mme X... épouse Y... le 21 octobre 1994. Mme Y... a réglé les droits de succession pour la somme totale de 197. 168, 38 F (30. 058, 13 €).
Le 6 mars 2001, Maître Z..., notaire, a demandé à la Direction des Services Fiscaux le dégrèvement des droits payés sur la valeur du contrat d'assurance vie souscrit par Mme Y..., au motif que par lettre du 27 juillet 1999 le Ministre de l'Economie et des Finances et le Secrétaire d'Etat au budget avaient décidé d'instaurer la neutralité fiscale entre les contrats d'assurance vie souscrits à l'aide des deniers communs par l'un des époux au profit de son conjoint. Il sollicitait en conséquence pour le compte de Mme Y... le remboursement du trop perçu d'un montant de 118. 457 F, soit 18. 058, 65 €,
Le 19 mars 2001, la Direction des Services Fiscaux a notifié à Mme Y... le rejet de cette demande.
Par acte du 18 mai 2001, Mme X... veuve Y... a fait assigner le Directeur des Services Fiscaux de Lot et Garonne pour obtenir la restitution des droits perçus en trop, soit la somme de 118. 457 F (18. 058, 65 €). Par jugement du 10 octobre 2003, le Tribunal de Grande Instance d'AGEN a annulé la décision de rejet prise à l'encontre de Mme Georgette X... veuve Y...
La Direction des Services Fiscaux de Lot et Garonne a relevé appel de cette décision.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 23 novembre 2004.
MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES :
La Direction des Services Fiscaux de Lot et Garonne, qui conclut à l'infirmation du jugement déféré, invoque en premier l'irrégularité de la réclamation déposée par Maître Z.... le 6 mars 2001.
Rappelant que selon l'article R 197-4 du livre des procédures fiscales, toute personne qui introduit ou soutient une réclamation pour autrui doit justifier d'un mandat régulier, elle soutient que la réclamation contentieuse présentée le 6/ 3/ 2001 par l'office notarial Z..., dépourvu de mandat régulier, aux termes de laquelle il sollicite, pour le compte de l'héritière, le remboursement d'un trop perçu de 118. 457 F, est irrecevable. Elle précise que cette irrecevabilité est un moyen d'ordre public qui peut être invoqué pour la première fois devant la cour d'appel.
Elle fait valoir, sur le fond, que l'article L 132-16 du code des assurances qui vise le bénéfice de l'assurance vie, ne s'applique que lorsque le contrat est dénoué par le décès du souscripteur, ce qui n'est pas le cas en l'espèce puisqu'il n'y a pas eu décès du souscripteur mais du bénéficiaire.
Elle indique que dans une lettre ministérielle du 27 juillet 1999, dont se prévaut Mme Y..., l'administration a décidé d'instaurer une neutralité fiscale entre les contrats d'assurance-vie souscrits à l'aide de deniers communs par l'un quelconque des époux au profit de son conjoint, indépendamment de leur date de dénouement et de l'ordre des décès entre les époux, précisant que les redressements en cours seraient abandonnés. Ainsi, en cas de prédécès du bénéficiaire, la valeur de rachat n'est pas à prendre en compte à l'actif communautaire. Elle ajoute que cette prise de position a été formalisée et publiée dans l'instruction administrative 7 G-2-01 du 30 janvier 2001, reprenant les questions-réponses des Journaux officiels des 31 janvier et 3 juillet 2000 de l'Assemblée Nationale et qu'il en résulte que dans tous les cas l'administration se bornera à tirer les conséquences des parts civiles déclarées par les redevables en ce qui concerne les contrats d'assurances, sans se substituer à eux dans des actions qui leur seraient personnelles.
Elle souligne que la décision de rejet notifiée à Mme Y... le 19 mars 2001 est motivée par les termes de la réponse apportée à Y... et énonce en conséquence que la liquidation de la communauté et celle de la succession, telles qu'elles figurent dans la déclaration de succession, sont opposables au contribuable qui sollicite une restitution.
