Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société d'équipement du département de La Réunion (SEDRE) a demandé au juge des référés du tribunal administratif de La Réunion, sur le fondement de l'article R. 541-1 du code de justice administrative, de condamner la commune de Sainte-Marie à lui verser une provision de 1 539 395,97 euros au titre de l'exécution de la convention conclue le 29 août 1991 pour la réalisation de logements locatifs sociaux et de ses avenants signés les 1er août 1996 et 9 avril 1999.
Par une ordonnance n° 2200839 du 3 mars 2023, le juge des référés du tribunal a fait droit à la demande de la SEDRE.
Par une requête enregistrée le 13 mars 2023, la commune de Sainte-Marie, représentée par Me Creissen, demande au juge des référés de la cour :
1°) d'annuler l'ordonnance n° 2200839 du 3 mars 2023 ;
2°) de rejeter la demande de la SEDRE ;
3°) de mettre à la charge de la SEDRE somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- c'est à tort que le premier juge a estimé que la commune était tenue par ses engagements souscrits en 1991 alors qu'elle a contesté les conditions de fond de ses engagements et que les délibérations auxquelles il s'est référé, et qui auraient approuvé la conclusion des contrats, ne sont pas précisées ; les engagements en question ne seraient opposables à la commune que si la convention lui était elle-même opposable ; cette opposabilité doit être établie à l'aide d'éléments précis ;
- elle conteste la légalité de sa prétendue garantie de passif d'exploitation qui ne trouverait à s'appliquer qu'aux opérations d'aménagement, catégorie dans laquelle les opérations en litige n'entrent pas ;
- elle n'a pas fixé des loyers à un prix bas et n'est donc pas responsable du manque à gagner invoqué par la SEDRE ; il n'existe même pas d'acte de fixation du prix des loyers par la commune ; elle n'a nullement mis en place un dispositif dérogatoire de loyers à un prix anormalement bas au profit de quelques dizaines de locataires ;
- la couverture d'un déficit d'exploitation après construction ne répond pas à un impératif d'intérêt général ou à la réalisation d'une mission de service public ;
- la convention signée en 1991 et ses avenants sont illégaux dès lors que son consentement a été vicié, qu'ils ont institué une aide économique illégale, une garantie d'emprunt illégale et ont mis en place des libéralités auxquelles une personne publique ne peut consentir.
Par un mémoire en défense, enregistré le 22 mai 2023, la société d'équipement du département de La Réunion (SEDRE), représentée par Me Dugoujon, conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de la commune la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que tous les moyens de la requête doivent être écartés comme infondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la commande publique ;
- le code de justice administrative.
Le président de la cour a désigné M. B... A... pour statuer comme juge des référés en application du livre V du code de justice administrative.
Considérant ce qui suit :
1. La société d'équipement du département de La Réunion (SEDRE) est une société d'économie mixte qui collabore avec des acteurs publics et privés dans la réalisation de projets de construction et d'aménagement dans le département de La Réunion. Le 29 août 1991, elle a signé avec la commune de Sainte-Marie une convention, modifiée par avenants des 1er août 1996 et 9 avril 1999, la chargeant de réaliser un programme de construction de logements locatifs sociaux sur le site du Verger. Chargée de la construction, de la gestion et de l'entretien des logements, la SEDRE a fait face à un déficit d'exploitation persistant qui l'a conduit, entre 2016 et 2021, à adresser à la commune de Sainte-Marie plusieurs appels de fonds. En l'absence de réponse favorable de la commune, la SEDRE a saisi, sur le fondement de l'article R. 541-1 du code de justice administrative, le juge des référés du tribunal administratif de La Réunion d'une demande tendant à la condamnation de cette commune à lui verser une provision de 1 539 395,97 euros correspondant aux soldes débiteurs cumulés en 2021 des programmes définis dans la convention de 1991 et ses avenants. Par une ordonnance du 3 mars 2023, dont la commune de Sainte-Marie relève appel, le juge des référés a intégralement fait droit à la demande de la SEDRE.
2. Aux termes de l'article R. 541-1 du code de justice administrative : " Le juge des référés peut, même en l'absence d'une demande au fond, accorder une provision au créancier qui l'a saisi lorsque l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable. Il peut, même d'office, subordonner le versement de la provision à la constitution d'une garantie ". Il résulte de ces dispositions que pour regarder une obligation comme non sérieusement contestable, il appartient au juge des référés de s'assurer que les éléments qui lui sont soumis par les parties sont de nature à en établir l'existence avec un degré suffisant de certitude.
