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20/09/1999 | FRANCE | N°96-00292

France | France, Cour d'appel d'agen, 20 septembre 1999, 96-00292


DU 20 Septembre 1999 -----------------------------

A.C. WORMS (BANQUE) C/ Jean Claude COUMET, MESSAGERIE X... Guy FRECHIN RG N : 96/00292 - A R R E T N° - ----------------------------- Prononcé à l'audience publique du vingt Septembre mil neuf cent quatre vingt dix neuf, par M. CERTNER Conseiller. LA COUR D'APPEL D'AGEN, 1ère Chambre dans l'affaire, ENTRE : WORMS (BANQUE) prise en la personne de ses représentants légaux au siège social : Le Voltaire 1, Place des Degrés Cédex 58 -92059 - PARIS LA DEFENSE AYANT: SCP TANDONNET Avoués Me DESARNAUTS Avocat APPELANTE d'un jugement

du Tribunal de Commerce d'AUCH en date du 26 janvier 1996. D'un...

DU 20 Septembre 1999 -----------------------------

A.C. WORMS (BANQUE) C/ Jean Claude COUMET, MESSAGERIE X... Guy FRECHIN RG N : 96/00292 - A R R E T N° - ----------------------------- Prononcé à l'audience publique du vingt Septembre mil neuf cent quatre vingt dix neuf, par M. CERTNER Conseiller. LA COUR D'APPEL D'AGEN, 1ère Chambre dans l'affaire, ENTRE : WORMS (BANQUE) prise en la personne de ses représentants légaux au siège social : Le Voltaire 1, Place des Degrés Cédex 58 -92059 - PARIS LA DEFENSE AYANT: SCP TANDONNET Avoués Me DESARNAUTS Avocat APPELANTE d'un jugement du Tribunal de Commerce d'AUCH en date du 26 janvier 1996. D'une part, ET : Monsieur Jean Claude COUMET pris en sa qualité de représentant des créanciers de la Société d'Exploitation des Messageries X..., demeurant en cette qualité : 6 Rue Gambetta 32000 - AUCH MESSAGERIE X... (SARL) prise en la personne de ses représentants légaux au siège social :Route de Toulouse "Au Grison" 32000 - AUCH Monsieur Guy FRECHIN pris en sa qualité d'administrateur judiciaire et Commissaire à l'exécution du plan de la Société d'Exploitation des MESSAGERIES X..., demeurant en cette qualité : 3 Rue Londrade 47000 - AGEN AYANT: Me Jacques VIMONT, avoué Me Jacques FAGGIANELLI, avocat INTIMES D'autre part, a rendu l'arrêt contradictoire suivant après que la cause ait été communiquée au Ministère Public, débattue et plaidée en audience publique, le 07 Juin 1999, devant M. FOURCHERAUD, Président de Chambre, M. CERTNER Mme THIBAULT, Conseillers, assistés de G. IZARD Greffier, et qu'il en ait été délibéré par les magistrats du siège ayant assisté aux débats, les parties ayant été avisées de la date à laquelle l'arrêt serait rendu. * * *

EXPOSE DU LITIGE

Par Jugement en date du 11/02/94, le Tribunal de Commerce d'AUCH ouvrait une procédure de redressement judiciaire à l'égard de la

SOCIETE A RESPONSABILITE LIMITEE D'EXPLOITATION DES MESSAGERIES CANTELOUP, gérée par Danièle X... et désignait Maîtres COUMET et FRECHIN respectivement en qualité de représentant des créanciers et d'administrateur judiciaire;

Par Jugement en date du 17/06/94, cette même Juridiction reportait la date de cessation des paiements au 14/07/92 et, par décision du 17/06/94, arrêtait le plan de redressement de l'entreprise par voie de cession des éléments d'exploitation des sociétés du groupe X... et désignait Maître FRECHIN en tant que commissaire à l'execution de ce plan;

Par Jugement en date du 26/01/96, le Tribunal de Commerce d'AUCH, décidait notamment:

