Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... A... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Caen de condamner l'Etat à lui verser une provision de 9 050 euros à titre de dommages et intérêts, assortie des intérêts au taux légal, avec capitalisation.
Par une ordonnance n° 2102624 du 4 août 2022, le juge des référés du tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 19 août 2022, M. A..., représenté par Me Dubourg, demande au juge d'appel des référés de la cour :
1°) d'annuler l'ordonnance du 4 août 2022 ;
2°) de condamner l'Etat à lui verser une provision de 12 000 euros à titre de dommages et intérêts, assortie des intérêts au taux légal, avec capitalisation.
Il soutient :
- que le juge des référés lui a fait supporter à tort la charge de la preuve ;
- qu'il a été soumis à des conditions de détention inhumaines et dégradantes, en particulier au centre de détention d'Argentan entre le 6 août 2019 et le 20 janvier 2020 ;
- que les nombreux transfèrements auxquels il a été soumis, dont certains étaient irréguliers au regard des dispositions des articles L. 211-2 et L.211-5 du code des relations entre le public et l'administration, l'ont éloigné de sa famille et porté atteinte à son droit au respect de la vie privée et familiale et de la dignité, englobant le droit à la santé et à son droit au travail ;
- qu'il justifie d'un préjudice moral et de troubles dans les conditions d'existence à hauteur de la somme de 12 000 euros.
M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 3 octobre 2022.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de procédure pénale ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Vu la décision du président de la cour administrative d'appel de Nantes du 1er septembre 2022 désignant M. Derlange, président assesseur, en application de l'article L. 555-1 du code de justice administrative, pour statuer en appel sur les décisions des juges des référés.
Considérant ce qui suit :
1. M. A... a été incarcéré depuis le 6 décembre 2013, d'abord au centre pénitentiaire de Bordeaux Gradignan, puis au centre pénitentiaire de Poitiers-Vivonne, à compter du 23 janvier 2014, puis au centre pénitentiaire de Mont-de-Marsan, à compter du 13 mai 2015, puis au centre pénitentiaire de Nantes, à compter du 19 octobre 2016, puis au centre pénitentiaire de Rennes-Vezin, à compter du 22 mai 2017, puis au centre pénitentiaire du Havre, à compter du 4 janvier 2018, puis au centre pénitentiaire du Mans-Les-Croisettes, à compter du 21 juin 2018, puis au centre de détention Val-de-Reuil, à compter du 30 octobre 2018, puis au centre de détention d'Argentan, à compter du 6 août 2019, puis au centre de détention de Châteaudun, à compter du 20 janvier 2020, puis au centre de détention de Clairvaux à Ville-sous-la-Ferté, puis dans des centres de détention à Troyes, à Châlons-en-Champagne et à Nancy-Maxéville. Le 19 novembre 2021, il a saisi le juge des référés du tribunal administratif de Caen d'une demande tendant au versement d'une provision de 9 050 euros en réparation du préjudice qu'il estime avoir subi du fait de conditions de détention attentatoires à la dignité humaine. Il relève appel de l'ordonnance du 4 août 2022 par laquelle le juge des référés a rejeté sa demande.
2. D'une part, aux termes de l'article R. 541-1 du code de justice administrative : " Le juge des référés peut, même en l'absence d'une demande au fond, accorder une provision au créancier qui l'a saisi lorsque l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable. Il peut, même d'office, subordonner le versement de la provision à la constitution d'une garantie. ". Aux termes de l'article R. 541-3 du même code : " Sous réserve des dispositions du douzième alinéa de l'article R. 811-1, l'ordonnance rendue par le président du tribunal administratif ou par son délégué est susceptible d'appel devant la cour administrative d'appel dans la quinzaine de sa notification. ". Aux termes de l'article L. 555-1 du code de justice administrative : " Sans préjudice des dispositions du titre II du livre V du présent code, le président de la cour administrative d'appel ou le magistrat qu'il désigne à cet effet est compétent pour statuer sur les appels formés devant les cours administratives d'appel contre les décisions rendues par le juge des référés. ". Il résulte des dispositions de l'article R. 541-1 du code de justice administrative que, pour regarder une obligation comme non sérieusement contestable, il appartient au juge des référés de s'assurer que les éléments qui lui sont soumis par les parties sont de nature à en établir l'existence avec un degré suffisant de certitude. Dans ce cas, le montant de la provision que peut allouer le juge des référés n'a d'autre limite que celle résultant du caractère non sérieusement contestable de l'obligation dont les parties font état.
