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13/05/2003 | FRANCE | N°01/1244

France | France, Cour d'appel d'agen, 13 mai 2003, 01/1244


DU 13 Mai 2003 ------------------------- C.C/M.F.B

S.A.R.L. AERO EDITIONS X.../ Pierre X... RG N : 01/01244 - A R R E T N° - ----------------------------- Prononcé à l'audience publique du treize Mai deux mille trois, par Nicole ROGER, Présidente de Chambre, assistée de Nicole GALLOIS, Greffière. LA COUR D'APPEL D'AGEN, 1ère Chambre dans l'affaire, ENTRE : S.A.R.L. AERO EDITIONS prise en la personne de son représentant légal actuellement en fonctions domicilié en cette qualité au siège 50 boulevard Paul Valéry 32500 FLEURANCE représentée par Me TANDONNET, avoué assistée

de Me BENARROUS, avocat APPELANTE d'un jugement du Tribunal de Grande...

DU 13 Mai 2003 ------------------------- C.C/M.F.B

S.A.R.L. AERO EDITIONS X.../ Pierre X... RG N : 01/01244 - A R R E T N° - ----------------------------- Prononcé à l'audience publique du treize Mai deux mille trois, par Nicole ROGER, Présidente de Chambre, assistée de Nicole GALLOIS, Greffière. LA COUR D'APPEL D'AGEN, 1ère Chambre dans l'affaire, ENTRE : S.A.R.L. AERO EDITIONS prise en la personne de son représentant légal actuellement en fonctions domicilié en cette qualité au siège 50 boulevard Paul Valéry 32500 FLEURANCE représentée par Me TANDONNET, avoué assistée de Me BENARROUS, avocat APPELANTE d'un jugement du Tribunal de Grande Instance d'AUCH en date du 05 Septembre 2001 D'une part, ET :

Monsieur Pierre X... représenté par la SCP A-L. PATUREAU P. RIGAULT, avoués assisté de Me BOXO, avocat INTIME D'autre part, a rendu l'arrêt contradictoire suivant après que la cause ait été débattue et plaidée en audience publique, le 01 Avril 2003, devant Nicole ROGER, Présidente de Chambre, Catherine LATRABE et Christian COMBES, Conseillers, assistés de Monique FOUYSSAC, Greffière, et qu'il en ait été délibéré par les magistrats du siège ayant assisté aux débats, les parties ayant été avisées de la date à laquelle l'arrêt serait rendu. FAITS ET PROCÉDURE Estimant que l'article qui lui était consacré paru à la fin de l'année 1999 dans l'ouvrage intitulé "Les pilotes de chasse français 39/45" édité par la S.A.R.L. AERO EDITIONS portait atteinte à son honneur et à sa réputation et présentait un caractère diffamatoire, en ce sens que s'en trouvaient écartées nombre des victoires attribuées et des décorations reçues, Pierre X... a assigné cette société sur le fondement de l'article 1382 du Code civil devant le Tribunal de Grande Instance d'Auch, lequel, selon jugement rendu le 5 septembre 2001, a condamné cette dernière à lui payer les sommes de 100 000 francs à titre de dommages et intérêts et de 10 000 francs en application de l'article 700 du Nouveau Code de

Procédure civile. MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES La S.A.R.L. AERO EDITIONS a relevé appel de cette décision dans des formes et des délais qui n'apparaissent pas critiquables. Elle reproche tout d'abord au premier juge d'avoir écarté l'application des dispositions de la loi du 29 juillet 1881 réprimant les délits de presse alors que les faits reprochés caractérisent une telle infraction, en l'absence d'une quelconque faute pouvant en être distinguée et justiciable des dispositions de l'article 1382 du Code civil. Doivent en conséquence être prononcée la nullité de l'acte introductif d'instance au visa de l'article 53 de cette loi, constatée au besoin la prescription de l'action et appliquée en tout état de cause les dispositions de la loi d'amnistie du 6 août 2002. Acceptant subsidiairement le débat sur le terrain juridique proposé par son adversaire et rappelant le principe constitutionnel de la liberté de la presse, la société éditrice soutient que ne peut constituer le comportement fautif tel que les éléments caractéristiques en sont fixés par la doctrine et la jurisprudence citées le fait de compter à Pierre X... 12 victoires au lieu de 32 en précisant, documents historiques à l'appui, que ce dernier chiffre est discutable au regard des difficultés techniques d'attribution, alors qu'aucune exhaustivité ne s'impose par ailleurs à l'historien dans la mention des différentes décorations attribuées au pilote. Poursuivant en conséquence la réformation du jugement entrepris, elle conclut au débouté des demandes formées à son encontre et à la condamnation de son adversaire au paiement des sommes de 4 600 ä à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et injustifiée et de 3 800 ä sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure civile. * * * Pierre X... soutient que la dénaturation de la vérité historique est patente, citant à la fois les nombreux ouvrages consacrés à cette période et versant les documents établissant clairement le nombre de