[* que la banque WORMS avait soutenu artificiellement le crédit de la SARL d'EXPLOITATION DES MESSAGERIES X... dont elle savait la situation irrémédiablement compromise,

*] que ce comportement fautif avait retardé l'ouverture de la procédure collective et donc provoqué un accroissement du passif et une dépréciation de l'actif et avait causé un préjudice certain et direct aux autres créanciers auxquels la situation financière réelle de la société était dissimulée,

[* de condamner avec exécution provisoire la banque WORMS, en réparation de ce préjudice, à payer à Me FRECHIN, es-qualité, des dommages équivalents à l'insuffisance d'actifs de la SARL telle que constatée à l'issue de la procedure de vérification des créances,

*] de condamner la banque WORMS à payer à Me FRECHIN, es-qualité, la somme de 25.000 francs par application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile;

Par déclaration en date du 16/02/96, la banque WORMS interjetait

appel de cette dernière decision afin d'en obtenir la complète infirmation;

Elle faisait valoir que: - son entrée en relation avec la SARL d'EXPLOITATION DES MESSAGERIES X... remonte à l'été 1990, à une époque où étaient connus les comptes de 1987 et 1988 ainsi que ceux arrêtés au 30/09/89, lesquels faisaient ressortir une évolution très importante du chiffre d'affaire et un résultat d'exploitation positif, - au vu de ces données, elle avait accepté, moyennant la caution personnelle de Raoul X..., ancien dirigeant, et de Danièle X..., gérante, de participer au financement du poste clients au travers de la mobilisations des créances professionnelles de la Loi DAILLY pour la somme d'un million de francs et de l'escompte commercial pour un montant identique d'un million de francs, - ce n'était qu'au début de l'année 1991, à la lecture des comptes arrêtés en septembre 1990, qu'elle avait pu s'apercevoir d'une certaine dégradation de la situation financière de l'entreprise, sans que cela présente un caractère alarmant car d'une part la perte était, au regard d'un chiffre d'affaire de 15 millions de francs, limitée à 800.000 francs -soit 5,3% du chiffre d'affaire- alors que la détérioration du fonds de roulement n'était dans le même temps que de l'ordre de 500.000 francs -soit 3,3% du C.A.- et d'autre part que les ratios de frais financiers étaient normaux par rapport au prix de l'argent particulièrement élevé à l'époque, - faute de voir se concrétiser plusieurs projets de restructuration en gestation appuyés par divers partenaires tant publics que privés tels que le CODEFI, l'IRDI, le CONSEIL GENERAL, la BANQUE DE FRANCE, la PREFECTURE, l'URSSAF, des banquiers, différentes entreprises, etc..., elle avait fini, en juin 1992, par mettre en demeure sa cliente de restructurer son haut de bilan, - le changement de date de clôture de l'exercice comptable annuel passé du 30 septembre au 30 décembre à

partir de 1992, si bien qu'elle n'avait eu connaissance du bilan de l'exercice 1992 ayant duré 15 mois qu'en avril 1993, avait nui à sa capacité de réaction immédiate encore qu'elle avait réagi dès qu'elle avait été en possession des informations relatives à cette période, - les engagements personnels et réels importants par apports en compte courant pris par la gérante de la société et les projets de restructuration activement soutenus par les intervenants précités laissaient supposer à tous, notamment aux principaux créanciers et donc à elle, que la situation n'était pas irrémédiablement compromise;

Elle soutenait, au regard de l'ensemble de ces éléments, avoir agi prudemment et de manière appropriée:

1 ) en apportant à la SARL d'EXPLOITATION DES MESSAGERIES X... un concours raisonnable eu égard aux possibilités de cette dernière, limité à la mobilisation du compte clients, sans octroi de prêt, ni de découvert,

2 ) en attirant l'attention de cette dernière sur les résultats comptables dès qu'elle en a eu connaissance,

3 ) en fonction des assurances données tant par cette SARL que par les interventions, soutiens et incitations des pouvoirs publics, collectivités locales et autres partenaires privés de l'entreprise,

