Vu le recours, enregistré le 19 septembre 2011 par télécopie au greffe de la cour administrative d'appel de Douai et confirmé le 22 septembre 2011 par courrier original, présenté par le GARDE DES SCEAUX, MINISTRE DE LA JUSTICE ET DES LIBERTES ; le ministre demande à la Cour :
1°) d'annuler l'ordonnance n° 1003733 - 1101136 - 1101327 du 2 septembre 2011 en tant que le vice-président du Tribunal administratif de Rouen, statuant en référé à la demande de M. Rachid D, de M. François C, a condamné l'Etat à verser, d'une part, une provision d'un montant respectif de 3 000 euros à M. Rachid D et à M. François C en réparation du préjudice subi du fait de leurs conditions de détention à la maison d'arrêt de Rouen et, d'autre part, une somme globale de 150 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
2°) de rejeter la demande présentée par MM D et C devant le président du Tribunal administratif de Rouen ;
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Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de procédure pénale ;
Vu la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991, modifiée, relative à l'aide juridique et le décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991, modifié ;
Vu le code de justice administrative ;
Considérant qu'aux termes de l'article R. 541-1 du code de justice administrative : " Le juge des référés peut, même en l'absence d'une demande au fond, accorder une provision au créancier qui l'a saisi lorsque l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable. Il peut, même d'office, subordonner le versement de la provision à la constitution d'une garantie " ;
Considérant que par des requêtes distinctes MM D et C ont recherché la responsabilité de l'administration pénitentiaire en raison de leurs conditions de détention à la maison d'arrêt de Rouen dont ils estiment qu'elles ont méconnu le principe du respect de la dignité humaine posé par les dispositions de l'article D 89 du code de procédure pénale, mettant notamment en cause la sur-occupation des cellules de cet établissement qui n'a pas vocation à recevoir des détenus condamnés à de longues peines, et l'aménagement des cellules qu'ils considèrent comme non-conforme aux dispositions du code de procédure pénale ; que sur le fondement des dispositions de l'article L. 541-1 du code de justice administrative, ils ont saisi le juge des référés d'une demande tendant à la condamnation de l'Etat à leur verser une provision à titre de dommages et intérêts en indemnisation du préjudice moral qu'ils estiment avoir subi du fait de leurs conditions de détention ; que le vice-président du Tribunal administratif de Rouen, par une ordonnance en date du 2 septembre 2011, a fait droit à leur demande en leur accordant chacun, une somme de 3 000 euros à titre provisionnel ; que le GARDE DES SCEAUX, MINISTRE DE LA JUSTICE ET DES LIBERTES demande en appel, l'annulation de cette ordonnance aux motifs qu'elle est entachée d'irrégularité et que le juge de première instance a commis une erreur de droit, une erreur de fait et une erreur manifeste d'appréciation, en accordant ladite provision ; qu'il demande le rejet de la demande de première instance de MM D et C ;
Sur l'aide juridictionnelle provisoire :
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'accorder, en application de l'article 20 de la loi du 10 juillet 1991, l'admission provisoire à l'aide juridictionnelle à MM. Rachid D et François C ;
Sur la régularité de l'ordonnance :
Considérant que MM D et C ont saisi le juge des référés par des requêtes distinctes ; que le ministre de la justice soutient que l'ordonnance attaquée est entachée d'irrégularité, au motif que la jonction des requêtes à laquelle le vice-président du Tribunal administratif de Rouen a procédé, méconnaîtrait les règles substantielles de la procédure contentieuse, en raison de l'indépendance existant entre les deux litiges qui lui étaient soumis ; que, cependant, ces requêtes présentant entre elles un lien suffisant, dès lors que leur objet et leur fondement étaient identiques, le juge des référés de l'instance avait la faculté de joindre ces affaires pour qu'il soit statué par une seule décision ; que le moyen tiré de l'irrégularité de l'ordonnance attaquée, pour ce motif, doit être écarté ;
Sur le bien-fondé de l'ordonnance attaquée :
- En ce qui concerne le bien-fondé de la créance :
Considérant qu'aux termes de l'article D. 83 du code de procédure pénale : " Le régime appliqué dans les maisons d'arrêt est celui de l'emprisonnement individuel de jour et de nuit dans toute la mesure où la distribution des lieux le permet et sauf contre-indication médicale. (...) " ; qu'aux termes de l' article D. 189 du même code : " A l'égard de toutes les personnes qui lui sont confiées par l'autorité judiciaire, à quelque titre que ce soit, le service public pénitentiaire assure le respect de la dignité inhérente à la personne humaine et prend toutes les mesures destinées à faciliter leur réinsertion sociale " ; qu'aux termes de l'article D. 350 du même code : " Les locaux de détention et, en particulier, ceux qui sont destinés au logement, doivent répondre aux exigences de l'hygiène, compte tenu du climat, notamment en ce qui concerne le cubage d'air, l'éclairage, le chauffage et l'aération " et qu'aux termes de l'article D. 351 du même code : " Dans tout local où les détenus séjournent, les fenêtres doivent être suffisamment grandes pour que ceux-ci puissent lire et travailler à la lumière naturelle. L'agencement de ces fenêtres doit permettre l'entrée d'air frais. La lumière artificielle doit être suffisante pour permettre aux détenus de lire ou de travailler sans altérer leur vue. Les installations sanitaires doivent être propres et décentes. (...) " ;
