Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme C... E... a demandé au tribunal administratif de Poitiers d'annuler l'arrêté du 19 décembre 2019 par lequel la préfète de la Vienne a refusé de lui délivrer un certificat de résidence algérien, l'a obligée à quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de destination.
Par un jugement n° 2000566 du 4 juin 2020 le tribunal administratif de Poitiers a rejeté cette demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 4 juillet 2020, Mme E..., représentée par
Me F..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler l'arrêté du 19 décembre 2019 ;
3°) d'enjoindre à la préfète de la Vienne, à titre principal, de lui délivrer un certificat de résidence algérien dans un délai de deux mois à compter de l'arrêt à intervenir, et dans l'attente, une autorisation provisoire de séjour dans un délai de dix jours, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, ou à défaut, de procéder au réexamen de sa situation dans un délai de deux mois à compter de l'arrêt à intervenir dans les mêmes conditions.
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil d'une somme de
2 300 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- l'arrêté contesté méconnaît l'article 6 de l'accord franco-algérien du
27 décembre 1968 en raison de l'absence d'un traitement approprié à son état de santé en Algérie dont elle pourrait effectivement bénéficier ;
- cet arrêté méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dès lors que l'ensemble de ses liens familiaux sont établis en France et participe à sa prise en charge sur le plan humain l'hébergeant, l'aidant et l'accompagnant pour les actes de la vie quotidienne, qu'elle justifie par ailleurs de son intégration en France ; pour les mêmes motifs cet arrêté est entaché d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle.
Par un mémoire enregistré le 29 octobre 2020, la préfète de la Vienne conclut au rejet de la requête de Mme E....
Elle réitère ses observations formulées en première instance fait valoir que les moyens de la requête ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. A...,
- et les observations de Me F..., représentant Mme E....
Considérant ce qui suit :
1. Mme E..., ressortissante algérienne, née le 22 septembre 1973 à Saida, est entrée en France le 31 janvier 2014 où elle a bénéficié de plusieurs certificats de résidence algérien pour motif de santé dont le dernier a expiré le 9 mai 2019. Par un arrêté du
19 décembre 2019 la préfète de la Vienne a refusé de lui délivrer un titre de séjour, a assorti ce refus d'une obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi. Mme E... relève appel du jugement en date du 20 mars 2020 par lequel le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté du
19 décembre 2019.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
2. Il ressort des pièces du dossier qu'à la suite de l'opération en France en 1980 de la tétralogie de Fallot dont était atteinte la requérante, des complications présentant un degré certain de gravité sont intervenues, un AVC ischémique sylvien droit ayant laissé des séquelles neurologiques et motrices invalidantes avec une hémiplégie et une rétractation du membre supérieur gauche, par ailleurs, la requérante souffre également de surdité à droite. Pour refuser à l'intéressée le renouvellement d'un certificat de résidence sur le fondement des stipulations du 7) de l'article 6 de l'accord franco-algérien, la préfète de la Vienne s'est notamment appuyée sur l'avis émis le 26 septembre 2019 par le collège des médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, dont elle s'est appropriée les motifs, estimant que si l'état de santé de la requérante nécessite une prise en charge médicale dont le défaut peut entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité, elle peut en revanche bénéficier effectivement d'un traitement approprié dans le pays dont elle est originaire, eu égard à son offre de soins et aux caractéristiques de son système de santé, et voyager sans risque vers ce pays. Mme E... fait toutefois valoir qu'elle ne pourrait faire l'objet d'une prise en charge adaptée à sa situation et à son état de santé dans son pays d'origine. D'une part, il ressort que la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées de la Vienne a, le 21 décembre 2018, décidé de reconnaître à Mme E... un taux d'incapacité supérieur ou égal à 80 %. D'autre part, il ressort des nombreux documents médicaux produits par la requérante, qu'elle fait l'objet d'un suivi pluridisciplinaire très régulier au CHU de Poitiers et que son état de santé nécessite une prise en charge à vie, notamment sur le plan cardiologique, par ailleurs, il ressort également des pièces du dossier qu'elle est arrivée en France pour la dernière fois en 2014, après que son état de santé se soit dégradé en raison d'un suivi inadapté en Algérie, et que si ses parents résident en Algérie, leur âge et leur état de santé précaire ne leur permettent plus de lui venir en aide. En France elle a été prise en charge par sa famille, et notamment deux de ses soeurs, qui sont de nationalité française, qui l'ont hébergée jusqu'à son emménagement en juillet 2019 dans un appartement aménagé pour personnes handicapées, et ont pourvu à ses besoins matériels et humains. Les attestations produites par la requérante de son ergothérapeute et de son assistante sociale en date du
22 juin 2020, postérieures à la date de la décision contestée mais décrivant la situation de l'intéressée avant cette date, qualifient la soeur de la requérante d'aidante familiale dont le soutien est nécessaire pour l'ensemble de ses démarches et certaines de ses activités quotidiennes ainsi que pour expliquer ses besoins auprès des professionnels chargés de son suivi pluridisciplinaire. Dans ces conditions, il apparaît que le maintien indispensable de son suivi et de sa prise en charge sur le plan médical et paramédical est rendu possible uniquement par les modalités de son accompagnement familial dont il ressort des pièces du dossier qu'il ne peut être mis en place qu'en France. Par suite, et dans les circonstances particulières de l'espèce, le refus de séjour opposé à Mme E... est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur sa situation et doit, pour ce motif, être annulé ainsi que, par voie de conséquence, la mesure d'éloignement et la décision fixant le pays de destination
3. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête, que Mme E... est fondée à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande. Il y a lieu d'annuler l'arrêté de la préfète de la Vienne du 19 décembre 2019.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
4. Le présent arrêt implique nécessairement, en application de l'article L. 911-1 du code de justice administrative, que la préfète de la Vienne délivre à Mme E... un certificat de résidence portant la mention " vie privée et familiale ". Il y a lieu de lui enjoindre d'y procéder dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt, sans qu'il soit besoin, dans les circonstances de l'espèce, d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais liés au litige :
5. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros à verser à Mme E... sur le fondement des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Poitiers n° 2000566 du 4 juin 2020 et l'arrêté du 19 décembre 2019 de la préfète de la Vienne sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint à la préfète de la Vienne de délivrer à Mme E... un certificat de résidence portant la mention " vie privée et familiale " dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera la somme de 1 500 euros à Mme E... au titre de 1'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... E..., à Me F... et au ministre de l'intérieur. Copie en sera adressée à la préfète de la Vienne.
Délibéré après l'audience du 14 décembre 2020, à laquelle siégeaient :
M. Dominique A..., président,
Mme D... B..., présidente assesseure,
Mme Florence Rey-Gabriac, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 11 janvier 2021.
La présidente assesseure,
Karine B...
Le président,
Dominique A...
Le greffier,
Cindy Virin
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 20BX02098