4 ) aucune faute ne pouvant lui être imputée si, comme il se devait, on se replaçait à l'époque de son engagement aux côtés de la SARL, car la responsabilité du banquier ne devait s'apprécier qu'en fonction de la situation apparente au moment de la mise en place de son concours et non en fonction de la situation se révelant ultérieurement;

Elle prétendait encore être exempte de faute car elle ne pouvait avoir conscience de la situation obérée de sa cliente qui ne l'était pas à l'époque, celle-ci n'étant en réalité confrontée qu'à des

difficultés financières passagères, non irréversibles, présentant des chances raisonnables de redressement;

Déniant toute valeur probante, aussi bien au rapport d'analyse comptable anonyme produit aux débats qu'à celui dressé par Me FRECHIN daté du 09/03/94, contestant avoir bénéficié des mêmes renseignements que la B.P.T.P. de qui elle avait pris la suite après la rupture des relations entre cette dernière et la SARL d'EXPLOITATION DES MESSAGERIES X..., elle insistait sur l'absence de variations des mobilisations entre 1990 et 1993, sur l'aspect très restreint du découvert non autorisé comparé à la taille de l'entreprise, sur la normalité de l'encours DAILLY resté constant;

Elle ajoutait que la preuve d'un lien de causalité entre sa prétendue faute et le préjudice allégué n'était pas établie, d'autre banques et sociétés de prêts, outre des organismes tels l'URSSAF, l'ASSEDIC et même le Trésor Public, ayant pris des engagements significatifs en sorte qu'elle s'insurgeait contre le fait qu'elle puisse supporter seule la responsabilité de la déconfiture de cette personne morale;

Elle critiquait les premiers Juges d'avoir retenu à son encontre une attitude fautive tiré:

+ du fait qu'elle avait consenti à Danièle X... un prêt, alors pourtant qu'il intervenait dans des circonstances normales et à des conditions de garanties habituelles, demeurant la volonté de cette dernière de sauvegarder une entreprise familiale créée 45 ans plus tôt,

+ de l'importance des charges financières alors que les calculs et ratios qui lui étaient opposés intégraient des frais financiers de la SARL envers les autres banques intervenantes, la B.P.T.P. ayant déclaré une créance de plus d'1,3 million de francs et la banque

COURTOIS une créance de plus de 450.000 francs,

+ estimé que le montant des concours DAILLY était exagéré alors qu'il était resté relativement constant pour s'élever à 3,15 millions de francs en 1990 au moment où se sont nouées les relations commerciales, et à 2,6 millions de francs en 1994, au moment de sa déclaration de créance,

+ de son retard à adresser des reproches, avertissements et mises en garde alors qu'elle a réagi immédiatement dès lors qu'elle disposait des renseignements financiers et comptables qui lui étaient dûs;

A titre subsidiaire, dans le cas ou sa responsabilité serait tout de même retenue, elle arguait de ce qu'elle ne pouvait être tenue de la totalité du passif, ce qui reviendrait à lui faire supporter la différence entre environ 16 millions de francs, mais seulement de l'accroissement du passif lié à son action, car d'autres qu'elle avaient collaboré à la continuation de l'entreprise;

Elle faisait de ce chef remarquer que seule l'aggravation du passif survenue entre la date remontée de l'état de cessation des paiements et la date d'ouverture de la procédure pourrait tout au plus être mise à sa charge, sachant que le montant du passif privilégié n'avait pas évolué pendant toute la période durant laquelle elle se trouvait en relation d'affaires avec le SARL en cause;

Enfin, elle sollicitait l'allocation de la somme de 50.000 francs par application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile;

De son côté, Maître Guy FRECHIN, en sa qualité d'administrateur judiciaire, puis de commissaire à l'exécution du plan de cession, concluait à la complète confirmation de la décision entreprise;

