Vu la requête enregistrée le 14 septembre 1994 au greffe de la cour administrative d'appel sous le n° 94PA01368, présentée pour la COMMUNE DE JOUARS-PONTCHARTRAIN, représentée par son maire en exercice, par Me X..., avocat ; la COMMUNE DE JOUARS-PONTCHARTRAIN demande à la cour:
1 ) d'annuler le jugement en date du 21 juin 1994 par lequel le tribunal administratif de Versailles a annulé deux arrêtés du préfet des Yvelines en date des 26 janvier 1989 et 30 novembre 1989 portant respectivement déclaration d'utilité publique la création de réserves foncières dans la COMMUNE DE JOUARS-PONTCHARTRAIN et cessibilité des parcelles concernées ;
2 ) de condamner la société Maisons-Lagasse à lui verser la somme de 10.000 F en application des dispositions de l'article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ; VU les autres pièces produites et jointes au dossier ;
VU le code de l'urbanisme ;
VU le code de l'expropriation pour cause d'utilité publique ;
VU le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
VU la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 12 novembre 1996 :
- le rapport de M. BARBILLON, conseiller ;
- les observation de la SCP HUGLO et associés, avocat pour la COMMUNE DE JOUARS-PONTCHARTRAIN et celles de la SCP LYON-CAEN, FABIANI, THIRIEZ, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, pour la société Maison Lagasse ;
- et les conclusions de M. PAITRE, commissaire du Gouvernement ;
Sur les conclusions de la COMMUNE DE JOUARS-PONTCHARTRAIN tendant à l'annulation de l'article 1er du jugement attaqué :
En ce qui concerne la légalité de l'arrêté en date du 26 janvier 1989 du préfet des Yvelines :
Considérant qu'aux termes de l'article L. 221-1 du code de l'urbanisme, dans sa rédaction applicable au cas de l'espèce : "L'Etat, les collectivités locales .... sont habilités à acquérir des immeubles, au besoin par voie d'expropriation, pour constituer des réserves foncières en vue de permettre la réalisation d'une action ou d'une opération d'aménagement répondant aux objectifs définis à l'article L.300-1." ; qu'aux termes de l'article L.300-1 du code de l'urbanisme : "Les actions ou opérations d'aménagement ont pour objet de mettre en oeuvre une politique locale de l'habitat, d'organiser le maintien, l'extension ou l'accueil des activités économiques, de favoriser le développement des loisirs ou du tourisme, de réaliser des équipements collectifs, de lutter contre l'insalubrité, de sauvegarder ou de mettre en valeur le patrimoine bâti ou non bâti et les espaces naturels." ;
Considérant que par un arrêté en date du 26 janvier 1989, le préfet des Yvelines a déclaré d'utilité publique, à la suite de la demande formulée par le conseil municipal de la COMMUNE DE JOUARS-PONTCHARTRAIN le 19 février 1988, l'acquisition de terrains appartenant à la société Maison Lagasse, pour la constitution de réserves foncières dans le secteur de "La Bonde" dans le but de réaliser dans ce secteur une zone d'habitat et une extension des activités artisanales existantes ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier, et notamment de la notice explicative jointe à cet arrêté et du rapport établi par le commissaire enquêteur en vue de l'enquête préalable à la déclaration d'utilité publique, que la COMMUNE DE JOUARS-PONTCHARTRAIN ne dispose plus de terrains disponibles sur le lotissement communal existant pour accueillir les entreprises qui désirent s'implanter dans cette commune ; que l'augmentation de la population de la commune et l'insuffisance de terrains à bâtir nécessitent par ailleurs la mise en oeuvre d'une politique locale de l'habitat ; qu'ainsi, la COMMUNE DE JOUARS-PONTCHARTRAIN doit être regardée comme ayant justifié l'utilité publique de l'opération projetée ; que dès lors la COMMUNE DE JOUARS-PONTCHARTRAIN est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Versailles s'est fondé sur le motif tiré du défaut de justification de l'utilité publique de cette opération pour annuler l'arrêté du préfet des Yvelines en date du 26 janvier 1989 ;
Considérant toutefois qu'il appartient à la cour administrative d'appel, saisie par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens présentés par la société Maison Lagasse devant le tribunal administratif de Versailles à l'encontre de l'arrêté du préfet des Yvelines en date du 26 janvier 1989 ;