Considérant en premier lieu, qu'il résulte de l'instruction et notamment des descriptions détaillées et concordantes, établies par les intimés, que durant leur détention à la maison d'arrêt de Rouen, ceux-ci ont été incarcérés, la majeure partie de leur temps, avec un ou plusieurs codétenus dans des cellules n'excédant pas 13 m² et équipées de sanitaires, soit seulement séparés par un muret d'à peine plus d'un mètre de hauteur, soit, parfois, de cloisons plus hautes et de portes battantes, mais ne présentant pas, en tout état de cause, un aménagement suffisant pour protéger une intimité minimale des détenus amenés à vivre en cohabitation dans la même cellule ; que les intéressés affirment que leurs locaux de détention ne pouvaient répondre aux exigences minimales de l'hygiène au regard notamment des prescriptions posées par les dispositions précitées de l'article D 350 du code de procédure pénale, dès lors que ces sanitaires n'étaient pas équipés d'une aération spécifique, étaient situés à proximité immédiate du lieu de prise des repas et que, par ailleurs, les cellules ne possédaient majoritairement qu'une fenêtre haute de faible dimension, ne permettant pas d'assurer un renouvellement satisfaisant de l'air ambiant ; que le GARDE DES SCEAUX, MINISTRE DE LA JUSTICE ET DES LIBERTES ne saurait utilement soutenir que les intéressés n'apportent pas d'éléments suffisamment probants pour caractériser leurs conditions de détention soit, en se bornant à reconnaître, pour M. C, que, s'il est en mesure de savoir quelles sont les cellules que celui-ci a occupées pour les périodes d'incarcération comprises entre le 9 novembre 2006 et le 5 août 2009, il ne peut préciser le nombre de co-détenus présents dans celles-ci, et à retracer, avec des données très partielles les modalités de sa détention à partir de fin 2007 d'où il ressort d'ailleurs qu'il n'a jamais bénéficié durant ses périodes d'incarcération d'une cellule particulière, soit, en ne donnant pour M. D aucune donnée sur les modalités de détention ; qu'en outre, si le GARDE DES SCEAUX, MINISTRE DE LA JUSTICE ET DES LIBERTES fait valoir que des travaux ont été entrepris à compter de la fin de l'année 2007 dans le but d'améliorer les conditions de vie des détenus au sein de l'établissement, il n'établit nullement que les requérants aient bénéficié, tout au long de leur détention, de ces travaux et de ces améliorations qui, par ailleurs ont consisté essentiellement à la rénovation des peintures des cellules, et à l'établissement dans certaines cellules, de sanitaires cloisonnés, sans que cela ne modifie radicalement la physionomie des cellules ; qu'ainsi et compte tenu des conditions d'incarcération susdécrites et des durées significatives d'incarcération dans ces conditions, le premier juge a pu, sans entacher son ordonnance d'erreur de droit, ni d'une erreur de fait, ni d'une erreur manifeste d'appréciation, d'une part, estimer que MM D et C avaient été détenus dans des conditions n'assurant pas le respect de la dignité inhérente à la personne humaine, en méconnaissance des dispositions des articles D 189 et D 350 du code de procédure pénale, dispositions que les contraintes pesant sur le service public pénitentiaire, tant en ce qui concerne l'application des règles de sécurité que la gestion d'une situation difficile résultant de la surpopulation carcérale et de l'état de parc pénitentiaire ne sauraient avoir pour effet d'écarter, et, d'autre part, considérer que cette méconnaissance constituait, malgré les efforts mis en oeuvre par l'administration dans le but d'améliorer les conditions de ses établissements et les contraintes inhérentes à l'exercice des missions qui lui sont confiées, une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat à l'égard des intéressés ; qu'à supposer même que le premier juge aurait fait, à tort, application du plan sanitaire départemental aux locaux pénitentiaires, ainsi que le soutient le ministre de la justice, la violation des dispositions des articles D 189 et D 350 du code de procédure pénale était, à elle seule, de nature à justifier la solution retenue ;
Considérant, en second lieu, qu'il résulte de l'instruction que, contrairement à ce que soutient le GARDE DES SCEAUX, MINISTRE DE LA JUSTICE ET DES LIBERTES , MM D et C ont bien précisé, dès leurs écritures de première instance, la nature du préjudice dont ils entendaient demander réparation, à savoir le préjudice moral qu'ils estiment chacun avoir subi à raison des conditions dans lesquelles ils ont été détenus à la maison d'arrêt de Rouen ; que l'obligation dont ils se prévalent à ce titre à l'égard de l'Etat pouvait, eu égard à ce qu'il vient d'être dit, être regardée, comme présentant pour partie le caractère non sérieusement contestable exigé par les dispositions sus-rappelées de l'article R. 541-1 du code de justice administrative pour ouvrir droit à provision ;
