Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La commune de la Chapelle-Saint-Luc a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne de condamner la société Albingia à lui verser à titre de provision la somme de 2 060 220,62 euros, augmentée des intérêts au taux légal à compter du 8 avril 2022, eux-mêmes capitalisés, en exécution de ses obligations contractuelles tenant à sa qualité d'assureur dommages ouvrage de la piscine municipale.
Par une ordonnance n° 2300308 du 28 avril 2023, le juge des référés du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a condamné la société Albingia à verser une provision de 2 060 220,62 euros à la commune de La Chapelle-Saint-Luc en sa qualité d'assureur dommages ouvrage pour des désordres apparus à la suite de travaux de reconstruction de la piscine municipale.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 26 mai 2023, la société Albingia, représentée par Me Bock, demande à la cour :
1°) d'annuler l'ordonnance du 28 avril 2023 du juge des référés du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne en tant qu'elle l'a condamné à verser une provision de 2 060 220,62 euros à la commune de La Chapelle Saint-Luc et à payer la somme de 2 000 euros au titre de l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
2°) de limiter toute condamnation à verser une provision à la somme maximale de 1 511 416,50 euros ;
3°) de mettre à la charge de la commune de La Chapelle Saint-Luc la somme de 5 000 euros à lui verser au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le tribunal administratif a jugé à tort que le coût des travaux strictement nécessaires à la reprise des désordres déclarés au titre de l'assurance dommages ouvrage qu'elle est tenue de prendre en charge correspondait au coût des travaux de réparation retenu par l'expert ;
- elle n'est tenue de verser à la commune de La Chapelle-Saint-Luc que la somme de 1 511 416 ,50 euros au titre de l'assurance dommages ouvrage souscrite car les désordres affectant le bassin sportif concernent un ouvrage situé hors de l'assiette de l'assurance dommages ouvrage.
Par un mémoire en défense, enregistré le 4 juillet 2023, la commune de La Chapelle-Saint-Luc, représentée par Me Lemoult, demande à la cour :
1°) de rejeter la requête d'appel de la société Albingia ;
2°) de mettre à la charge de la société Albingia une somme de 5000 euros à lui verser au titre de l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le rapport de l'expert privé rémunéré par la société Albingia est intervenu postérieurement à la remise du rapport de l'expert désigné par le juge des référés et n'a pas fait l'objet d'une procédure contradictoire ;
- l'assureur dommages ouvrage est obligé de réparer les désordres constatés par l'assuré qui ne sont que la persistance des désordres d'origine, de nature décennale, lorsque les premiers travaux se sont révélés inefficaces pour y remédier.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code des assurances ;
- le code de justice administrative.
Considérant ce qui suit :
1. La commune de La Chapelle-Saint-Luc a, dans le cadre de travaux de reconstruction de sa piscine municipale, souscrit en sa qualité de maître d'ouvrage, une police d'assurance dommages ouvrage auprès de la société Albingia. Les travaux ont été réceptionnés sans réserve avec effet au 17 mars 2009. Cependant, dès la mise en service de la piscine, des fuites affectant le bassin sportif sont apparues. Une expertise amiable a été diligentée et a conclu, en 2012, à une rupture d'adhérence à l'interface étanchéité/colle à carrelage. Cette expertise préconisait une reprise intégrale du carrelage. Les désordres constatés se sont étendus, conduisant la ville à des déclarations de sinistre successives entre 2014 et 2018. La commune de La Chapelle-Saint-Luc a saisi le juge des référés du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne sur le fondement des dispositions de l'article R.532-1 du code de justice administrative pour qu'il ordonne une expertise en vue de constater les désordres affectant le complexe aquatique. Par une décision du 9 septembre 2019, le juge des référés a ordonné l'expertise sollicitée. Cette expertise a conclu le 27 janvier 2022 à l'existence de désordres. Ces désordres résultent, selon l'expert, d'une mise en œuvre du mortier colle non conforme aux règles de l'art, à une mauvaise pose de tous les siphons, faisant obstacle à l'écoulement de l'eau et à un mauvais dosage en ciment de la chape. A la suite de cette expertise, la commune de La Chapelle-Saint-Luc a sollicité auprès de la société Albingia le versement de la somme de 2 060 220,62 euros au titre de l'assurance dommages ouvrage qu'elle a souscrite. La société Albingia a refusé de verser cette somme et a proposé de verser à son assurée la somme de 1 511 416, 50 euros. Dans le cadre de la présente instance, la société Albingia forme appel de de l'ordonnance rendue le 28 avril 2023 par le juge des référés du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne qui la condamne à verser une provision de 2 060 220,62 euros à la commune de La Chapelle-Saint-Luc en sa qualité d'assureur dommages-ouvrage pour des désordres apparus à la suite de travaux de reconstruction de la piscine municipale de cette commune.
Sur la demande de provision :
2. Aux termes de l'article R. 541-1 du code de justice administrative : " Le juge des référés peut, même en l'absence d'une demande au fond, accorder une provision au créancier qui l'a saisi lorsque l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable. Il peut, même d'office, subordonner le versement de la provision à la constitution d'une garantie. ". Pour faire application de ces dispositions et regarder une obligation comme non sérieusement contestable, il appartient au juge des référés de s'assurer que les éléments qui lui sont soumis par les parties sont de nature à en établir l'existence avec un degré suffisant de certitude. Dans ce cas, le montant de la provision que peut allouer le juge des référés n'a d'autre limite que celle résultant du caractère non sérieusement contestable de l'obligation dont les parties font état.
