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08/07/2016 | FRANCE | N°15BX03954

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 08 juillet 2016, 15BX03954


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B...C...a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Toulouse de condamner l'Etat à lui verser une provision de 30 653 euros en réparation des préjudices subis du fait des décisions fautives prises à son encontre par le préfet de la Haute-Garonne.

Par une ordonnance n° 1505186 du 7 décembre 2015, le juge des référés du tribunal administratif de Toulouse a rejeté cette demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et deux mémoires en production de piè

ces enregistrés le 11 décembre 2015, le 25 janvier 2016 et le 7 juillet 2016, Mme B...C..., représen...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B...C...a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Toulouse de condamner l'Etat à lui verser une provision de 30 653 euros en réparation des préjudices subis du fait des décisions fautives prises à son encontre par le préfet de la Haute-Garonne.

Par une ordonnance n° 1505186 du 7 décembre 2015, le juge des référés du tribunal administratif de Toulouse a rejeté cette demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et deux mémoires en production de pièces enregistrés le 11 décembre 2015, le 25 janvier 2016 et le 7 juillet 2016, Mme B...C..., représentée par Me de Boyer Montegut, demande à la cour :

1°) d'annuler l'ordonnance n° 1505186 du 7 décembre 2015 ;

2°) de condamner l'Etat à lui verser une provision de 30 653 euros ;

3°) de condamner l'Etat à verser à son avocat la somme de 1 600 euros en application du 2ème alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Elle soutient que :

- le principe du contradictoire a été violé par le premier juge qui a communiqué un mémoire du préfet le vendredi 4 décembre 2015, dans l'après-midi, sans indication de délai, alors que l'ordonnance a été rendue le lundi suivant ;

- la responsabilité de l'Etat est engagée du fait, d'une part, de l'illégalité fautive de l'arrêté du 27 mai 2014 lui refusant le séjour et l'obligeant à quitter le territoire, arrêté annulé par un arrêt de la cour administrative d'appel de devenu définitif, d'autre part, du refus de l'administration de procéder au réexamen de sa situation dans le délai de deux mois imparti par la cour ;

- ces fautes lui ont fait perdre une chance réelle et sérieuse de réintégrer l'emploi à durée indéterminée dont elle bénéficiait précédemment ; le préjudice en résultant sera réparé par l'octroi d'une indemnité de 5 000 euros ;

- ces fautes lui ont fait perdre le bénéfice des prestations sociales dont elle bénéficiait auparavant : la cessation du versement de ces prestations résulte en majeure partie de la perte de son droit au séjour puis de la précarisation de sa situation par l'octroi d'autorisations de séjour de moins de trois mois ne lui permettant pas de bénéficier de ces prestations ; elle a subi ce titre, sur une période de 19 mois, une perte de 20 653 euros ;

- ces fautes ont occasionné des troubles dans ses conditions d'existence qui seront réparés par l'octroi d'une somme de 5 000 euros. :

Par un mémoire enregistré le 14 janvier 2016, le préfet de la Haute-Garonne conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- la requérante a eu la possibilité de répliquer au mémoire de l'administration qui a été enregistré le 4 décembre 2015 en fin de matinée et non en fin d'après-midi ;

- Mme C...n'a pas produit de contrat de travail à durée indéterminée et n'apporte pas la preuve qu'elle a été contrainte de renouveler son congé parental du fait de l'arrêté du 27 mai 2014 et du retard à exécution du jugement de la cour ;

- s'il y a eu retard dans l'exécution dudit jugement, un arrêté portant refus de séjour et obligation de quitter le territoire a été pris à l'encontre de l'intéressée le 3 décembre 2015, la cour n'ayant pas enjoint à l'autorité préfectorale de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale ", mais seulement de réexaminer sa situation ; en tout état de cause, le quantum de la demande doit être réduit ;

- Mme C...ne démontre pas qu'elle percevait des aides sociales à la date de l'arrêté préfectoral du 27 mai 2014 et que celui-ci lui en a fait perdre le bénéfice ; aucun élément produit ne permet de justifier qu'elle réunissait toutes les conditions requises pour percevoir des allocations de la caisse d'allocation familiale ; l'interruption de ces versements est intervenue antérieurement à la mesure précitée, soit le 1er octobre 2013 ; si le principe de la responsabilité de l'Etat devait être retenu, le quantum de la demande devrait être réduit ;

- la requérante n'apporte pas la preuve d'un préjudice moral ; elle ne risque nullement d'être placée en centre de rétention administrative puisque, depuis l'arrêt de la cour, elle est placée sous autorisations provisoires de séjour renouvelées à deux reprises ; il n'a jamais été question de la séparer de sa fille et rien ne l'empêche de retourner vivre au Gabon avec elle ; elle ne démontre pas que le père de l'enfant ne pourrait pas se rendre dans ce pays pour voir sa fille ; si la cour retenait le principe de la responsabilité de l'Etat, le quantum de la demande devrait être réduit.