Elle en déduit que Mme Y... ayant considéré que la valeur de rachat du contrat était un bien de communauté et l'ayant intégrée à l'actif de la succession, il n'y a pas lieu à restitution de droits.
Elle ajoute que selon l'article R 194-1 du livre des procédures fiscales, la réduction de droits d'enregistrement établis d'après les bases indiquées par le contribuable, ne peut être obtenue qu'en apportant la preuve de son caractère exagéré et de l'erreur commise. Or, selon elle, la déclaration établie sur le fondement de la jurisprudence A..., ne résulte pas d'une erreur.
Elle soutient que le fait que l'administration ait adopté la règle de la neutralité fiscale ne signifie pas que les contrats d'assurance-vie souscrits avec des deniers communs constituent désormais automatiquement des biens propres exonérés de droits de mutation à titre gratuit, que la décision ministérielle du 27 juillet 1999 constitue une dérogation à l'application de la jurisprudence A... et doit donc faire l'objet d'une interprétation stricte notamment pour son application dans le temps, qu'ainsi, pour le passé, seul l'abandon des redressements en cours était envisagé et que les demandes en restitution ne peuvent être envisagées.
Par ailleurs, elle relève qu'un contribuable ne peut invoquer une réponse ministérielle postérieure aux années d'imposition et ne peut se prévaloir a posteriori d'une doctrine administrative plus favorable.
Elle note enfin que les premiers juges ont fait une interprétation erronée de la réponse ministérielle Bataille qui n'a pas vocation à s'appliquer seulement quand le conjoint survivant se trouve en concours avec d'autres successibles.
Mme Y... conclut à la confirmation du jugement déféré.
Elle indique qu'elle a engagé, à l'encontre de Maître Z..., une action en responsabilité qui est pendante devant le tribunal de grande instance d'AGEN, mais que celui-ci, postérieurement à l'introduction de cette action, a pris l'initiative de présenter une réclamation auprès de l'administration fiscale pour obtenir la restitution des droits de succession payés sur la valeur du contrat d'assurance-vie qu'il a inclue dans la déclaration de succession.
Ne contestant pas avoir donné mandat à son notaire pour s'occuper de la succession mais qu'elle ignorait le recours présenté par Maître Z..., elle s'en rapporte concernant le moyen relatif à la recevabilité soulevé par l'administration.
Sur le fond, elle fait valoir qu'une lettre ministérielle du 27 juillet 1999 a instauré la neutralité fiscale entre les contrats d'assurance vie souscrits par l'un des époux au profit de son conjoint indépendamment de leur date de dénouement et de l'ordre de décès des époux et que c'est pour bénéficier de cette position que Maître Z... a présenté sa réclamation.
Elle considère comme injuste la thèse de l'administration selon laquelle il n'y a pas lieu à remboursement de droits dans la mesure où la valeur du contrat a été spontanément intégrée à l'actif de la succession. Elle indique en effet qu'elle ne peut rapporter la preuve de l'erreur commise alors qu'elle a fait confiance à son notaire. Elle estime de plus que la neutralité fiscale ne saurait être admise ou refusée en fonction de la déclaration du contribuable, une telle position étant contraire au principe de l'égalité des citoyens devant l'impôt et aux règles d'équité.
