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24/04/2024 | FRANCE | N°22TL22214

France | France, Cour administrative d'appel de Toulouse, 24 avril 2024, 22TL22214


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme C... A... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Montpellier de condamner le centre hospitalier de Castelnaudary (Aude) à lui verser, sur le fondement de l'article R. 541-1 du code de justice administrative, une provision de 37 800 euros.



Par une ordonnance n° 2204809 du 26 octobre 2022, le juge des référés du tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande.



Procédure devant la cour :


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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C... A... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Montpellier de condamner le centre hospitalier de Castelnaudary (Aude) à lui verser, sur le fondement de l'article R. 541-1 du code de justice administrative, une provision de 37 800 euros.

Par une ordonnance n° 2204809 du 26 octobre 2022, le juge des référés du tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 9 novembre 2022 et le 21 février 2024, Mme A..., représentée par Me Grange, demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) de condamner le centre hospitalier de Castelnaudary à lui verser une somme de 985 980 euros à titre de provision ;

3°) de mettre à la charge du centre hospitalier de Castelnaudary la somme de 3000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- elle a été victime, le 15 mai 2018, d'un accident reconnu imputable au service dans le cadre de ses fonctions d'aide-soignante ; elle est désormais inapte à ses fonctions et aurait dû bénéficier d'un reclassement sur un poste administratif ;

- elle a présenté une demande d'indemnisation au titre de la faute ou subsidiairement, sans faute, qui a été rejetée le 18 juillet 2022 ;

- contrairement à ce qu'a retenu le juge des référés du tribunal administratif de Montpellier, elle avait produit pas moins de trois expertises à l'appui de sa demande ; son état était regardé comme consolidé avec un taux d'IPP de 20 % ; elle pouvait donc être indemnisée sur cette base de ses préjudices extra patrimoniaux selon le barème Mornet applicable à une femme âgée de 51 ans ;

- à la suite de l'ordonnance de référé expertise désignant le docteur B..., ce dernier a déposé son rapport le 11 avril 2023 ; il en ressort un déficit temporaire total de 4 ans 10 mois et 17 jours ; un déficit temporaire partiel ; un déficit fonctionnel permanent fixé à 47% ; un préjudice esthétique évalué au taux de 2 sur 7 ; des souffrances physiques et morales évaluées au taux de 2,5 sur 7 ; la nécessité pour la requérante de se faire assister par une tierce personne ; elle justifie en outre s'être vu refuser le bénéfice d'une allocation temporaire d'invalidité ;

- l'obligation du centre hospitalier de Castelnaudary sur le fondement de la responsabilité sans faute n'est pas sérieusement contestable ;

- elle sollicite la somme provisionnelle de 115 488,75 euros au titre du coût annuel de l'assistance à tierce personne sur 412 jours pour la période ayant couru entre l'accident de travail du 15 mai 2018 et la décision à intervenir, arrêtée au 15 février 2024, sur la base de 3 h 15 par jour au taux de 15 euros ;

- elle sollicite la somme provisionnelle de 672 244,95 euros au titre de l'assistance à tierce personne future sur la base du barème de capitalisation de la Gazette du Palais 2022 ;

- elle a donc droit à une somme totale de 787 733,70 euros à parfaire au titre des préjudices patrimoniaux ;

- elle sollicite la somme provisionnelle de 49 896 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire total au titre de ses activités professionnelles retenu par l'expert sur la période du 15 mai 2018 au 11 avril 2023, soit 1782 jours sur la base de 28 euros par jour en application du référentiel Mornet ;

- elle sollicite la somme provisionnelle de 112 euros au titre des quatre jours de déficit fonctionnel temporaire total au titre de ses activités personnelles ;

- elle sollicite une somme de 789,60 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire partiel sur la base d'un taux de 47 % sur 60 jours sur la base de 28 euros par jour en application du référentiel Mornet ;

- elle sollicite la somme provisionnelle de 4000 euros au titre du préjudice esthétique temporaire subi du 15 mai 2018 au 11 avril 2023 ;

- elle sollicite la somme provisionnelle de 5000 euros au titre des souffrances tant physiques que morales endurées jusqu'à la consolidation évaluées à 2,5 sur 7 en application du référentiel Mornet ;

- elle sollicite la somme provisionnelle de 135 360 euros au titre du déficit fonctionnel permanent sur la base d'un taux de 47 % à la date de consolidation fixée au 11 avril 2023, à l'âge de 51 ans en application du référentiel Mornet ;

- elle sollicite la somme provisionnelle de 4000 euros au titre du préjudice esthétique permanent évalué à 2 sur 7 ;

- elle a donc droit à une somme totale de 198 247,60 euros à parfaire au titre des préjudices extrapatrimoniaux ;

- elle n'a pas repris d'emploi, n'a pas été reclassée ni admise à la retraite ni licenciée pour inaptitude définitive et perçoit son traitement.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 6 mars 2023 et le 18 mars 2024, le centre hospitalier de Castelnaudary, représenté par Me Goujon de la SCP GMC avocats associés, conclut, à titre principal, au rejet de la requête, à titre subsidiaire, à ce que le montant de la provision soit ramenée à de plus justes proportions, qui ne saurait excéder 2000 euros et à ce que soit mise à la charge de Mme A... la somme de 2000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il fait valoir que :