Rappelant que de Jurisprudence constante, le banquier avait

l'obligation de s'enquérir de la situation réelle de l'entreprise et que toute faute de sa part, même légère, était de nature à engager sa responsabilité, il faisait observer que la banque WORMS n'était devenue le partenaire financier de la société X... que lorsque la BANQUE POPULAIRE DE TOULOUSE MIDI-PYRENEES avait elle-même cessé d'accorder ses concours à cette dernière;

Maître Guy FRECHIN soutenait qu'à la date de cette rupture des relations financières, la société X... n'avait d'autre solution que de déclarer son état de cessation des paiements, la procédure collective dont l'ouverture s'imposait n'ayant pû être évitée que grâce au soutien abusif de la banque appelante qui avait purement et simplement pris le relais de la B.P.T.P.;

L'intimé soutenait :

* que la banque WORMS bénéficiait des mêmes éléments d'appréciation financiers et comptables que ceux qui avaient conduits la B.P.T.P., à juste titre selon la Cour d'Appel de céans dans le litige ayant opposé cette dernière à sa cliente, à retirer son soutien à cette entreprise dont la situation était, dès 1990, irrémédiablement compromise,

* qu'eu égard à la position très ferme adoptée par la B.P.T.P. que ne pouvait ignorer l'appelante, cette dernière ne pouvait prétendre avoir cru aux arguments -jugés fallacieux par la Cour d'Appel d'AGEN- présentés par la société X... tirés de l'intérêt porté par les Pouvoirs Publics et divers acteurs économiques régionaux en vu de son redressement,

* que son étude faisait ressortir le peu d'orthodoxie bancaire et la faute de la banque WORMS laquelle, d'une part en soutenant artificiellement sa cliente en répondant à un besoin de financement correspondant uniquement à la nécessité de faire face à une accumulation de pertes sans qu'existe une perspective de redressement

sérieux, d'autre part en manquant à son obligation de conseil et de diligence, avait retardé d'au moins trois ans le dépôt de bilan et l'ouverture de la procédure collective et contribué à l'aggravation considérable du passif;

Il réclamait par ailleurs l'allocation de la somme de 50.000 francs par application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile; Enfin, à titre très subsidiaire, il sollicitait la mise en oeuvre d'une mesure d'expertise comptable afin de vérifier l'aggravation du passif et la dépréciation de l'actif résultant de ce soutien abusif; MOTIFS DE LA DECISION

Il convient dès l'abord de remarquer que:

1 ) dans le dossier présenté par l'appelante aussi bien que dans celui de l'intimé, il ne figure aucun contrat formel relatif aux modalités et à l'importance du financement du poste clients par la mobilisation de créances professionnelles de la Loi DAILLY et l'escompte commercial, ni la moindre pièce justificative sur l'engagement de caution personnelle de Raoul X..., ancien dirigeant, et de Danièle X..., gérante,

2 ) selon les écritures de l'appelante, le montant de son engagement aux côtés de la société X... aurait été d'un million de francs pour la mobilisation des créances professionnelles de la Loi DAILLY et d'un million de francs pour l'escompte commercial, alors que si l'on se fie aux chiffres prudemment avancés par l'intimé, le concours DAILLY aurait été de trois millions de francs, outre un découvert sans autorisation accepté par la banque WORMS;

Il est de Jurisprudence bien établie que pour la recherche de la responsabilité pour soutien abusif du banquier en sa qualité de partenaire d'une l'entreprise cliente, il y a lieu de se placer au

moment de l'octroi du crédit ou de son maintien, en fonction de ce qui pouvait, à cette époque, paraitre raisonnable;

En dépit de l'absence de tout document justificatif sur ce point, il n'est pas discuté que les relations financières entre parties se sont nouées au cours de l'été 1990, à une époque où le dernier bilan établi et connu était celui de l'excercice annuel 1989;

La banque WORMS, à ce moment là, a très exactement pris la suite de la B.P.T.P. qui a fait choix de se désengager, pour des motifs jugés convenables dans le cadre d'une autre procédure devant la présente Cour, à savoir insuffisance de fonds propres, utilisation anormale des autorisations de crédit et dépassement des découverts autorisés; La rupture des relations financières entre la B.P.T.P. et la société X..., précédée de lettres d'avertissement de la banque à cette dernière, si elle n'a pu être ignorée de l'appelante, ne démontre pas pour autant que la situation de la société X... était, à ce moment là, irrémédiablement compromise;

