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03/11/2023 | FRANCE | N°23BX01181

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 03 novembre 2023, 23BX01181


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Ekip, agissant en qualité de mandataire judiciaire de la société 2MTP, a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Bordeaux, sur le fondement des dispositions de l'article R. 541-1 du code de justice administrative, de condamner la commune de Saint Ciers d'Abzac à lui verser une indemnité provisionnelle de 119 270,76 euros.

Par une ordonnance n° 2300919 du 11 avril 2023, le juge des référés du tribunal administratif de Bordeaux a condamné la commune de Saint Ciers d

'Abzac à verser à la société 2MTP représentée par la société Ekip, mandataire judici...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Ekip, agissant en qualité de mandataire judiciaire de la société 2MTP, a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Bordeaux, sur le fondement des dispositions de l'article R. 541-1 du code de justice administrative, de condamner la commune de Saint Ciers d'Abzac à lui verser une indemnité provisionnelle de 119 270,76 euros.

Par une ordonnance n° 2300919 du 11 avril 2023, le juge des référés du tribunal administratif de Bordeaux a condamné la commune de Saint Ciers d'Abzac à verser à la société 2MTP représentée par la société Ekip, mandataire judiciaire, une indemnité provisionnelle d'un montant de 119 270,76 euros.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 28 avril 2023 et un mémoire enregistré le 25 juillet 2023, la commune de Saint Ciers d'Abzac, représentée par son maire en exercice et ayant pour avocat Me Merlet-Bonnan, demande à la cour :

1°) d'annuler cette ordonnance et de rejeter les demandes de la société Ekip ;

2°) subsidiairement, de réformer l'ordonnance en subordonnant le versement éventuel d'une provision à la constitution d'une garantie ;

3°) de mettre à la charge de la société Ekip une somme de 2000 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- l'ordonnance a été rendue à l'issue d'une procédure irrégulière car la commune n'a pas eu communication de l'ensemble des pièces et mémoires de la société Ekip ; au surplus elle n'a eu connaissance de l'audience que postérieurement à sa tenue ; en outre l'ordonnance ne comporte aucune signature en méconnaissance de l'article R. 741-8 du code de justice administrative ;

- la créance dont se prévaut la société est sérieusement contestable dans son principe et dans son montant ;

- en effet, aucune réception des travaux n'est intervenue en l'absence de conformité de l'ouvrage aux obligations du marché, et il n'y a pas eu de validation d'un décompte général et définitif ; les réserves n'ont pas été levées ; les désordres ont été confirmés au cours de l'été, la chaussée ayant présenté de nouveau désordres rue du Vallon et rue du Fayet, qui ont dû être fermées à la circulation dès le 5 juin 2023 ;

- la commune a mandaté un paiement partiel de 59 891,16 euros réceptionné début avril 2023 pour la partie des prestations qui semblaient avoir été réalisées conformément à ce qui était attendu ;

- à tout le moins, eu égard à la situation économique et financière de la société 2MTP, dont la solvabilité est douteuse puisqu'elle est placée en redressement judiciaire, le versement de la provision devrait être subordonné à la constitution d'une garantie.

Par des mémoires en défense enregistrés le 19 mai 2023 et le 27 septembre 2023, la société Ekip, agissant en tant que mandataire judiciaire de la société 2MTP, ayant pour avocate Me Grimaud, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 2 000 euros soit mise à la charge de la commune de Saint Ciers d'Abzac en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- l'irrégularité tenant à un défaut de communication de pièces et mémoires n'est pas établi ;

