Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme A... B... a demandé au juge des référés du tribunal administratif
de Poitiers de condamner le centre hospitalier Henri Laborit à lui verser une provision
de 734 140, 38 euros au titre des préjudices subis à la suite d'un accident de service
du 19 avril 2017.
Par ordonnance n° 2002348 du 26 novembre 2021, la juge des référés du tribunal administratif de Poitiers a condamné le centre hospitalier Henri Laborit à lui verser une provision de 293 232 euros, et a également fait droit à sa demande de frais à hauteur de 1 500 euros.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 9 décembre 2021, le centre hospitalier Henri Laborit demande au juge d'appel des référés :
1°) d'annuler cette ordonnance du 26 novembre 2021 du juge des référés du tribunal administratif de Poitiers ;
2°) à titre principal, de rejeter la demande de Mme B..., et à titre subsidiaire
de réduire la somme accordée dans d'importantes proportions ;
3°) de mettre à la charge de Mme B... une somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- l'encadrement du service où travaille Mme B... avait expressément indiqué à tous les agents qu'ils n'avaient pas à participer aux opérations de déménagement de son bureau du fait qu'un service spécialisé du centre hospitalier devait s'en occuper la semaine suivante, et la requérante est la seule à n'avoir pas respecté ces instructions ; eu égard au fait qu'elle était en situation de reprise progressive d'activité dans le cadre d'un mi-temps thérapeutique ayant commencé à la suite du congé de longue durée de 11 mois dont elle avait bénéficié en rapport avec l'état de son épaule gauche, celle-ci avait reçu l'instruction très claire de son encadrement de ne pas participer aux opérations de déménagement, notamment en soulevant des charges lourdes ; elle a néanmoins voulu soulever un carton, et sa blessure a été reconnue imputable au service ; dans ces conditions, et alors qu'elle souffrait de subluxations récidivantes et que ses fonctions à l'accueil téléphonique et au tri du courrier ne nécessitaient nullement la disponibilité immédiate de dossiers, son imprudence doit exonérer totalement le centre hospitalier de sa responsabilité, et non seulement à 50 % comme l'a admis le juge des référés ;
- l'appréciation des différents préjudices par l'expert ne distingue pas la part en lien avec l'état antérieur à la blessure du 19 avril 2017, alors pourtant qu'il a reconnu la prégnance de cet état, en lien avec 50 % des préjudices ; un complément d'expertise serait nécessaire, et le juge des référés ne s'est pas prononcé sur ce moyen ;
-c'est à tort que la première juge s'est référée, pour chiffrer le préjudice résultant du besoin d'assistance par une tierce personne 2 heures par jour à titre viager, au barème de capitalisation de la Gazette du Palais utilisé par les juridictions judiciaires ; selon le barème de l' l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des maladies iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM), le même préjudice serait chiffré à 396 462 euros pour une personne âgée de 39 ans au jour de la capitalisation, soit avec le partage de responsabilité, une indemnité maximale de 198 236 euros ;
-les créances invoquées étaient donc sérieusement contestables.