Certes, la banque WORMS disposait des mêmes éléments de reflexion et de prise de décision que sa consoeur; pour autant, elle était parfaitement en droit d'accepter de prendre un risque financier que sa concurrente ne voulait plus assumer;

Il semble du reste qu'à cet égard, elle ait subordonné son concours à des garanties personnellement données par l'ancien dirigeant et la gérante en place de la société cliente, méthode qui ne grèvait pas le patrimoine de la personne morale;

A la lecture du bilan de l'exercice annuel 1989, le plus récent à la disposition de l'appelante lorsqu'elle s'est engagée, il ne pouvait être considéré que la situation de la société X... était irrémédiablement compromise;

En effet, ce bilan fait apparaitre un bénéfice de 57.111 francs; le

compte d'exploitation mentionne un résultat d'exploitation de 350.000 francs; le compte client déja supérieur à 5,7 millions de francs et le poste intérêts et charges assimilées de 262.924 francs sont certes les signes des difficultés de l'entreprise, mais pas encore ceux d'une situation désespérée;

La situation de la société va ensuite se détériorer; le bilan pour l'exercice 1990, s'il fait ressortir une progression -faible- du chiffre d'affaires par rapport à l'année précédente, confirme le handicap déja connu et chronique d'absence de fonds propres et met en valeur une aggravation du poste client s'élevant à plus de 7,3 millions de francs, des frais financiers presque doublés pour s'établir à 463.126F (hors contrats de location-vente du matériel), des pertes pour 798.192F et surtout en absence de résultat d'exploitation, lequel est négatif de 421.544 francs; l'actif net quant à lui est de 600.000 francs ;

Dans le même temps, le concours de la banque appelante s'élève à plus de 3,15 millions de francs, chiffre supérieur à ses engagements;

Si la banque WORMS sait ainsi, dès le début de l'année 1991, que les difficultés se confirment en raison de ces déséquilibres et de la spirale dans laquelle se trouve la société X..., on ne peut pourtant considérer qu'à ce moment précis, la situation de cette dernière est irrémédiablement compromise car cette dernière vient pour la première fois de présenter un bilan -certes fortement- déficitaire;

Au reste, dans le tableau comparatif dressé par Maitre FRECHIN situé au paragraphe III de son étude consacrée au ratio du poids des frais financiers -dont il n'est pas inutile d'indiquer que les chiffres y figurant sont exacts- cette situation est qualifiée, par référence au Recueil CLEON, de critique;

C'est essentiellement à compter du moment où la banque WORMS a eu

connaissance du bilan de l'exercice 1991 que cette dernière a su ou n'a pu ignorer que la situation de la société X... était irrémédiablement compromise car tous les indicateurs vont dès lors dans le même sens, notamment diminution du chiffre d'affaire passant de 15 à 12 millions de francs, soit - 20%, perte de résultats de plus de 2,3 KF amenant les capitaux propres de -600 à -2,9 KF, augmentation de la charge des frais financiers;

A compter de ce moment, en raison de l'écart d'une année sur l'autre des différentes données qui viennent d'être citées et surtout du poids de la charge financière interdisant désormais tout espoir raisonnable de redressement, l'appelante ne pouvait plus ignorer que la situation de l'affaire était irrémédiablement compromise;

Elle disposait par ailleurs d'autres ratios, par exemple les frais de personnels rapportés à la valeur ajoutée, les premiers étant quasiment égaux aux seconds;

Le différentiel en pourcentage considérable d'une année sur l'autre entre les résultats annuels -positif en 1989 négatifs en 1990 et 1991, entre les résultats d'exploitation successifs, entre les comptes clients et entre les frais financiers, le tout mis en corrélation avec l'importance des concours consentis et la faiblesse tant des fonds propres que du capital social ne devaient pas manquer de provoquer une réaction immédiate et radicale de la part du banquier;