3. Le préambule de la convention du 29 août 1991 est ainsi rédigé : " En raison de l'intérêt général que présente pour la commune de Sainte-Marie la réalisation, sur son territoire, de logements locatifs sociaux. Compte tenu de ce que la SEDRE, qui a été créée pour agir dans un but d'intérêt général et en dehors de tout esprit de spéculation...la commune de Sainte-Marie a décidé de confier à la SEDRE la réalisation d'opération de logements locatifs sociaux. ".
4. En vertu de l'article III.2.2 de la convention, la SEDRE doit établir un budget d'investissement qui sera soumis à l'approbation de la commune. En vertu de l'article III.2.3 de la même convention, la commune s'engage à apporter une garantie d'emprunt à la SEDRE auprès des organismes prêteurs. L'article IV 1 de la convention, inclus dans le titre IV " exploitation et entretien du programme ", stipule que la SEDRE doit établir chaque année un budget prévisionnel de gestion, faisant notamment ressortir l'hypothèse retenue pour fixer le montant des premiers loyers et la prévision de leur hausse annuelle, à soumettre à l'approbation de la commune. Le 1 " choix des locataires " de l'article IV 2 de la convention stipule que la SEDRE attribuera les locaux d'habitation aux candidats proposés par la commune, tandis que les loyers seront fixés en accord avec le maire. Ce même article comporte, à propos de l'équilibre financier de l'opération, la précision suivante : " si toutefois cet équilibre ne pouvait être atteint du fait du montant des loyers souhaités par la commune, celle-ci en assurerait les conséquences financières conformément aux articles IV.7 et IV.8 ci-après. ". Aux termes de l'article IV.6 : " Compte de résultats. La gestion des immeubles réalisés au titre de la présente convention donnera lieu à l'établissement d'une comptabilité...qui sera adressée chaque année au maire. ". Aux termes de l'article IV.7 de la convention : " Solde débiteur ou créditeur du programme. Le solde débiteur éventuel du compte de résultat sera porté au débit de la commune. La société inscrira à son bilan une créance d'un montant équivalent correspondant à l'engagement de la commune. / Le solde débiteur du compte de résultat sera d'abord porté au crédit du compte que la société ouvrira dans ses livres au nom de la commune de Sainte-Marie ; les fonds portés à ce compte seront affectés en priorité à l'apurement du solde débiteur de celle-ci, et au remboursement des avances visées à l'article IV.8 ci-après (...) ".
5. Les stipulations précitées reconnaissent à la commune de Sainte-Marie un pouvoir d'approbation du montant des loyers ainsi que du budget annuel de gestion établi par la SEDRE. Elles prévoient également que la SEDRE attribuera les logements aux locataires proposés par la commune. Ce faisant, la commune a entendu exercer un pouvoir de contrôle de l'activité confiée à la SEDRE, chargée de réaliser une opération d'accès de certaines populations défavorisées à des logements locatifs sociaux. Ainsi, la commune de Sainte-Marie a manifestement entendu charger son cocontractant d'une mission de service public.
6. Lorsque les parties soumettent au juge un litige relatif à l'exécution du contrat qui les lie, il incombe en principe à celui-ci, eu égard à l'exigence de loyauté des relations contractuelles, de faire application du contrat. Toutefois, dans le cas seulement où il constate une irrégularité invoquée par une partie ou relevée d'office par lui, tenant au caractère illicite du contrat ou à un vice d'une particulière gravité relatif notamment aux conditions dans lesquelles les parties ont donné leur consentement, il doit écarter le contrat et ne peut régler le litige sur le terrain contractuel. Ainsi lorsque le juge est saisi d'un litige relatif à l'exécution d'un contrat, les parties à ce contrat ne peuvent invoquer un manquement aux règles de passation, ni le juge le relever d'office, aux fins d'écarter le contrat pour le règlement du litige. Par exception, il en va autrement lorsque, eu égard, d'une part, à la gravité de l'illégalité et, d'autre part, aux circonstances dans lesquelles elle a été commise, le litige ne peut être réglé sur le fondement de ce contrat.
