Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Dufour Yachts a demandé au tribunal administratif de Poitiers de corriger le montant du solde du déficit antérieur reportable au titre des exercices clos en 2013, 2014 et 2015 et de le rétablir à hauteur de 31 437 909 euros.
Par un jugement n° 1801415 du 10 novembre 2020, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 14 janvier et 31 août 2021, la société Dufour Yachts, représentée par Me Calderini et Me de Ginestet, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1801415 du tribunal administratif de Poitiers du 10 novembre 2020 ;
2°) de corriger le montant du solde du déficit antérieur reportable au titre des exercices clos en 2013, 2014 et 2015 et de le rétablir à hauteur de 31 437 909 euros ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- il résulte tant des dispositions de l'article 38 du code général des impôts que de la doctrine administrative que le déficit reportable au titre du premier exercice non prescrit ne peut être rectifié d'omissions ou d'erreurs commises au cours des exercices prescrits où a été constaté ce déficit et affectant un des postes de l'actif net ; dès lors, le bilan d'ouverture du premier exercice non prescrit, soit au 1er août 2012, étant intangible, le déficit reportable à la clôture de cet exercice et des exercices suivants ne pouvait être rectifié des omissions ou des erreurs commises au cours de l'exercice clos le 31 juillet 2012, qui, en l'espèce, affectent un des postes de l'actif net ;
- la comptabilisation d'une dette envers la société italienne CDP d'un montant de 3 392 857 euros depuis l'exercice clos en 2010 n'a jamais donné lieu à une contrepartie financière et se trouvait, dès lors, inexistante hormis son inscription au bilan ; ainsi, c'est à juste titre que le produit exceptionnel constaté lors de l'extinction de cette dette a été retraité de manière extra-comptable et n'a pas été inclus dans ses résultats imposables.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 14 juin 2021 et 17 juin 2022, le ministre de l'économie, des finances et de la relance conclut au rejet de la requête en faisant valoir que les moyens soulevés par la société requérante ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Michaël Kauffmann,
- les conclusions de Mme Cécile Cabanne, rapporteure publique,
- et les observations de Me Pelletier, représentant la société Dufour Yachts.
Considérant ce qui suit :
1. La société Dufour Yachts, qui exerce une activité de construction de bateaux de plaisance, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité portant sur la période du 1er août 2012 au 31 juillet 2015. A l'issue des opérations de contrôle, le service a remis en cause la déduction extra-comptable d'un produit exceptionnel comptabilisé au cours de l'exercice clos le 31 juillet 2012, d'un montant de 3 392 857 euros, correspondant à l'extinction d'une dette détenue par la société italienne Cantiere Del Pardo (CDP) sur la société Dufour Yachts et a ramené, en conséquence, de 31 437 909 euros à 28 045 052 euros le déficit constaté au 31 juillet 2012, reporté sur le premier exercice non prescrit, soit l'exercice ouvert le 1er août 2012 et clos le 31 juillet 2013 ainsi que sur les exercices suivants, clos en 2014 et 2015. La société Dufour Yachts relève appel du jugement du 10 novembre 2020 par lequel le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande tendant à la correction du montant du solde du déficit antérieur reportable au titre des exercices clos en 2013, 2014 et 2015 et son rétablissement à hauteur de 31 437 909 euros.
Sur l'application de la loi fiscale :
2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 169 du livre des procédures fiscales : " Pour (...) l'impôt sur les sociétés, le droit de reprise de l'administration des impôts s'exerce jusqu'à la fin de la troisième année qui suit celle au titre de laquelle l'imposition est due (...) ". Aux termes de l'article 209 du code général des impôts, dans sa rédaction applicable au présent litige : " I. (...) en cas de déficit subi pendant un exercice, ce déficit est considéré comme une charge de l'exercice suivant et déduit du bénéfice réalisé pendant ledit exercice dans la limite d'un montant de 1 000 000 € majoré de 60 % du montant correspondant au bénéfice imposable dudit exercice excédant ce premier montant. Si ce bénéfice n'est pas suffisant pour que la déduction puisse être intégralement opérée, l'excédent du déficit est reporté dans les mêmes conditions sur les exercices suivants. Il en est de même de la fraction de déficit non admise en déduction en application de la première phrase du présent alinéa. (...) ".
3. Il résulte de ces dispositions qu'en permettant à une société de retrancher des bénéfices imposables d'un exercice non couvert par la prescription les déficits d'exercices précédents même couverts par la prescription, les dispositions précitées du I de l'article 209 conduisent nécessairement à autoriser l'administration à vérifier l'existence et le montant de ces déficits, donc à remettre en cause les résultats prétendument déficitaires d'exercices prescrits, les rectifications apportées à ces résultats ne pouvant pas, toutefois, avoir d'autre effet que de réduire ou supprimer les reports déficitaires opérés sur des exercices non prescrits. En l'espèce, l'administration n'a pas tiré de la remise en cause du déficit litigieux comptabilisé au titre de l'exercice clos le 31 juillet 2012, qui est prescrit, des conséquences autres que de réduire les reports déficitaires opérés sur les exercices non prescrits clos en 2013, 2014 et 2015. A cet égard, la société ne peut utilement se prévaloir de la règle dite de l'intangibilité du bilan d'ouverture du premier exercice non prescrit, consacrée au 4 bis de l'article 38 du code général des impôts, dès lors que la remise en cause par le service de la déduction extra-comptable opérée par l'appelante au cours de l'exercice clos en 2012, qui n'a affecté ni un compte d'actif ni un compte de passif, n'a eu pour objet ni pour effet de corriger le bilan d'ouverture du premier exercice non prescrit de la société Dufour Yachts.