ses victoires et celui de ses décorations. Il estime son action recevable et fondée au visa de l'article 1382 du Code civil dés lors que la faute est suffisamment caractérisée par l'absence de recherche historique, dont l'interrogation des archives de l'armée de l'air ou de témoins parmi lesquels lui-même, qualifiant la démarche de l'auteur de révisionniste. Invoquant les réactions provoquées par l'écrit litigieux, il conclut à la condamnation de l'appelant à lui payer les sommes de 150 000 ä à titre de dommages et intérêts et de 10 000 ä au titre de ses frais irrépétibles ainsi qu'à la publication de l'arrêt dans diverses revues. MOTIFS Attendu, s'agissant en premier lieu des moyens de procédure invoqués, que Pierre X... qui fonde clairement son action sur les articles 1382 et 1383 du Code civil reproche à l'éditeur le caractère mensonger de l'ouvrage et la dénaturation de la vérité historique et avance que l'article qui lui est consacré porte atteinte à son honneur à sa réputation et présente un caractère diffamatoire ; Attendu qu'indépendamment des dispositions spéciales concernant la presse et l'édition et eu égard au droit du public à l'information, l'éditeur comme l'auteur d'une oeuvre relatant des faits historiques engage sa responsabilité à l'égard des personnes concernées lorsque la présentation des thèses soutenues manifeste par dénaturation, falsification ou négligence grave un mépris flagrant pour la recherche de la vérité ; Alors de surcroît, qu'à supposer que les faits dénoncés ne soient pas assez caractérisés pour constituer une infraction pénale, la responsabilité civile de l'éditeur peut toujours être recherchée, sur la base de l'article 1382 du Code civil, lorsqu'il a été porté atteinte à l'honneur ou à la considération d'une personne ; Et que le régime de cette action, qui obéit au droit commun, échappe aux règles posées par la loi du 29 juillet 1881, en sorte que les moyens tirés de l'irrégularité de l'acte introductif d'instance comme de la

prescription sont inopérants ; Qu'il s'ensuit que la demande est recevable ; Attendu, en second lieu et au fond, que l'ouvrage en question avertit le lecteur dans son avant-propos qu'il recense tous les pilotes de chasse français et étrangers ayant servi au sein de l'armée de l'air et de l'aéronautique navale, ainsi que les pilotes français engagés dans la RAF ou ayant appartenu aux FFL crédités d'au moins une victoire confirmée entre septembre 1939 et mai 1945 ; qu'il précise que par "victoire confirmée", il convient d'entendre que les "victoires probables" n'ont pas été prises en considération pour des raisons explicitées pages 12 et 13, tenant à la divergence du mode de comptabilisation selon les armées concernées et au fait notamment que si l'Armée de l'air a systématiquement comptabilisé les victoires probables en les ajoutant au palmarès individuel de chaque pilote, les Américains et les Britanniques ne les mentionnent que pour mémoire ; Que ce propos liminaire contient cette définition que pour être confirmée, chaque victoire doit avoir donné lieu à une homologation officielle de la part de la hiérarchie militaire, quel que soit son niveau et qu'en ce qui concerne les français ayant combattu au sein de la RAF, ce qui correspond au cas précis, l'auteur s'est appuyé sur les comptes rendus d'homologation britanniques ; Attendu ainsi que le tableau, sur lequel figurent page 54 selon un ordre alphabétique le nom des pilotes recensés et le nombre de leurs victoires, avec la précision selon laquelle celles-ci ont été ou non obtenues de manière individuelle, mentionne s'agissant de Pierre X... le nombre de 12 victoires individuelles ; Que l'article qui lui est consacré sur la page suivante intitulé "entre ombre et lumière" fait référence aux archives officielles pour annoncer qu'une zone d'ombre recouvre une partie du palmarès de l'intéressé au motif qu'un certain nombre de victoires revendiquées par celui-ci n'ont pas été confirmées par les autorités compétentes ; Que les seuls éléments de

