Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme E... C..., agissant en son nom et au nom de sa fille mineure F... D..., a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Limoges de condamner l'Etat à lui verser les provisions de 3 000 et 15 000 euros en réparation, d'une part, des troubles dans leurs conditions d'existence et du préjudice moral et, d'autre part, du préjudice matériel, causés par la décision implicite du 16 mars 2021 de refus de délivrance d'un titre de séjour et de travail et par le délai et les conditions anormales de délivrance d'un titre de séjour.
Par une ordonnance n° 2201763, 2300041 du 11 avril 2023, le juge des référés du tribunal administratif de Limoges a rejeté ses demandes.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 7 juillet 2023, Mme C..., agissant en son nom personnel et au nom de sa fille mineure F... D..., représentée par Me Malabre, demande à la cour :
1°) d'annuler cette ordonnance du 11 avril 2023 du juge des référés du tribunal administratif de Limoges ;
2°) de faire droit à ses conclusions tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser les provisions de 3 000 et 15 000 euros, assorties des intérêts au taux légal à compter de la date de réception de la demande préalable du 28 octobre 2022 et de la capitalisation des intérêts ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat les sommes de 1 920 et 2 400 euros au titre des frais de première instance et des frais de l'instance d'appel, en application des articles 37 et 75 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.
Il soutient que :
- toute illégalité est fautive et l'illégalité du refus de délivrance d'un titre de séjour résulte en l'espèce de l'arrêt de la cour du 11 juillet 2022 qui a relevé la méconnaissance du 6° de l'article L. 313-11 ancien du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile prévoyant un cas de délivrance de plein droit ; dès lors que sa situation relevait de ces dispositions, la commission du titre de séjour devait être consultée avant tout refus, en application de l'article L. 312-2 ancien du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; l'absence de consultation lui a créé un préjudice puisque le texte prévoit la délivrance d'un récépissé autorisant provisoirement au séjour dans l'attente de la décision de l'administration après avis de la commission et qu'aucune mesure d'éloignement ne peut être prononcée dans l'intervalle ;
- il ne peut être sérieusement contesté qu'elle et sa fille ont subi une atteinte disproportionnée à leur vie privée et familiale dès lors qu'elle relevait d'un cas de délivrance de plein droit d'un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " et que la décision avait pour effet de séparer l'enfant, de nationalité française, de sa mère, ou, en cas de départ avec sa mère, de la séparer de son père de nationalité française et de sa grand-mère de nationalité belge ; de plus, l'enfant, qui n'a pas la nationalité malgache, ne pouvait obtenir un titre de voyage malgache ; cette situation entraine également une atteinte aux droits de l'enfant ;
- le retard mis à la délivrance d'un titre de séjour ne peut avoir pour point de départ l'arrêt de la cour puisque cet arrêt a prononcé l'annulation rétroactive de la décision illégale de refus ; la demande de titre de séjour ayant été enregistrée à la préfecture le 26 mai 2020, le titre aurait dû être délivré au plus tard quatre mois après, avec, dans l'intervalle, délivrance de récépissés autorisant au séjour et au travail ; elle n'a reçu qu'un seul récépissé, celui du 15 février 2022 abrogé un mois plus tard, l'autorisant à travailler ; elle n'en a reçu un autre que peu avant l'arrêt de la cour, en mars 2022 et elle n'a reçu un titre de séjour que le 29 juillet 2022, deux ans et deux mois après sa demande et un an et dix mois après l'expiration du délai normal d'instruction, sans qu'aucune difficulté particulière ne justifie un tel retard ;
- le lien de causalité entre la faute et le préjudice est établi ; on ne peut lui reprocher de ne pas avoir recherché un travail puisque cela lui était interdit ; elle ne pouvait par ailleurs bénéficier de prestations et allocations, leur versement étant lié à la possession d'un titre de séjour ou d'un récépissé autorisant le travail ; ses droits, qui s'élèvent à 1 035,13 euros par mois, n'ont été ouverts qu'après la délivrance d'un titre de séjour ;
- le préjudice moral et les troubles dans les conditions d'existence subis pendant deux ans par elle et sa fille justifient une provision de 3 000 euros ; elle a subi pendant deux ans la perte de chance de trouver un emploi et de percevoir des revenus ; dès qu'elle a été en droit de travailler, elle a trouvé un emploi puis une formation rémunérée à hauteur de 1 077 euros nets mensuels ; elle a également été privée de la possibilité de percevoir des prestations légales ; la caisse d'allocations familiales atteste que les prestations auxquelles elle a droit depuis mars 2022 s'élèvent à 1 035,13 euros mensuels ; c'est ce montant qui a été, a minima, perdu pendant deux ans ; son préjudice matériel justifie ainsi une provision de 15 000 euros.
