(4ème Chambre B)
VU l'ordonnance en date du 9 avril 1997, enregistrée au greffe de la cour le 15 avril 1997 sous le n 97PA00962, par laquelle le président de la section du contentieux du Conseil d'Etat a transmis à la cour, en application de l'article R.80 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel, la requête présentée pour M. Pierre Y... ;
VU la requête, enregistrée au greffe de la section du contentieux du Conseil d'Etat le 17 octobre 1994 et le mémoire complémentaire, enregistré le 17 février 1995, présentés pour M. Y..., demeurant ..., par Me X..., avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation ;
M. Y... demande à la cour :
1 ) d'annuler le jugement n s 9111592/5 et 9205102/5 en date du 10 janvier 1994 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation, d'une part, de l'arrêté du ministre de l'économie, des finances et du budget du 3 septembre 1991 prononçant sa révocation et, d'autre part, de la décision implicite par laquelle la commission de recours du conseil supérieur de la fonction publique a rejeté son recours contre cet arrêté ;
2 ) d'annuler lesdites décisions ;
VU les autres pièces du dossier ;
VU la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
VU la loi n 83-634 en date du 13 juillet 1983 ;
VU la loi n 84-16 en date du 11 janvier 1984 ;
VU le décret n 82-451 du 28 mai 1982 relatif aux commissions administratives paritaires ;
VU le décret n 84-961 en date du 25 octobre 1984 relatif à la procédure disciplinaire concernant les fonctionnaires de l'Etat ;
VU le code des pensions civiles et militaires de retraite ;
VU le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
VU la loi n 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 8 octobre 1998 :
- le rapport de Mme de SALINS, premier conseiller,
- et les conclusions de M. LAMBERT, commissaire du Gouvernement ;
Sur la légalité de l'avis émis par la commission de recours du conseil supérieur de la fonction publique :
Considérant qu'aux termes de l'article 14 du décret du 25 octobre 1984 susvisé : "la commission de recours du conseil supérieur de la fonction publique de l'Etat émet soit un avis déclarant qu'il n'y a pas lieu de donner suite à la requête qui lui a été présentée, soit une recommandation tendant à faire lever ou modifier la sanction infligée" et de l'article 16 du même décret : "l'avis ou la recommandation émis par la commission de recours du conseil supérieur de la fonction publique de l'Etat est transmis au ministre intéressé. Si celui-ci décide de suivre la recom-mandation, cette décision se substitue rétroactivement à celle qui a été initialement prise" ;
Considérant qu'il résulte des dispositions précitées que lorsque la com-mission de recours du conseil supérieur de la fonction publique de l'Etat se prononce, qu'elle émette un avis ou une recommandation, ni cet avis ni cette recommandation ne lie le ministre qui peut décider de maintenir la sanction initialement prononcée ; que, dans ces conditions et dès lors qu'en l'espèce, la commission de recours n'a pas émis une recommandation que le ministre aurait décidé de substituer à la sanction initiale, l'avis émis le 25 mars 1993 par ladite commission ne constitue pas une décision faisant grief ; que, par suite, M. Y... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Paris, faisant droit à la fin de non-recevoir opposée par le ministre en première instance, a rejeté comme irrecevable la demande de l'intéressé en tant qu'elle était dirigée contre cet avis ;
Sur la légalité de l'arrêté du ministre du budget en date du 3 septembre 1991 prononçant la révocation de M. Y... :
Considérant que le moyen relatif à la légalité de la mesure de suspension et tiré de son caractère prématuré est sans influence sur la légalité de la révocation prononcée à l'encontre de M. Y... ;
En ce qui concerne la composition du conseil de discipline :
Considérant, d'une part, qu'en vertu de l'article 34 du décret susvisé du 28 mai 1982, les commissions administratives paritaires réunies en conseil de discipline siègent en formation restreinte ; que, selon l'article 35 du même décret, seuls les membres titulaires et éventuellement leurs suppléants représentant le grade auquel appartient le fonctionnaire intéressé et le grade immédiatement supérieur ainsi qu'un nombre égal de représentants de l'administration sont appelés à délibérer ; que, d'après l'article 41, 2ème alinéa, de ce décret : " ... les trois quarts au moins de leurs membres doivent être présents lors de l'ouverture de la réunion" ;
Considérant qu'il ressort des mentions figurant sur le procès-verbal du conseil de discipline, qui s'est réuni le 27 juin 1988 pour examiner le dossier de M. Y..., que huit personnes représentant pour moitié l'administration et pour l'autre moitié les agents étaient présentes à cette réunion ; que, par suite, le quorum était atteint ;
Considérant, d'autre part, que la circonstance que certains des repré-sentants de l'administration au sein du conseil, dont il n'a précisé ni le nom ni le nombre, auraient, dans le cadre de l'exercice de leurs fonctions, été à l'origine des poursuites engagées contre lui et de la mesure le suspendant de ses fonctions n'est pas de nature à elle seule à entacher d'irrégularité la procédure devant le conseil de discipline dès lors qu'il n'est pas établi par les pièces du dossier que ces personnes auraient fait preuve d'une animosité particulière ou manqué d'impartialité à l'égard de M. Y... ;
En ce qui concerne la violation alléguée des droits de la défense :
Considérant qu'il ne ressort d'aucune pièce du dossier et notamment pas du procès-verbal de la réunion du conseil de discipline, au cours de laquelle l'agent et son défenseur se sont exprimés sur les griefs formulés à son encontre et n'ont pas évoqué leur caractère nouveau, que les documents relatifs à des "irrégularités de service", concernant notamment l'acceptation de chèques postdatés ou tous datés du même jour, de propositions de remises de pénalités contre remise d'espèces par les contribuables bénéficiaires, et à des manquements aux obligations de probité et d'indépendance tels que des demandes de cadeaux et les faits relatés dans ces documents auraient été portés à la connaissance de l'agent pour la première fois devant ce conseil ni qu'il aurait été fait état d'un fait ou d'un témoignage nouveau relatif à ce comportement ; que, par suite, le moyen tiré de ce que des griefs auraient été formulés ou précisés pour la première fois lors de la réunion dudit conseil, en violation des droits de la défense de l'intéressé, manque en fait ;
