Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Sogea Côte d'Azur et la société Vinci Construction Maritime et Fluvial ont demandé au juge des référés du tribunal administratif de Nice de condamner le syndicat intercommunal des communes alimentées par les canaux de la Siagne et du Loup (Sicasil) à leur verser, sur le fondement de l'article R. 541-1 du code de justice administrative, une provision de 1 029 532,20 euros à valoir sur le règlement du solde du marché public de travaux dont elles étaient ensemble titulaires, portant sur le renouvellement ou le renforcement de canalisations.
Par une ordonnance n° 1904884 du 23 décembre 2019, le juge des référés du tribunal administratif de Nice a rejeté cette demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 7 janvier 2020 et un mémoire complémentaire produit le 16 mars 2020, la société Sogea Côte d'Azur et la société Vinci Construction Maritime et Fluvial, représentées par Me B..., demandent à la Cour :
1°) d'annuler cette ordonnance ;
2°) de condamner le Sicasil à leur verser, sur le fondement de l'article R. 541-1 du code de justice administrative, une provision de 1 029 532,20 euros à valoir sur le règlement du solde du marché public de travaux dont elles étaient titulaires, avec intérêts moratoires à compter du 25 juin 2019 ;
3°) de condamner le Sicasil à leur verser la somme de 4 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elles soutiennent que :
- sa requête, qui n'est pas la reproduction de ses écritures de première instance, est parfaitement recevable ;
- l'ordonnance attaquée est entachée d'irrégularité, le tribunal ne leur ayant pas ménagé un temps suffisant pour répliquer au mémoire en défense du Sicasil ;
- la créance litigieuse n'est pas sérieusement contestable, au sens de l'article R. 541-1 du code de justice administrative, dès lors que :
• sa demande ne pouvait se voir opposer les stipulations de l'article 50 du cahier des clauses administratives générales applicable aux marchés de travaux, dès lors qu'elle porte sur le paiement du solde arrêté, de façon intangible, par le décompte général et définitif du marché ;
• il a été satisfait aux exigences de l'article R. 421-1 du code de justice administrative, lequel n'exige pas que la demande préalable soit chiffrée
• le Sicasil a laissé naître un décompte général tacite, le 25 mai 2019 en application de l'article 13.4.4 du cahier des clauses administratives générales ;
• les réserves formulées lors de la réception n'ont pu faire échec à l'intervention de ce décompte tacite, dès lors qu'elles sont fondées sur l'article 41.6 du même cahier, et non sur son article 41.5 ;
• la mise en place, par le nouveau cahier des clauses administratives générales, d'une procédure pouvant aboutir à un décompte général tacite interdit au maître de l'ouvrage de se prévaloir du droit de surseoir à l'établissement du décompte ;
• le projet de décompte comportait l'ensemble des éléments requis et, notamment, faisait apparaître la taxe sur la valeur ajoutée ; les prix du marché n'étant ni révisables ni actualisables, il n'avait aucune mention à comporter à cet égard ;
• la circonstance que ce projet de décompte final a été transmis plus de trente jours après la réception est sans incidence
• ce décompte ne peut, sans diffamation, être argué de fraude ;
• il est par ailleurs exempt de toute erreur ou omission au sens de l'article 1269 du code de procédure civile ;
• ce décompte lie définitivement les parties et le Sicasil ne pouvait prétendre, par son courrier du 17 juin 2019, le rectifier, les stipulations invoquées étant d'ailleurs celles de l'ancienne rédaction du cahier des clauses administratives générales ;
• l'intangibilité du décompte fait également obstacle à ce que le Sicasil se prévale du principe selon lequel une personne publique ne peut être condamnée à verser une somme qu'elle ne doit pas ;
• les intérêts sont dus à compter de l'expiration du délai réglementaire de paiement du solde, soit trente jours en vertu de l'article 2 du décret du 29 mars 2013.