Sur la régularité de la procédure préalable à la déclaration d'utilité publique :
Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article L. 123-8 du code de l'urbanisme : "la déclaration d'utilité publique d'une opération qui n'est pas compatible avec les dispositions d'un plan d'occupation des sols rendu public ou approuvé ne peut intervenir que si : - l'enquête publique concernant cette opération, ouverte par le représentant de l'Etat dans le département, a porté à la fois sur l'utilité publique de l'opération et sur la mise en compatibilité du plan qui en est la conséquence ; - l'acte déclaratif d'utilité publique est pris après que les dispositions proposées par l'Etat pour assurer la mise en comptabilité du plan ont fait l'objet d'un examen conjoint de l'Etat, de la commune ou de l'établissement public de coopération intercommunale, de la région, du département et des organismes mentionnés aux articles L. 121-6 et L. 121-7 et après avis du conseil municipal ou de l'organisme délibérant de l'établissement public compétent en la matière. La déclaration d'utilité publique emporte approbation des nouvelles dispositions du plan." ;
Considérant que le plan d'occupation des sols de la COMMUNE DE JOUARS-PONTCHARTRAIN, approuvé le 1er juillet 1988, a classé les terrains situés au lieu-dit "la Bonde" en zone NA du règlement du plan d'occupation des sols, correspondant aux zones d'urbanisation future ; que la création de réserves foncières dans ce secteur est compatible avec ce classement, dès lors qu'elle n'a précisément pour but que l'acquisition de terrains qui feront l'objet ultérieurement des aménagements destinés à les rendre urbanisables ; que la société Maison Lagasse n'est ainsi pas fondée à soutenir que, en l'absence de mise en compatibilité du plan d'occupation des sols de la commune, l'arrêté attaqué a méconnu les dispositions précitées de l'article L. 123-8 du code de l'urbanisme et de l'article R. 123-35-1 du même code pris pour son application ;
Considérant que la société requérante n'est pas plus fondée à se prévaloir des dispositions de l'article L. 300-2 du code de l'urbanisation, qui ne concernent pas les modifications d'un plan d'occupation des sols dans le cadre d'une déclaration d'utilité publique ;
Considérant, en deuxième lieu, qu'aux termes de l'article R. 11-3 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique. "-L'expropriant adresse au préfet pour être soumis à l'enquête un dossier qui comprend obligatoirement : ... II. - Lorsque la déclaration d'utilité publique est demandée en vue de l'acquisition d'immeubles, ou lorsqu'elle est demandée en vue de la réalisation d'une opération d'aménagement ou d'urbanisme importante et qu'il est nécessaire de procéder à l'acquisition des immeubles avant que le projet n'ait pu être établi : ... 1 Une notice explicative ; ... 4 L'estimation sommaire des acquisitions à réaliser ... Dans les trois cas visés aux I, II, III, ci-dessus, la notice explicative indique l'objet de l'opération et les raisons pour lesquelles, notamment du point de vue de l'environnement, parmi les partis envisagés, le projet soumis à l'enquête a été retenu." ;
Considérant que, d'une part, ainsi qu'il a été dit, la notice explicative insérée dans le dossier de l'enquête préalable à l'intervention de l'arrêté attaqué exposait les raisons, tenant à la nécessité de mettre en oeuvre une politique locale de l'habitat et de prévoir le développement des activités économiques, pour lesquelles les réserves foncières ayant fait l'objet de la déclaration d'utilité publique devaient être constituées ; que d'autre part, la commune n'était pas tenue de justifier le choix de ce projet du point de vue de l'environnement dès lors que l'opération envisagée ne pouvait avoir, par elle-même, des conséquences dommageables à cet égard ; qu'ainsi, la notice explicative, en fournissant, même d'une manière sommaire, les renseignements permettant d'apprécier la portée exacte de l'opération projetée, satisfaisait aux conditions posées par les dispositions sus-rappelées de l'article R. 11-3 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique ;