4. En second lieu, aux termes de l'article 39 du code général des impôts : " Le bénéfice net est établi sous déduction de toutes charges, celles-ci comprenant (...) notamment : 1° Les frais généraux de toute nature (...) ". Si, en vertu des règles gouvernant l'attribution de la charge de la preuve devant le juge administratif, applicables sauf loi contraire, il incombe, en principe, à chaque partie d'établir les faits qu'elle invoque au soutien de ses prétentions, les éléments de preuve qu'une partie est seule en mesure de détenir ne sauraient être réclamés qu'à celle-ci. Il appartient, dès lors, au contribuable, pour l'application des dispositions précitées du code général des impôts, de justifier du montant des charges qu'il entend déduire du bénéfice net défini à l'article 38 du code général des impôts. Le contribuable apporte cette justification par la production de tous éléments suffisamment précis portant sur la nature de la charge en cause, ainsi que sur l'existence et la valeur de la contrepartie qu'il en a retirée. Dans l'hypothèse où le contribuable s'acquitte de cette obligation, il incombe ensuite au service, s'il s'y croit fondé, d'apporter la preuve de ce que la charge en cause n'est pas déductible par nature, qu'elle est dépourvue de contrepartie, qu'elle a une contrepartie dépourvue d'intérêt pour le contribuable ou que la rémunération de cette contrepartie est excessive.
5. Il résulte de l'instruction que la société Dufour Yachts a, au cours de l'exercice clos en 2012, apuré une dette d'un montant de 3 392 857 euros, détenue depuis l'exercice clos en 2010 par la société italienne CDP, figurant au passif de son bilan, en créditant le compte de produits exceptionnels d'un même montant. Sur le plan fiscal, pour la détermination du résultat imposable de l'exercice, elle a néanmoins procédé à la déduction extra-comptable de cette somme, augmentant ainsi son déficit reportable sur les exercices suivants. La société soutient que la comptabilisation de cette dette envers la société italienne CDP, qui serait, comme elle, placée sous le contrôle du holding International Sailing Boat et aurait exigé une telle comptabilisation dans le cadre de son acquisition, n'a jamais donné lieu à une contrepartie financière et se trouvait, dès lors, inexistante hormis son inscription au passif de son bilan et qu'ainsi, c'est à juste titre que le produit exceptionnel constaté lors de son extinction n'a pas été inclus dans les résultats imposables. Toutefois, l'appelante ne démontre pas l'inexistence alléguée de ladite dette, qu'elle a pourtant comptabilisée en tant que telle dans ses écritures, en se bornant à produire une ordonnance du 29 septembre 2011 du tribunal de Forli statuant sur la liquidation de la société CDP qui, alors même qu'elle ne mentionne pas la créance de la société italienne envers la société française, ne suffit pas à justifier de son inexistence. De même, la production d'un tableau qui présenterait le solde des comptes de la société CDP après reprise de ses créances lors de sa liquidation judiciaire, inexploitable en l'état, et d'un courrier électronique rédigé le 16 mars 2012 par le conseil de la société CDP, ne sont pas de nature à établir l'inexistence d'une dette contractée en 2010 par la société Dufour Yachts et l'absence de contrepartie à cette dette. Il s'ensuit que l'administration a pu, à bon droit, réintégrer la somme litigieuse dans les résultats imposables de la requérante et diminuer, ainsi, le montant du déficit reportable au titre des exercices clos en 2013, 2014 et 2015.
Sur l'application de la doctrine administrative :
6. Aux termes de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction applicable au présent litige : " Il ne sera procédé à aucun rehaussement d'impositions antérieures si la cause du rehaussement poursuivi par l'administration est un différend sur l'interprétation par le redevable de bonne foi du texte fiscal et s'il est démontré que l'interprétation sur laquelle est fondée la première décision a été, à l'époque, formellement admise par l'administration. / Lorsque le redevable a appliqué un texte fiscal selon l'interprétation que l'administration avait fait connaître par ses instructions ou circulaires publiées et qu'elle n'avait pas rapportée à la date des opérations en cause, elle ne peut poursuivre aucun rehaussement en soutenant une interprétation différente. Sont également opposables à l'administration, dans les mêmes conditions, les instructions ou circulaires publiées relatives au recouvrement de l'impôt et aux pénalités fiscales. ".
7. Si la société Dufour Yachts se prévaut, sur le fondement de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales, des passages de la doctrine référencée BOI-BIC-BASE-40-20-10 §160 à §170, ceux-ci, eu égard à ce qui a été exposé au point 3, ne contiennent aucune interprétation formelle de la loi fiscale différente de celle dont il lui est fait application dans le cadre de la présente instance.
8. Il résulte de tout ce qui précède que la société Dufour Yachts n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande. Les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées par voie de conséquence.
DECIDE :
Article 1er : La requête de la société Dufour Yachts est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société Dufour Yachts et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Copie en sera adressée à la direction spécialisée de contrôle fiscal sud-ouest.
Délibéré après l'audience du 13 juin 2023 à laquelle siégeaient :
Mme Evelyne Balzamo, présidente,
Mme Bénédicte Martin, présidente assesseure,
M. Michaël Kauffmann, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 4 juillet 2023.
Le rapporteur,
Michaël Kauffmann La présidente,
Evelyne BalzamoLe greffier,
Christophe Pelletier
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
N° 21BX00163
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