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11/10/1994 | FRANCE | N°93LY00775

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 1e chambre, 11 octobre 1994, 93LY00775


Vu, enregistrée au greffe de la cour le 26 mai 1993, la requête présentée pour la ville de Nice représentée par son maire en exercice par Me Y... avocat au barreau de Nice ;
La ville de Nice demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement en date du 9 mars 1993 par lequel le tribunal administratif de Nice a, avant-dire droit sur la demande des consorts X... tendant à ce qu'elle soit condamnée à leur payer une indemnité de 2 200 000 francs en réparation des préjudices causés à leur immeuble sis ... par la construction de l'autoroute urbaine sud, prescrit une expertise aux

fins de déterminer l'existence, l'origine et l'étendue de préjudices ...

Vu, enregistrée au greffe de la cour le 26 mai 1993, la requête présentée pour la ville de Nice représentée par son maire en exercice par Me Y... avocat au barreau de Nice ;
La ville de Nice demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement en date du 9 mars 1993 par lequel le tribunal administratif de Nice a, avant-dire droit sur la demande des consorts X... tendant à ce qu'elle soit condamnée à leur payer une indemnité de 2 200 000 francs en réparation des préjudices causés à leur immeuble sis ... par la construction de l'autoroute urbaine sud, prescrit une expertise aux fins de déterminer l'existence, l'origine et l'étendue de préjudices allégués ;
2°) d'annuler la décision du président du tribunal administratif de Nice du 9 mars 1993 portant désignation d'un expert ;
3°) de rejeter la demande des consorts X... devant le tribunal administratif ;
. Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 27 septembre 1994 :
- le rapport de M. FONTBONNE, conseiller ;
- et les conclusions de M. GAILLETON, commissaire du gouvernement ;

Considérant que les consorts X... ont saisi le tribunal administratif de Nice d'une demande tendant à ce que la ville de Nice soit condamnée à leur payer une indemnité de 2 200 000 francs en réparation du dommage qu'ils allèguent avoir subi en tant que propriétaires d'un immeuble sis ... à raison de la construction de la section sud de l'autoroute urbaine ; que la ville de Nice conteste le jugement en date du 9 mars 1993 par lequel le tribunal administratif a, avant-dire droit, sur cette demande prescrit une expertise aux fins de déterminer l'existence, l'origine et l'étendue des préjudices allégués ainsi que l'ordonnance du président du tribunal administratif de Nice du 9 mars 1993 portant désignation d'un expert ;
Sur la régularité du jugement attaqué :
Considérant que la ville de Nice soutient, en premier lieu, que le tribunal administratif de Nice a omis de statuer sur le moyen qu'elle a soulevé en défense tiré de ce que les demandeurs n'auraient subi aucun préjudice leur ouvrant droit à réparation ;
Considérant que, dans les termes où il est rédigé, le jugement attaqué, qui après avoir décrit les chefs de préjudice allégués, mentionne que les éléments du dossier ne lui permettent pas de trancher le litige, a, implicitement mais nécessairement, estimé que les demandeurs apportaient au moins un commencement de preuve de la réalité des dommages invoqués ; que le tribunal administratif a ainsi entendu ne pas retenir en l'état du dossier le moyen en défense tiré de l'absence de préjudice qui a été réservé jusqu'en fin de cause ; que la ville de Nice n'est dès lors pas fondée à soutenir que le tribunal administratif aurait omis de statuer sur un moyen qu'elle avait soulevé en défense ;
Mais considérant que la ville de Nice soutient, en second lieu, que le jugement attaqué a été irrégulièrement rendu à la suite d'une expertise qui revêt un caractère frustratoire dès lors que les requérants n'apportaient pas d'éléments suffisants pour justifier une telle mesure d'instruction ;
Considérant que la responsabilité de la ville peut être engagée même sans faute à l'égard des demandeurs tiers par rapport à l'ouvrage public en cause ; que ces derniers doivent toutefois apporter la preuve de la réalité des préjudices qu'ils allèguent avoir subis et de l'existence d'un lien de causalité entre l'ouvrage public et lesdits préjudices qui doivent en outre présenter un caractère anormal et spécial ;
Considérant que les demandeurs, qui ne contestent pas n'avoir jamais habité l'immeuble, invoquaient un premier chef de préjudice fondé sur l'impossibilité dans laquelle ils se seraient trouvés de louer plusieurs appartements de l'immeuble pendant la construction de l'ouvrage par suite des nuisances provoquées par le chantier ; qu'en second lieu ils soutenaient que les diverses nuisances liées à l'existence de l'ouvrage et à sa mise en service ont entraîné une diminution de la valeur vénale de leur propriété ;

Considérant qu'en ce qui concerne le premier chef de préjudice les demandeurs se sont bornés dans leurs mémoires de première instance à affirmer que la présence du chantier leur avait causé une perte de loyers de 200 000 francs ; qu'ils n'ont toutefois versé au dossier aucun élément faisant apparaître que des locataires auraient pour cette raison quitté les lieux, ou qu'à la suite de départs normalement prévus ils n'auraient pu trouver preneurs, ou encore que cette situation les aurait empêchés d'appliquer des augmentations normales de loyers ; qu'ils n'ont ainsi apporté aucun commencement de preuve de la réalité du préjudice qu'ils prétendent avoir subi ; que la ville de Nice est en conséquence fondée à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué le tribunal administratif a estimé que les simples allégations des demandeurs constituaient un commencement de preuve suffisant pour qu'une expertise soit ordonnée sur ce point ; que la ville de Nice est dès lors fondée à soutenir que l'expertise présente un caractère frustratoire que le jugement attaqué a, à ce titre, été irrégulièrement rendu ; qu'il y a lieu en conséquence d'annuler ledit jugement en tant que par les 2°, 3° et 4° de l'article 1 de son dispositif, il a fait porter l'expertise sur l'existence et l'intensité des nuisances liées au chantier ainsi que sur les difficultés de location alléguées ;