Plus précisemment, s'agissant du ratio des frais financiers, il doit être indiqué qu'il passe de 3,06% en 1990 à 5,07% en 1991, ce qui autorisait à juste raison Maître FRECHIN, dans le tableau précité, à qualifier cette situation de dangereuse;

A cela s'ajoute un dépassement du plafond du concours DAILLY -que l'on devine systèmatique à la lecture du bilan- car le compte client, qui passe de 7,3 millions de francs à 2,6 millions de francs a

nécessairement dû être financé par la banque WORMS, seul partenaire financier de la société X...;

La banque WORMS n'a réagi que le 25 juin 1992, et encore, non pour notifier à sa cliente qu'elle entendait mettre fin à son soutien, mais pour lui s'étonner de ce que son dossier n'était pas encore déposé auprès de l'IRDI, lui dire que la restructuration du haut de son bilan devenait indispensable et pour la menacer, à défaut de réponse dans les 48 heures, de rompre leurs relations commerciales;

Le moment où la banque WORMS était en mesure de se rendre exactement compte du caractère irrémédiablement compromis de la situation de la société X... se situe au début de l'année 1992, date à laquelle, à ses dires non démentis, elle a logiquement eu connaissance du résultat de l'exercice de l'année 1991;

Il lui appartenait, et elle en avait les moyens dès cette époque, de mesurer et de réevaluer son soutien par rapport aux ressources financières de la société X..., de veiller à ce que ses concours soient compatibles avec le niveau de fonds propres, le fonds de roulement, l'évolution du chiffre d'affaires et des marges, et de s'inquiéter de la charge, devenue anormalement élevée, des frais financiers;

Elle détenait les informations suffisantes pour réaliser que cette charge devenue excessive interdisait toute rentabilité;

De fait, eu égard à la situation financière globale de l'entreprise et des données chiffrées connues à cette époque, elle ne pouvait méconnaitre que les difficultés n'étaient pas que conjoncturelles, mais que structurellement, au dela de l'absence de fonds propres, apparaissait clairement un problème d'activité et de résultats; en réalité, elle a accepté d'octroyer des financements à court terme pour pallier des pertes générées par une société à l'évidence fortement déficitaire; en 1990, sa part en concours et DAILLY

représentait 35% des dettes court terme inscrites au passif et 36% de l'actif; en 1991, cette part est respectivement à 32% et à 44%;

Le banquier dispensateur de crédit engage sa responsabilité lorsqu'il maintient des concours qu'il a normalement accordé dès lors qu'il se trouve à même de s'apercevoir que le débiteur est dans une situation désespérée;

Tel est le cas dans la présente espèce à compter du 01/01/92, date à laquelle la banque WORMS a eu connaissance du bilan de sa cliente pour l'exercice 1991;

L'étude très complète, sérieuse, exacte au plan des chiffres à laquelle a procédé Me FRECHIN sur le soutien abusif accordé par l'appelante est à cet égard parfaitement démonstrative; dès l'établissement du bilan pour l'année 1991, il n'est plus possible pour la banque WORMS de ne pas se rendre compte que:

+ les capitaux propres et les dettes à moyen et long terme sont négatifs et donc insusceptibles de couvrir la valeur nette immobilisée et, a fortiori, tout ou partie des stocks,

+ le total des dettes à court terme inscrites au passif est supérieur au total de l'actif et donc nécessairement aux créances à court terme;

L'état de cessation des paiements était donc déja clairement acquis, en réalité depuis le bilan de l'année 1990; s'il est vrai que cet état ne constitue pas le critère à partir duquel on doit nécessairement retenir la responsabilité de la banque, il s'agit tout de même d'un élément à prendre en considération, ce que cette dernière aurait dû faire, élément qui, examiné à la lumière des autres à sa disposition, aurait dû l'amener à un comportement inverse du sien;