Par un mémoire, enregistré le 17 décembre 2021, Mme B... conclut au rejet
de la requête et par la voie de l'appel incident à la réformation de l'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Poitiers en tant qu'elle a opéré un partage de responsabilité et minoré le montant des préjudices, et à ce qu'il soit mis à la charge du CH une provision
de 734 140,38 euros, outre 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- même s'il ne fait aucun doute qu'elle a été victime d'une faute commise par le Centre Hospitalier Laborit, elle limite sa demande de provision aux préjudices qui peuvent être indemnisés au titre de la responsabilité sans faute ;
-les attestations produites, établies deux ans après les faits, sont mensongères alors qu'elle n'avait reçu aucune instruction quant au déménagement, que son mi-temps thérapeutique était étranger à un problème d'épaule et que le service n'était pas informé du motif de sa reconnaissance comme travailleur handicapé ;
-les services techniques n'ont jamais été sollicités pour déménager les cartons et elle a dû procéder elle-même au transport des quelques dossiers qui lui étaient nécessaires, ce qui ne saurait lui être imputé à faute alors qu'elle manipulait précédemment déjà des dossiers ;
-le centre hospitalier travestit l'expertise, alors que l'expert n'a jamais évoqué un état antérieur correspondant à 50 % des préjudices et qu'aucun dire n'a été formulé ;
-le barème de capitalisation de la Gazette du Palais est désormais appliqué par toutes les juridictions administratives ;
-elle peut prétendre à des sommes de 5 822,50 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire, de 8 000 euros au titre des souffrances endurées de 3 sur 7, de 70 750 euros pour le déficit fonctionnel permanent de 25 %, de 3000 euros au titre du préjudice esthétique permanent de 1,5 sur 7, de 10 000 euros au titre du préjudice d'agrément et de 25 000 euros au titre du préjudice sexuel, ainsi que des sommes de 22 880 euros au titre de la tierce personne entre
le 19 avril 2017 et le 3 avril 2019, puis 20 448 euros du 3 avril 2019 au 31 décembre 2020,
et enfin pour les frais futurs une somme capitalisée au 1er janvier 2021 de 568 862,85 euros. Les frais d'adaptation d'un véhicule justifient avec un renouvellement tous les 5 ans une provision
de 19 825,03 euros.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de justice administrative.
Considérant ce qui suit :
1. Mme B..., adjointe administrative au secrétariat de la direction des usagers au centre hospitalier Henri Laborit, a été victime le 19 avril 2017, alors qu'elle déplaçait un carton de dossiers, d'un traumatisme de l'épaule gauche avec sidération du deltoïde, qui a été reconnu comme accident du travail par une décision du 20 avril 2017. En l'absence de récupération de la mobilité de son épaule, elle a sollicité une expertise du juge des référés du tribunal administratif de Poitiers, qui a été ordonnée le 6 septembre 2019. Le rapport du chirurgien orthopédique a été déposé le 8 février 2020. Puis Mme B... a demandé au même juge de condamner le centre hospitalier à lui verser une provision de 734 140,38 euros à valoir sur l'indemnisation de ses préjudices, qu'elle a également demandée au fond pour un montant supérieur. Le centre hospitalier relève appel de l'ordonnance du 26 novembre 2021 par laquelle la juge des référés du tribunal administratif de Poitiers l'a condamné à verser
à Mme B... une provision de 293 232 euros. Mme B... demande, par la voie de l'appel incident, de réformer cette ordonnance en tant qu'elle n'a pas fait droit à l'intégralité de ses prétentions.
Sur la régularité de l'ordonnance :
2. Le centre hospitalier avait objecté dans un mémoire présenté le 27 juillet 2021 devant le tribunal que le rapport d'expertise ne permettait pas de déterminer avec précision les préjudices résultant exclusivement de l'accident de service indépendamment d'un état antérieur, ce qui pourrait le cas échéant faire l'objet d'un complément d'expertise. Comme le souligne le centre hospitalier, la première juge a estimé les préjudices sans répondre à cette argumentation, qui n'était pas inopérante. Son ordonnance est par suite irrégulière et doit être annulée. Il y a lieu pour le juge d'appel des référés d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande
de Mme B....
Sur le caractère non sérieusement contestable des créances alléguées :
3. Aux termes de l'article R. 541-1 du code de justice administrative : " Le juge des référés peut, même en l'absence d'une demande au fond, accorder une provision au créancier qui l'a saisi lorsque l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable. Il peut, même d'office, subordonner le versement de la provision à la constitution d'une garantie ". Il résulte de ces dispositions que pour regarder une obligation comme non sérieusement contestable, il appartient au juge des référés de s'assurer que les éléments qui lui sont soumis par les parties sont de nature à en établir l'existence avec un degré suffisant de certitude.