Considérant qu'en ce qui concerne le second chef de préjudice allégué, il ressort des pièces du dossier de première instance que la chaussée de l'autoroute urbaine qui est construite en surélévation par rapport au niveau de la voie publique existante, passe à la hauteur des 3è et 4è étage de la façade de l'immeuble à une distance horizontale d'environ 10 mètres ; que cette configuration entraîne en elle-même des changements suffisamment graves dans les conditions d'habitation pour que sa simple constatation apporte à elle seule des présomptions sérieuses de l'existence d'une perte de valeur vénale de l'immeuble suffisamment sensible pour créer un dommage anormal et spécial ouvrant droit à réparation ; que contrairement à ce que soutient la ville de Nice et même en admettant comme elle l'expose que les consorts X... aient, compte tenu des conditions dans lesquelles ils avaient acquis cet immeuble, retiré une plus-value de sa vente en août 1992, il ne ressort nullement des pièces du dossier que la présence de l'ouvrage litigieux ait été sans influence sur la fixation du prix de négociation ; que dans ces conditions, dès lors que le dossier contenait des éléments constituant un commencement de preuve particulièrement sérieux, le tribunal administratif pouvait prescrire une expertise sans méconnaître les règles de fond ci-dessus énoncées attribuant aux demandeurs la charge de la preuve ; que le tribunal administratif pouvait, sans trancher préalablement la question de fond du principe de la responsabilité de la ville de Nice, prescrire une expertise aux fins de disposer sur les questions de fait relatives à l'existence et à l'origine du préjudice de toutes précisions lui permettant ensuite d'en opérer la qualification juridique ; que cette expertise qui ne portait ainsi sur aucun point de droit, était indispensable à la solution du litige et ne présentait en conséquence, contrairement à ce que soutient la ville de Nice aucun caractère frustratoire ; que la ville de Nice n'est par suite pas fondée à soutenir que c'est à tort que le jugement attaqué a été irrégulièrement rendu et que le tribunal administratif a ordonné une expertise sur ce point ; qu'elle n'est par voie de conséquence pas fondée à soutenir que c'est à tort que le président du tribunal administratif a désigné l'expert auquel a été confiée ladite expertise ;
Sur la demande des consorts X... devant le tribunal administratif en tant qu'elle porte sur le premier chef de préjudice tiré des nuisances du chantier :
Considérant que les consorts X... n'ont versé au dossier tant devant le tribunal administratif que devant la cour, aucun document pouvant au moins constituer un commencement de preuve de la réalité du préjudice qu'ils prétendent avoir subi ; que leur demande ne peut en conséquence qu'être rejetée ;
Sur les conclusions des entreprises NICOLETTI, Jean Z... et SOGEA tendant à être mises hors de cause :
Considérant que devant le tribunal administratif, la ville de Nice a, à titre subsidiaire dans le cas où sa responsabilité serait retenue, demandé à être relevée et garantie de la condamnation pouvant être prononcée à son encontre, par les entreprises ayant effectué les travaux ;

Considérant que dès lors qu'en ce qui concerne le premier chef de préjudice, la demande des consorts X... devant le tribunal administratif est rejetée, les entreprises ne peuvent qu'être mises hors de cause ; que leurs conclusions tendant au rejet de l'appel en garantie formé à leur encontre par la ville de Nice, sont devenues sans objet ;
Considérant qu'en prescrivant avant-dire droit une expertise, le tribunal administratif a par le jugement attaqué réservé jusqu'en fin d'instance tous droits et moyens des parties sur lesquels il n'était pas statué ; que par suite, à défaut pour le jugement attaqué d'avoir statué sur le fond en ce qui concerne le second chef de préjudice, les conclusions des entreprises en cause d'appel tendant d'ores et déjà à voir rejeter l'appel en garantie formé à leur encontre par la ville de Nice ne sont pas recevables et doivent être rejetées ;
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Nice du 9 mars 1993 est annulé en tant que par les 2°, 3° et 4° de son article 1 il a fait porter l'expertise qu'il a prescrite sur l'existence, l'origine et l'étendue des conséquences dommageables pour les consorts X... des nuisances du chantier de construction de la section sud de l'autoroute urbaine.
Article 2 : La demande des consorts X... devant le tribunal administratif est rejetée en tant qu'elle portait sur les conséquences dommageables des nuisances du chantier de construction de l'autoroute urbaine.
Article 3 : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la société NICOLETTI, de la société Jean Z... et de la société SOGEA tendant à être mises hors de cause en ce qui concerne les conséquences dommageables des nuisances du chantier.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de la ville de Nice et des conclusions des sociétés NICOLETTI, Jean Z... et SOGEA tendant à être mises hors de cause est rejeté.


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 1e chambre
Numéro d'arrêt : 93LY00775
Date de la décision : 11/10/1994
Type d'affaire : Administrative

Analyses

PROCEDURE - INSTRUCTION - MOYENS D'INVESTIGATION - EXPERTISE - RECOURS A L'EXPERTISE - CARACTERE FRUSTRATOIRE.

TRAVAUX PUBLICS - DIFFERENTES CATEGORIES DE DOMMAGES - DOMMAGES CREES PAR L'EXECUTION DES TRAVAUX PUBLICS - TRAVAUX PUBLICS DE VOIRIE.


Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. FONTBONNE
Rapporteur public ?: M. GAILLETON

Origine de la décision
Date de l'import : 06/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;1994-10-11;93ly00775 ?
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