Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Le département de la Seine-Maritime a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Rouen de prescrire une expertise, sur le fondement des dispositions de l'article R. 532-1 du code de justice administrative, portant sur les désordres affectant la structure du collège Jean-Zay du Houlme.
Par une ordonnance n° 1901559 du 6 février 2020, le juge des référés du tribunal administratif de Rouen a fait droit à sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 20 février 2020, la société Sogea Nord-Ouest, représentée par Me B... D..., demande à la Cour :
1°) d'annuler cette ordonnance ;
2°) de rejeter la demande présentée par le département de la Seine-Maritime devant le tribunal administratif ;
3°) de mettre à la charge du département de la Seine-Maritime la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu le code de justice administrative.
Considérant ce qui suit :
Sur la mesure d'expertise :
1. Le département de la Seine-Maritime a fait construire le collège Jean Zay au Houlme et le lot n°2 " terrassement gros oeuvre " a été confié à la société Sogea Nord-Ouest. La décision de réception de l'ouvrage est intervenue le 21 janvier 1998 avec effet au 31 décembre 1997. Plusieurs désordres sont apparus sur la structure de l'ouvrage en 2003, 2014 et 2017, nécessitant la réalisation de travaux de reprise confiés à des entreprises tierces. La société Sogea Nord-Ouest fait appel de l'ordonnance du 6 février 2020 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Rouen a fait droit à la demande d'expertise présentée par le département de la Seine-Maritime, relative aux désordres affectant la structure de ce collège.
2. Aux termes du premier alinéa de l'article R. 532-1 du code de justice administrative : " Le juge des référés peut, sur simple requête et même en l'absence de décision administrative préalable, prescrire toute mesure utile d'expertise ou d'instruction ". L'utilité d'une mesure d'expertise qu'il est demandé au juge des référés d'ordonner sur le fondement de l'article R. 532-1 du code de justice administrative doit être appréciée, d'une part, au regard des éléments dont le demandeur dispose ou peut disposer par d'autres moyens et, d'autre part, bien que ce juge ne soit pas saisi du principal, au regard de l'intérêt que la mesure présente dans la perspective d'un litige principal, actuel ou éventuel, auquel elle est susceptible de se rattacher. A ce dernier titre, il ne peut faire droit à une demande d'expertise lorsque, en particulier, elle est formulée à l'appui de prétentions qui ne relèvent manifestement pas de la compétence de la juridiction administrative, qui sont irrecevables ou qui se heurtent à la prescription. Dans l'hypothèse où est opposée une forclusion ou une prescription, il lui incombe de prendre parti sur ce point.
En ce qui concerne la prescription :
3. D'une part, l'expiration du délai de l'action en garantie décennale ne décharge pas les constructeurs de la responsabilité qu'ils peuvent encourir, en cas de fraude ou de dol dans l'exécution de leur contrat. En effet, même sans intention de nuire, la responsabilité des constructeurs peut également être engagée en cas de faute assimilable à une fraude ou à un dol, caractérisée par la violation grave, par sa nature ou ses conséquences, de leurs obligations contractuelles, commise volontairement et sans qu'ils puissent en ignorer les conséquences.
4. D'autre part, le délai quinquennal de prescription fixé par l'article 2224 du code civil dans sa rédaction issue de la loi du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile, délai qui en vertu de l'article 26 de cette loi s'est substitué au délai trentenaire antérieur, court " à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer ".
5. En l'espèce, si les faits fondant la demande d'expertise consistent en des désordres ayant commencé à se manifester par une fissure dans une salle du collège en 2003 d'abord, puis en 2014 ensuite nécessitant alors la réalisation d'un diagnostic général des conditions de réalisation des structures béton, il résulte de l'instruction que ces désordres ne pouvaient être regardés comme s'étant manifestés dans toute leur ampleur que lorsque le second diagnostic structure, demandé par le département de la Seine-Maritime en raison de la persistance de l'affaissement des structures porteuses et d'un problème de déformation des planchers, a été diligenté le 23 mai 2017. Il en résulte qu'à la date d'enregistrement de la demande présentée au tribunal administratif de Rouen, le 30 avril 2019, l'action envisagée n'était pas prescrite.
En ce qui concerne la fraude ou le dol :
6. Si la société Sogea Nord-Ouest conteste l'absence de goujons invoquée par le département de la Seine-Maritime, soutient que les travaux de reprise diligentés par ce dernier n'étaient pas justifiés et estime que sa responsabilité pour fraude ou dol ne peut pas être engagée, il n'appartient pas au juge des référés qui se prononce sur une demande d'expertise d'apprécier le bien-fondé de l'action éventuelle en vue de laquelle cette mesure d'instruction est sollicitée.
En ce qui concerne la portée des travaux de reprise :
7. Si les travaux de reprise déjà réalisés à la demande du département de la Seine-Maritime en 2004, 2015 et 2017 ont eu pour effet de modifier l'ouvrage en cause, il ne résulte pas de l'instruction que ces travaux, nonobstant leur ampleur, feraient obstacle à la réalisation de l'expertise demandée, l'expert pouvant s'appuyer, après les avoir soumis au contradictoire et en avoir évalué la pertinence, sur les éléments techniques apportés par les deux parties y compris les précédents diagnostics réalisés lors de ces travaux de reprise ou la note expertale produite par la requérante.
8. Il résulte de ce qui précède, même si la société Sogea Nord-Ouest n'a pas été informée des diagnostics et travaux de reprise diligentés antérieurement par le département de la Seine-Maritime, qu'est remplie la condition d'utilité au sens de l'article R. 532-1 du code de justice administrative et que la société Sogea Nord-Ouest n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par l'ordonnance attaquée, le juge des référés du tribunal administratif de Rouen a fait droit à la demande d'expertise dont il était saisi.
Sur les frais de justice :
9. D'une part, les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge du département de la Seine-Maritime, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, le versement de la somme que la société Sogea Nord-Ouest demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.
10. D'autre part, il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Sogea Nord-Ouest la somme demandée par le département de la Seine-Maritime au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.
ORDONNE :
Article 1er : La requête de la société Sogea Nord-Ouest est rejetée.
Article 2 : Les conclusions présentées par le département de la Seine-Maritime au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à la société Sogea Nord-Ouest et au département de la Seine-Maritime.
Copie sera adressée à M. A... C..., expert.
N°20DA00333 2