Par des mémoires en défense enregistrés les 12 février et 30 mars 2020, le Sicasil, représenté par Me A..., conclut :
1°) au rejet de la requête ;
2°) subsidiairement à la condamnation de la société TPF Ingénierie à le relever et garantir de toute condamnation qui viendrait à être prononcée contre lui ;
3°) à la condamnation des sociétés SOGEA Côte d'Azur et Vinci Construction Maritime et Fluvial à lui verser, chacune, la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- les sociétés requérantes reprennent leurs écritures de première instance sans critiquer l'ordonnance attaquée ;
- en vertu de l'article R. 541-1 du code de justice administrative, la provision ne peut être accordée que si l'obligation est quasiment certaine ;
- le premier juge a estimé à bon droit que la demande de provision était irrecevable au regard de l'article 50 du cahier des clauses administratives générales, le courrier du 27 juin 2019, non chiffré, ne pouvant être regardé comme une réclamation au sens de ces stipulations ;
- en admettant que cet article 50 soit inapplicable, la demande devait alors être jugée irrecevable au regard de l'article R. 421-1 du code de justice administrative ;
- les sociétés requérantes ne sauraient se prévaloir d'un décompte retraçant des quantités non livrées et de prestations non exécutées, avec un solde de plus d'un million d'euros quand le montant du marché était de 640 470 euros TTC ;
- ce décompte est entaché de fraude sur les quantités mises en oeuvre et d'erreurs, d'omissions et de présentations inexactes ;
- les travaux n'ont été réalisés qu'à hauteur de 586 985.49 euros TTC ;
- en tout état de cause, en vertu d'un principe d'ordre public, une personne publique ne saurait être condamnée au paiement d'une somme qu'elle ne doit pas ;
- aucun décompte général tacite n'a pu naître, le projet de décompte des entreprises ne faisant pas ressortir certains des éléments prévus par l'article 13.2.1 du cahier des clauses administratives générales, en particulier le montant de la taxe sur la valeur ajoutée, l'effet de l'actualisation ou de la révision des prix ;
- en outre, les entreprises n'ont pas respecté le délai de transmission du projet de décompte final prévu par l'article 13.3.2 du cahier des clauses administratives générales et ont accompli cette formalité dans un délai qui ne saurait être regardé comme raisonnable ;
- le décompte ne pouvait être établi, les travaux, en l'absence de levée des réserves, n'étant pas achevés ;
- le maître de l'ouvrage a toujours la faculté de surseoir à statuer sur l'établissement du décompte en cas de manquement du titulaire du marché, et notamment tant que les réserves ne sont pas levées ;
- la société TPFI, maître d'oeuvre, engage sa garantie en raison de son inertie lors de la procédure d'établissement du décompte général.
La requête a été communiquée à la société TPF Ingénierie, qui n'a pas produit d'observations.
La société Sogea Côte d'Azur et la société Vinci Construction Maritime et Fluvial ont produit, le 8 juin 2020, de nouvelles pièces qui, sans rapport avec le litige, n'ont pas été communiquées.
Par ordonnance du 14 mai 2020, la clôture de l'instruction a été fixée au 9 juin 2020.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de procédure civile ;
- l'ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics ;
- le décret n° 2013-269 du 29 mars 2013 relatif à la lutte contre les retards de paiement dans les contrats de la commande publique ;
- l'arrêté du 8 septembre 2009 modifié portant approbation du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de travaux ;
- le code de justice administrative.
Vu la décision du 1er septembre 2019 par laquelle la présidente de la Cour administrative d'appel de Marseille a désigné M. David Zupan, président de la sixième chambre, pour juger les appels formés contre les décisions rendues par les juges des référés des tribunaux du ressort.
Considérant ce qui suit :
1. Par acte d'engagement du 5 janvier 2017, le syndicat intercommunal des communes alimentées par les canaux de la Siagne et du Loup (Sicasil) a confié à un groupement d'entreprises composé de la société Sogea Côte d'Azur, mandataire, et de la société CTS les travaux de renouvellement et de renforcement de la canalisation d'eau potable située entre la pointe de la Croisette et l'île de Sainte-Marguerite, sur le territoire de la commune de Cannes, la maîtrise d'oeuvre de cette opération étant quant à elle assumée par la société TPF Ingénierie a été désignée en qualité de maître d'oeuvre des travaux. Par lettre du 27 juin 2019, la société Sogea Côte d'Azur, estimant que la procédure de reddition des comptes avait abouti à l'intervention d'un décompte général tacite et désormais définitif, a mis le Sicasil en demeure d'en acquitter le solde, soit 1 029 532,20 euros TTC. Faute d'avoir obtenu satisfaction, elle a sollicité en référé, de concert avec la société Vinci Construction Maritime et Fluvial, venue aux droits de la société CTS, une provision du même montant, augmenté des intérêts moratoires à compter du 25 juin 2019. Ces deux sociétés relèvent appel de l'ordonnance, en date du 23 décembre 2019, par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Nice a rejeté cette demande.