Mme C...a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 29 décembre 2015 du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal de grande instance de Bordeaux.

Vu :

- les autres pièces du dossier ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n°91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;

- le code de justice administrative.

Le président de la cour a désigné M. Aymard de Malafosse, président de chambre, comme juge des référés en application des dispositions du livre V du code de justice administrative.

Considérant ce qui suit :

1. Mme C...est une ressortissante gabonaise qui, après avoir été titulaire de cartes de séjour en tant qu'étudiante, a interrompu ses études à la suite d'une grossesse à risque. Elle a donné naissance le 10 novembre 2012 à une fille dont le père est un ressortissant guinéen qui a reconnu l'enfant mais ne vit pas avec celle-ci et sa mère. Mme C...a demandé la délivrance d'un titre de séjour " vie privée et familiale ". Cette demande a été rejetée par un arrêté du 27 mai 2014 du préfet de la Haute-Garonne, qui a assorti ce refus d'une obligation de quitter le territoire français. Cet arrêté a été annulé par un arrêt de la cour du 13 avril 2015 qui a enjoint au préfet de réexaminer la situation de l'intéressée. Invoquant l'illégalité de l'arrêté et l'inertie de l'administration à exécuter cette mesure d'injonction, Mme C...a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Toulouse de condamner l'Etat à lui verser une provision d'un montant de 30 653 euros au titre des préjudices que lui ont causé cette illégalité et cette inertie. Elle fait appel de l'ordonnance en date du 7 décembre 2015 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Toulouse a rejeté cette demande de provision.

2. L'article R. 541-1 du code de justice administrative dispose que " Le juge des référés peut, même en l'absence d'une demande au fond, accorder une provision au créancier qui l'a saisi lorsque l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable. Il peut, même d'office, subordonner le versement de la provision à la constitution d'une garantie ".

Sur la régularité de l'ordonnance attaquée :

3. L'ordonnance de référé provision étant rendue à la suite d'une procédure particulière, adaptée à la nature de la demande et à la nécessité d'une décision rapide, le juge des référés ne méconnaît pas le principe du caractère contradictoire de l'instruction en ne communiquant pas au demandeur les observations présentées par la partie adverse en réponse à la notification qui lui est faite du pourvoi. Il s'ensuit que lorsque le juge des référés communique au demandeur un mémoire en défense, bien qu'il n'y soit pas tenu, la brièveté du délai dont ce demandeur peut éventuellement disposer pour y répondre est sans influence sur la régularité de la procédure. De plus, en l'espèce, le seul élément nouveau que contenait le mémoire produit en première instance par l'administration le 4 décembre 2015 était la mention du nouvel arrêté pris par le préfet le 3 décembre 2015 et refusant à Mme C...la délivrance d'un titre de séjour et l'obligeant à quitter le territoire français. L'ordonnance attaquée ne fait mention de cet arrêté que de manière incidente, dans son point 8, et ne s'est donc pas fondée sur cet élément pour rejeter la demande de l'intéressée. Dans ces conditions, le moyen tiré de l'irrégularité de l'ordonnance attaquée doit être écarté.

Sur la demande de provision :

4. Il résulte des dispositions précitées de l'article R. 541-1 du code de justice administrative qu'il appartient au juge des référés de s'assurer que les éléments qui lui sont soumis par les parties sont de nature à établir l'existence d'une obligation non sérieusement contestable avec un degré suffisant de certitude.

5. L'illégalité de l'arrêté du 27 mai 2014 ainsi que le retard dans l'exécution de l'arrêt de la cour du 13 avril 2015 constituent des fautes susceptibles d'engager la responsabilité de l'Etat. Ces fautes ne pourraient toutefois faire naître une obligation non sérieusement contestable de l'Etat à l'égard de Mme C...que dans la mesure où les préjudices invoqués par celle-ci apparaîtraient, avec un degré suffisant de certitude, comme étant la conséquence directe de ces fautes et comme certains.