- sur le fond, la commune n'apporte aucun élément nouveau ; la société 2MTP a attesté de la reprise des désordres dont fait état la commune ; ainsi que l'a relevé le premier juge, aucune réserve ni demande précise de la commune n'a été adressée à la société postérieurement à la reprise des travaux le 17 février 2023 et les voies sont ouvertes à la circulation depuis le mois de janvier 2023 ; les constations effectuées par le maire lui-même ne démontrent ni que les routes concernées par des désordres sont celles rénovées par la société 2MTP ni que ces désordres procéderaient d'une mauvaise exécution des travaux par celle-ci ; les arrêtés de fermeture à la circulation ont été opportunément pris par le maire pour corroborer ses propres allégations ; au demeurant la commune reconnaît qu'elle refuse encore à ce jour de réceptionner les travaux, au besoin avec des réserves, ainsi qu'il lui appartient de le faire ; en outre, contrairement à ce qu'indique la commune, elle n'a introduit aucune demande de référé expertise ; elle n'apporte d'ailleurs aucun élément démontrant la persistance de désordres à reprendre pour la rue du Fayet, dont les travaux restent à ce jour non réglés.

La clôture d'instruction a été fixée au 26 octobre 2023 à 12h00 par une ordonnance du 26 septembre 2023.

Le président de la cour a désigné M. B... A... comme juge des référés en application des dispositions du livre V du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la commande publique ;

- le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Considérant ce qui suit :

1. La société 2MTP s'est vu confier en octobre 2022 par la commune de Saint Ciers d'Abzac, aux termes d'un devis valant contrat, des travaux de réfection des chaussées de quatre rues, pour un montant total de 119 270,76 euros toutes taxes comprises (TTC). Au constat de malfaçons, et après réception d'une première facture datée du 12 décembre 2022, le maire de la commune, par un courrier du 4 janvier 2023, a fait part de ses réserves à la société 2MTP. Le 23 janvier 2023, le représentant de la commune a refusé de signer le procès-verbal de réception du chantier alors que, le même jour, la société 2MTP adressait trois factures complémentaires à ladite commune. Des travaux de reprise des désordres ont été entrepris par la société en février 2023 sans mettre fin aux réserves de la commune. C'est dans ces conditions que la société Ekip, mandataire judicaire de la société 2MTP, laquelle est placée en redressement judiciaire depuis le 17 novembre 2022, a saisi le juge des référés du tribunal administratif de Bordeaux, sur le fondement de l'article R. 541-1 du code de justice administrative, d'une demande tendant à la condamnation de la commune de Saint Ciers d'Abzac à lui verser une indemnité provisionnelle d'un montant de 119 270,76 euros correspondant au montant du marché et au total des factures impayées. La commune relève appel de l'ordonnance du 11 avril 2023 par laquelle le juge des référés l'a condamnée à verser une provision de 119 270,76 euros à la société 2MTP, représentée par la société Ekip.

Sur la régularité de l'ordonnance :

2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 5 du code de justice administrative : " L'instruction des affaires est contradictoire. Les exigences de la contradiction sont adaptées à celles de l'urgence, du secret de la défense nationale et de la protection de la sécurité des personnes ". Aux termes de l'article R. 611-1 du même code : " (...) La requête, le mémoire complémentaire annoncé dans la requête et le premier mémoire de chaque défendeur sont communiqués aux parties avec les pièces jointes dans les conditions prévues aux articles R. 611-2 à R. 611-6. / Les répliques, autres mémoires et pièces sont communiqués s'ils contiennent des éléments nouveaux ". Par ailleurs, aux termes de l'article R. 711-2 du code : " Toute partie est avertie, par une notification faite par lettre recommandée avec demande d'avis de réception (...), du jour où l'affaire sera appelée à l'audience. / (...) / L'avertissement est donné sept jours au moins avant l'audience (...). ". Selon l'article R. 711-2-1 du même code : " (...) Les parties qui ont accepté l'usage du téléservice mentionné à l'article R. 414-2 pour une affaire peuvent être convoquées au moyen de ce téléservice à l'audience à laquelle elle sera appelée. / Les dispositions de l'article R. 611-8-6 sont applicables. " Enfin, aux termes de l'article R. 611-8-6 de ce code : " Les parties sont réputées avoir reçu la communication ou la notification à la date de première consultation du document qui leur a été adressé par voie électronique, certifiée par l'accusé de réception délivré par l'application informatique, ou, à défaut de consultation, dans un délai de deux jours ouvrés à compter de la date de mise à disposition du document dans l'application, à l'issue de ce délai (...) ".