- à la date de l'ordonnance contestée, compte tenu des contradictions existant entre les différentes pièces médicales fournies, l'obligation dont se prévalait la requérante n'était pas non sérieusement contestable ; en l'absence de tout élément nouveau de preuve et particulièrement de pièces médicales permettant d'étayer les extraits de rapports d'expertise versés aux débats, la cour ne saurait considérer que la créance dont l'intéressée se prévaut, revêtait un caractère non sérieusement contestable requis pour faire droit à une demande de provision ;

- il conteste les conclusions du rapport B... désigné par ordonnance n° 2204797 du juge des référés du tribunal administratif de Montpellier dès lors que l'expertise s'est déroulée dans des conditions ne lui permettant pas d'assurer correctement sa défense ; l'expert n'a pas correctement pris en compte les dires de son médecin conseil ; il existe un état antérieur et les suites de la pathologie ayant justifié l'intervention chirurgicale du 20 février 2019, soit la tendinite de Quervain et le conflit radioscaphoidien, sont indépendantes de l'accident initial ;

- l'évaluation sur la base de ce rapport des préjudices est lacunaire ; il va solliciter du juge du fond une contre-expertise compte tenu des carences de ce rapport ;

- à titre infiniment subsidiaire, l'expert n'ayant pas chiffré le besoin d'assistance par tierce personne, la cour ne peut se fonder sur l'évaluation unilatérale et non contradictoire de la requérante de son besoin à 3 h 15 par jour ; il n'y a pas lieu d'indemniser un déficit fonctionnel temporaire classique car la requérante n'a subi aucune perte de gain professionnel ;

- le montant du préjudice n'a pas à être déterminé en application du référentiel Mornet non appliqué par les juridictions administratives ; l'indemnité journalière usuelle est de 13 euros et non 28 euros ; l'expert n'ayant pas précisé les dates de déficit fonctionnel temporaire partiel, l'indemnisation de ce poste est impossible ; la requérante ne peut pas écarter l'évaluation des taux proposés par l'expert de 25% puis 10% et revendiquer le taux de 47 % fixé pour le déficit fonctionnel permanent ; l'expert n'a pas précisé si le préjudice esthétique était temporaire ou permanent ; l'indemnisation des souffrances endurées ne saurait excéder 2000 euros ; le taux du déficit fonctionnel permanent fixé à 47% après consolidation est incohérent avec celui de 10% retenu pour le déficit fonctionnel temporaire et devrait être ramené à 10% voire moins ; ce poste ne saurait être indemnisé au-delà de 3000 euros ;

- le montant de la provision ne saurait excéder 2000 euros.

Par une ordonnance en date du 21 février 2024, la date de clôture de l'instruction de l'affaire a été fixée au 21 mars 2024.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général de la fonction publique ;

- le code de justice administrative.

Considérant ce qui suit :

1. Mme A..., aide-soignante au centre hospitalier de Castelnaudary depuis 1996, a été victime d'un accident dans l'exercice de ses fonctions, le 15 mai 2018, reconnu imputable au service par une décision du 28 juin 2018. Elle est depuis lors placée en congé pour invalidité temporaire imputable au service à plein traitement et n'a pas repris son travail. Par une demande préalable en date du 13 mai 2022, elle a sollicité l'indemnisation de ses préjudices à concurrence d'une somme de 90 000 euros en invoquant la faute de l'établissement, qui a été rejetée par une décision en date du 18 juillet 2022. Elle a alors saisi le juge des référés du tribunal administratif de Montpellier d'une demande de condamnation du centre hospitalier de Castelnaudary à lui verser, sur le fondement de l'article R. 541-1 du code de justice administrative, une provision de 37 800 euros au titre de la responsabilité sans faute de l'établissement. Par une ordonnance n° 2204809 du 26 octobre 2022, le juge des référés du tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande. Mme A... relève appel de cette ordonnance en portant, en dernier lieu, sa demande de provision à une somme de 985 980 euros, en se prévalant d'un rapport d'expertise définitif déposé le 18 juillet 2023 par le docteur B... désigné par ordonnance n° 2204797 du juge des référés du tribunal administratif de Montpellier en date du 14 février 2023.

Sur la demande de provision :

2. D'une part, aux termes de l'article R. 541-1 du code de justice administrative : " Le juge des référés peut, même en l'absence d'une demande au fond, accorder une provision au créancier qui l'a saisi lorsque l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable. Il peut, même d'office, subordonner le versement de la provision à la constitution d'une garantie ". Il résulte de ces dispositions que pour regarder une obligation comme non sérieusement contestable, il appartient au juge des référés de s'assurer que les éléments qui lui sont soumis par les parties sont de nature à en établir l'existence avec un degré suffisant de certitude. Dans ce cas, le montant de la provision que peut allouer le juge des référés n'a d'autre limite que celle résultant du caractère non sérieusement contestable de l'obligation dont les parties font état. Dans l'hypothèse où l'évaluation du montant de la provision résultant de cette obligation est incertaine, le juge des référés ne doit allouer de provision, le cas échéant assortie d'une garantie, que pour la fraction de ce montant qui lui parait revêtir un caractère de certitude suffisant.

