Vu, enregistrée le 8 mars 1993 au greffe de la cour, la demande présentée par la société Centre Cuir, dont le siège est ... représentée par son gérant en exercice ;
La société demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 17 décembre 1992 par lequel le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande tendant à obtenir décharge de l'impôt sur les sociétés auquel elle a été assujettie au titre des exercices clos en 1980, 1981 et 1982 ;
2°) de prononcer la décharge des impositions contestées ;
3°) de condamner l'Etat à lui rembourser les frais exposés en première instance et en appel ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 27 septembre 1995 :
- le rapport de M. PANAZZA, président-rapporteur ;
- les observations de Me MERCIER, avocat de la société Centre Cuir ;
- et les conclusions de M. BONNAUD, commissaire du gouvernement ;
Sur l'application de la loi fiscale :
Considérant qu'aux termes de l'article 44 ter du code général des impôts : "Les bénéfices réalisés pendant l'année de leur création et chacune des deux années suivantes par les entreprises industrielles visées à l'article 44 bis, créées avant le premier janvier 1982, sont exonérés d'impôt sur les sociétés ..." ;
Considérant que la société à responsabilité limitée Centre Cuir conteste les rehaussements d'impôt sur les sociétés mis à sa charge au titre des exercices clos le 31 décembre 1980, le 30 septembre 1981 et le 31 décembre 1982, après que l'administration ait estimé, à l'issue d'une vérification de comptabilité, qu'elle ne pouvait prétendre au bénéfice des allègements d'impôt prévus par les dispositions précitées ;
Considérant que la société requérante, qui a la charge de prouver qu'elle remplit les conditions d'une exonération, fait valoir que son objet social, tel qu'il est défini par ses statuts, comporte la réalisation d'opérations industrielles et commerciales se rapportant à la fabrication et à la commercialisation d'articles de maroquinerie, qu'elle achète des matières premières qu'elle ne revend pas en l'état, qu'elle possède du matériel de fabrication et qu'enfin, elle conçoit des gammes de produits ; qu'il résulte toutefois de l'instruction que cette société, créée en juin 1980, ne disposait, pour la période en cause, d'aucun atelier mais seulement de bureaux et d'une aire de stockage, qu'elle n'employait aucun façonnier mais seulement des manutentionnaires, que l'essentiel de son outillage était mis à la disposition de ses sous-traitants dans leurs locaux, qu'elle se contentait en fait de commercialiser les produits finis qu'elle avait conçus ; que, dans ces circonstances, la société Centre Cuir doit être regardée non comme une entreprise industrielle au sens des dispositions précitées, mais comme un négociant, et ne peut, à ce titre, bénéficier de l'exonération instituée par la loi au profit des entreprises industrielles ;
Sur l'application de la doctrine administrative :
Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'instruction administrative du 18 avril 1979, parue au B.O. 4-A-8-79, dont la société Centre Cuir invoque le bénéfice sur le fondement de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales : "Le régime spécial des articles 44 bis et ter ... peut être invoqué ... par les entreprises commerciales à condition, bien entendu, que celles-ci à hauteur d'au moins les 2/3 de leurs équipements, emploient les mêmes biens que les entreprises industrielles dans les mêmes conditions que celles-ci" ; que l'instruction précise "que le fait de donner en location un bien amortissable d'après le mode dégressif ne peut être regardé comme une utilisation industrielle de ce bien -il en est ainsi qu'il s'agisse d'une location simple ou d'une opération de crédit-bail" ;
Considérant que l'administration soutient qu'en mettant son outillage à la disposition de ses sous-traitants dans leurs locaux, la société ne satisfait pas à la condition d'utilisation prévue par l'instruction ; qu'il est toutefois constant que la société Centre Cuir est propriétaire ou locataire de ces outillages et ne perçoit aucun loyer en contrepartie de l'utilisation à son profit de ces matériels ; qu'elle peut à tout moment reprendre cet outillage aux sous-traitants, lesquels n'en incluent pas le coût de revient dans le prix de vente des produits livrés à Centre Cuir ; qu'elle supporte les frais d'assurances et pratique l'amortissement des biens lui appartenant ; que, dans ces circonstances, la société Centre Cuir doit être regardée comme ayant disposé, pour les besoins de sa propre activité professionnelle des outillages confiés aux sous-traitants, et, par suite, employé ces biens dans les mêmes conditions qu'une entreprise industrielle aurait pu le faire ;
Considérant, en deuxième lieu, qu'aux termes de l'article 22 de l'annexe II au code général des impôts, pris pour l'application de l'article 39 A du même code : "Les entreprises passibles de l'impôt sur les sociétés ... peuvent amortir suivant un système dégressif ... ci-après : matériels et outillages utilisés pour des opérations industrielles de fabrication, de transformation ..." ; qu'il résulte de l'instruction qu'à la clôture du deuxième exercice d'activité les matériels acquis par la société Centre Cuir et qu'elle a fait figurer au numérateur, pour établir qu'elle possédait des biens amortissables selon le mode dégressif, d'un montant de 36 001,50 francs, représentaient au moins les deux tiers du prix de revient total de ses immobilisations corporelles amortissables s'élevant à 41 895,90 francs et étaient utilisés par ses sous-traitants pour la fabrication des produits dont elle fait le négoce ; que lesdits matériels correspondent effectivement à des équipements susceptibles d'un amortissement dégressif ;
Considérant, en troisième lieu, que l'instruction du 18 avril 1979 susmentionnée, prévoit qu'au nombre des biens amortissables selon le mode dégressif peuvent figurer les matériels pris en location pour une durée de deux ans ou plus ; qu'il résulte de l'instruction qu'au 30 septembre 1981, date de clôture de son second exercice, la société Centre Cuir ne pouvait justifier d'une durée de location suffisante de la machine plombeuse automatique STOFFEL, pour lui permettre de la faire figurer parmi les biens susceptibles d'un amortissement dégressif ; que toutefois, même en excluant cet outillage, elle justifie comme il a été dit ci-dessus, d'une proportion suffisante d'équipements amortissables selon le mode dégressif ;
Considérant qu'il résulte de l'ensemble de ce qui précède que la société SODICRA, qui vient désormais aux droits de la société Centre Cuir est fondée à soutenir, dès lors qu'il n'est pas contesté qu'elle remplit les autres conditions prévues par l'instruction précitée, que c'est à tort, que par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande ;
Sur les frais exposés :
Considérant que si la société Centre Cuir n'a pas présenté devant le tribunal administratif de conclusions tendant au remboursement des frais exposés en première instance, cette circonstance ne fait pas obstacle à ce qu'elle présente une telle demande pour la première fois en appel ; que dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu, en application de l'article L. 8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel, de condamner l'Etat à verser à la société requérante une somme de 6 000 francs au titre de l'ensemble des frais exposés en première instance et en appel ;
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Lyon en date du 12 décembre 1992 est annulé.
Article 2 : La société Centre Cuir est déchargée des cotisations à l'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 1980, 1981 et 1982, du fait du refus de l'administration de la regarder comme une entreprise nouvelle.
Article 3 : L'Etat versera à la société Centre Cuir une somme de six mille francs (6 000 francs) au titre des frais exposés.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.