3. D'une part, il résulte de l'instruction que les mémoires et pièces présentés par la société Ekip et enregistrés au greffe du tribunal administratif de Bordeaux respectivement les 20 et 24 mars 2023 ont été communiqués les jours mêmes par l'application Télérecours à la commune de Saint Ciers d'Abzac, qui en a accusé réception le 3 avril suivant. La commune n'est donc pas fondée à prétendre ne pas avoir eu communication de l'ensemble des mémoires et pièces présentés en cours d'instance par la société Ekip. D'autre part, l'avis de l'audience tenue par le juge des référés le 3 avril 2023 à 15h00 a été mis à disposition de la commune de Saint Ciers d'Abzac le 13 mars 2023 sur Télérecours. En application des dispositions précitées de l'article R. 611-8-6 du code de justice administrative, si la commune n'a ouvert la pièce que postérieurement à l'audience, le 28 avril 2023, elle est néanmoins réputée en avoir eu notification régulière dès le 15 mars 2023 et ne saurait ainsi se plaindre de ne pas avoir été avisée de l'audience préalablement à celle-ci.

4. En second lieu, la commune de Saint Ciers d'Abzac soutient que l'ordonnance attaquée ne respecte pas les prescriptions de l'article R. 741-8 du code de justice administrative selon lesquelles : " (...) Lorsque l'affaire est jugée par un magistrat statuant seul, la minute du jugement est signée par ce magistrat et par le greffier d'audience ".

5. Il ressort toutefois de l'examen de la minute de l'ordonnance attaquée qu'elle est revêtue de la signature du juge des référés ainsi que de la signature du greffier d'audience, conformément aux dispositions précitées de l'article R. 741-8 du code de justice administrative applicables en l'espèce. La circonstance que l'ampliation de cette ordonnance qui a été notifiée à la commune ne comporte pas ces signatures est sans incidence sur la régularité de cette décision. Par suite, le moyen tiré du défaut de signature de l'ordonnance manque en fait et doit être écarté.

Sur le bien-fondé de l'ordonnance :

6. Aux termes de l'article R. 541-1 du code de justice administrative : " Le juge des référés peut, même en l'absence d'une demande au fond, accorder une provision au créancier qui l'a saisi lorsque l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable. Il peut, même d'office, subordonner le versement de la provision à la constitution d'une garantie. " Il résulte de ces dispositions qu'il appartient au juge des référés, dans le cadre de cette procédure qu'elles instituent, de rechercher si, en l'état du dossier qui lui est soumis, l'obligation du débiteur éventuel de la provision est ou n'est pas sérieusement contestable sans avoir à trancher ni de questions de droit se rapportant au bien-fondé de cette obligation ni de questions de fait soulevant des difficultés sérieuses et qui ne pourraient être tranchées que par le juge du fond éventuellement saisi.

7. En premier lieu, la commune fait valoir sans être contredite qu'elle a mandaté début avril 2023 un paiement partiel d'un montant de 59 891,16 euros correspondant aux trois premières factures émises par la société 2MTP, relatives aux travaux exécutés respectivement sur la rue de l'Enfance, la rue de Pradela et la rue du Vallon. Elle présente elle-même ce paiement non comme l'exécution de l'ordonnance qu'elle conteste mais comme le règlement spontané de sommes correspondant à " la partie des prestations qui semblent avoir été réalisées ". Il y a donc lieu de considérer que, dans cette mesure, la créance dont se prévaut la société Ekip en sa qualité de mandataire judiciaire de la société SMTP n'est pas sérieusement contestable.