En ce qui concerne le principe et le quantum de la responsabilité :
4. Le fonctionnaire qui subit, du fait de l'invalidité ou de la maladie imputable au service, des préjudices patrimoniaux d'une autre nature que les pertes de revenus et l'incidence professionnelle ou des préjudices personnels, a droit à obtenir de la personne publique qui l'emploie, même en l'absence de faute de celle-ci, une indemnité réparant ces chefs de préjudice. L'agent a également droit à la réparation intégrale de l'ensemble du dommage résultant d'un accident de service, dans le cas où cet accident serait imputable à une faute de nature à engager la responsabilité de la personne publique qui l'emploie. Toutefois, la personne publique à l'origine d'un dommage causé à un de ses collaborateurs par un accident ou une maladie imputable au service peut être exonérée en partie ou en totalité de sa responsabilité lorsque le dommage est également imputable à une faute de la victime ou à un cas de force majeure.
5. Le centre hospitalier soutient que l'imprudence de la victime doit l'exonérer entièrement de la responsabilité sans faute encourue, seule en cause dans la présente instance en provision. Il affirme que Mme B... avait été formellement mise en garde sur le port de charges, compte tenu de ses antécédents de fragilité de l'épaule gauche, et informée que le service logistique prendrait en charge le transport de ses effets et dossiers dans le nouveau bureau qui lui avait été attribué lors de la semaine suivant sa prise de fonctions, compte tenu d'une période de vacances scolaires où l'effectif était réduit.
6. Il est constant que Mme B... avait été opérée deux fois en 1996 et 1998 pour stabilisation de l'épaule gauche, la deuxième fois avec réalisation d'une butée. Il ressort également d'un certificat médical du 15 mai 2018 qu'elle avait fait, depuis, plusieurs subluxations dont elle s'accommodait en remettant elle-même en place son épaule gauche. Elle était donc consciente de sa fragilité et ne saurait alors soutenir qu'elle n'aurait commis aucune faute en soulevant des cartons de dossiers.
7. La circonstance que les deux attestations rédigées par la responsable des ressources humaines et la responsable gestion du temps-Protection sociale, les 28 mai et 29 mai 2019 l'aient été deux années après la date de l'accident de service subi par l'intéressée, soit au moment où Mme B... a entendu rechercher la responsabilité du centre hospitalier en sollicitant
le 3 mai 2019 une expertise, ne permet pas de les écarter en l'état du débat, alors même qu'elles ne sont pas rédigées dans les formes légales. Ces attestations précises et concordantes expliquent que la hiérarchie était informée des fragilités de l'épaule de Mme B..., et celle-ci ne saurait se borner à affirmer le contraire en relevant que le mi-temps thérapeutique selon lequel elle exerçait ses fonctions avait une autre cause, explicitée par l'expertise comme une paralysie faciale. Ces attestations font état de consignes orales précises et réitérées de ne pas participer aux opérations de déménagement du bureau pendant l'absence de la hiérarchie pour vacances scolaires. Contrairement à ce que soutient Mme B..., le courriel d'organisation adressé par la responsable des ressources humaines le vendredi 14 avril 2017 avant son départ indique bien, après avoir évoqué les transferts d'appels téléphoniques suivant l'installation
de Mme B... dans son nouveau bureau, que " la partie logistique interviendra un peu plus tard ". Mme B... n'explique pas en quoi elle aurait eu un besoin immédiat de cartons de dossiers pour exercer les fonctions d'accueil téléphonique et de tri du courrier. Dans ces conditions, alors qu'une méconnaissance de consignes spécifiques pourrait ainsi être retenue afin d'exonérer totalement le centre hospitalier de sa responsabilité, et qu'au demeurant l'état antérieur était susceptible de contribuer au déficit fonctionnel affectant la mobilité de l'intéressée, la créance invoquée ne revêt pas en l'état le caractère non sérieusement contestable justifiant l'allocation d'une provision.
8. Il résulte de ce qui précède que la demande de provision de Mme B... doit être rejetée.
Sur les frais liés au litige:
9. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux demandes des parties présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
ORDONNE :
Article 1er : L'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Poitiers est annulée.
Article 2 : La demande de provision de Mme B... est rejetée.
Article 3 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 4 : La présente ordonnance sera notifiée au centre hospitalier Henri Laborit et à Mme A... B....
Fait à Bordeaux, le 21 mars 2022
La juge d'appel des référés,
Catherine Girault
La République mande et ordonne au ministre des solidarités et de la santé, en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente ordonnance.
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No 21BX04470