Vu le recours, enregistré le 12 juillet 2011 par télécopie au greffe de la cour administrative d'appel de Douai et confirmé le 18 juillet 2011 par courrier original, présenté par le GARDE DES SCEAUX, MINISTRE DE LA JUSTICE ; le ministre demande à la Cour :
1°) d'annuler l'ordonnance n°1003732-1003742-1003744-1003748-1003763-1003781- 1003796-1100266-1101329-1101330 du 28 juin 2011 par laquelle le Vice-président du Tribunal administratif de Rouen, statuant en référé à la demande de M. Vincent H et autres, a condamné l'Etat, d'une part, à verser une provision d'un montant respectif de 1 500 euros à MM.H, D, E, B, C, A, G, I et F, à titre de dommages et intérêts en indemnisation du préjudice moral qu'ils ont subi ou subissent encore du fait de leur incarcération au sein de la maison d'arrêt de Rouen et, d'autre part, à leur verser une somme globale de 675 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative;
2°) de rejeter la demande présentée par MM. H, D, E, B, C, A, G, I et F devant le juge des référés du Tribunal administratif de Rouen ;
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Vu les autres pièces du dossier ;
Vu les décisions du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal de grande instance de Douai en date du 28 novembre 2011 accordant l'aide juridictionnelle totale à MM. H, D, E, B, F, et I et la décision du bureau d'aide juridictionnelle du Tribunal de grande instance de Douai en date du 9 janvier 2011 rejetant l'aide juridictionnelle à M. G ;
Vu le code de procédure pénale ;
Vu la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991, modifiée, relative à l'aide juridique et le décret n° 91 1266 du 19 décembre 1991, modifié ;
Vu le code de justice administrative ;
Considérant qu'aux termes de l'article R. 541-1 du code de justice administrative : " Le juge des référés peut, même en l'absence d'une demande au fond, accorder une provision au créancier qui l'a saisi lorsque l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable. Il peut, même d'office, subordonner le versement de la provision à la constitution d'une garantie " ;
Considérant que par des requêtes distinctes MM. H, D, E, B, C, A, G, I et F ont recherché la responsabilité de l'administration pénitentiaire en raison de leurs conditions de détention à la maison d'arrêt de Rouen dont ils estiment qu'elles ont méconnu le principe du respect de la dignité humaine posé par les dispositions de l'article D 89 du code de procédure pénale, mettant notamment en cause la sur-occupation des cellules de cet établissement qui n'a pas vocation à recevoir des détenus condamnés à de longues peines, et l'aménagement des cellules qu'ils considèrent comme non-conformes aux dispositions du code de procédure pénale ; que sur le fondement des dispositions de l'article L. 541-1 du code de justice administrative, ils ont saisi le juge des référés d'une demande tendant à la condamnation de l'Etat à leur verser une provision à titre de dommages et intérêts en indemnisation du préjudice moral qu'ils estiment avoir subi du fait de leurs conditions de détention ; que le vice-président du Tribunal administratif de Rouen, par une ordonnance en date du 28 juin 2011, a fait droit à leur demande en leur accordant chacun, une somme de 1 500 euros à titre provisionnel ; que le GARDE DES SCEAUX, MINISTRE DE LA JUSTICE, demande en appel, l'annulation de cette ordonnance aux motifs qu'elle est entachée d'irrégularité et que le juge de première instance a commis une erreur de droit, une erreur de fait et une erreur manifeste d'appréciation, en accordant ladite provision ; qu'il demande le rejet de la demande de première instance de MM. H, D, E, B, C, A, G, I et F, lesquels concluent à la confirmation de ladite ordonnance ;
Sur la régularité de l'ordonnance :
Considérant que le MINISTRE DE LA JUSTICE soutient que la jonction, à laquelle a procédé le vice-président du tribunal administratif de Rouen, statuant en référé, des requêtes de MM. H, D, E, B, C, A, G, I et F tendant à la condamnation de l'administration pénitentiaire à leur verser une provision à titre de dommages et intérêts en indemnisation du préjudice moral qu'ils ont subi du fait de leur incarcération au sein de la maison d'arrêt de Rouen, méconnaîtrait les règles substantielles de procédure en raison de l'indépendance entre les neufs litiges qui lui étaient soumis ; que, cependant, les requêtes présentant, entre elles, un lien suffisant, leur objet et leur fondement étant identiques ; le juge des référés de première instance avait la faculté de joindre ces affaires pour qu'il y soit statué par une seule décision ; que le moyen susanalysé doit donc être écarté ;
