Vu, enregistré au greffe de la cour le 18 janvier 1993, le recours présenté par le ministre d'Etat, ministre de l'éducation nationale et de la culture ;
Le ministre d'Etat, ministre de l'éducation nationale et de la culture demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Grenoble en date du 16 novembre 1992 qui a condamné l'Etat à payer une somme de 721 384 francs, assortie des intérêts au taux légal, à la société SOGEC en raison de fouilles entreprises à Montélimar et à payer les frais d'expertise ;
2°) de rejeter la demande de la société SOGEC ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la loi du 21 décembre 1913 ;
Vu la loi du 27 septembre 1941 validée par l'ordonnance du 13 septembre 1945 ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 15 février 1995 :
- le rapport de M. QUENCEZ, conseiller ;
- les observations de Me OLLIVIER, avocat de la société SOGEC ;
- et les conclusions de M. BONNAUD, commissaire du gouvernement ;
Considérant que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a déclaré l'Etat responsable du préjudice subi par la société SOGEC du fait de l'intervention de la direction régionale des antiquités historiques sur une partie du terrain qu'elle avait acquis le 4 mars 1982 et pour lequel elle avait obtenu une autorisation de lotir et l'a condamné à payer à cette société une indemnité d'un montant de 721 384 francs augmentée des intérêts au taux légal ; que le ministre fait appel de ce jugement en contestant d'abord le principe de sa responsabilité et ensuite l'évaluation faite des différents chefs de préjudice ;
Sur la compétence du tribunal administratif de Grenoble :
Considérant qu'aux termes de l'article R. 58 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel : "Les actions en responsabilité fondées sur une cause autre que la méconnaissance d'un contrat ou d'un quasi contrat et dirigées contre l'Etat, les autres personnes publiques ou les organismes privés gérant un service public relèvent :
1) lorsque le dommage invoqué est imputable à une décision qui a fait ou qui aurait pu faire l'objet d'un recours en annulation devant un tribunal administratif, de la compétence de ce tribunal ( ...)." ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction que le préjudice invoqué par la société SOGEC est imputable aux décisions prises par la direction régionale des antiquités historiques Rhône-Alpes dont le siège est à Lyon ; qu'ainsi, le tribunal administratif de Lyon était compétent pour en connaître ; que, par suite, le jugement du tribunal administratif de Grenoble doit être annulé ;
Considérant qu'il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur les demandes présentées par la société SOGEC devant le tribunal administratif de Grenoble ;
Sur la responsabilité de l'Etat :
Considérant qu'aux termes de l'article 14 de la loi du 27 septembre 1941 validée par l'ordonnance du 13 septembre 1945 : "Lorsque par suite de travaux ou d'un fait quelconque, des monuments, des ruines ... vestiges ...ou généralement des objets pouvant intéresser la préhistoire, l'histoire, l'art, l'archéologie ou la numismatique sont mis à jour ...le secrétaire général des beaux arts peut faire visiter les lieux où les découvertes ont été effectuées ainsi que les locaux où les objets ont été déposés et prescrire toutes mesures utiles pour leur conservation." ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction qu'à la suite de la mise à jour de vestiges archéologiques au cours de fouilles sur une partie du terrain dont la société SOGEC était propriétaire à Montélimar (DROME) et qu'elle devait aménager en vue de la vente à la SCI "Le Hameau de la Pastourelle", les services locaux du ministère des affaires culturelles ont imposé à la SOGEC une remise en cause de ses projets de façon à permettre la sauvegarde de ces vestiges ; qu'à la suite des décisions prises par cette administration, une partie du terrain qui comportait des vestiges archéologiques a été interdit à la construction et divers travaux effectués par la société SOGEC dans le cadre des travaux d'aménagement du site se sont révélés avoir été effectués en pure perte ; que le préjudice subi par la société SOGEC a, de ce fait, revêtu un caractère anormal et spécial et a rompu, à son détriment, l'égalité devant les charges publiques ; qu'ainsi, et sans que le ministre de la culture puisse utilement invoquer pour refuser toute indemnisation, ni l'absence de faute de son service, ni les dispositions de l'article L. 160-5 du code de l'urbanisme, les contraintes ainsi imposées à la société SOGEC n'ayant pas été instituées par application des dispositions de ce code ni la loi du 31 décembre 1913 dont les dispositions relatives aux fouilles ont été abrogées par la loi du 27 septembre 1941 précitée, le préjudice subi par la SOGEC, qui est directement imputable à l'administration, est de nature à lui ouvrir droit à réparation ;