3. D'autre part, aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ". Aux termes de l'article D. 349 du code de procédure pénale, alors applicable : " L'incarcération doit être subie dans des conditions satisfaisantes d'hygiène et de salubrité, tant en ce qui concerne l'aménagement et l'entretien des bâtiments, le fonctionnement des services économiques et l'organisation du travail, que l'application des règles de propreté individuelle et la pratique des exercices physiques ". Aux termes des articles D. 350 et D. 351 du même code, alors applicables, d'une part, " Les locaux de détention et, en particulier, ceux qui sont destinés au logement, doivent répondre aux exigences de l'hygiène, compte tenu du climat, notamment en ce qui concerne le cubage d'air, l'éclairage, le chauffage et l'aération " et, d'autre part, " Dans tout local où les détenus séjournent, les fenêtres doivent être suffisamment grandes pour que ceux-ci puissent lire et travailler à la lumière naturelle. L'agencement de ces fenêtres doit permettre l'entrée d'air frais. La lumière artificielle doit être suffisante pour permettre aux détenus de lire ou de travailler sans altérer leur vue. Les installations sanitaires doivent être propres et décentes. Elles doivent être réparties d'une façon convenable et leur nombre proportionné à l'effectif des détenus ". En raison de la situation d'entière dépendance des personnes détenues vis-à-vis de l'administration pénitentiaire, l'appréciation du caractère attentatoire à la dignité des conditions de détention dépend notamment de leur vulnérabilité, appréciée compte tenu de leur âge, de leur état de santé, de leur personnalité et, le cas échéant, de leur handicap, ainsi que de la nature et de la durée des manquements constatés et eu égard aux contraintes qu'implique le maintien de la sécurité et du bon ordre dans les établissements pénitentiaires. Les conditions de détention s'apprécient au regard de l'espace de vie individuel réservé aux personnes détenues, de la promiscuité engendrée, le cas échéant, par la sur-occupation des cellules, du respect de l'intimité à laquelle peut prétendre tout détenu, dans les limites inhérentes à la détention, de la configuration des locaux, de l'accès à la lumière, de l'hygiène et de la qualité des installations sanitaires et de chauffage. Seules des conditions de détention qui porteraient atteinte à la dignité humaine, appréciées à l'aune de ces critères et des dispositions précitées du code de procédure pénale, révèlent l'existence d'une faute de nature à engager la responsabilité de la puissance publique. Une telle atteinte, si elle est caractérisée, est de nature à engendrer, par elle-même, un préjudice moral pour la personne qui en est la victime qu'il incombe à l'Etat de réparer. A conditions de détention constantes, le seul écoulement du temps aggrave l'intensité du préjudice subi.
