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15/04/1999 | FRANCE | N°98NT00412

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, Pleniere, 15 avril 1999, 98NT00412


Vu la requête, enregistrée au greffe de la Cour le 19 février 1998, présentée pour la société "Mammoet Stoof Vof", dont le siège est Verlingkade 15-1815 AH Breda (Pays-Bas), par Me Y..., avocat au barreau de Paris ;
La société "Mammoet Stoof Vof" demande à la Cour :
1 ) d'annuler l'ordonnance n 97-1899 du 3 février 1998 par laquelle le président du Tribunal administratif de Rouen, statuant en matière de référé, a ordonné, à la demande de la société en nom collectif "Quille-Bruere-G.C.H.-Patrizio-Chrétien-Lesage" (S.N.C. "Quille"), une expertise aux fins, notamment

, de donner tous éléments utiles d'appréciation sur la ou les causes des do...

Vu la requête, enregistrée au greffe de la Cour le 19 février 1998, présentée pour la société "Mammoet Stoof Vof", dont le siège est Verlingkade 15-1815 AH Breda (Pays-Bas), par Me Y..., avocat au barreau de Paris ;
La société "Mammoet Stoof Vof" demande à la Cour :
1 ) d'annuler l'ordonnance n 97-1899 du 3 février 1998 par laquelle le président du Tribunal administratif de Rouen, statuant en matière de référé, a ordonné, à la demande de la société en nom collectif "Quille-Bruere-G.C.H.-Patrizio-Chrétien-Lesage" (S.N.C. "Quille"), une expertise aux fins, notamment, de donner tous éléments utiles d'appréciation sur la ou les causes des dommages résultant de l'effondrement, sur la chaussée de la route nationale 15 Paris-Le Havre, du tablier de 415 tonnes destiné au remplacement du pont-rail des Champs-Barrets, et fournir tous éléments techniques ou de fait de nature à permettre à la juridiction du fond de se prononcer sur les responsabilités encourues et les préjudices subis ;
2 ) de rejeter la demande présentée par la S.N.C. "Quille" devant le Tribunal administratif de Rouen ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la loi du 28 pluviôse an VIII ;
Vu la convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, signée à Bruxelles ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu la loi n 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience,
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 18 mars 1999 :
- le rapport de M. CADENAT, président,
- les observations de Me X..., se substituant à Me PREEL, avocat de la S.N.C. "Quille",
- les observations de Me HUC, avocat de la S.N.C.F.,
- les observations de Me Z..., se substituant à Me NABA, avocat de la société "C.M.T." et de la société "Cochez",
- et les conclusions de M. LALAUZE, commissaire du gouvernement ;