Mme C... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle du tribunal judiciaire de Bordeaux du 20 juin 2023.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant signée à New-York le 26 janvier 1990 ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la cour a désigné Mme B... A... comme juge des référés en application du livre V du code de justice administrative.
Considérant ce qui suit :
1. Mme C..., née en 1987, de nationalité malgache, est entrée régulièrement en France le 15 mars 2019, munie d'un visa de court séjour valable jusqu'au 2 avril 2019. Ayant donné naissance, le 23 janvier 2020, à une enfant issue de sa relation avec un Français, elle a sollicité, le 26 mai 2020, la délivrance d'un titre de séjour en qualité de parent d'enfant français, sur le fondement des dispositions du 6° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, alors en vigueur. Par un arrêté du 16 mars 2021, le préfet de la Haute-Vienne a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel elle est susceptible d'être éloignée. Par jugement du 8 juillet 2021, le tribunal administratif de Limoges a rejeté sa demande tendant à l'annulation de ces décisions. Par arrêt du 11 juillet 2022, la cour a annulé ce jugement ainsi que l'arrêté préfectoral du 16 mars 2021 et a enjoint au préfet de la Haute-Vienne de délivrer à Mme C... une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de deux mois à compter de la notification de l'arrêt et, dans l'attente, de la munir d'une autorisation provisoire de séjour. A la suite de l'arrêt de la cour, le 29 juillet 2022, un titre de séjour valable un an, portant la mention " vie privée et familiale " a été délivré à l'intéressée. Mme C..., estimant avoir subi, ainsi que sa fille, un préjudice matériel et moral résultant du refus illégal de délivrance d'un titre de séjour qui lui a été opposé, du retard mis à l'instruction de sa demande, de l'absence de délivrance de récépissés l'autorisant à travailler et du retard mis à lui délivrer le titre auquel elle avait droit, a saisi le juge des référés du tribunal administratif de Limoges de demandes tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser les provisions de 3 000 et 15 000 euros, au titre, d'une part, du préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence et, d'autre part, du préjudice matériel qu'elle soutient avoir subis ainsi que sa fille. Elle fait appel de l'ordonnance du 11 avril 2023 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Limoges a rejeté sa demande.
Sur la recevabilité des demandes de première instance :
2. Aux termes de l'article R. 421-1 du code de justice administrative : " La juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision, et ce, dans les deux mois à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée. / Lorsque la requête tend au paiement d'une somme d'argent, elle n'est recevable qu'après l'intervention de la décision prise par l'administration sur une demande préalablement formée devant elle (...) ". Aux termes de l'article R. 421-2 du même code : " Sauf disposition législative ou réglementaire contraire, dans les cas où le silence gardé par l'autorité administrative sur une demande vaut décision de rejet, l'intéressé dispose, pour former un recours, d'un délai de deux mois à compter de la date à laquelle est née une décision implicite de rejet. Toutefois, lorsqu'une décision explicite de rejet intervient avant l'expiration de cette période, elle fait à nouveau courir le délai de recours (...) ".