Considérant toutefois que devant le juge des référés de première instance, le GARDE DES SCEAUX, MINISTRE DE LA JUSTICE a fait valoir que, en application de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1968, il avait opposé la prescription quadriennale à M. I, incarcéré à partir du 12 septembre 2006 ; qu'en ne statuant pas sur lesdites conclusions, le juge des référés a entaché son ordonnance d'une omission à statuer ; qu'il y a donc lieu pour la Cour, ainsi que le soutien le GARDE DES SCEAUX, MINISTRE DE LA JUSTICE, d'annuler pour ce motif cette ordonnance et de statuer par la voie de l'évocation ;
Sur la prescription quadriennale opposée à M. I par le GARDE DES SCEAUX, MINISTRE DE LA JUSTICE :
Considérant qu'aux termes de l'article 1er : " Sont prescrites, au profit de l'Etat, des départements et des communes, sans préjudice des déchéances particulières édictées par la loi, et sous réserve des dispositions de la présente loi, toutes créances qui n'ont pas été payées dans un délai de quatre ans à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis./(...) " ; qu'aux termes de l'article 7 de la loi du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l'Etat, les départements, les communes et les établissements publics : "L'administration doit, pour pouvoir se prévaloir, à propos d'une créance litigieuse, de la prescription prévue par la présente loi, l'invoquer avant que la juridiction saisie du litige au premier degré se soit prononcée sur le fond" ;
Considérant que M. I a été incarcéré à la maison d'arrêt de Rouen du 12 septembre 2006 au 22 septembre 2007 ; que la déchéance quadriennale prévue à l'article 1er de la loi du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances de l'Etat ne commence à courir qu'au moment où l'existence et l'étendue du préjudice allégué ont été connues de façon certaine ; que le délai de prescription avait donc commencé à courir au début de l'exercice suivant celui au cours duquel il avait été libéré, soit au 1er janvier 2008 ; qu'ainsi, à la date d'introduction de sa requête devant le tribunal administratif de Rouen, le 11 mai 2011, sa requête n'était pas prescrite ; que le moyen doit donc être écarté ;
Sur le bien-fondé de l'ordonnance attaquée :
Considérant qu'aux termes de l'article D. 83 du code de procédure pénale : " Le régime appliqué dans les maisons d'arrêt est celui de l'emprisonnement individuel de jour et de nuit dans toute la mesure où la distribution des lieux le permet et sauf contre-indication médicale. (...) " ; qu'aux termes de l' article D. 189 du même code : " A l'égard de toutes les personnes qui lui sont confiées par l'autorité judiciaire, à quelque titre que ce soit, le service public pénitentiaire assure le respect de la dignité inhérente à la personne humaine et prend toutes les mesures destinées à faciliter leur réinsertion sociale " ; qu'aux termes de l'article D. 350 du même code : " Les locaux de détention et, en particulier, ceux qui sont destinés au logement, doivent répondre aux exigences de l'hygiène, compte tenu du climat, notamment en ce qui concerne le cubage d'air, l'éclairage, le chauffage et l'aération " et qu'aux termes de l'article D. 351 du même code : " Dans tout local où les détenus séjournent, les fenêtres doivent être suffisamment grandes pour que ceux-ci puissent lire et travailler à la lumière naturelle. L'agencement de ces fenêtres doit permettre l'entrée d'air frais. La lumière artificielle doit être suffisante pour permettre aux détenus de lire ou de travailler sans altérer leur vue. Les installations sanitaires doivent être propres et décentes. (...) " ;
