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08/08/2022 | FRANCE | N°22BX01010

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 08 août 2022, 22BX01010


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. I... et Mme C... E..., M. D... et Mme J... E..., M. G... et Mme F... B..., représentés par Me Nicolas, ont demandé au juge des référés du tribunal administratif de la Guadeloupe, sur le fondement de l'article R. 532-1 du code de justice administrative, d'ordonner une mesure d'expertise médicale en vue d'une évaluation médico-légale intermédiaire pour apprécier l'évolution du handicap moteur de l'enfant A... E..., leur fils et petit-fils, de ses acquisitions psycho-intellectuelles et pour actualiser

ses besoins en aide humaine et matérielle à la suite de sa prise en charge...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. I... et Mme C... E..., M. D... et Mme J... E..., M. G... et Mme F... B..., représentés par Me Nicolas, ont demandé au juge des référés du tribunal administratif de la Guadeloupe, sur le fondement de l'article R. 532-1 du code de justice administrative, d'ordonner une mesure d'expertise médicale en vue d'une évaluation médico-légale intermédiaire pour apprécier l'évolution du handicap moteur de l'enfant A... E..., leur fils et petit-fils, de ses acquisitions psycho-intellectuelles et pour actualiser ses besoins en aide humaine et matérielle à la suite de sa prise en charge au centre hospitalier universitaire (CHU) de Pointe-à-Pitre pour brûlure au second degré le 18 janvier 2015, puis au centre hospitalier universitaire de Martinique (CHUM) à compter du 21 janvier 2015.

Par une ordonnance n° 2101442 du 22 mars 2022, le président du tribunal administratif de la Guadeloupe a ordonné une expertise aux fins d'apprécier la réalité des lésions initiales et de l'état séquellaire, l'imputabilité des lésions et d'évaluer les préjudices.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 5 avril 2022, le CHUM, représenté par Me Tamburini-Bonnefoy, demande au juge des référés de la cour :

1°) d'annuler l'ordonnance n° 2101442 du 22 mars 2022 du juge des référés du tribunal administratif de la Guadeloupe en tant qu'elle ne l'a pas mis hors de cause ;

2°) de le mettre hors de cause.

Il soutient que :

- l'expertise ordonnée en 2015 par le juge des référés avait conclu en janvier 2017 à l'entière responsabilité du CHU de Pointe-à-Pitre, relevant que " Bien que l'évènement pathologique causal du dommage soit survenu au CHU de Fort-de-France le 23/01/15, c'est la carence de la prise en charge médicale du 18 au 21/01/15 au CHU de Pointe-à-Pitre qui est exclusivement à l'origine des séquelles " ; l'intubation inappropriée à l'état de l'enfant et à son jeune âge a généré une infection iatrogène, un arrêt cardio-respiratoire et des séquelles neuromotrices et psycho-intellectuelles en lien avec les soins dispensés à Pointe-à-Pitre ; aucune conclusion n'était dirigée contre le CHUM, où l'enfant a été ultérieurement transféré, dans la requête parallèle en référé provision, que le tribunal a rejetée comme prématurée ;

- dans ces conditions, la participation du CHUM à l'expertise intermédiaire sur les préjudices, effectuée par le même expert primitivement désigné, qui dispose de l'intégralité du dossier médical dans les deux hôpitaux, n'apparaît pas utile ;

-par mémoire du 7 décembre 2021 introduit dans le cadre d'une requête en référé provision des mêmes requérants, il avait sollicité sa mise hors de cause ; le président n'a pas répondu à cette demande dans la mesure où il a rejeté au fond la demande de provision.

Par un mémoire enregistré le 24 avril 2022, l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) s'en remet à l'appréciation de la cour sur la requête du CHUM.

Par un mémoire enregistré le 9 mai 2022, le CHU de Pointe-à Pitre conclut au rejet de la requête, en indiquant se réserver la possibilité de discuter dans une instance au fond une éventuelle responsabilité du CHUM.

Le président de la cour a désigné, par une décision du 7 juin 2022, Mme Catherine Girault, présidente de chambre, comme juge des référés en application des dispositions du livre V du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de justice administrative.

Considérant ce qui suit :

1. L'enfant A... E..., alors âgé de 13 mois, a été victime le 18 janvier 2015 d'une brûlure accidentelle par un bol d'eau bouillante, notamment au cou et à la main. Pris en charge par le SMUR de Pointe-à-Pitre, il a fait l'objet d'une intubation oro-trachéale avec analgésie et curarisation, et été transporté dans le service de réanimation adultes du CHU de Pointe-à-Pitre, à défaut d'existence d'un service de réanimation pédiatrique dans cet établissement. Plusieurs repositionnements de la sonde trachéale, trop basse, ont été nécessaires et une atélectasie du poumon gauche a été constatée. Plusieurs infections sur les sondes successivement retirées ont conduit à un traitement antibiotique. L'enfant a été transféré dans le service pédiatrique du CHU de Martinique le 21 janvier. Le 23 janvier il a fait un arrêt cardio-circulatoire avec hémorragie pulmonaire extériorisée par la sonde d'intubation, et malgré les soins de réanimation, il a été mis sous osmothérapie à visée anti-œdème cérébral, et une IRM cérébrale a montré des lésions cortico-sous-corticales. L'enfant a ensuite été réadressé au CHU de Pointe à Pitre le 11 mars, avec une gastrostomie.