Sur la recevabilité de la requête :
2. La requête d'appel des sociétés Sogea Côte d'Azur et Vinci Construction Maritime et Fluvial ne constitue pas la reproduction littérale de leurs écritures de première instance et développent une critique de l'ordonnance attaquée. Elle répond ainsi aux exigences des dispositions de l'article R. 411-1 du code de justice administrative et ne saurait être jugée irrecevable ;
Sur la régularité de l'ordonnance attaquée :
4. Aux termes de l'article L. 5 du code de justice administrative : " L'instruction des affaires est contradictoire. Les exigences de la contradiction sont adaptées à celles de l'urgence (...) ". Aux termes de l'article R. 611-1 du même code, " La requête (...) et le premier mémoire de chaque défendeur sont communiqués aux parties avec les pièces jointes dans les conditions prévues aux articles R. 611-1, R. 611-5 et R. 611-6. / Les répliques, autres mémoires et pièces sont communiqués s'ils contiennent des éléments nouveaux ".
5. Il ressort de l'examen du dossier de première instance que le mémoire en défense du Sicasil a été communiqué aux sociétés Sogea Côte d'Azur et Vinci Construction Maritime et Fluvial le 17 décembre 2019, accompagné d'un courrier du greffe du tribunal les invitant à produire leurs éventuelles observations " dans les meilleurs délais " et " aussi rapidement que possible ", cela " afin de ne pas retarder la mise en état ".
6. Même si elles insistaient sur la nécessité d'une réaction rapide, les indications ainsi portées dans la transmission du mémoire en défense ne permettaient pas aux sociétés Sogea Côte d'Azur et Vinci Construction Maritime et Fluvial, en l'absence de date déterminée, de connaître le délai dans lequel elle pouvait utilement produire ses observations en réplique, de sorte que, l'affaire ne donnant pas lieu à audience et donc à l'envoi d'un avis lui fixant par lui-même une échéance, ces sociétés n'ont pas été mises en mesure de présenter de telles observations avant que, à peine une semaine plus tard, le juge ne statue. L'ordonnance attaquée a donc été rendue à l'issue d'une procédure irrégulière et doit pour ce motif être annulée.
7. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par les sociétés Sogea Côte d'Azur et Vinci Construction Maritime et Fluvial devant le juge des référés du tribunal administratif de Nice.
Sur la recevabilité de la demande de première instance :
8. En premier lieu, aux termes de l'article 50 du cahier des clauses administratives générales applicable aux marchés publics de travaux, auquel renvoie sans restriction l'article 25 du cahier des clauses administratives particulières du marché litigieux : " 50.1. Mémoire en réclamation : 50.1.1. Si un différend survient entre le titulaire et le maître d'oeuvre, sous la forme de réserves faites à un ordre de service ou sous toute autre forme, ou entre le titulaire et le représentant du pouvoir adjudicateur, le titulaire rédige un mémoire en réclamation. / Dans son mémoire en réclamation, le titulaire expose les motifs de son différend, indique, le cas échéant, les montants de ses réclamations et fournit les justifications nécessaires correspondant à ces montants. Il transmet son mémoire au représentant du pouvoir adjudicateur et en adresse copie au maître d'oeuvre ".
9. Contrairement à ce que soutiennent les sociétés requérantes, ces stipulations s'appliquent à tout différend né de l'exécution du marché, y compris celui résultant du refus du maître de l'ouvrage de procéder au règlement du solde du marché tel qu'il a été déterminé par un décompte général dûment établi, notifié et devenu définitif.
10. Toutefois, il résulte en l'espèce de l'instruction que, par lettre du 27 juin 2019, la société Sogea Côte d'Azur a mis le Sicasil en demeure de lui payer le solde du marché, en exposant les raisons pour lesquelles son projet de décompte général, déterminant ce solde, avait donné lieu, en application de l'article 13.4.4 du cahier des clauses administratives générales, à l'intervention d'un décompte général définitif tacite. Ce courrier satisfait ainsi à l'exigence de motivation imposée par les stipulations de l'article 50.1.1 précité du même cahier, quand bien même il n'est chiffré que par référence au décompte général, et constitue le mémoire en réclamation prévu par ces stipulations. La fin de non-recevoir tirée de l'inaccomplissement de la formalité préalable prévue par celles-ci doit dès lors être écartée.