Considérant, en troisième lieu, que pour estimer le montant des dépenses correspondant à l'acquisition des terrains constituant les réserves foncières et qui doit figurer dans le dossier soumis à enquête, la COMMUNE DE JOUARS-PONTCHARTRAIN a retenu une somme de 632.000 F, correspondant à l'évaluation établi par le service des domaines le 15 avril 1988 ; que pour contester cette évaluation, la société Maison Lagasse se borne à faire état d'une estimation du juge de l'expropriation qui ne peut être retenue dès lors qu'elle repose sur des éléments d'appréciation différents de ceux sur lesquels le service des domaines s'est appuyé ; qu'ainsi l'estimation du service des domaines retenue par la commune pour figurer dans le dossier d'enquête permettait au public de connaître de manière sommaire le coût réel des acquisitions de terrains correspondant à l'opération envisagée, dans les conditions prévues par les dispositions sus-rappelées de l'article R. 11-3 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique ;
Considérant, en quatrième lieu, que le moyen tiré du fait que le commissaire enquêteur n'aurait pas produit le rapport d'enquête prévu aux articles R.11-10 et suivants du code de l'expropriation manque en fait ;
Sur la légalité interne de l'arrêté du 26 janvier 1989 :
Considérant que par un jugement en date du 13 novembre 1987, le tribunal administratif de Versailles a annulé l'arrêté du 30 octobre 1985 par lequel le préfet des Yvelines a déclaré d'utilité publique la cession des mêmes terrains que ceux qui ont fait l'objet de la déclaration d'utilité publique attaquée dans la présente instance, au motif que l'objectif de geler des terrains pour éviter une urbanisation anarchique ne pouvait fonder légalement cet arrêté ; que, ainsi qu'il a été rappelé, l'arrêté du préfet des Yvelines en date du 26 janvier 1989 concernait une déclaration d'utilité publique en vue de constituer une réserve foncière destinée à mettre en oeuvre une politique locale de l'habitat et prévoir une extension des activités économiques ; que cet arrêté constitue une décision distincte, prise pour d'autres motifs que celle dont le tribunal administratif de Versailles avait prononcé l'annulation; que, dès lors, la société Maison Lagasse ne peut opposer l'autorité de la chose jugée par le tribunal à l'arrêté du préfet des Yvelines du 26 janvier 1989 ;
Considérant que le détournement de pouvoir allégué par la société Maison Lagasse n'est pas établi ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la COMMUNE DE JOUARS-PONTCHARTRAIN est fondée à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Versailles a annulé l'arrêté du 26 janvier 1989 par lequel le préfet des Yvelines a déclaré d'utilité publique l'acquisition des terrains appartenant à la société requérante dans le secteur dit de "la Bonde", en vue de la constitution de réserves foncières ;
En ce qui concerne l'arrêté de cessibilité pris par le préfet des Yvelines le 30 novembre 1989:
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la COMMUNE DE JOUARS-PONTCHARTRAIN est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Versailles s'est fondé sur l'annulation de l'arrêté du préfet des Yvelines du 26 janvier 1989 pour un motif tiré du défaut de justification de l'utilité publique de l'opération envisagée pour annuler, par voie de conséquence, l'arrêté en date du 30 novembre 1989 du préfet des Yvelines déclarant cessibles les parcelles concernées par cette opération ;
Considérant, toutefois, qu'il appartient à la cour administrative d'appel, saisie par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens présentés par la société Maison Lagasse devant le tribunal administratif de Versailles à l'encontre de l'arrêté de cessibilité pris par le préfet des Yvelines le 30 novembre 1989 ;
Considérant, en premier lieu, que le moyen tiré par la société Maison Lagasse de ce que l'arrêté de cessibilité a été signé par le secrétaire général de la préfecture des Yvelines qui ne disposait pas pour ce faire d'une délégation de signature du préfet des Yvelines, manque en fait ;
Considérant, en deuxième lieu, qu'il ressort des pièces du dossier que, contrairement à ce qu'affirme la société requérante, le dépôt du dossier d'enquête parcellaire en mairie lui a bien été notifié dans les conditions prévues à l'article R.11-22 du code de l'expropriation ;
Considérant, en troisième lieu, que le commissaire enquêteur a été à même d'identifier avec précision les parcelles dont l'expropriation est requise pour constituer les réserves foncières ;