On notera, même s'il n'y a pas lieu d'en tenir spécialement compte, que l'étude de Maître FRECHIN confirme la tendance qui s'aggravera au

cours des années ultérieures, par l'octroi en 1992 d'un découvert en compte courant non autorisé et disproportionné, ce que le prêt consenti par la banque à Danièle X... à des conditions déraisonnables ne parviendra que très parteillement à camoufler;

La banque WORMS ne saurait échapper à sa responsabilité au prétexte que les pouvoirs publics et divers partenaires privés se seraient intéressés à l'entreprise X...;

En effet, l'appelante, qui s'est montrée durant des années étrangement passive alors que la situation se dégradait rapidement et dangereusement, s'est contentée de vagues promesses inconsistantes et d'engagements de restructuration fallacieux déja précédemment servis à la B.P.T.P. par la gérante de la personne morale soutenue;

En résumé, elle a avec légèreté cru aux allégations de Danièle X... qui ne se sont jamais concrétisées;

Mais l'essentiel est de noter que les interventions publiques ou privées, qui consistaient surtout en l'élaboration de projets qui n'ont jamais fait l'objet du moindre commencement de mise en oeuvre, sont surtout survenus à partir de la mi-année 1993, à une époque ou la faute de la banque WORMS était déja consommée et continuait à perdurer de manière plus ample ainsi qu'en atteste le bilan catastrophique de l'exercice prolongé à 15 mois de l'année 1992;

Pour cette raison essentielle de date, la banque appelante est mal venue de soutenir que le passif de la société X... ne devrait être que partiellement supporté par elle, le surplus devant à son sens être imputé aux pouvoirs publics et à certaines banques et organismes financiers qui, eux aussi, auraient à ses dires pris une part dans la situation;

On doit à ce sujet indiquer que rien ne démontre que les autres banques ont maintenu leurs concours alors que la situation était

irrémédiablement compromise; l'exemple de la B.P.T.P. fait d'ailleurs la preuve du contraire;

La responsabilité de la banque WORMS à raison de son soutien abusif, qui trouve son fondement juridique dans l'art. 1382 du Code Civil et dans la contravention à son obligation de conseil et de diligence, est engagée à compter de la date indiquée ci-dessus, pour avoir, en contribuant à maintenir artificiellement la survie d'une société dont la situation était irrémédiablement compromise et en créant pour les autres créanciers une apparence trompeuse de solvabilité, aggravé le passif de l'entreprise;

Le passif qu'elle doit être condamnée à supporter est celui né postérieurement à la date du 01/01/92; son montant exact ne peut être fixé que par expertise, mesure à laquelle il convient de recourir et qui aura lieu aux frais avancés de l'appelante, sauf à autoriser l'intimé à s'y substituer en cas de carence;

Il convient en conséquence de réformer le jugement entrepris dans cette mesure;

La demande fondée sur l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile formée par l'intimé et les dépens d'appel doivent être réservés; PAR CES MOTIFS LA COUR

Confirme le jugement prononcé entre parties le 26/01/96 par le Tribunal de Commerce d'AUCH en ce qu'il a:

[* donné acte à Maître FRECHIN de ce qu'il reprenait et poursuivait en sa qualité de commissaire à l'exécution du plan l'action engagée conjointement par lui en sa qualité d'administrateur judiciaire et par Maître COUMET en sa qualité de représentant des créanciers selon assignation initiale du 16/06/94,

*] dit et jugé que la banque WORMS a soutenu artificiellement le crédit de la SOCIETE A RESPONSABILITE LIMITEE D'EXPLOITATION DES MESSAGERIES X... dont elle savait la situation irrémédiablement

compromise,

* dit et jugé que ce comportement fautif a retardé l'ouverture de la procédure collective et a donc provoqué un accroissement du passif et une dépréciation de l'actif et a causé un préjudice direct et certain aux autres créanciers auxquels la situation financière réelle de la société était dissimulée,

* condamné la banque WORMS, outre à supporter les entiers dépens de première instance, à payer à Maître FRECHIN, es-qualité, la somme de 25.000 F par application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile,