11. En second lieu, le Sicasil ne peut en tout état de cause utilement invoquer les dispositions de l'article R. 421-1 du code de justice administrative en vertu desquelles " Lorsque la requête tend au paiement d'une somme d'argent, elle n'est recevable qu'après l'intervention de la décision prise par l'administration sur une demande préalablement formée devant elle ", dès lors que, selon le troisième alinéa de ce même article, dans sa rédaction en vigueur à l'époque de la saisine du tribunal, " Les mesures prises pour l'exécution d'un contrat ne constituent pas des décisions au sens du présent article ".
Sur le bien-fondé de la demande de provision :
12. Aux termes de l'article R. 541-1 du code de justice administrative : " Le juge des référés peut, même en l'absence d'une demande au fond, accorder une provision au créancier qui l'a saisi lorsque l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable. Il peut, même d'office, subordonner le versement de la provision à la constitution d'une garantie ". Il résulte de ces dispositions que, pour regarder une obligation comme non sérieusement contestable, il appartient au juge des référés de s'assurer que les éléments qui lui sont soumis par les parties sont de nature à en établir l'existence avec un degré suffisant de certitude.
En ce qui concerne l'existence d'un décompte général définitif tacite :
13. Aux termes de l'article 13 du cahier des clauses administratives générales applicable aux marchés de travaux : " 13.3. Demande de paiement finale : 13.3.1. Après l'achèvement des travaux, le titulaire établit le projet de décompte final, concurremment avec le projet de décompte mensuel afférent au dernier mois d'exécution des prestations ou à la place de ce dernier. / Ce projet de décompte final est la demande de paiement finale du titulaire, établissant le montant total des sommes auquel le titulaire prétend du fait de l'exécution du marché dans son ensemble, son évaluation étant faite en tenant compte des prestations réellement exécutées. / Le projet de décompte final est établi à partir des prix initiaux du marché, comme les projets de décomptes mensuels, et comporte les mêmes parties que ceux-ci, à l'exception des approvisionnements et des avances. Ce projet est accompagné des éléments et pièces mentionnés à l'article 13.1.7 s'ils n'ont pas été précédemment fournis. / (...) 13.3.2. Le titulaire transmet son projet de décompte final, simultanément au maître d'oeuvre et au représentant du pouvoir adjudicateur, par tout moyen permettant de donner une date certaine, dans un délai de trente jours à compter de la date de notification de la décision de réception des travaux telle qu'elle est prévue à l'article 41.3 ou, en l'absence d'une telle notification, à la fin de l'un des délais de trente jours fixés aux articles 41.1.3 et 41.3. / Toutefois, s'il est fait application des dispositions de l'article 41.5, la date du procès-verbal constatant l'exécution des travaux visés à cet article est substituée à la date de notification de la décision de réception des travaux comme point de départ des délais ci-dessus. / S'il est fait application des dispositions de l'article 41.6, la date de notification de la décision de réception des travaux est la date retenue comme point de départ des délais ci-dessus. / 13.3.3. Le maître d'oeuvre accepte ou rectifie le projet de décompte final établi par le titulaire. Le projet accepté ou rectifié devient alors le décompte final. (...) 13.4. Décompte général. - Solde : 13.4.1. Le maître d'oeuvre établit le projet de décompte général, qui comprend : - le décompte final ; - l'état du solde, établi à partir du décompte final et du dernier décompte mensuel, dans les mêmes conditions que celles qui sont définies à l'article 13.2.1 pour les acomptes mensuels ; - la récapitulation des acomptes mensuels et du solde. / (...) Le maître d'oeuvre transmet le projet de décompte général au représentant du pouvoir adjudicateur dans un délai compatible avec les délais de l'article 13.4.2. / 13.4.2. Le projet de décompte général est signé par le représentant du pouvoir adjudicateur et devient alors le décompte général. / Le représentant du pouvoir adjudicateur notifie au titulaire le décompte général à la plus tardive des deux dates ci-après : - trente jours à compter de la réception par le maître d'oeuvre de la demande de paiement finale transmise par le titulaire ; - trente jours à compter de la réception par le représentant du pouvoir adjudicateur de la demande de paiement finale transmise par le titulaire. 13.4.4. Si le représentant du pouvoir adjudicateur ne notifie pas au titulaire le décompte général dans les délais stipulés à l'article 13.4.2, le titulaire notifie au représentant du pouvoir adjudicateur, avec copie au maître d'oeuvre, un projet de décompte général signé, composé : - du projet de décompte final tel que transmis en application de l'article 13.3.1 ; - du projet d'état du solde hors révision de prix définitive, établi à partir du projet de décompte final et du dernier projet de décompte mensuel, faisant ressortir les éléments définis à l'article 13.2.1 pour les acomptes mensuels ; - du projet de récapitulation des acomptes mensuels et du solde hors révision de prix définitive. / Dans un délai de dix jours à compter de la réception de ces documents, le représentant du pouvoir adjudicateur notifie le décompte général au titulaire. Le décompte général et définitif est alors établi dans les conditions fixées à l'article 13.4.3. / Si, dans ce délai de dix jours, le représentant du pouvoir adjudicateur n'a pas notifié au titulaire le décompte général, le projet de décompte général transmis par le titulaire devient le décompte général et définitif. Le délai de paiement du solde, hors révisions de prix définitives, court à compter du lendemain de l'expiration de ce délai. / Le décompte général et définitif lie définitivement les parties, sauf en ce qui concerne les montants des révisions de prix et des intérêts moratoires afférents au solde ".