7. Comme l'a relevé à bon droit le premier juge, il résulte de l'instruction que la commune a, depuis près de trente ans, pris une part active dans l'exécution de la convention du 29 août 1991 et de ses avenants, sans émettre d'objection, notamment en collaborant avec la SEDRE pour le choix des locataires et la détermination des loyers, lesquels ont été volontairement fixés à un niveau bas pour favoriser l'accès de certaines populations défavorisées au logement. Dans ces circonstances, bien qu'il ait autorisé le maire à signer le contrat le 30 août 1991 seulement, le conseil municipal doit être regardé comme ayant donné son accord a posteriori à la conclusion de la convention en litige. Eu égard à l'exigence de loyauté des relations contractuelles, l'absence d'autorisation préalable donnée par l'assemblée délibérante à la signature de la convention par le maire ne constitue pas un vice d'une gravité telle que le contrat devrait être écarté. D'une manière plus générale, il ne résulte pas de l'instruction que les membres du conseil municipal auraient été insuffisamment informés du contenu de la convention et des obligations qu'elle faisait peser sur la commune, laquelle a exécuté cette convention pendant de nombreuses années, ainsi qu'il a été dit. Le moyen tiré de ce que le consentement de la commune a été vicié doit, dans ces conditions, être écarté.
8. Il résulte clairement des stipulations précitées des articles IV.2 et IV.7 de la convention que la commune doit garantir l'équilibre financier du compte d'exploitation de la SEDRE, le solde débiteur du compte de résultat constituant, par suite, une créance détenue par la SEDRE sur son cocontractant. La commune de Sainte-Marie ne peut utilement contester la légalité de l'article IV.7 de la convention en soutenant que la garantie d'emprunt qu'elle a accordée par ailleurs à la SEDRE serait illégale dès lors que cette garantie constitue une opération distincte, soumise à des règles propres, que le conseil municipal a approuvée par une autre délibération du 28 avril 1992.
9. Ainsi qu'il a été dit, en choisissant de soutenir et de contrôler la mise en œuvre de l'opération définie dans la convention en litige et ses avenants, la commune a manifestement entendu confier à la SEDRE une mission de service public dans le domaine du logement social. A cet égard, la garantie de l'équilibre financier du compte d'exploitation que l'article IV.7 fait peser sur la commune apparaît comme la contrepartie des obligations de service public imposées à la SEDRE et des prérogatives de contrôle et de direction que la commune s'est réservée lors de la conclusion du contrat. Dans ces conditions, il n'apparaît pas que l'article IV.7 de la convention puisse être regardée comme une aide économique illégale ou comme une libéralité qu'il est interdit aux personnes publiques de prodiguer.
10. Il résulte de l'instruction que le déficit d'exploitation supporté par la SEDRE en juin 2021 s'élève à 1 539 395,97 euros, compte tenu du niveau bas des loyers et de l'ampleur des charges d'entretien d'immeubles vieillissants auxquelles elle doit faire face. Dès lors, c'est à bon droit que le premier juge a fixé à 1 539 395,97 euros le montant, justifié au dossier, de la créance, non sérieusement contestable, détenue par la SEDRE sur la commune de Sainte-Marie.
11. Il résulte de tout ce qui précède que la commune de Sainte-Marie n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par l'ordonnance attaquée, le juge des référés du tribunal administratif de La Réunion l'a condamnée à verser à la SEDRE la somme de 1 539 395,97 euros à titre de provision.
12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle aux conclusions présentées par la commune de Sainte-Marie tendant à ce que la SEDRE, qui n'est pas la partie perdante à l'instance, lui verse une somme au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. En revanche, il y a lieu de faire application de ces mêmes dispositions en mettant à la charge de la commune appelante la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par la SEDRE et non compris dans les dépens.
ORDONNE :
Article 1er : La requête n° 23BX00681 de la commune de Sainte-Marie est rejetée.
Article 2 : La commune de Sainte-Marie versera à la SEDRE la somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à la commune de Sainte-Marie et à la société d'équipement du département de La Réunion.
Fait à Bordeaux, le 2 octobre 2023.
Le juge des référés,
B... A...
La République mande et ordonne au préfet de la Réunion, en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente ordonnance.
N° 23BX00681