Sur le préjudice indemnisable :
Considérant qu'il résulte de l'instruction que, par un courrier du 17 novembre 1983, la direction régionale des antiquités historiques a informé la société SOGEC de ses décisions qui ont consisté d'une part à empêcher toute construction sur une zone I d'une surface de 5 899 m2 et d'autre part à prévoir une intervention archéologique sur le reste du terrain avant toute construction ; que, dès le 24 janvier 1984, ce service indiquait à la SOGEC qu'il ne remettait pas en cause la constructibilité de la zone II sous réserve du respect de certaines précautions architecturales afin d'assurer la protection du patrimoine ; que le terrain de la zone I a été échangé avec la parcelle qui devait être cédée gratuitement à la commune, au titre de l'autorisation de lotir, et revendu à une autre société ;
En ce qui concerne la zone I :
Considérant que la SOGEC est fondée à demander à être indemnisée des préjudices qu'elle a subis ayant un lien direct et certain avec les décisions administratives en cause, pour la période débutant le 17 novembre 1983, date à laquelle elle a été officiellement informée de l'interdiction de construire sur une surface de 5 899 m2, jusqu'au 9 juillet 1984, date de la vente du terrain échangé avec la commune ;
Considérant, en premier lieu, que la SOGEC doit être indemnisée pour le préjudice financier qu'elle a subi et qui est constitué par l'immobilisation du capital pendant la période indemnisable, soit un montant de 75 000 francs ;
Considérant, en second lieu, qu'il résulte de l'instruction et notamment du rapport de l'expert que le cahier des charges du lotissement prévoyait la cession gratuite à la commune d'une surface de 9 756 m2 ; qu'ainsi, dès lors qu'à la suite de l'échange de terrain, la société n'a effectivement cédé à la ville de Montélimar que 9 250 m2, elle n'est pas fondée à se prévaloir d'un préjudice indemnisable à ce titre ;
Considérant, en troisième lieu, que les impôts fonciers sont dus par le propriétaire du terrain au 1er janvier 1983 ; qu'à cette date, le service régional des antiquités historiques n'était pas encore intervenu ; qu'ainsi, c'est à tort que le tribunal administratif a considéré que le montant des impôts fonciers de l'année 1983 constituait un préjudice indemnisable par l'Etat ;
Considérant en quatrième lieu, que le montant des honoraires de bornage du site archéologique, des honoraires GECC Soream, électricité de France (EDF), de la mission de maîtrise d'oeuvre correspondant à des études ou travaux devenus inutiles du fait des mesures de protection prises par l'administration, ainsi que les impôts fonciers qui normalement auraient dû être supportés par l'acquéreur, doivent être indemnisées par l'Etat pour une somme de 68 512 francs ;
Considérant, en cinquième lieu, qu'en l'absence de tout justificatif attestant de la réalité des travaux de clôture du terrain, il n'y a pas lieu de mettre à la charge de l'Etat une somme de 68 500 francs demandée par la société SOGEC à ce titre ;
En ce qui concerne la zone II :
Considérant que, en raison du court délai qui s'est écoulé entre la décision de la direction régionale des antiquités du 17 novembre 1983 demandant à la SOGEC d'attendre les résultats d'études avant d'entreprendre les travaux et celle du 24 janvier 1984 l'autorisant à commencer ceux-ci, le préjudice allégué par la société SOGEC ne peut être regardé comme présentant un caractère anormal de nature à lui ouvrir droit à une indemnité correspondant au capital immobilisé pendant cette période ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que, dans les circonstances de l'affaire, il sera fait une juste appréciation du préjudice subi par la société SOGEC en condamnant l'Etat à lui verser une indemnité de 143 512 francs ;
Sur les intérêts :
Considérant que la SOGEC a droit aux intérêts afférents à cette somme à compter du 24 février 1986, date de sa première demande d'indemnisation ;
Sur les frais d'expertise :
Considérant qu'il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat les frais d'expertise avancés par la société SOGEC pour un montant de 38 967 francs ;
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Grenoble est annulé.
Article 2 : L'Etat est condamné à payer à la société SOGEC la somme de cent quarante trois mille cinq cent douze francs (143 512 francs). Cette somme portera intérêts au taux légal à compter du 24 février 1986.
Article 3 : Le surplus des conslusions du ministre de la culture et de la francophonie est rejeté.
Article 4 : Les frais d'expertise s'élevant à trente huit mille neuf cent soixante sept francs (38 967 francs) et avancés par la SOGEC sont mis à la charge de l'Etat.