En ce qui concerne la prescription quadriennale opposée à MM D :
Considérant qu'aux termes de l'article 7 de la loi du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l'Etat, les départements, les communes et les établissements publics : "L'administration doit, pour pouvoir se prévaloir, à propos d'une créance litigieuse, de la prescription prévue par la présente loi, l'invoquer avant que la juridiction saisie du litige au premier degré se soit prononcée sur le fond" ; que les conclusions du GARDE DES SCEAUX, MINISTRE DE LA JUSTICE ET DES LIBERTES opposant la prescription aux demandes de MM D ont été présentées pour la première fois devant la Cour et sont, par suite, irrecevables ;
En ce qui concerne la prescription quadriennale opposée à M. C :
Considérant qu'aux termes de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l'Etat, les départements, les communes et les établissements publics : "Sont prescrites, au profit de l'Etat, des départements et des communes, sans préjudice des déchéances particulières édictées par la loi, et sous réserve des dispositions de la présente loi, toutes créances qui n'ont pas été payées dans un délai de quatre ans à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis. /(...)" ;
Considérant que le GARDE DES SCEAUX, MINISTRE DE LA JUSTICE ET DES LIBERTES a fait valoir, en première instance, que la créance dont se prévaut M. C est prescrite en application de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l'Etat, le département, les communes et les établissements publics dès lors qu'il n'a saisi le juge des référés par une requête enregistrée que le 13 avril 2011 ; que la prescription quadriennale prévue à l'article 1er de la loi précitée du 31 décembre 1968 ne commence à courir qu'au moment où l'existence et l'étendue du préjudice allégué ont été connues de façon certaine ; que le préjudice moral, allégué en l'espèce par M. C, est continu dès lors qu'il a perduré pendant la durée globale de son incarcération, qui a pris fin, selon les pièces produites par le GARDE DES SCEAUX, MINISTRE DE LA JUSTICE ET DES LIBERTES , le 5 août 2009 avant de reprendre le 19 janvier 2011 ; que le délai de prescription quadriennale a commencé à courir au début de l'exercice suivant celui durant lequel il est sorti de la maison d'arrêt ; qu'ainsi, à la date d'introduction de la requête devant le juge des référés du tribunal administratif de Rouen, soit le 13 avril 2011, la prescription n'était pas acquise ; que le moyen doit donc être écarté ;
Sur le quantum de la provision accordée :
Considérant, qu'à la date d'introduction des requêtes de MM D et C, le 8 décembre 2010 pour M D et le 13 avril 2011 pour M. C, M. Ayyadi avait été incarcéré 2 ans et 6 mois et M. C 2 ans et 11 mois ; que, dans les circonstances de l'espèce et compte-tenu des durées respectives d'incarcération supérieures à 30 mois, en condamnant l'Etat à verser à MM C et D, une somme identique de 3 000 euros, le premier juge n'a pas fait une inexacte appréciation du préjudice subi par chacun des requérants ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le GARDE DES SCEAUX, MINISTRE DE LA JUSTICE ET DES LIBERTES n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par l'ordonnance attaquée, le vice-président désigné par le président du Tribunal administratif de Rouen, statuant en référé, a condamné l'Etat à verser MM D et C une provision à valoir sur la réparation du préjudice subi par eux à raison des conditions de détention qui leur ont été respectivement imposées au sein de la maison d'arrêt de Rouen ;
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administratives et des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 :
Considérant, en premier lieu, qu'en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à MM D et C d'une somme de 200 euros au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens ;
Considérant en second lieu, qu'aux termes de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 : " Les auxiliaires de justice rémunérés selon un tarif peuvent renoncer à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat et poursuivre contre la partie condamnée aux dépens et non bénéficiaire de l'aide juridictionnelle le recouvrement des émoluments auxquels ils peuvent prétendre. / En toute matière, l'avocat du bénéficiaire de l'aide juridictionnelle partielle ou totale peut demander au juge de condamner la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès, et non bénéficiaire de l'aide juridictionnelle, à lui payer une somme au titre des honoraires et frais, non compris dans les dépens, que le bénéficiaire de l'aide aurait exposés s'il n'avait pas eu cette aide (...) " ; qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de condamner l'Etat à verser à Me Noël, conseil de MM. D et C, admis provisoirement à l'aide juridictionnelle, une somme globale de 200 euros au titre des honoraires et frais, non compris dans les dépens, sous réserve que Me Noël renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat ;
DÉCIDE :
Article 1er : Le recours du GARDE DES SCEAUX, MINISTRE DE LA JUSTICE ET DES LIBERTES est rejeté.
Article 2 : L'Etat versera à MM D et C la somme globale de 200 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée au GARDE DES SCEAUX, MINISTRE DE LA JUSTICE, à M. Rachid D et à M. François C.
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