3. D'autre part, les dispositions qui instituent, en faveur des fonctionnaires victimes d'accidents de service ou de maladies professionnelles, une rente d'invalidité en cas de mise à la retraite et une allocation temporaire d'invalidité en cas de maintien en activité, déterminent forfaitairement la réparation à laquelle les intéressés peuvent prétendre, au titre des conséquences patrimoniales de l'atteinte à l'intégrité physique, dans le cadre de l'obligation qui incombe aux collectivités publiques de garantir leurs agents contre les risques qu'ils peuvent courir dans l'exercice de leurs fonctions. Elles ne font, en revanche, obstacle ni à ce que le fonctionnaire qui a enduré, du fait de l'accident ou de la maladie, des dommages ne revêtant pas un caractère patrimonial, tels que des souffrances physiques ou morales, un préjudice esthétique ou d'agrément ou des troubles dans les conditions d'existence, obtienne de la collectivité qui l'emploie, même en l'absence de faute de celle-ci, une indemnité complémentaire réparant ces chefs de préjudice, ni à ce qu'une action de droit commun pouvant aboutir à la réparation intégrale de l'ensemble du dommage soit engagée contre la collectivité, dans le cas notamment où l'accident ou la maladie serait imputable à une faute de nature à engager la responsabilité de cette collectivité ou à l'état d'un ouvrage public dont l'entretien lui incomberait.

En ce qui concerne l'existence d'une obligation non sérieusement contestable :

4. Si Mme A... a initialement invoqué, dans sa demande préalable en date du 13 mai 2022, des fautes qui auraient été commises par le centre hospitalier de Castelnaudary, il n'existe aucun lien entre l'accident du travail provoqué par un coup de pied d'une patiente sur sa main et le non-respect allégué des préconisations du médecin du travail concernant le port de charges lourdes supérieures à 15 kg, et le centre hospitalier de Castelnaudary fait valoir sans être utilement contredit qu'elle n'a pas accepté les propositions de reclassement qui lui ont été faites.

5. En revanche, la responsabilité sans faute du centre hospitalier de Castelnaudary, qui a reconnu l'accident survenu le 15 mai 2018 comme imputable au service par une décision du 28 juin 2018, peut être engagée dans les conditions évoquées au point 3 de la présente ordonnance. Par suite, l'obligation du centre hospitalier de Castelnaudary de réparer les préjudices en découlant directement n'est pas sérieusement contestable.

En ce qui concerne le montant de la provision :

6. Si les expertises produites en première instance ne pouvaient servir de base à la détermination de ses préjudices, eu égard aux contradictions dont elles étaient entachées, Mme A... se prévaut en appel des conclusions figurant dans le rapport d'expertise définitif déposé le 18 juillet 2023 au greffe du tribunal administratif de Montpellier.

7. Toutefois, le centre hospitalier de Castelnaudary conteste les conditions dans lesquelles cette expertise a été rendue et son caractère contradictoire à son égard dès lors qu'il n'aurait pas été mis à même de présenter utilement sa défense et souligne en outre les lacunes de ce rapport en ce qui concerne la détermination du besoin d'assistance par tierce personne, du déficit fonctionnel temporaire partiel, du préjudice esthétique et du taux du déficit fonctionnel permanent.

8. Dans ces conditions, le chiffrage des préjudices de Mme A... ne pourra intervenir qu'à l'issue d'un complément d'expertise qu'il n'appartient qu'au tribunal administratif de Montpellier d'ordonner soit en référé soit au fond.

9. Il résulte de ce qui précède que les demandes présentées par Mme A... d'annulation de l'ordonnance contestée et d'allocation d'une provision ne peuvent, en l'état, qu'être rejetées.

Sur les frais liés à l'instance :

10. D'une part, les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle aux conclusions de Mme A... dirigées contre le centre hospitalier de Castelnaudary, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance. D'autre part, il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions du centre hospitalier de Castelnaudary tendant à l'application dudit article.

ORDONNE

Article 1er : La requête de Mme A... est rejetée.

Article 2 : Les conclusions du centre hospitalier de Castelnaudary tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à Mme A... et au centre hospitalier de Castelnaudary.

Fait à Toulouse, le 24 avril 2024.

La juge d'appel des référés,

A. Geslan-Demaret

La République mande et ordonne à la ministre du travail, de la santé et des solidarités en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente ordonnance.

2

N°22TL22214


Synthèse
Numéro d'arrêt : 22TL22214
Date de la décision : 24/04/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

54-03-015 Procédure. - Procédures de référé autres que celles instituées par la loi du 30 juin 2000. - Référé-provision.


Composition du Tribunal
Avocat(s) : GMC AVOCATS ASSOCIÉS

Origine de la décision
Date de l'import : 28/04/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.toulouse;arret;2024-04-24;22tl22214 ?
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