Considérant, en premier lieu, qu'il résulte de l'instruction et notamment des descriptions détaillées et concordantes, établies par les intimés, que durant leur détention à la maison d'arrêt de Rouen, ceux-ci ont été incarcérés, la quasi-totalité de leur temps, avec un ou plusieurs codétenus dans des cellules n'excédant pas 13 m² et équipées de sanitaires, soit seulement séparés par un muret d'à peine plus d'un mètre de hauteur, soit, parfois, de cloisons plus hautes et de portes battantes, mais ne présentant pas, en tout état de cause, un aménagement suffisant pour protéger une intimité minimale des détenus amenés à vivre en cohabitation dans la même cellule ; que les requérants affirment que leurs locaux de détention ne pouvaient répondre aux exigences minimales de l'hygiène au regard notamment des prescriptions posées par les dispositions précitées de l'article D 350 du code de procédure pénale, dès lors que ces sanitaires n'étaient pas équipés d'une aération spécifique, étaient situés à proximité immédiate du lieu de prise des repas et que, par ailleurs, les cellules ne possédaient majoritairement qu'une fenêtre haute de faible dimension, ne permettant pas d'assurer un renouvellement satisfaisant de l'air ambiant ; que le ministre de la justice ne saurait utilement soutenir que les requérants n'apportent pas d'éléments suffisamment probants pour caractériser leurs conditions de détention soit, en se bornant à reconnaître que, pour MM. I et B, il n'est plus en mesure de savoir quelles sont les cellules que les intéressés ont occupées et s'ils étaient seuls ou non dans ces cellules, soit en retraçant pour MM. H, D, E, C, A, G et F, les modalités de leur détention d'où il ressort d'ailleurs, que tous ont au moins été incarcérés avec un codétenu, et majoritairement deux, durant toute la durée de leurs détentions ; qu'en outre, si le GARDE DES SCEAUX, MINISTRE DE LA JUSTICE fait valoir que des travaux ont été entrepris à compter de la fin de l'année 2007 dans le but d'améliorer les conditions de vie des détenus au sein de l'établissement, il n'établit nullement que les requérants aient bénéficié, tout au long de leur détention, de ces travaux et de ces améliorations qui, par ailleurs ont consisté essentiellement à la rénovation des peintures des cellules, et à l'établissement dans certaines cellules, de sanitaires cloisonnés, sans que cela ne modifie radicalement la physionomie des cellules ; qu'ainsi, et compte tenu des conditions d'incarcération susdécrites et des durées significatives d'incarcération dans ces conditions, le premier juge a pu, sans entacher son ordonnance d'erreur de droit, ni d'une erreur de fait, ni d'une erreur manifeste d'appréciation, d'une part, estimer que MM. H, D, E, B, C, A, G, I et F avaient été détenus dans des conditions n'assurant pas le respect de la dignité inhérente à la personne humaine, en méconnaissance des dispositions des articles D 189 et D 350 du code de procédure pénale, dispositions que les contraintes pesant sur le service public pénitentiaire, tant en ce qui concerne l'application des règles de sécurité que la gestion d'une situation difficile résultant de la surpopulation carcérale et de l'état de parc pénitentiaire ne sauraient avoir pour effet d'écarter, et, d'autre part, considérer que cette méconnaissance constituait, malgré les efforts mis en oeuvre par l'administration dans le but d'améliorer les conditions de ses établissements et les contraintes inhérentes à l'exercice des missions qui lui sont confiées, une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat à l'égard des intéressés ; qu'à supposer même que le premier juge aurait fait, à tort, application du plan sanitaire départemental aux locaux pénitentiaires, ainsi que le soutient le GARDE DES SCEAUX, MINISTRE DE LA JUSTICE, la violation des dispositions des articles D 189 et D 350 du code de procédure pénale était, à elle seule, de nature à justifier la solution retenue ;
Considérant, en second lieu, qu'il résulte de l'instruction que, contrairement à ce que soutient le GARDE DES SCEAUX, MINISTRE DE LA JUSTICE, MM. H, D, E, B, C, A, G, I et F ont bien précisé, dès leurs écritures de première instance, la nature du préjudice dont ils entendaient demander réparation, à savoir le préjudice moral qu'ils estiment chacun avoir subi à raison des conditions dans lesquelles ils ont été détenus à la maison d'arrêt de Rouen ; que l'obligation dont ils se prévalent à ce titre à l'égard de l'Etat pouvait, eu égard à ce qu'il vient d'être dit, être regardée, comme présentant pour partie, le caractère non sérieusement contestable exigé par les dispositions sus-rappelées de l'article R. 541-1 du code de justice administrative pour ouvrir droit à provision ;