14. Par ailleurs, l'article 41 du même cahier, relatif aux opérations de réception, stipule : " 41.3 Au vu du procès-verbal des opérations préalables à la réception et des propositions du maître d'oeuvre, le maître de l'ouvrage décide si la réception est ou non prononcée ou si elle est prononcée avec réserves. S'il prononce la réception, il fixe la date qu'il retient pour l'achèvement des travaux. La décision ainsi prise est notifiée au titulaire dans les trente jours suivant la date du procès-verbal. / La réception prend effet à la date fixée pour l'achèvement des travaux. / Sauf le cas prévu à l'article 41.1.3, à défaut de décision du maître de l'ouvrage notifiée dans le délai précisé ci-dessus, les propositions du maître d'oeuvre s'imposent au maître de l'ouvrage et au titulaire. (...) / 41.5. S'il apparaît que certaines prestations prévues par les documents particuliers du marché et devant encore donner lieu à règlement n'ont pas été exécutées, le maître de l'ouvrage peut décider de prononcer la réception, sous réserve que le titulaire s'engage à exécuter ces prestations dans un délai qui n'excède pas trois mois. (...) / 41.6. Lorsque la réception est assortie de réserves, le titulaire doit remédier aux imperfections et malfaçons correspondantes dans le délai fixé par le représentant du pouvoir adjudicateur ou, en l'absence d'un tel délai, trois mois avant l'expiration du délai de garantie défini à l'article 44.1 ".
15. D'une part, il résulte de l'instruction que les opérations préalables à la réception ont donné lieu, le 19 juillet 2017, à l'établissement d'un procès-verbal et d'un relevé de propositions du maître d'oeuvre retenant le 22 juin 2017 comme date d'achèvement des travaux et invitant le Sicosil, maître de l'ouvrage, à prononcer la réception avec différentes réserves relatives à la protection des ancres, à la transmission du dossier des ouvrages exécutés et au dispositif de lestage. Les sociétés Sogea Côte d'Azur et Vinci Construction Maritime et Fluvial soutiennent, sans être contredites, qu'aucune décision de réception n'a ensuite été prise par la personne responsable du marché. Dès lors, la réception est réputée avoir été prononcée, en vertu de l'article 41.3 du cahier des clauses administratives générales, trente jours plus tard, soit le 18 juillet 2017. Les réserves dont elle a été assortie, ainsi qu'il ressort sans ambiguïté des documents mentionnés ci-dessus, relèvent de l'article 41.6 du même cahier et non de son article 41.5, de sorte que la société Sogea Côte d'Azur pouvait valablement, à compter du 18 juillet 2017, transmettre son projet de décompte final, sans que l'engagement de la procédure de reddition des comptes du marché soit reporté à l'établissement du procès-verbal mentionné au deuxième alinéa de l'article 13.3.2. Le respect du délai imparti par ce même article au titulaire du marché pour transmettre son projet de décompte final ne constituant pas une formalité dont la méconnaissance est de nature à faire obstacle à l'établissement d'un décompte général et définitif tacite, le Sicasil ne se prévaut pas utilement de la circonstance que la société Sogea Côte d'Azur n'a accompli cette formalité que près de dix-huit mois après la réception.