Considérant qu'aux termes de l'article 1er de la convention de Bruxelles du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale : "La présente convention s'applique en matière civile et commerciale et quelle que soit la nature de la juridiction. Elle ne recouvre notamment pas les matières fiscales, douanières ou administratives ..." ;
Considérant que, par une lettre de commande du 24 avril 1997, la direction de Rouen de la Société nationale des chemins de fer français (S.N.C.F.) a confié à la société en nom collectif "Quille-Bruere-G.C.H.-Patrizio-Chrétien-Lesage" (S.N.C. "Quille"), mandataire du groupement d'entreprises "Quille - Société de Constructions métalliques tourangelles", la réalisation de travaux consistant dans le remplacement du pont-rail des Champs-Barrets, situé sur la ligne Paris-Le Havre ; que la S.N.C. "Quille" a obtenu l'agrément de la S.N.C.F. pour sous-traiter la démolition de l'ouvrage existant et la manutention du nouveau tablier métallique à la société "Cochez", laquelle a, à son tour, sous-traité les opérations de manutention à la société de droit néerlandais "Lastra" ; que cette dernière a confié l'exécution de ces opérations à la société "Mammoet Stoof Vof", également de droit néerlandais ; que, le 22 août 1997, au cours de la man uvre de mise en place du nouveau tablier, celui-ci s'est effondré sur la ... ; que, par une ordonnance du 3 février 1998, le président du Tribunal administratif de Rouen, statuant en matière de référé, a prescrit, à la demande de la S.N.C. "Quille", une expertise portant sur les éléments de fait relatifs à la cause des dommages résultant de l'effondrement de l'ouvrage, aux responsabilités encourues et aux préjudices subis ; qu'à l'appui de son appel, la société "Mammoet Stoof Vof" soutient que le juge administratif des référés ne pouvait prononcer cette mesure dès lors qu'elle avait saisi du fond de l'affaire le Tribunal de grande instance de Breda (Pays-Bas) et que, le litige étant insusceptible de relever des matières administratives exclues du champ d'application de la convention de Bruxelles en vertu de son article 1er précité, il y avait lieu de faire application des stipulations de cette convention ;
Considérant que, si la lettre de commande du 24 avril 1997 susmentionnée est relative à un marché de travaux publics, le fond du litige qui pourrait survenir entre la S.N.C.F. et les différents participants à l'opération de remplacement du pont-rail des Champs-Barrets ou entre ces participants eux-mêmes, ne pourrait mettre en cause, eu égard aux circonstances de l'espèce, que les conditions d'exécution des marchés passés entre ces parties ; que le litige, qui ne peut, ainsi, se rattacher à une décision d'une autorité publique agissant dans l'exercice de la puissance publique, ne relève pas des matières administratives exclues du champ d'application de la convention de Bruxelles au sens de son article 1er précité ; que, dès lors, la société "Mammoet Stoof Vof" est fondée à soutenir que c'est à tort que, par l'ordonnance attaquée, le président du Tribunal administratif a écarté ses conclusions tendant à ce qu'il soit fait application, en l'espèce, des stipulations de la convention de Bruxelles ;

Considérant, toutefois, qu'il appartient à la Cour administrative d'appel, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par la société requérante tant devant le juge des référés du Tribunal administratif de Rouen que devant la Cour ;
Considérant, d'une part, qu'aux termes de l'article 21 de la convention de Bruxelles : "Lorsque des demandes ayant le même objet et la même cause sont formées entre les mêmes parties devant des juridictions d'Etats contractants différents, la juridiction saisie en second lieu sursoit d'office à statuer jusqu'à ce que la compétence du tribunal premier saisi soit établie. - Lorsque la compétence du tribunal premier saisi est établie, le tribunal saisi en second lieu se dessaisit en faveur de celui-ci" ; que, toutefois, l'article 24 de cette même convention stipule : "Les mesures provisoires ou conservatoires prévues par la loi d'un Etat contractant peuvent être demandées aux autorités judiciaires de cet Etat, même si, en vertu de la présente convention, une juridiction d'un autre Etat contractant est compétente pour connaître du fond" ; qu'en vertu de ces dernières stipulations, la double circonstance que le Tribunal de grande instance de Breda aurait été saisi du fond de l'affaire avant le juge des référés du Tribunal administratif de Rouen et qu'une clause d'attribution de compétence en faveur du Tribunal de Breda ait figuré dans les conditions générales de la société "Lastra", dont la société "Mammoet Stoof Vof" était sous-traitante, ne faisaient pas obstacle, contrairement à ce que soutient la société requérante, à ce que le juge administratif des référés ordonnât l'expertise sollicitée, laquelle est au nombre des mesures provisoires ou conservatoires mentionnées à l'article 24 de la convention ;
Considérant, d'autre part, ainsi que le relève l'ordonnance attaquée, que le pont-rail en cause, destiné à être implanté sur le domaine public ferroviaire de la S.N.C.F., constituait un ouvrage public affecté à l'exécution de la mission de service public de transport assurée par cet établissement public, et que les travaux de remplacement de ce pont-rail étaient des travaux publics, nonobstant le caractère industriel et commercial de la S.N.C.F. ; que, le fond du litige étant, ainsi, de nature à relever, fût-ce pour partie, de la compétence de la juridiction administrative, le président du Tribunal administratif de Rouen ne pouvait refuser de faire droit à la demande dont il était saisi ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la société "Mammoet Stoof Vof" n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par l'ordonnance attaquée, le président du Tribunal administratif de Rouen a écarté ses conclusions tendant au rejet de la demande d'expertise dont il était saisi ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel :

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, en application des dispositions de l'article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel, de condamner, d'une part, la société "Mammoet Stoof Vof" à payer à la S.N.C.F. la somme de 5 000 F que celle-ci demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens, et, d'autre part, les sociétés "Mammoet Stoof Vof" et "Lastra" à payer chacune à la S.N.C. "Quille" la somme de 5 000 F que cette dernière demande au même titre ;
Article 1er : La requête de la société "Mammoet Stoof Vof" est rejetée.
Article 2 : La société "Mammoet Stoof Vof" versera à la Société nationale des chemins de fer français une somme de cinq mille francs (5 000 F) au titre de l'article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel.
Article 3 : Les sociétés "Mammoet Stoof Vof" et "Lastra" verseront chacune à la société en nom collectif "Quille-Bruere-G.C.H.-Patrizio-Chrétien- Lesage" une somme de cinq mille francs (5 000 F) au titre de l'article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société "Mammoet Stoof Vof", à la société en nom collectif "Quille-Bruere-G.C.H.-Patrizio-Chrétien- Lesage", à la Société nationale des chemins de fer français, à la Société de Constructions métalliques tourangelles, à la société "Cochez", à la société "Lastra" et au ministre de l'équipement, des transports et du logement.


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : Pleniere
Numéro d'arrêt : 98NT00412
Date de la décision : 15/04/1999
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Référé

Analyses

- RJ1 ACTES LEGISLATIFS ET ADMINISTRATIFS - DIFFERENTES CATEGORIES D'ACTES - ACCORDS INTERNATIONAUX - APPLICATION PAR LE JUGE FRANCAIS - Convention de Bruxelles du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale - Notion de "matières administratives" exclues du champ d'application de la convention de Bruxelles - Existence - Litige se rattachant à l'exécution d'un marché public - Contestation insusceptible de porter sur l'exercice de la puissance publique (1).

01-01-02-02 Société de droit néerlandais chargée, en vertu d'un marché de travaux publics conclu par la S.N.C.F. avec une société française et de divers contrats de sous-traitance, de la manutention d'un pont-rail destiné à remplacer un précédent ouvrage. A la suite de l'effondrement de ce pont-rail, demande d'expertise introduite par la société française auprès du juge des référés du tribunal administratif de Rouen. Société de droit néerlandais ayant saisi du fond de l'affaire un tribunal néerlandais et contestant la compétence du tribunal administratif en excipant des stipulations de la convention de Bruxelles relatives aux situations de litispendance. Aux termes de l'article 1er de la convention de Bruxelles du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale : "La présente convention s'applique en matière civile et commerciale et quelle que soit la nature de la juridiction. Elle ne recouvre notamment pas les matières fiscales, douanières ou administratives ...". En l'espèce, le fond du litige qui pourrait survenir entre la S.N.C.F. et les différents participants à l'opération de remplacement du pont-rail ou entre ces participants, ne pourrait mettre en cause que les conditions d'exécution des marchés passés entre ces parties. Ce litige, qui ne peut, ainsi, se rattacher à une décision d'une autorité publique agissant dans l'exercice de la puissance publique, ne relève pas des matières administratives exclues du champ d'application de la convention de Bruxelles au sens de son article 1er précité. Dès lors, la société de droit néerlandais est fondée à soutenir que c'est à tort que le juge des référés du tribunal administratif a écarté ses conclusions tendant à ce qu'il soit fait application, en l'espèce, des stipulations de la convention de Bruxelles.