3. Aux termes de l'article L 242-1 du code des assurances : " Toute personne physique ou morale qui, agissant en qualité de propriétaire de l'ouvrage, de vendeur ou de mandataire du propriétaire de l'ouvrage, fait réaliser des travaux de construction, doit souscrire avant l'ouverture du chantier, pour son compte ou pour celui des propriétaires successifs, une assurance garantissant, en dehors de toute recherche des responsabilités, le paiement de la totalité des travaux de réparation des dommages de la nature de ceux dont sont responsables les constructeurs au sens de l'article 1792-1, les fabricants et importateurs ou le contrôleur technique sur le fondement de l'article 1792 du code civil. Toutefois, l'obligation prévue au premier alinéa ci-dessus ne s'applique ni aux personnes morales de droit public, ni aux personnes morales assurant la maîtrise d'ouvrage dans le cadre d'un contrat de partenariat conclu en application de l'article 1er de l'ordonnance n° 2004-559 du 17 juin 2004 sur les contrats de partenariat, ni aux personnes morales exerçant une activité dont l'importance dépasse les seuils mentionnés au dernier alinéa de l'article L. 111-6, lorsque ces personnes font réaliser pour leur compte des travaux de construction pour un usage autre que l'habitation. L'assureur a un délai maximal de soixante jours, courant à compter de la réception de la déclaration du sinistre, pour notifier à l'assuré sa décision quant au principe de la mise en jeu des garanties prévues au contrat. Lorsqu'il accepte la mise en jeu des garanties prévues au contrat, l'assureur présente, dans un délai maximal de quatre-vingt-dix jours, courant à compter de la réception de la déclaration du sinistre, une offre d'indemnité, revêtant le cas échéant un caractère provisionnel et destinée au paiement des travaux de réparation des dommages. En cas d'acceptation, par l'assuré, de l'offre qui lui a été faite, le règlement de l'indemnité par l'assureur intervient dans un délai de quinze jours (...).
Ces dispositions instituent une procédure spécifique de préfinancement des travaux de réparation des désordres couverts par la garantie décennale avant toute recherche de responsabilité et, par suite, l'assureur ne peut exiger de l'assuré la réalisation de ces travaux avant le versement de l'indemnité prévue par ces dispositions.
4. Il résulte de l'instruction que la société Albingia ne conteste pas devoir sa garantie au titre des désordres de nature décennale qui lui ont effectivement été déclarés mais soutient que le tribunal administratif a jugé à tort que le coût des travaux strictement nécessaires à la reprise des désordres déclarés au titre de l'assurance dommages ouvrage qu'elle est tenue de prendre en charge correspondait au coût des travaux de réparation retenu par l'expert et qu' elle n'est tenue de verser à la commune de La Chapelle-Saint-Luc que la somme de 1 511 416 ,50 euros au titre de l'assurance dommages ouvrage souscrite car les désordres affectant le bassin sportif concernent un ouvrage situé hors de l'assiette de l'assurance dommages ouvrage. Pour justifier cette affirmation, elle se fonde notamment sur un rapport d'un économiste de la construction, le cabinet néo construction, qu'elle a commandé.
5. En premier lieu, au regard des dispositions précitées de l'article L 242-1 du code des assurances, le fait que la société Snidaro aurait effectué en 2012 des travaux de réparation défectueux du bassin sportif ne justifie pas l'absence de mise en œuvre de l'assurance dommages ouvrage pour les nouvelles réparations nécessaires.
6. En second lieu, il n'est pas établi par le seul rapport du cabinet Néo construction, réalisé sur pièces moins de 3 mois après la remise du rapport de l'expert désigné par le juge des référés sans solliciter les observations de la commune de la Chapelle-Saint-Luc, que le coût des travaux concernant le poste " lot fluides " peut être ramené à 173 856, 80 euros grâce à une mise en concurrence et une négociation avec les entreprises.
7. En dernier lieu, les frais de l'expert engagés par la commune de La Chapelle-Saint-Luc lors de l'expertise ordonnée par le juge des référés, sont liés aux travaux de réparation nécessaires.
8. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que l'existence de l'obligation n'était pas sérieusement contestable, en l'espèce, et que la société Albingia n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par l'ordonnance attaquée, le juge des référés du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne l'a condamné à verser une provision de 2 060 220,62 euros à la commune de La Chapelle-Saint-Luc en sa qualité d'assureur dommages ouvrage pour des désordres apparus à la suite de travaux de reconstruction de la piscine municipale. Par suite, sa requête doit être rejetée.
Sur les frais liés au litige :
9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de la commune de La Chapelle-Saint-Luc, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante le versement de la somme que la société Albingia demande au titre des frais qu'elle a exposé et non compris dans les dépens.
Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Albingia une somme de 2000 euros au titre des frais exposés par la commune de la Chapelle-Saint-Luc et non compris dans les dépens.
ORDONNE:
Article 1er : La requête de la société Albingia est rejetée.
Article 2 : La société Albingia versera à la commune de La Chapelle Saint-Luc la somme de 2 000 euros au titre de l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à la société Albingia et à la commune de La Chapelle-Saint-Luc.
La présidente de la Cour
Signé : P. Rousselle
La République mande et ordonne à la préfète de l'Aube en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 23NC01638