référence visés sont une citation du Général De Gaulle à l'été 1944 faisant état de 8 victoires sures et de 4 probables alors que les archives du 122 Wing les donnent pour confirmées, ensuite la liste donnée le 1er novembre 1945 par l'Air Vice-Marshall Broadhurst qui en mentionne 33 dont 19 individuelles et 14 en participation, celle encore donnée par le Lieutenant-Colonel Salesse, du service historique de l'Armée de l'Air , faisant état de 38 victoires dont 33 sures et 5 probables ; qu'est également cité l'ouvrage de Christopher Shores, dans son édition de 1994, selon lequel il n'est pas rare de voir les pilotes de la RAF ajouter leurs victoires probables à leur palmarés ; et qu'il se dégage de ce rappel une première interrogation portant sur le nombre réel des victoires en participation et une seconde portant sur l'absence d'identification de la totalité des 19 victoires individuelles dans les archives de la RAF, en particulier 7 d'entre elles, d'où le solde de 12 victoires finalement retenues avec certitude ; Mais attendu que la liste donnée le 1er novembre 1945 par l'Air Vice-Marshall Broadhurst à laquelle il est fait allusion détaille précisément le nombre de 22 appareils détruits en l'air et au sol, de 8 probablement détruits et de 21 endommagés ; qu'y sont notamment indiqués comme des victoires sures les 7 écartées ci-dessus, soit le Messerchmitt 109 le 14 mars 1945, le Fieseler 156 le 28 mars 1945, le Junkers 188 le 5 avril 1945 et les 4 appareils contestés parmi les 6 détruits le 3 mai 1945 ; Qu'il s'ensuit que ces victoires ne pouvaient, sans contradiction avec l'avertissement posé en préliminaire selon lequel étaient seules retenues les victoires ayant "donné lieu à une homologation officielle de la part de la hiérarchie militaire, quelque soit son niveau...", être écartées alors qu'elles figurent sur un document qui constitue l'état officiel des victoires attribuées à l'intéressé et délivré par le Fighter Command à l'issue de la vérification dont la rigueur a été décrite et

à partir de la demande contenue dans les rapports personnels de combat contenant la relation des faits dont sont produits ceux relatifs à la partie contestée ; Que le fait, mensonger au regard du préalable posé, signe une démarche manquant d'exactitude et de sérieux ; Mais attendu au surplus que ne peut se concilier avec le souci affiché de produire au lecteur le résultat d'une critique honnête l'omission de la référence aux citations accompagnant les distinctions anglaises obtenues par Pierre X... qui font état pour la première d'au moins 11 avions détruits et pour la seconde de 12 nouvelles destructions d'avions ennemis, ce qui confirme la remise de la D.F.C. pour 23 victoires homologuées et donc tenues pour certaines par les autorités compétentes ; Alors que n'est pas davantage cité l'état des victoires remportées par les Forms 540 et 541 sur avion "Tempest" qui reprennent les 12 victoires, objet de la deuxième citation et les 5 attribuées en coopération, s'ajoutant aux 11 et 3 respectivement attribuées sur "Spitfire", ni rappelé les 23 croix noires correspondant aux victoires homologuées et les 9 blanches portées pour celles probables figurant sur l'appareil que les photographies prises du "Grand Charles" et bien connues de ceux qu'intéresse le sujet de l'ouvrage permettent de distinguer ; Que l'auteur a ainsi dénaturé les termes du débat en ne mentionnant pas ces documents alors que libre certes de s'interroger sur la réalité historique, il ne pouvait nourrir cette interrogation dans le sens clairement affirmé d'un doute, sans passer sous silence des éléments aussi hostiles à sa thèse, que son devoir d'objectivité lui commandait de discuter ; Et qu'il a encore manqué à la plus élémentaire prudence en n'interrogeant pas l'intéressé, ne pouvant ignorer remettre en question le palmarès unanimement reconnu d'un personnage célèbre sans lui porter un préjudice certain dés lors qu'en contestant le nombre de ces victoires, non seulement portait-il