Elle soutient enfin que l'application de la circulaire du 27 juillet 1999 à son cas n'est pas incompatible avec le principe de non rétroactivité dans la mesure où les délais de recours contre l'imposition n'étaient pas expirés et où l'administration a renoncé à poursuivre les redressements qu'elle avait imposés avant cette circulaire.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
- Sur la recevabilité du recours :
Attendu qu'aux termes de l'article R 197-4 du livre des procédures fiscales, toute personne qui introduit ou soutient une réclamation pour autrui doit justifier d'un mandat régulier qui doit, à peine de nullité, être produit en même temps que l'acte qu'il autorise ou enregistré avant l'exécution de cet acte ;
Attendu qu'en l'espèce, il est constant que le 6 mars 2001 Maître Z..., notaire à NERAC, a lui-même demandé aux services fiscaux, pour le compte de Mme Y..., le remboursement des droits payés sur la valeur du contrat d'assurance-vie, sans avoir reçu mandat à cet effet de la part de cette dernière ;
Mais attendu que le recours contre la décision de rejet de cette réclamation a été régulièrement formé, dans le délai utile, par l'assignation délivrée à la direction des services fiscaux et la saisine du tribunal de grande instance à la requLte de Mme Y... qui était valablement représentée par un avocat ;
Attendu que ce recours effectué par la personne ayant qualité pour agir a régularisé la demande initiale présentée par le notaire ; qu'il y a donc lieu de rejeter le moyen d'irrecevabilité soulevé par la Direction des services fiscaux ;
- Sur le fond :
Attendu que la déclaration de succession, qui comporte à l'actif de communauté la valeur de rachat du contrat d'assurance vie souscrit par Mme Y..., a été faite par le notaire qui indique dans sa réclamation du 6 mars 2001 que cette intégration lui avait été dictée par l'arrêt A... ;
Attendu que cet arrêt (cassation 1° civile, 31 mars 1992) a été rendu dans une espèce où un époux avait souscrit une assurance-vie mixte dont le capital lui avait été versé, à la date d'échéance, postérieurement à l'assignation en divorce et que la juridiction du fond avait dit qu'il ne devait pas récompense à la communauté de ce chef ;
Qu'au visa de l'article 1401 du code civil et de l'article L 132-13 du code des assurances, la cour de cassation a décidé que lorsque les primes d'une assurance en cas de vie du souscripteur ont été payées avec des fonds communs jusqu'à la dissolution de la communauté, si bien que la valeur de la police faisait partie de l'actif de celle-ci et que l'époux souscripteur a reçu le capital prévu au contrat après la dissolution, ce qui établissait que les droits nés de ce contrat lui avaient été attribués, il devait être tenu compte dans les opérations de partage de la valeur du contrat au jour de la dissolution de la communauté ;
Attendu que l'administration fiscale, transposant cette jurisprudence, qui concernait la récompense due à la communauté dissoute par divorce, réintégrait la moitié de la valeur de rachat des contrats d'assurance-vie à l'actif de la communauté dissoute par le prédécès du bénéficiaire ;
Attendu, cependant, que dans une lettre adressée à la fédération des sociétés d'assurance vie le 27 juillet 1999, le Ministre de l'Economie et des Finances et le Secrétaire d'Etat au Budget ont décidé d'instaurer la neutralité fiscale entre les contrats d'assurance souscrits à l'aide de deniers communs par l'un quelconque des époux au profit de son conjoint, indépendamment de leur date de dénouement et de l'ordre de décès entre les époux ;
Attendu que cette neutralité fiscale a été confirmée et explicitée dans des réponses ministérielles des 31 janvier et 3 juillet 2000 ; que la première de ces réponses à la question de Y... précise : " la transposition d'un arrêt de la cour de cassation rendu en matière de divorce à des cas de dissolution par décès, de la communauté conjugale, conduisait à un traitement fiscal discriminatoire des contrats d'assurance-vie souscrits à l'aide de fonds communs, en cas de prédécès du bénéficiaire. En vue de mettre fin à l'inéquité de cette situation pour les épargnants, il a été décidé d'harmoniser le régime fiscal des contrats d'assurance-vie souscrits en faveur de l'un des époux communs en biens, que le conjoint qui décède le premier soit le souscripteur ou le bénéficiaire et de prescrire l'abandon des redressements fondés sur cette jurisprudence " ;