16. D'autre part, la demande de paiement finale ainsi transmise, qui a été reçue le 28 décembre 2018 par le Sicasil et le 2 janvier 2019 par la société TPF Ingénierie, maître d'oeuvre, comporte l'ensemble des éléments requis par l'article 13.3.1 du cahier des clauses administratives générales. L'allégation du Sicasil selon laquelle ce projet de décompte final ne ferait pas apparaître la taxe sur la valeur ajoutée manque manifestement en fait, tandis qu'il est inutilement argué du défaut de mention de l'effet de l'actualisation ou de la révision des prix, le marché ayant été conclu à prix ferme et sans formule d'actualisation.
17. Le projet de décompte ayant été valablement établi et transmis par la société Sogea Côte d'Azur ainsi qu'il vient d'être dit, le Sicasil disposait d'un délai de trente jours, courant à compter du 2 janvier 2019, pour notifier le décompte général du marché, à défaut de quoi, il était loisible à la société Sogea Côte d'Azur, en vertu de l'article 13.4.4 du cahier des clauses administratives générales, de prendre elle-même l'initiative de l'envoi d'un projet de décompte général, ce qu'elle a fait le 29 avril 2018. Ce document a été reçu le lendemain par le Sicasil et le 14 mai suivant par la société TPF Ingénierie. Si le Sicasil entend rappeler qu'il appartient au maître de l'ouvrage, lorsqu'il lui apparaît que la responsabilité de l'un des participants à l'opération de construction est susceptible d'être engagée à raison de fautes commises dans l'exécution du contrat, de surseoir à l'établissement du décompte jusqu'à ce que sa créance puisse y être intégrée, un tel sursis ne peut faire échec à l'intervention d'un décompte général tacite, sauf à priver de portée utile l'article 13.4.4 du cahier des clauses administratives générales, que s'il résulte d'une décision expresse, dont il n'est pas justifié en l'espèce.
18. Enfin, il est constant que le Sicasil n'a notifié son propre décompte général que le 17 juin 2019, soit après l'expiration du délai de dix jours prévu par l'article 13.4.4 du cahier des clauses administratives générales, qui avait couru à compter du 14 mai 2019. Le décompte de la société Sogea Côte d'Azur est ainsi devenu, le 25 mai 2019, le décompte général et définitif du marché.
En ce qui concerne les conséquences du décompte général et définitif tacite :
19. Aux termes, en premier lieu, de l'article 1269 du code de procédure civile : " Aucune demande en révision de compte n'est recevable, sauf si elle est présentée en vue d'un redressement en cas d'erreur, d'omission ou de présentation inexacte ". Il résulte de ces dispositions que l'approbation sans réserves du décompte général ou, comme en l'espèce, l'intervention d'un décompte général définitif tacite interdit toute réclamation ou exception ultérieure des parties, en dehors du cas de fraude ou de la révélation d'erreurs ou d'omissions purement matérielles.
20. D'une part, le Sicasil, en se bornant à souligner l'écart existant entre le prix initial du marché, soit 660 470,40 euros TTC, et le montant du solde réclamé par les sociétés requérantes ne démontre aucunement le caractère frauduleux des indications portées sur le décompte général définitif tacite, lesquelles, au demeurant, ne sont que la reprise du projet de décompte final transmis en juillet 2018, lequel était assorti d'un mémoire en réclamation détaillant l'ensemble des postes de travaux supplémentaires ou d'indemnisations de sujétions expliquant cet écart. L'allégation selon laquelle une partie des travaux prévus par les spécifications du marché et dont la rémunération figure pourtant dans ce décompte, à la supposer établie, ne saurait par elle-même suffire à démontrer l'existence de manoeuvres frauduleuses auxquelles se seraient livrées les sociétés Sogea Côte d'Azur et Vinci Construction Maritime et Fluvial.
21. D'autre part, ni les inexactitudes, surévaluations de quantités mises en oeuvres, défauts d'exécution ou malfaçons dont il est fait état par le Sicasil, ni la remise en cause des différentes postes de travaux supplémentaires ou des droits à indemnisation pour intempéries, ajournements de chantier et reprises de dégradations revendiqués par les sociétés requérantes ne peuvent être regardés comme correspondant à de simples erreurs ou omissions matérielles au sens de l'article 1269 précité du code de procédure civile.