2. Les parents de l'enfant ont obtenu en référé du tribunal administratif de la Guadeloupe une expertise, confiée au Dr H..., qui a conclu en janvier 2017 que l'enfant aurait dû idéalement être extubé peu après l'admission à Pointe-à-Pitre ou à défaut être ré-intubé par voie naso-trachéale, qu'une ventilation sélective du poumon droit et la nécessité d'augmenter les constantes ventilatoires pour lever l'atélectasie et corriger l'hypoxie ont constitué des facteurs d'agression mécanique sur les voies aériennes inférieures, qu'Eden aurait dû bénéficier, du fait de la survenue d'une hypoprotidémie, d'un apport exogène par voie veineuse d'albumine humaine associée à une restriction hydrosodée, dont l'absence est à l'origine d'un syndrome de détresse respiratoire aigüe, et que la prothèse trachéale, qui n'était pas indispensable ni même indiquée dans les circonstances de l'espèce, a constitué la porte d'entrée d'un ensemencement bactérien, à l'origine d'une infection pulmonaire à staphylocoque doré. Il en a conclu que les soins dispensés à Pointe-à-Pitre du 18 au 21 janvier 2015 n'ont pas été conformes aux règles de l'art et sont seuls à l'origine des séquelles neuro-motrices et psycho-intellectuelles observées, même si celles-ci sont dues à la période de bas débit sanguin cérébral prolongée plusieurs minutes malgré les soins engagés par le CHU de Fort de France, qui a entraîné des lésions cérébrales destructrices post anoxo-ischémiques irréversibles. En l'absence de consolidation avant la majorité du jeune A..., l'expert a recommandé une évaluation médicolégale intermédiaire au début 2022, et les parents ont donc sollicité du tribunal cette nouvelle expertise au contradictoire des deux hôpitaux. Le CHU de la Martinique relève appel de l'ordonnance du 22 mars 2022 qui a ordonné l'expertise sollicitée, en tant qu'elle ne l'a pas mis hors de cause.

Sur la régularité de l'ordonnance :

3. Contrairement à ce que semble soutenir le CHU de la Martinique, il ressort de l'historique de la requête en référé expertise devant le tribunal, qui le mettait en cause et lui a été communiquée, qu'il n'a produit aucun mémoire. Par suite, il ne saurait se plaindre que le premier juge n'a pas répondu à une demande de mise hors de cause qui ne lui a pas été adressée dans cette instance.

Sur la demande de mise hors de cause :

4. Aux termes de l'article R. 532-1 du code de justice administrative : " Le juge des référés peut, sur simple requête et même en l'absence de décision administrative préalable, prescrire toute mesure utile d'expertise ou d'instruction ". L'utilité d'une mesure d'instruction ou d'expertise qu'il est demandé au juge des référés d'ordonner sur le fondement de l'article R. 532-1 du code de justice administrative doit être appréciée, d'une part, au regard des éléments dont le demandeur dispose ou peut disposer par d'autres moyens et, d'autre part, bien que ce juge ne soit pas saisi du principal, au regard de l'intérêt que la mesure présente dans la perspective d'un litige principal, actuel ou éventuel, auquel elle est susceptible de se rattacher. A ce dernier titre, il ne peut faire droit à une demande d'expertise permettant d'évaluer un préjudice, en vue d'engager la responsabilité d'une personne publique, en l'absence manifeste, en l'état de l'instruction, de fait générateur, de préjudice ou de lien de causalité entre celui-ci et le fait générateur.

5. La circonstance que l'expert a conclu, lors de sa première expertise, à l'imputabilité de l'état de l'enfant à des fautes du CHU de Pointe-à-Pitre ne permet pas en l'état d'écarter toute imputabilité des séquelles de l'enfant, dont il reste à mesurer l'ampleur et la cause, aux soins dispensés au CHU de la Martinique, où l'arrêt cardio-respiratoire est survenu. Dans ces conditions, l'absence de lien de causalité avec le préjudice à évaluer, qui n'a été actée par aucune décision au fond à caractère définitif, n'apparaît pas manifeste au sens de ces principes. Par suite, le CHU de la Martinique n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que le premier juge, qui doit être regardé comme ayant inclus l'ensemble des parties citées au contradictoire de l'expertise, ne l'a pas mis hors de cause.

ORDONNE :

Article 1er : La requête du CHU de la Martinique est rejetée.

Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée au centre hospitalier universitaire de la Martinique, au centre hospitalier universitaire de Pointe à Pitre, à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales, aux consorts E..., à la caisse générale de sécurité sociale de la Guadeloupe, et au Bureau européen d'assistance hospitalière. Copie en sera adressée à l'expert désigné par le tribunal, le docteur K... H....

Fait à Bordeaux, le 8 août 2022.

La juge d'appel des référés,

Catherine Girault,

La République mande et ordonne au ministre de la santé et de la prévention, en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente ordonnance.

2

N° 22BX01010


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Numéro d'arrêt : 22BX01010
Date de la décision : 08/08/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Avocat(s) : FABRE et ASSOCIEES, SOCIÉTÉ D'AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 16/08/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2022-08-08;22bx01010 ?
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