En ce qui concerne la motivation de l'arrêté :
Considérant qu'il ressort des mentions dudit arrêté que celui-ci précise les textes sur lesquels il a été adopté et indique les griefs sur lesquels se fonde la sanction ; que si, pour certains de ces griefs, l'arrêté se borne à indiquer que "le receveur princi-pal s'est rendu coupable d'autres manquements aux règles déontologiques notamment en recevant des présents et en se plaçant en diverses circonstances dans une situation susceptible de compromettre son indépendance", sans reprendre de façon détaillée les faits en cause, cette circonstance n'est pas de nature à faire regarder la décision comme insuffisamment motivée dès lors, d'une part, que cette formulation permet au requérant d'identifier sans hésitation lesdits griefs, et, d'autre part, qu'il résulte de l'instruction que ces faits, fort nombreux, avaient été portés dans le détail à la connaissance du requérant au cours de la procédure disciplinaire et regroupés sous cette dénomination générique ;
En ce qui concerne la matérialité des faits qui lui sont reprochés :
Considérant, en premier lieu, que, par arrêt en date du 3 juin 1991, la Cour d'appel de Paris a considéré comme établis les faits décrits dans le rapport de police dressé le 12 février 1987 par le commissaire divisionnaire, chef de la brigade finan-cière, au procureur de la République, et consistant, pour M. Y..., à accepter un don de 5.000 F en contrepartie de l'accomplissement d'un acte de la fonction, à savoir la réduction de majoration de retard, dans le cadre d'un pacte où l'intention coupable était caractérisée, et a, pour ces faits, déclaré M. Y... coupable du délit de corruption passive de fonctionnaire ainsi constitué ; que, par suite, le premier grief formulé à l'encontre de M. Y... dans l'arrêté attaqué est établi ;
Considérant, en second lieu, qu'il ressort des pièces du dossier et notamment du rapport de police en date du 11 février 1987 que M. Y... a reconnu avoir reçu des enveloppes de contribuables contenant des bons pour un repas ou encore des sommes modiques ; que le procès-verbal en date du 28 avril 1987 fait apparaître que l'intéressé a également expressément reconnu avoir reçu des livres de la collection "La Pléiade" de certains contribuables ; que ces documents font foi jusqu'à preuve du contraire ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que, contrairement aux allégations de M. Y..., les faits qui lui sont reprochés sont établis par les pièces du dossier ;
En ce qui concerne les moyens tirés de la violation de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de la présomption d'innocence :
Considérant, d'une part, que la suppression des droits à pension de M. Y... n'étant qu'une conséquence indirecte de la mesure de révocation, les dispositions de l'article 6, paragraphe 1, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ne sauraient être utilement invoquées à l'encontre de la procédure disciplinaire engagée à l'encontre de cet agent public, ni de la décision le sanctionnant ;
Considérant, d'autre part, que la circonstance qu'une procédure pénale était en cours contre M. Y... ne faisait pas obstacle à ce que soit engagée, à raison des mêmes faits, une procédure disciplinaire, ni à ce que soit prononcée, pour les faits dont s'agit, une sanction disciplinaire alors même que la procédure judiciaire n'était pas terminée ; qu'à cet égard, les dispositions de l'article 6, paragraphe 2, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales prévoyant que "toute personne accusée d'une infraction est présumée innocente jusqu'à ce que sa culpabilité ait été établie" n'ont ni pour objet, ni pour effet d'interdire à l'autorité investie du pouvoir disciplinaire de sanctionner des faits dès lors que ces faits sont établis ;
Sur le caractère disproportionné de la sanction :
Considérant qu'aux termes de l'article 66 de la loi susvisée en date du 11 janvier 1984 : "Les sanctions disciplinaires sont réparties en quatre groupes : ... quatrième groupe : - la mise à la retraite d'office ; - la révocation" ; et qu'aux termes de l'article L.59 du code des pensions civiles et militaires de retraite : "Le droit à l'obtention ou à la jouissance de la pension ... est suspendu à l'égard de tout béné-ficiaire du présent code qui aura été révoqué ... pour avoir été ... convaincu de malversations relatives à son service" ;
Considérant que les faits reprochés à M. Y... et consistant à avoir obtenu le versement de la somme de 5.000 F en contrepartie de la réduction de majorations de retard au profit d'un contribuable et à avoir accepté de contribuables la remise de présents de toute nature constituent des faits de nature à justifier l'application d'une sanction disciplinaire ; qu'en décidant, pour ces griefs, de lui appliquer la sanction de la révocation, le ministre, qui n'était nullement tenu de prendre en compte la situation personnelle de M. Y..., n'a pas entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation, nonobstant les loyaux services accomplis auparavant par cet agent, l'efficacité de ses méthodes et le quitus que lui a délivré la Cour des comptes pour la gestion de la recette principale pour les années 1983 à 1987 ; que lesdits faits constituant des malversations relatives au service de l'intéressé, au sens des dispositions précitées de l'article L.59 du code des pensions civiles et militaires de retraite, le ministre était tenu de suspendre ses droits à pension ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que M. Y... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, qui est suffisamment motivé, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du ministre de l'économie, des finances et du budget en date du 3 septembre 1991 le révoquant ;
Article 1er : La requête de M. Y... est rejetée.