atteinte à l'honneur de Pierre X..., mais encore imposait-il son écriture de l'histoire à un lecteur privé d'une information honnête et des outils lui permettant de se forger une opinion critique sur la question posée en prétexte à l'article litigieux ; Qu'il a au résultat de ces graves négligences montré un mépris flagrant pour la recherche de la vérité et porté atteinte à l'honneur et à la considération de Pierre X... en se livrant de manière aussi légère à la critique d'un passé glorieux ; Et que l'éditeur, en publiant l'ouvrage, a engagé sa responsabilité sur le fondement retenu des articles 1382 et 1383 du Code civil ; Attendu que c'est en se référant à la notoriété de Pierre X... que le Tribunal a exactement apprécié l'importance particulière du préjudice subi et justement évalué la réparation correspondante laquelle doit en outre, pour être complète, prendre la forme de la publication de la présente décision dans les revues Aviation Magazine, Figaro Magazine, Le Nouvel Observateur, le Fana de l'Aviation et Aérojournal, aux frais de l'appelant sans que chaque parution ne dépasse un coût de 800 ä ; Attendu que les dépens sont à la charge de la S.A.R.L. AERO EDITIONS qui succombe et sera tenue de verser à l'intimé une indemnité de 1 200 ä en raison des frais irrépétibles que la poursuite de la procédure devant la Cour l'a contraint d'exposer. PAR CES MOTIFS LA COUR Statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort, Déclare les appels tant principal qu'incident recevables en la forme, Confirme le jugement déféré, Y ajoutant, Ordonne la publication de la présente décision dans les revues Aviation Magazine, Figaro Magazine, Le Nouvel Observateur, le Fana de l'Aviation et Aérojournal, aux frais de la S.A.R.L. AERO EDITIONS sans que chaque parution ne dépasse un coût de 800 ä (huit cents Euros); Condamne la S.A.R.L. AERO EDITIONS à payer à Pierre X... la somme de 1 200 ä (mille deux cents Euros) sur le fondement de

l'article 700 du Nouveau Code de Procédure civile, Rejette toute autre demande et dit inutiles ou mal fondées celles plus amples ou contraires formées par les parties, Condamne la S.A.R.L. AERO EDITIONS aux dépens, Autorise, conformément aux dispositions de l'article 699 du Nouveau Code de Procédure civile, la SCP PATUREAU-RIGAULT, avoué, à recouvrer directement contre la partie condamnée, ceux des dépens d'appel dont elle a fait l'avance sans avoir reçu provision. Le présent arrêt a été signé par Nicole ROGER, Présidente de Chambre et Nicole GALLOIS, Greffière.

LA GREFFIERE

LA PRESIDENTE

N. GALLOIS

N. ROGER


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'agen
Numéro d'arrêt : 01/1244
Date de la décision : 13/05/2003

Analyses

RESPONSABILITE DELICTUELLE OU QUASI DELICTUELLE.

L'intimé, qui fonde clairement son action sur les articles 1382 et 1383 du Code civil, reproche à l'éditeur le caractère mensonger de l'ouvrage et la dénaturation de la vérité historique et avance que l'article qui lui est consacré porte atteinte à son honneur à sa réputation et présente un caractère diffamatoire. L'éditeur, comme l'auteur d'une oeuvre relatant des faits historiques, engage sa responsabilité à l'égard des personnes concernées lorsque la présentation des thèses soutenues manifeste par dénaturation, falsification ou négligence grave un mépris flagrant pour la recherche de la vérité. L'ouvrage en question avertit le lecteur dans son avant-propos qu'il recense tous les pilotes de chasse français et étrangers ayant servi au sein de l'armée de l'air et de l'aéronautique navale, ainsi que les pilotes français engagés dans la RAF ou ayant appartenu aux FFL crédités d'au moins une victoire confirmée entre septembre 1939 et mai 1945 et précise que par "victoire confirmée", il convient d'entendre que les "victoires probables" n'ont pas été prises en considération pour des raisons tenant à la divergence du mode de comptabilisation selon les armées concernées. Ce propos liminaire contient cette définition que pour être confirmée, chaque victoire doit avoir donné lieu à une homologation officielle de la part de la hiérarchie militaire et qu'en ce qui concerne les français ayant combattu au sein de la RAF, ce qui correspond au cas précis, l'auteur s'est appuyé sur les comptes rendus d'homologation britanniques. L'auteur a ainsi dénaturé les termes du débat en ne mentionnant pas ces documents et a encore manqué à la plus élémentaire prudence en n'interrogeant pas l'intéressé, ne pouvant ignorer remettre en question le palmarès unanimement reconnu d'un personnage célèbre sans lui porter un préjudice certain. Au résultat de ces graves négligences, l'éditeur appelant a montré un mépris flagrant pour la recherche de la vérité

et porté atteinte à l'honneur et à la considération de l'intimé en se livrant de manière aussi légère à la critique d'un passé glorieux. En publiant l'ouvrage, il a engagé sa responsabilité sur le fondement retenu des articles 1382 et 1383 du Code civil


Références :

Code civil, articles 1382 et 1838

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.agen;arret;2003-05-13;01.1244 ?
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