3. Il résulte de l'instruction que Mme C... a saisi l'administration d'une demande préalable d'indemnisation du 28 octobre 2022, reçue par la préfecture le 2 novembre 2022, du préjudice subi du fait du refus illégal de délivrance d'un titre de séjour et du retard anormal de la délivrance d'un titre, deux ans après la présentation de la demande. Si l'intéressée a saisi une première fois le juge des référés du tribunal le 10 décembre 2022 alors qu'en l'absence de réponse expresse de l'administration, aucune décision implicite n'était acquise en application de l'article R. 231-4 du code des relations entre les citoyens et l'administration, elle a de nouveau saisi le tribunal le 9 janvier 2023, après la naissance d'une décision implicite de rejet et dans les deux mois suivant la naissance de cette décision. Ainsi, la fin de non-recevoir opposée en première instance par le préfet de la Haute-Vienne, tirée de l'absence d'une décision de l'administration, doit être écartée.
Sur les conclusions tendant au versement d'indemnités provisionnelles :
4. Aux termes de l'article R. 541-1 du code de justice administrative : " Le juge des référés peut, même en l'absence d'une demande au fond, accorder une provision au créancier qui l'a saisi lorsque l'existence de l'obligation est non sérieusement contestable (...) ". Il résulte de ces dispositions que pour regarder une obligation comme non sérieusement contestable, il appartient au juge des référés de s'assurer que les éléments qui lui sont soumis par les parties sont de nature à en établir l'existence avec un degré suffisant de certitude. Dans ce cas, le montant de la provision que peut allouer le juge des référés n'a d'autre limite que celle résultant du caractère non sérieusement contestable de l'obligation dont les parties font état.
En ce qui concerne les fautes :
5. En premier lieu, dans son arrêt du 11 juillet 2022, devenu irrévocable, la cour a annulé l'arrêté du 16 mars 2021 du préfet de la Haute-Vienne, motif pris de la violation du 6° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, alors applicable, en relevant que Mme C... remplissait les conditions, à la date de la décision de refus contestée, pour bénéficier du droit à un titre de séjour sur ce fondement. En entachant son arrêté d'une telle illégalité, contrairement à ce qu'a estimé le juge des référés du tribunal administratif de Limoges, le préfet de la Haute-Vienne a ainsi commis une faute suffisamment certaine de nature à engager la responsabilité de l'Etat.
6. En deuxième lieu, il résulte de l'instruction que les récépissés de demande de titre de séjour délivrés à Mme C... après le dépôt de sa demande sur le fondement du 6° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ne l'autorisaient pas à travailler, en méconnaissance de l'article R. 311-6 du même code, à l'exception de celui du 15 février 2021, délivré un mois avant le refus de titre de séjour opposé à l'intéressé et de celui qui lui a été délivré au mois de mars 2022. L'absence de délivrance de récépissés autorisant Mme C... à travailler constitue également une faute suffisamment certaine de nature à engager la responsabilité de l'Etat.
7. Enfin, la cour a jugé, dans son arrêt du 11 juillet 2022, que Mme C... justifiait remplir les conditions pour bénéficier d'un titre de séjour en qualité de parent d'enfant français à la date de la décision de refus du 16 mars 2021, car elle produisait un jugement du 15 décembre 2021 du juge aux affaires familiales du tribunal judiciaire de Limoges homologuant et donnant force exécutoire à la convention signée le 8 avril 2021 entre Mme C... et M. D... par laquelle ce dernier s'est engagé à verser la somme de 150 euros par mois au titre de la contribution à l'entretien et à l'éducation de son enfant. En revanche, il ne résulte pas de l'instruction que l'intéressée ait apporté au préfet des éléments justifiant suffisamment la contribution du père de l'enfant qui lui auraient permis de prendre une décision de délivrance d'un titre de séjour dans le délai de quatre mois suivant le dépôt de la demande. Dans ces conditions, il ne peut être considéré comme suffisamment certain que le délai d'instruction de sa demande constituerait, par lui-même, une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat.