8. En second lieu, s'agissant des travaux entrepris rue du Fayet pour un montant de 59 379,60 euros, il résulte des mentions d'un constat d'huissier en date du 6 mars 2023 produit par la société Ekip elle-même qu'à cette date, soit postérieurement aux travaux de reprise entrepris par la société à la demande de la commune, le revêtement présentait en divers emplacements des épaufrures, affaissements, écroutages, et pelures ou micro-pelures. La commune produit par ailleurs devant la cour un constat établi par son maire le 31 mai 2023 ainsi que des documents photographiques et un arrêté du 6 juin 2023 dont il résulte que la voie a dû être fermée à la circulation à compter de cette date, soit six mois après la fin du chantier, en raison de la détérioration anormale de la chaussée à la suite des chaleurs estivales. Ces circonstances, alors que les réserves émises par la commune n'ont pas été levées et que les travaux n'ont pas été réceptionnés, révèlent l'existence d'un doute sérieux quant à la réalisation dans les règles de l'art des travaux confiés à la société 2MTP. Pour autant, et alors qu'il est constant que la société 2MTP a effectué des travaux sur la chaussée de la rue du Fayet en exécution du contrat la liant à la commune de Saint Ciers d'Abzac, si cette dernière fait état de manière récurrente depuis le mois de février 2023 de sa volonté de recourir à une expertise permettant de porter une appréciation sur les causes précises des désordres et le coût des travaux de reprise indispensables qui seraient éventuellement imputables à la société 2MTP, elle n'établit pas avoir engagé une démarche en ce sens. Au regard de l'ensemble de ces circonstances, il sera fait une juste appréciation du caractère non sérieusement contestable de la créance dont se prévaut la société Ekip au titre des travaux effectués rue du Fayet en limitant la provision qui lui est due à ce titre à la moitié de la facture non encore acquittée, soit la somme de 29 689,80 euros.

9. Il résulte de ce qui précède que la commune de Saint Ciers d'Abzac est seulement fondée à soutenir que c'est à tort que le juge des référés du tribunal administratif de Bordeaux l'a condamnée à verser à la société Ekip, prise en sa qualité de mandataire judiciaire de la société 2MTP, une indemnité provisionnelle d'un montant excédant 89 580,96 euros, en ce compris le paiement partiel déjà intervenu à la date de la présente ordonnance.

10. Si la somme de 59 891,16 euros d'ores et déjà versée par la commune de Saint Ciers d'Abzac ne peut désormais donner lieu à constitution d'une garantie, il y a lieu en revanche, eu égard à la situation de redressement judiciaire de la société 2MTP, de subordonner le versement de la provision, à concurrence de 29 689,80 euros, à la constitution par la société Ekip de l'une des garanties mentionnées au deuxième alinéa de l'article R. 277-1 du livre des procédures fiscales ou de toute autre garantie qui serait acceptée par la commune de Saint Ciers d'Abzac.

Sur les frais de l'instance :

11. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées tant par la commune de Saint Ciers d'Abzac que par la société Ekip sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

ORDONNE :

Article 1er : La commune de Saint Ciers d'Abzac est condamnée à verser à la société Ekip, prise en sa qualité de mandataire judiciaire de la société 2MTP, une provision de 89 580,96 euros incluant le paiement déjà intervenu à la date de la présente ordonnance.

Article 2 : Ce versement est subordonné, à concurrence de 29 689,80 euros, à la constitution, par la société Ekip, de l'une des garanties mentionnées au deuxième alinéa de l'article R. 277-1 du livre des procédures fiscales ou de toute autre garantie qui serait acceptée par la commune de Saint Ciers d'Abzac.

Article 3 : L'ordonnance n° 2300919 du 11 avril 2023 du juge des référés du tribunal administratif de Bordeaux est réformée en ce qu'elle a de contraire à la présente ordonnance.

Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 5 : La présente ordonnance sera notifiée à la société Ekip, mandataire judiciaire de la société 2MTP, et à la commune de Saint Ciers d'Abzac.

Fait à Bordeaux, le 3 novembre 2023.

La juge d'appel des référés,

B... A...

La République mande et ordonne au préfet de la Gironde en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente ordonnance.

2

N° 23BX01181


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Numéro d'arrêt : 23BX01181
Date de la décision : 03/11/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Avocat(s) : SELAS ELIGE BORDEAUX

Origine de la décision
Date de l'import : 12/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2023-11-03;23bx01181 ?
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