COMPETENCE - COMPETENCE DE LA JURIDICTION FRANCAISE - EXISTENCE - Convention de Bruxelles du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale - Compétence du juge français administratif des référés pour prescrire une expertise relative à l'exécution d'un marché de travaux publics - alors même qu'une juridiction d'un autre Etat partie à la convention est saisie du fond du litige.

17-01-01, 54-03-011-01 Société de droit néerlandais chargée, en vertu d'un marché de travaux publics conclu par la S.N.C.F. avec une société française et de divers contrats de sous-traitance, de la manutention d'un pont-rail destiné à remplacer un précédent ouvrage. A la suite de l'effondrement de ce pont-rail, demande d'expertise introduite par la société française auprès du juge des référés du tribunal administratif de Rouen. Société de droit néerlandais ayant saisi du fond de l'affaire un tribunal néerlandais et contestant la compétence du tribunal administratif en excipant des stipulations de la convention de Bruxelles relatives aux situations de litispendance. D'une part, aux termes de l'article 21 de la convention de Bruxelles du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, applicable : "Lorsque des demandes ayant le même objet et la même cause sont formées entre les mêmes parties devant des juridictions d'Etats contractants différents, la juridiction saisie en second lieu sursoit d'office à statuer jusqu'à ce que la compétence du tribunal premier saisi soit établie. Lorsque la compétence du tribunal premier saisi est établie, le tribunal saisi en second lieu se dessaisit en faveur de celui-ci". Toutefois, l'article 24 de cette même convention stipule : "Les mesures provisoires ou conservatoires prévues par la loi d'un Etat contractant peuvent être demandées aux autorités judiciaires de cet Etat, même si, en vertu de la présente convention, une juridiction d'un autre Etat contractant est compétente pour connaître du fond". La double circonstance que le tribunal néerlandais aurait été saisi du fond de l'affaire avant le juge des référés du tribunal administratif de Rouen et qu'une clause d'attribution de compétence en faveur de ce tribunal néerlandais ait figuré dans les conditions générales de la société, également de droit néerlandais, dont l'entreprise requérante était sous-traitante, ne faisaient nullement obstacle à ce que le juge administratif des référés ordonnât la mesure d'expertise sollicitée, laquelle est au nombre des mesures provisoires ou conservatoires mentionnées à l'article 24 de la convention. D'autre part, le pont-rail en cause, destiné à être implanté sur le domaine public ferroviaire de la S.N.C.F., constituait un ouvrage public affecté à l'exécution de la mission de service public de transport assurée par cet établissement public, et les travaux de remplacement de ce pont-rail étaient des travaux publics, nonobstant le caractère industriel et commercial de la S.N.C.F.. Le fond du litige étant ainsi de nature à relever, fût-ce pour partie, eu égard aux parties éventuellement appelées au fond, de la compétence de la juridiction administrative, le président du tribunal administratif ne pouvait refuser de faire droit à la demande dont il était saisi.

PROCEDURE - PROCEDURES D'URGENCE - REFERE TENDANT AU PRONONCE D'UNE MESURE D'EXPERTISE OU D'INSTRUCTION - COMPETENCE - Convention de Bruxelles du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale - Compétence du juge français administratif des référés pour prescrire une expertise relative à l'exécution d'un marché de travaux publics - alors même qu'une juridiction d'un autre Etat partie à la convention est saisie du fond du litige.


Références :

Code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel L8-1

1.

Cf. CJCE, 1976-10-14, L.T.U. c/ Eurocontrol, p. 1541 ;

CJCE, 1980-12-16, Etat néerlandais c/ Rüffer, p. 3807 ;

CJCE, 1993-04-21, Sonntag c/ Waidmann, p. 1963


Composition du Tribunal
Président : M. Vandermeeren
Rapporteur ?: M. Cadenat
Rapporteur public ?: M. Lalauze

Origine de la décision
Date de l'import : 05/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;1999-04-15;98nt00412 ?
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