En ce qui concerne les préjudices :
8. En premier lieu, eu égard à la nationalité française de l'enfant de Mme C... et au risque de séparation de l'enfant d'avec sa mère ou d'avec son père de nationalité française, il doit être regardé comme établi avec un degré suffisant de certitude que la requérante et sa fille ont subi des troubles dans leurs conditions d'existence et un préjudice moral résultant du refus de séjour et de la décision d'éloignement prise à son encontre. Compte tenu de la durée de l'illégalité à l'origine de ce préjudice, entre le 16 mars 2021 et le 29 juillet 2022, l'obligation de l'Etat d'indemniser à hauteur de 3 000 euros ce préjudice subi par Mme C... et sa fille n'est pas sérieusement contestable.
9. En second lieu, Mme C... qui n'a pas été mise en capacité de travailler en l'absence de récépissé l'y autorisant après le dépôt de sa demande et du fait du refus de titre de séjour qui lui a été illégalement opposé, mais a occupé un emploi dès le 14 juin 2022 peu après le récépissé l'autorisant à travailler qui lui a été délivré en mars 2022 puis a été admise dans un parcours de formation rémunéré, a perdu une chance de se procurer des revenus pendant près de deux ans. Elle produit des justificatifs selon lesquels elle a été rémunérée à hauteur de 848,22 euros pour 13 jours de travail au mois de juin 2022 et à hauteur de 685 euros mensuels au titre de la formation qu'elle a intégrée le 29 août 2022. Elle doit également être regardée comme ayant perdu, entre la date du refus illégal qui lui a été opposé et la date à laquelle un titre de séjour lui a été délivré, une chance de percevoir des allocations dont le versement est subordonné à la détention d'un titre de séjour. Elle produit des documents attestant qu'elle a perçu des prestations de la caisse d'allocations familiales, consistant dans la prime d'activité, le revenu de solidarité active et la prestation d'accueil du jeune enfant à hauteur totale de 853 euros au titre du mois d'août 2022, 1 217 euros au titre du mois de septembre 2022 et 1 035 euros au titre du mois d'octobre 2022. Dans ces conditions, l'obligation de l'Etat d'indemniser à hauteur de 15 000 euros le préjudice matériel subi n'est pas sérieusement contestable.
10. Il résulte de ce qui précède que Mme C... est fondée à demander la condamnation de l'Etat à lui verser les provisions de 3 000 euros et 15 000 euros.
11. Mme C... a droit aux intérêts de ces sommes de 3 000 et 15 000 euros à compter du 2 novembre 2022, date de réception par l'administration de sa demande préalable d'indemnisation. Elle a demandé la capitalisation des intérêts dans sa demande introductive d'instance au tribunal administratif, enregistrée le 10 décembre 2022. A la date de la présente ordonnance, il n'est toutefois pas dû une année d'intérêts. Dès lors, conformément aux dispositions de l'article 1343-2 du code civil, il y a lieu de rejeter cette demande.
Sur les frais d'instance :
12. Mme C... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Malabre, avocat de Mme C..., les sommes de 1 500 euros au titre de la première instance et 1 500 euros au titre de l'instance d'appel en application des articles 37 et 75 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.
ORDONNE :
Article 1er : L'ordonnance du 11 avril 2023 du juge des référés du tribunal administratif de Limoges est annulée.
Article 2 : L'Etat est condamné à verser à Mme C..., agissant en son nom et au nom de sa fille F... D..., les provisions de 3 000 euros et 15 000 euros. Les sommes de 3 000 et 15 000 euros porteront intérêts à compter du 2 novembre 2022.
Article 3 : L'Etat versera à Me Malabre, avocat de Mme C..., les sommes de 1 500 euros au titre de la première instance et 1 500 euros au titre de l'instance d'appel en application des articles 37 et 75 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : La présente ordonnance sera notifiée à Mme E... C... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Une copie en sera adressée au préfet de la Haute-Vienne.
Fait à Bordeaux, le 29 août 2023.
Le juge des référés,
B... A...
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer, en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente ordonnance.
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No 23BX01896