Sur la quantum des provisions :
Considérant qu'il résulte de l'instruction, qu'à la date d'introduction de leurs requêtes, M. D avait été incarcéré du 25 février 2008 au 30 avril 2009, M. B du 13 mai 2007 au 22 octobre 2008, M. H du 21 septembre 2009 au 5 novembre 2010, M. C était incarcéré depuis le 22 septembre 2009, M. G depuis le 4 octobre 2009, M. A depuis le 20 novembre 2009, M. E depuis le 21 octobre 2009 ; qu'à la date d'introduction de la requête de M. I, soit le 31 janvier 2011, celui-ci avait été incarcéré du 12 septembre 2006 au 22 septembre 2007 ; qu'à la date d'introduction de la requête de M. F, soit le 5 mai 2011, celui-ci avait été incarcéré du 8 avril 2009 au 9 juillet 2010 ;
Considérant que, dans ces circonstances et compte tenu de leurs durées respectives d'incarcération, correspondant à des périodes comprises entre 12 et 17 mois, en condamnant l'Etat à verser respectivement à MM. H, D, E, B, C, A, G, I et F, une somme de 1500 euros, le premier juge n'a pas fait une inexacte appréciation de la part non sérieusement contestable de l'obligation de l'Etat à l'égard de chacun des intéressés ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le GARDE DES SCEAUX, MINISTRE DE LA JUSTICE n'est pas fondé à se plaindre que, par l'ordonnance attaquée, le vice-président désigné par le président du Tribunal administratif de Rouen, statuant en référé, a condamné l'Etat à verser MM. H, D, E, B, C, A, G, I et F une provision à valoir sur la réparation du préjudice subi par eux à raison des conditions de détention qui leur ont été respectivement imposées au sein de la maison d'arrêt de Rouen ;
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administratives et des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 :
Considérant, en premier lieu, qu'en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à MM C, A et G d'une somme globale de 300 euros au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens ;
Considérant, en second lieu, qu'aux termes de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 : " Les auxiliaires de justice rémunérés selon un tarif peuvent renoncer à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat et poursuivre contre la partie condamnée aux dépens et non bénéficiaire de l'aide juridictionnelle le recouvrement des émoluments auxquels ils peuvent prétendre. / En toute matière, l'avocat du bénéficiaire de l'aide juridictionnelle partielle ou totale peut demander au juge de condamner la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès, et non bénéficiaire de l'aide juridictionnelle, à lui payer une somme au titre des honoraires et frais, non compris dans les dépens, que le bénéficiaire de l'aide aurait exposés s'il n'avait pas eu cette aide (...) " ; qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de condamner l'Etat à verser à Me Noël, conseil de MM. H, D, E, B, I et F, bénéficiaires de l'aide juridique totale par décision du 28 novembre 2011, une somme globale de 600 euros au titre des honoraires et frais, non compris dans les dépens, sous réserve que Me Noël renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat ;
ORDONNE :
Article 1er : L'ordonnance n°1003732 du 28 juin 2011 du vice-président du tribunal administratif de Rouen, statuant en référé, est annulée.
Article 2 : L'Etat est condamné à verser à MM. H, D, E, B, C, A, G, I et F une provision d'un montant respectif de 1500 euros.
Article 3 : L'Etat versera à MM C, A et G la somme globale de 300 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4: L'Etat versera à Me Noël, conseil de MM H, D, E, B, I et F, la somme globale de 600 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 2011, sous réserve que Me Noël renonce à l'aide contributive de l'Etat.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié au GARDE DES SCEAUX, MINISTRE DE LA JUSTICE ET DES LIBERTES, à MM. Vincent H, Hassan D, Marvin E, Steve B, Moussa C, Mohamed A, Julien G, Steve I et Olivier F.
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