6. En premier lieu, Mme A...C...soutient qu'elle a perdu une chance réelle et sérieuse de réintégrer l'emploi qu'elle occupait et pour lequel elle bénéficiait d'un contrat de travail à durée indéterminée. Toutefois, elle n'a versé au dossier aucun contrat de travail à durée indéterminée et il résulte de l'instruction qu'elle a bénéficié, à sa demande, d'un congé parental d'éducation du 22 janvier 2013 au 30 juin 2013, qu'elle en a demandé le renouvellement pour une durée d'un an, puis à nouveau pour une nouvelle durée d'un an. Si elle fait valoir que les autorisations provisoires de séjour qui lui ont été délivrées à la suite de l'arrêt de la cour du 13 avril 2015, dans l'attente du réexamen de sa situation, ne lui permettaient pas de travailler, cet arrêt n'impliquait ni la délivrance d'un titre de séjour l'autorisant à travailler, ni la délivrance d'autorisations de séjour comportant une telle autorisation. Enfin, il ne résulte pas de l'instruction, avec un degré suffisant de certitude, que, compte tenu de la situation préexistante à l'intervention de l'arrêt de la cour telle qu'elle a été rappelée, le retard mis à exécuter cet arrêt ait privé l'intéressée d'une chance de trouver ou de retrouver un emploi. Dans ces conditions, l'obligation qu'aurait l'Etat de réparer le préjudice invoqué par Mme C...ne peut être regardée comme non sérieusement contestable.

7. S'agissant, en deuxième lieu, de la perte des prestations sociales qu'invoque la requérante, il résulte de l'instruction que la cessation du versement de ces prestations est intervenue dès le 1er octobre 2013, soit bien avant l'intervention de l'arrêté illégal du 27 mai 2014. Les éléments versés au dossier par la requérante ne permettent pas de tenir pour suffisamment établi que cet arrêté et le retard d'exécution de l'arrêt de la cour du 13 avril 2015 aient été la cause directe du défaut de versement de prestations sociales pendant la période litigieuse.

8. Mme C...demande enfin qu'une provision lui soit allouée au titre des troubles dans ses conditions d'existence occasionnés par l'intervention de l'arrêté illégal du 27 mai 2014 et le retard d'exécution de l'arrêt de la cour annulant cet arrêté. D'une part, l'annulation de l'arrêté du 27 mai 2014 a été prononcée par la cour au motif que l'autorité administrative ne s'était pas livrée à un examen particulier de la situation personnelle de la requérante, notamment au regard de son droit au respect de sa vie privée et familiale. D'autre part, si cet arrêt n'imposait pas à l'administration de délivrer un titre de séjour à l'intéressée, il lui imposait de prendre une nouvelle décision sur le droit au séjour de celle-ci dans le délai de deux mois suivant la notification de l'arrêt, et l'administration ne donne aucun motif propre à justifier le délai de plus de sept mois qu'elle a mis pour prendre cette décision. Ces carences de l'administration ont ainsi placé MmeC..., mère d'un enfant en bas âge, dans une situation incertaine et précaire à l'origine de troubles dans ses conditions d'existence dont il sera fait une juste évaluation, en l'état du dossier soumis au juge des référés, en fixant à 1 000 euros la provision que doit verser l'Etat au titre de ce préjudice.

9. Il résulte de ce qui précède que Mme C...est seulement fondée à demander la condamnation de l'Etat à lui verser une provision de 1 000 euros et la réformation en ce sens de l'ordonnance attaquée.

Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991 :

10. Mme C...a obtenu le bénéficie de l'aide juridictionnelle totale dans la présente instance. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me de Boyer Montegut, avocat de MmeC..., de la somme de 1 300 euros au titre du 2ème alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que ce dernier renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.

ORDONNE :

Article 1er : L'Etat est condamné à verser à Mme C...une provision de 1 000 euros.

Article 2 : L'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Toulouse est réformée en ce qu'elle a de contraire au présent arrêt.

Article 3 : l'Etat versera à Me de Boyer Montegut, avocat de MmeC..., la somme de 1 300 euros au titre du 2ème alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve qu'il renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 5 : La présente ordonnance sera notifiée à Mme B...C..., à Me D... et au ministre de l'intérieur. Copie en sera transmise au préfet de la Haute-Garonne.

Fait à Bordeaux, le 8 juillet 2016

Le juge des référés

Aymard de MALAFOSSE

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente ordonnance.

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N°15BX03954


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Numéro d'arrêt : 15BX03954
Date de la décision : 08/07/2016
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

54-03-015 Procédure. Procédures de référé autres que celles instituées par la loi du 30 juin 2000. Référé-provision.


Composition du Tribunal
Avocat(s) : DE BOYER MONTEGUT

Origine de la décision
Date de l'import : 19/07/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2016-07-08;15bx03954 ?
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