Que la seconde réponse donnée à Y.... indique notamment que : l'administration ne remettra plus en cause les parts nettes civiles calculées en conséquence au seul motif de la transposition de la jurisprudence A... ; dans tous les cas, l'administration se bornera à tirer les conséquences des parts civiles déclarées par les redevables en ce qui concerne les contrats d'assurances, sans se substituer à eux dans des actions qui leur seraient personnelles ;
Attendu que Mme Y... est en droit de se prévaloir du bénéfice de la règle de la neutralité fiscale qui a été formalisée et publiée dans une instruction administrative ;
Qu'elle peut d'autant plus invoquer ce bénéfice que la pratique antérieure de l'administration fiscale ne reposait sur aucune norme impérative, mais seulement sur la transposition d'une jurisprudence qui ne concernait pas la question particulière des droits de mutation et qu'il résulte des conclusions de la Direction des Service Fiscaux qu'avant cet arrêt " A... ", l'administration n'avait pas arrêté de position formelle ;
Attendu par ailleurs que la neutralité fiscale des contrats d'assurance-vie souscrits par des époux communs en biens est conforme aux articles L 132-12, L 132-13 et L 132-16 du code des assurances qui disposent que le capital ou la rente stipulés payables lors du décès de l'assuré à un bénéficiaire déterminé ou à ses héritiers ne font pas partie de la succession de l'assuré, que les règles du rapport à la succession et de la réduction pour atteinte à la réserve ne s'appliquent pas aux sommes versées par le contractant à titre de primes à moins qu'elles n'aient été manifestement exagérées et que le bénéfice de l'assurance contractée par un époux commun en biens en faveur de son conjoint constitue un propre pour celui-ci ;
Qu'il résulte en effet de ces dispositions qu'en cas de décès de l'époux souscripteur, les sommes versées au conjoint bénéficiaire ne sont pas réintégrées dans la communauté et ne sont pas soumises à des droits de mutation ; et qu'il s'ensuit que si le bénéficiaire du contrat décède le premier, la valeur de rachat du contrat ne doit pas davantage être assujettie à ces droits ;
Attendu enfin que selon les dispositions de l'article R 194-1 du livre des procédures fiscales, lorsqu'une imposition a été établie sur les bases indiquées dans une déclaration souscrite par contribuable, celui-ci peut en obtenir la décharge ou la réduction en démontrant son caractère exagéré ; que le caractère exagéré de l'imposition supportée par Mme Y... est établi par les termes mêmes des réponses ministérielles susvisées qui évoquaient, en cas de prédécès du bénéficiaire, un " traitement fiscal discriminatoire " et " l'inéquité " de la situation ;
Attendu en conséquence que la demande de remboursement des droits payés sur la valeur du contrat d'assurance-vie souscrit par Mme Y..., était justifiée ;
Qu'il y a donc lieu de confirmer le jugement dont appel en ce qu'il a annulé la décision de rejet notifiée à Mme Y..., sauf à rectifier la date de cette décision de rejet prise non le 19 mai 2001 mais le 19 mars 2001 ;
Attendu que la Direction des Services Fiscaux de Lot et Garonne, qui succombe dans son appel, sera condamnés aux dépens ;
PAR CES MOTIFS :
La Cour, statuant en audience publique, contradictoirement et en dernier ressort,
En la forme, reçoit l'appel jugé régulier,
Au fond,
Confirme le jugement rendu le 10 octobre 2003 par le tribunal de grande instance d'AGEN, en ce qu'il a annulé la décision de rejet prise le 19 mars 2001 à l'encontre de Mme X... veuve Y... et a condamné le Directeur des services fiscaux de Lot et Garonne es qualités aux dépens,
Y ajoutant,
Rejette le moyen d'irrecevabilité soulevé par la Direction des Services Fiscaux de Lot et Garonne,
Condamne la Direction des Services Fiscaux de Lot et Garonne aux dépens d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau code de procédure civile,
Le présent arrêt a été signé par Bernard BOUTIE, Président de Chambre et Dominique SALEY, Greffier.
Le Greffier
Le Président