22. En second lieu, compte tenu de la portée de la règle d'intangibilité du décompte général et définitif, rappelée notamment par le dernier alinéa précité de l'article 13.4.4 du cahier des clauses administratives générales, le Sicasil ne saurait se prévaloir du principe selon lequel une personne publique ne peut pas être condamnée à payer une somme qu'elle ne doit pas pour contester le bien-fondé de la créance des sociétés Sogea Côte d'Azur et Vinci Construction Maritime et Fluvial.
23. Il résulte de tout ce qui précède que l'obligation pécuniaire invoquée par les sociétés Sogea Côte d'Azur et Vinci Construction Maritime et Fluvial doit être regardée, en l'état de l'instruction, comme non sérieusement contestable au sens de l'article R. 541-1 du code de justice administrative, cela tant en son montant qu'en son principe. Ces sociétés sont ainsi fondées à solliciter la condamnation du Sicasil à leur verser une provision d'un montant de 1 029 532,20 euros TTC.
Sur les intérêts moratoires :
24. En vertu des articles 1er et 2 du décret du 29 mars 2013 relatif à la lutte contre les retards de paiement dans les contrats de la commande publique, applicable au marché en litige, le délai de paiement du solde du marché litigieux est de trente jours et a couru à compter de la date à laquelle est intervenu le décompte général et définitif tacite, soit, ainsi qu'il a été dit, le 25 mai 2019.
25. Selon l'article 8 du même décret : " Le taux des intérêts moratoires est égal au taux d'intérêt appliqué par la Banque centrale européenne à ses opérations principales de refinancement les plus récentes, en vigueur au premier jour du semestre de l'année civile au cours duquel les intérêts moratoires ont commencé à courir, majoré de huit points de pourcentage. / Les intérêts moratoires courent à compter du jour suivant l'échéance prévue au contrat ou à l'expiration du délai de paiement jusqu'à la date de mise en paiement du principal incluse ". Le taux d'intérêt appliqué par la Banque centrale européenne à ses opérations principales de refinancement les plus récentes était fixé à 0 % au cours du premier semestre de l'année 2019.
26. Ainsi, les sociétés Sogea Côte d'Azur et Vinci Construction Maritime ont droit aux intérêts de la somme de 1 029 532,20 euros TTC à compter du 25 juin 2019, au taux de 8 %.
Sur les conclusions d'appel en garantie dirigées contre la société TPF Ingénierie :
27. Si le Sicasil reproche à la société TPF Ingénierie un manque de diligence dans la vérification des projets de décompte de la société Sogea Côte d'Azur, il n'apporte aucune précision sur les manquements ainsi reprochés à son maître d'oeuvre et, notamment, n'indique pas la date à laquelle ce dernier lui a transmis le décompte général notifié tardivement le 17 juin 2019. En outre, s'il se plaint, sans davantage de démonstration, de n'avoir pas été avisé par la société TPF Ingénierie du risque d'intervention d'un décompte général définitif tacite, le Sicasil n'était pas lui-même censé ignorer les délais fixés par l'article 13 précité du cahier des clauses administratives générales et les conséquences de leur expiration. Dans ces conditions, la faute contractuelle alléguée n'apparaît pas suffisamment caractérisée, en l'état de l'instruction, pour permettre d'engager la garantie de la société TPF Ingénierie.
Sur les frais liés au litige :
28. Il y a lieu de mettre à la charge du Sicasil, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, le paiement aux sociétés Sogea Côte d'Azur et Vinci Construction Maritime et Fluvial d'une somme globale de 2 000 euros au titre des frais non compris dans les dépens. Le Sicasil étant partie perdante à l'instance, ses conclusions accessoires présentées sur le même fondement ne peuvent quant à elles qu'être rejetées.
O R D O N N E :
Article 1er : L'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Nice n° 1904884 du 23 décembre 2019 est annulée.
Article 2 : Le Sicasil versera aux sociétés Sogea Côte d'Azur et Vinci Construction Maritime et Fluvial une provision d'un montant de 1 029 532,20 euros TTC, augmentée des intérêts moratoires au taux de 8 % à compter du 25 juin 2019.
Article 3 : Le Sicasil versera aux sociétés Sogea Côte d'Azur et Vinci Construction Maritime et Fluvial une somme globale de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Les conclusions du Sicasil tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : La présente ordonnance sera notifiée à la société Sogea Côte d'Azur, à la société Vinci Construction Maritime et Fluvial, au Syndicat intercommunal des communes alimentées par les canaux de la Siagne et du Loup (Sicasil) et à la société TPF Ingénierie.
Fait à Marseille, le 10 juin 2020
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N° 20MA00033