4. Les seules conclusions du rapport de la visite du contrôleur général des lieux de privations de liberté effectuée au centre de détention d'Argentan du 30 novembre au 9 décembre 2015 invoquées par M. A... ne sont pas de nature à établir de manière non sérieusement contestable les conditions indignes de sa détention, eu égard au fait qu'il n'y a été incarcéré qu'à compter du 6 août 2019 et dans la mesure où il n'allègue pas dans quelles mesure il aurait précisément et personnellement subi les traitements qu'il dénonce. Par ailleurs, il ne résulte pas de l'instruction que comme il le soutient il aurait été privé de lumière naturelle pendant de longues périodes, ce qui a aurait nui à son état de santé. S'il conteste les conditions de son enfermement, notamment sous régime fermé ou contrôlé, il n'est pas contesté qu'il a toujours disposé d'un espace individuel supérieur à 3 m² lors de son séjour à Argentan et il ne résulte pas de l'instruction, alors que les dires de première instance de l'administration selon lesquels le quartier disciplinaire comporte des cellules de 9,50 m² équipées d'une fenêtre oscillo-battante électrique et permet l'accès à un vestiaire et à deux cours de promenade de 46 m², ne sont pas précisément, ni sérieusement contestés et que le contrôleur général des lieux de privations de liberté avait relevé en 2015 que les fenêtres de ces cellules étaient munies de caillebotis, sans indiquer si ce dispositif avait pour effet de priver son occupant d'une luminosité naturelle suffisante, que M. A... aurait été soumis à un régime et des conditions de détention non justifiés par les contraintes qu'impliquent le maintien de la sécurité et du bon ordre dans les établissements pénitentiaires, ce y compris s'agissant de la durée de sa détention en régime fermé ou contrôlé en raison de son propre comportement caractérisé par les très nombreux rapports d'incidents l'impliquant, notamment pour des insultes et menaces envers le personnel pénitentiaire du centre de détention d'Argentan et la dissimulation d'un couvercle aiguisé de boîte de conserve en métal et d'une fourchette. Si M. A... ajoute qu'il a fait l'objet d'une agression de la part de personnel pénitentiaire les 6 et 7 janvier 2020, qui lui aurait laissé des séquelles pendant plusieurs jours, le fait qu'il justifie de la réalité de dommages corporels et avoir porté plainte pour ce motif ne suffit pas à établir les faits allégués alors que l'intéressé ne produit pas d'éléments relatifs aux suites judiciaires données à sa plainte.
5. Par ailleurs, quand bien même M. A... produit deux certificats médicaux établissant que son état de santé nécessite une alimentation régulière et équilibrée et qu'il résulte de l'instruction qu'il n'a pas pu disposer durant son séjour dans plusieurs établissements pénitentiaires de plaques chauffantes individuelles fonctionnelles, il ne justifie pas de manière non sérieusement contestable, faute en particulier de tout justificatif d'une dégradation significative de son état de santé et du caractère fréquent de l'absence de repas servis chauds dans les établissements pénitentiaires dans lesquels il a été incarcéré, de conditions de détention qui porteraient atteinte à la dignité humaine du seul fait qu'il n'a pas pu disposer de cet équipement optionnel.
6. En outre, si M. A... soutient qu'il n'aurait pas pu appeler sa famille à la suite du décès de son père, il ne l'établit pas, ni, en tout état de cause que cette circonstance n'aurait pas été justifiée par son propre comportement. Il résulte de l'instruction qu'il a bénéficié de trois visites pendant sa période de détention à Argentan et il n'est pas établi que le nombre de ses transfèrements serait justifié par d'autre motifs que les contraintes qu'implique le maintien de la sécurité et du bon ordre dans les établissements pénitentiaires et son propre comportement. Et, à supposer même que certains de ces transfèrements soient irréguliers, cette circonstance n'est pas de nature à caractériser les conditions indignes de détention alléguées par M. A..., ni même une atteinte disproportionnée à son droit au respect de la vie privée et familiale au sens de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
7. Enfin, il ne résulte pas de l'instruction que l'administration pénitentiaire aurait refusé à M. A... le droit de travailler sans motif valable, alors notamment que la commission pluridisciplinaire unique (CPU) a émis des avis défavorables à ses demandes de travail en raison de son attitude en détention.
8. Ainsi, dans les circonstances de l'espèce, les conditions de détention de M. A... n'ont pas atteint un degré de gravité tel que l'obligation invoquée puisse être regardée comme non sérieusement contestable. Il en résulte que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le juge des référés du tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, sa requête doit être rejetée.
ORDONNE :
Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.
Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à M. B... A... et au garde des sceaux, ministre de la justice.
Fait à Nantes, le 1er février 2023.
Le magistrat désigné,
S. Derlange
La République mande et ordonne au garde des sceaux, ministre de la justice et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 22NT02748