(Première Chambre)
VU le recours du ministre de l'intérieur, enregistré au greffe de la Cour le 20 février 1995 ;
Le ministre de l'intérieur demande à la Cour :
1 ) - d'annuler le jugement n° 922790 en date du 20 décembre 1994 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a condamné l'Etat à verser d'une part, à la société Criblage et Concassage Lorrain la somme de 30 000F, et d'autre part, à la Compagnie des Assurances Générales de France la somme de 7 924 016F, ces sommes portant intérêts légaux respectivement à compter du 19 février 1992 et du 29 mars 1992 ;
2 ) - de rejeter la demande présentée par cette société et cette compagnie d'assurances devant le tribunal administratif de Strasbourg ;
VU le mémoire en défense, enregistré le 25 avril 1996, présenté pour la Société Criblage et Concassage Lorrain et les Assurances Générales de France, par Me X... avocat ; la Société Criblage et Concassage Lorrain et les Assurances Générales de France dont le siège est situé respectivement ... (Moselle) et ... concluent au rejet du recours et à la condamnation de l'Etat à leur verser à chacune une somme de 10 000F au titre de l'article L-8.1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
VU l'ordonnance en date du 29 janvier 1997 du président de la 1ère Chambre clôturant l'instruction au 14 février 1997 ;
VU le jugement attaqué ;
VU les autres pièces du dossier ;
VU la loi n° 83-8 du 7 janvier 1983 modifiée ;
VU le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
VU la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Les parties ayant été dûment averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 10 avril 1997 :
- le rapport de M. SAGE, président-rapporteur ;
- et les conclusions de M. COMMENVILLE, Commissaire du Gouvernement ;
Sur le moyen tiré de l'absence d'attroupement et de rassemblement :
Considérant qu'aux termes de l'article 92 de la loi du 7 janvier 1983 : "L'Etat est civilement responsable des dégâts et dommages résultant des crimes et délits commis, à force ouverte ou par violence, par des attroupements ou rassemblements armés ou non armés, soit contre les personnes, soit contre les biens. Il peut exercer une action récursoire contre la commune, lorsque la responsabilité de celle-ci se trouve engagée" ;
Considérant qu'après avoir déposé un préavis de grève le 12 septembre 1991 à 22 heures, environ 150 mineurs de fer grévistes des puits de Mairy-Mainville (Meurthe et Moselle), de Roncourt et de Moyeuvre-Grande (Moselle) ont, le 13 septembre 1991 à partir de 6 heures, quitté le carreau de leur mine, à bord de véhicules utilitaires et de 26 chargeurs-transporteurs utilisés à l'extraction du minerai, puis pris la direction du port de Richemont (Moselle) où sont implantées plusieurs sociétés industrielles chargées du traitement du charbon ou de l'acheminement du minerai de fer, en provenance d'Afrique du Sud et d'Amérique du Sud et destinés à la sidérurgie lorraine ; que, parmi les grévistes, les conducteurs de chargeurs de minerai ont dès leur arrivée au port vers 8 heures, et en présence des forces de gendarmerie, entrepris à l'aide de ces engins et pendant 3 heures ininterrompues, la destruction des installations portuaires, notamment celles de la société Criblage et Concassage Lorrain ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction que si les détériorations volontaires, qui ont un lien étroit avec le mouvement de grève, n'ont pas été commises par l'ensemble des mineurs réunis sur le port de Richemont, il ne résulte pas des pièces du dossier que leurs auteurs, qui n'ont pas formellement été identifiés, aient agi, soit de manière tout à fait isolée et exclusivement en leur nom personnel, soit en se fondant dans une organisation ou un groupe disposant d'une identité propre, ou encore parallèlement au rassemblement dans le cadre d'une action concertée, rapide et préméditée assimilable à une opération de commando ; que ces actes délictuels doivent être regardés, contrairement à ce que soutient le ministre, comme ayant été commis par un attroupement ou rassemblement au sens des dispositions précitées de la loi du 7 janvier 1983 ;
Sur le moyen tiré de la cause exonératoire de la responsabilité de l'Etat à raison de la faute du tiers :
Considérant que pour exonérer l'Etat de la responsabilité prévue par l'article 92 précité, le ministre de l'intérieur ne saurait utilement se prévaloir du fait du tiers constitué par la faute qu'auraient commis les sociétés minières en ne prenant pas les mesures nécessaires pour empêcher les mineurs grévistes de prendre possession des 26 chargeurs-transporteurs ;
Considérant qu'il résulte de l'ensemble de ce qui précède que le ministre de l'intérieur n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a retenu l'entière responsabilité de l'Etat à l'égard de la Société Criblage et Concassage Lorrain et la Compagnie des Assurances Générales de France ;
Sur les conclusions tendant à l'allocation des sommes non comprises dans les dépens :
Considérant qu'aux termes de l'article L 8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel : "Dans toutes les instances devant les tribunaux et les cours administratives d'appel, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation" ;
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, en application des dispositions précitées, de condamner l'Etat à payer une somme de 5 000F, d'une part à la SA Compagnie des Assurances Générales de France et d'autre part à la société Criblage et de concassage Lorrain.
Article 1 : Le recours du ministre de l'intérieur est rejeté.
Article 2 : L'Etat versera une somme de 5 000F, d'une part à la SA compagnie des Assurances Générales de France et d'autre part à la société de Criblage et de Concassage Lorrain au titre de l'article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur, à la SA Compagnie des Assurances Générales de France, et à la Société de Criblage et Concassage Lorrain. Copie en sera remise au Préfet de la Région Lorraine, préfet de la Moselle.