Y ajoutant,

* condamne la banque WORMS à payer à Maître FRECHIN, es-qualité, en réparation du préjudice qu'elle a causé, des dommages-intérêts équivalents à l'insuffisance d'actif et à la dépréciation de l'actif de la SOCIETE A RESPONSABILITE LIMITEE D'EXPLOITATION DES MESSAGERIES X... constatés à partir du 01/01/92,

* pour en chiffrer l'importance, ordonne une mesure d'expertise,

* commet pour y procéder: Monsieur Bernard Y..., expert-comptable, demeurant 62, avenue du Général de Gaulle - 24100 - BERGERAC, avec mission suivante: - prendre connaissance de l'entier dossier, - se faire communiquer tous documents utiles détenus par les parties ou des tiers, entendre tous sachants, - chiffrer, en détaillant précisemment chaque poste, l'insuffisance d'actif et la dépréciation de l'actif de la SOCIETE A RESPONSABILITE LIMITEE D'EXPLOITATION DES MESSAGERIES X... à compter du 01/01/92, - rapporter tous renseignements utiles à ne bonne compréhnesion des données du litige, - procéder selon la méthode du pré-rapport afin de provoquer les dires des parties dans tel délai de rigueur qu'il fixera raisonnablementnnées du litige, - procéder selon la méthode du pré-rapport afin de provoquer les dires des parties dans tel délai de

rigueur qu'il fixera raisonnablement et y répondre avec précision,

Dit que l'Expert devra déposer son rapport dans le délai de QUATRE mois à compter de sa saisine,

Commet F. CERTNER, Conseiller, pour surveiller l'exécution de la mesure,

Dit que les frais d'expertise seront avancés par la banque WORMS qui devra consigner la somme de 40.000 Francs à valoir sur la rémunération de l'Expert, entre les mains de Mr le Régisseur d'Avances et de Recettes de la COUR d'APPEL d'AGEN, dans le délai de 45 jours à compter de la présente décision,

Dit que l'Expert devra faire connaître sans délai au Juge chargé du contrôle de l'Expertise son acceptation, et devra commencer ses opérations dès que le Greffe l'aura averti de la consignation de la provision (article 271 du Nouveau Code de Procédure Civile),

Dit qu'à défaut de consignation dans le délai imparti, la désignation de l'Expert sera caduque, sauf décision contraire du Juge en cas de motif légitime, et qu'il sera tiré toutes conséquences de l'abstention ou du refus de consigner (article 271 du Nouveau Code de Procédure Civile),

Autorise l'intimé à consigner la provision ci-dessus en cas de carence de l'appelante,

Dit que l'Expert, au moment d'achever ses opérations, pourra solliciter un complément de consignation afin de lui permettre d'être aussi proche que possible de sa rémunération définitive, et que le défaut de consignation de l'éventuel complément de consignation entraînera la dépôt par l'Expert de son rapport en l'état (articles 269 et 280 du Nouveau Code de Procédure Civile),

Réserve l'application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile et le sort des dépens d'appel. LE GREFFIER :

LE PRESIDENT : G. IZARD.

M. FOURCHERAUD.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'agen
Numéro d'arrêt : 96-00292
Date de la décision : 20/09/1999

Analyses

BANQUE - Responsabilité - Ouverture de crédit - Situation de l'entreprise irrémédiablement compromise - Connaissance par la banque

Le banquier dispensateur de crédit engage sa responsabilité lorsqu'il maintient des concours qu'il a normalement accordé dès lors qu'il se trouve à même de s'apercevoir que le débiteur est dans une situation désespérée. La responsabilité de la banque à raison de son soutien abusif, qui trouve son fondement dans l'article 1382 du Code civil et dans la contravention à son obligation de conseil et de diligence, est engagée pour avoir, en contribuant à maintenir artificiellement la survie d'une société dont la situation était irrémédia- blement compromise et en créant pour les autres créanciers une apparence trompeuse de solvabilité, aggravé le passif de l'entreprise


Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.agen;arret;1999-09-20;96.00292 ?
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