Considérant, en quatrième lieu, que les moyens tirés par la société Maison Lagasse de ce que le dossier soumis à l'enquête parcellaire ne respectait pas les dispositions de l'article R.11-19 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique et de ce que des irrégularités auraient été commises au regard des dispositions de l'article R.11-20 du même code, relatives aux conditions dans lesquelles le déroulement de l'enquête parcellaire est portée à la connaissance du public, ne sont pas assortis des précisions suffisantes pour permettre à la cour d'en apprécier le bien-fondé ; que, par suite, ces moyens doivent être rejetés ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède qu'aucun des moyens soulevés par la société Maison Lagasse à l'encontre de l'arrêté du préfet des Yvelines en date du 30 novembre 1989 ne peut être retenu ;
Sur les conclusions de la société Maison Lagasse tendant à l'annulation de l'article 2 du jugement attaqué :
Considérant qu'aux termes de l'article 1er de la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 modifiée : "Il est créé des cours administratives d'appel compétentes pour statuer sur les appels formés contre les jugements des tribunaux administratifs, à l'exception de ceux portant sur les recours en appréciation de légalité ...." ; et qu'aux termes de l'article R.83 du même code : "Lorsque tout ou partie des conclusions dont est saisi un tribunal administratif, une cour administrative d'appel ou le Conseil d'Etat ressortit à la compétence d'une juridiction administrative, le tribunal administratif, la cour administrative d'appel ou le Conseil d'Etat, selon le cas, est compétent, nonobstant les règles de répartition des compétences entre juridictions administratives, pour rejeter les conclusions entachées d'une irrecevabilité manifeste insusceptible d'être couverte en cours d'instance ...." ;
Considérant que les conclusions d'"appel incident" de la société Maison Lagasse tendent à l'annulation de l'article 2 du jugement attaqué qui a prononcé un non lieu sur la question de l'appréciation de la légalité de l'arrêté du préfet des Yvelines en date du 10 février 1992 créant une zone d'aménagement différé ; que ces conclusions soulèvent, ainsi, un litige distinct de l'appel principal, qui porte sur la légalité de la procédure de déclaration publique ; qu'en tant qu'appel principal, elles ont été présentées après l'expiration du délai d'appel ; que dès lors, ces conclusions sont entachées d'une irrecevabilité manifeste insusceptible d'être couverte en cours d'instance ; qu'il en résulte qu'en vertu des dispositions susrappelées de l'article R.83 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel, la cour administrative d'appel est compétente pour les rejeter, alors même qu'en tant qu'elles sont dirigées contre l'article 2 du jugement par lequel le tribunal administratif a prononcé un non lieu à statuer sur le recours en appréciation de légalité, elles relèvent de la compétence du Conseil d'Etat ;
Sur l'application des dispositions de l'article L 8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel:
Considérant que la société Maison Lagasse succombe dans la présente instance ; que sa demande tendant à ce que la COMMUNE DE JOUARS-PONTCHARTRAIN soit condamnée à lui verser une somme au titre des frais qu'elle a exposés doit, en conséquence, être rejetée ;
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, en application des dispositions précitées, de condamner la société Maison Lagasse à payer à la COMMUNE DE JOUARS-PONTCHARTRAIN la somme de 5.000 F ;
Article 1 : L'article 1er du jugement en date du 21 juin 1994 du tribunal administratif de Versailles est annulé.
Article 2 : Les demandes de la société Maison Lagasse tendant à l'annulation des arrêtés du préfet des Yvelines en date du 26 janvier 1989 et 30 novembre 1989 sont rejetées.
Article 3 : Les conclusions présentées par la société Maison Lagasse dirigées contre l'article 2 du jugement du tribunal administratif de Versailles en date du 21 juin 1994 et les conclusions tendant à la condamnation de la COMMUNE DE JOUARS-PONTCHARTRAIN à lui verser une somme au titre de l'article L. 8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel sont rejetées.
Article 4 : La société Maison Lagasse versera à la COMMUNE DE JOUARS-PONTCHARTRAIN une somme de 5.000 Francs au titre de l'article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel.