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04/06/2015 | FRANCE | N°15BX00014

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 4ème chambre (formation à 3), 04 juin 2015, 15BX00014


Vu la requête enregistrée le 5 janvier 2015, présentée pour M. B...C...demeurant au..., par Me Jouteau ;

M. C...demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1404187 du 13 octobre 2014 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du préfet de la Dordogne du 9 octobre 2014 portant reconduite à la frontière et fixant le pays de renvoi ;

2°) d'annuler l'arrêté contesté ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros en application d

es dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 alinéa 2 de la l...

Vu la requête enregistrée le 5 janvier 2015, présentée pour M. B...C...demeurant au..., par Me Jouteau ;

M. C...demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1404187 du 13 octobre 2014 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du préfet de la Dordogne du 9 octobre 2014 portant reconduite à la frontière et fixant le pays de renvoi ;

2°) d'annuler l'arrêté contesté ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros en application des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991 ;

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Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Vu le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

Vu la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;

Vu le code de justice administrative ;

L'affaire ayant été dispensée de conclusions du rapporteur public en application de l'article L. 732-1 du code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 7 mai 2015 :

- le rapport de Mme Michèle Richer, président ;

- les observations de Me A...substituant Me Jouteau, avocat de M.C... ;

1. Considérant que M.C..., ressortissant iranien, relève appel du jugement du 13 octobre 2014 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande tendant l'annulation de l'arrêté du 9 octobre 2014 du préfet de la Dordogne portant reconduite à la frontière et fixant le pays de renvoi ;

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Considérant qu'aux termes de l'article L. 776-1 du code de justice administrative : " Les modalités selon lesquelles le tribunal administratif examine les recours en annulation formés contre les obligations de quitter le territoire français, les décisions relatives au séjour qu'elles accompagnent, les interdictions de retour sur le territoire français et les arrêtés de reconduite à la frontière pris en application de l'article L. 533-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile obéissent, sous réserve des articles L. 514-1, L. 514-2 et L. 532-1 du même code, aux règles définies par les articles L. 512-1, L. 512-3 et L. 512-4 dudit code. " ; qu'aux termes de l'article L. 512-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " I. L'étranger qui fait l'objet d'une obligation de quitter le territoire français et qui dispose du délai de départ volontaire mentionné au premier alinéa du II de l'article L. 511-1 peut, dans le délai de trente jours suivant sa notification, demander au tribunal administratif l'annulation de cette décision, ainsi que l'annulation de la décision relative au séjour, de la décision mentionnant le pays de destination et de la décision d'interdiction de retour sur le territoire français qui l'accompagnent le cas échéant. (...) / Toutefois, si l'étranger est placé en rétention en application de l'article L. 551-1 ou assigné à résidence en application de l'article L. 561-2, il est statué selon la procédure et dans le délai prévus au III du présent article. II. L'étranger qui fait l'objet d'une obligation de quitter le territoire sans délai peut, dans les quarante-huit heures suivant sa notification par voie administrative, demander au président du tribunal administratif l'annulation de cette décision, ainsi que l'annulation de la décision relative au séjour, de la décision refusant un délai de départ volontaire, de la décision mentionnant le pays de destination et de la décision d'interdiction de retour sur le territoire français qui l'accompagnent le cas échéant. / Il est statué sur ce recours selon la procédure et dans les délais prévus au I. / Toutefois, si l'étranger est placé en rétention en application de l'article L. 551-1 ou assigné à résidence en application de l'article L. 561-2, il est statué selon la procédure et dans le délai prévus au III du présent article. III. En cas de décision de placement en rétention ou d'assignation à résidence en application de l'article L. 561-2, l'étranger peut demander au président du tribunal administratif l'annulation de cette décision dans les quarante-huit heures suivant sa notification. Lorsque l'étranger a fait l'objet d'une obligation de quitter le territoire français, le même recours en annulation peut être également dirigé contre l'obligation de quitter le territoire français et contre la décision refusant un délai de départ volontaire, la décision mentionnant le pays de destination et la décision d'interdiction de retour sur le territoire français qui l'accompagnent le cas échéant, lorsque ces décisions sont notifiées avec la décision de placement en rétention ou d'assignation. Toutefois, si l'étranger est assigné à résidence en application du même article L. 561-2, son recours en annulation peut porter directement sur l'obligation de quitter le territoire ainsi que, le cas échéant, sur la décision refusant un délai de départ volontaire, la décision mentionnant le pays de destination et la décision d'interdiction de retour sur le territoire français. / Le président du tribunal administratif ou le magistrat qu'il désigne à cette fin parmi les membres de sa juridiction ou les magistrats honoraires inscrits sur la liste mentionnée à l'article L. 222-2-1 du code de justice administrative statue au plus tard soixante-douze heures à compter de sa saisine. (...) / Il est également statué selon la procédure prévue au présent III sur le recours dirigé contre l'obligation de quitter le territoire français par un étranger qui est l'objet en cours d'instance d'une décision de placement en rétention ou d'assignation à résidence en application de l'article L. 561-2. Le délai de soixante-douze heures pour statuer court à compter de la notification par l'administration au tribunal de la décision de placement en rétention ou d'assignation. " ;

3. Considérant qu'il résulte de la combinaison des dispositions précitées que les arrêtés de reconduite à la frontière pris en application de l'article L. 533-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile sont soumis aux règles applicables aux obligations de quitter le territoire français, définies par l'article L. 512-1 du même code ; qu'en l'espèce, si M. C... a fait l'objet d'une mesure de reconduite à la frontière par un arrêté du 9 octobre 2014 du préfet de la Dordogne, il n'avait pas fait l'objet, ni à la date de l'arrêté contesté ni en cours de première instance, d'une mesure de placement en rétention ou d'assignation à résidence ; que, dans ces conditions, le recours contentieux formé par M. C...devant le tribunal administratif de Bordeaux relevait de la procédure prévue au II de l'article L. 512-1 précité et non de celle prévue au III de cet article ; que, dès lors, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Bordeaux n'était pas compétent pour statuer sur la légalité de l'arrêté du 9 octobre 2014 du préfet de la Dordogne pris à l'encontre de M. C... ; que, par suite, le jugement attaqué est entaché d'irrégularité et doit être annulé ;

4. Considérant qu'il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par M. C...devant le tribunal administratif de Bordeaux ;

Sur la légalité de l'arrêté contesté :

En ce qui concerne l'arrêté pris dans son ensemble :

5. Considérant que l'arrêté contesté est signé de M. Jean-Marc Bassaget, secrétaire général de la préfecture de la Dordogne, qui a reçu délégation du préfet de la Dordogne par arrêté du 3 octobre 2014 régulièrement publié au recueil des actes administratifs, à l'effet de signer, notamment, " (...) toutes décisions d'éloignement et décision accessoires s'y rapportant prises en application du Livre V du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (...) " ; qu'ainsi, le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de l'arrêté attaqué manque en fait ;

En ce qui concerne la décision portant reconduite à la frontière :

6. Considérant qu'aux termes du II de l'article L. 533-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative compétente peut, par un arrêté motivé, décider qu'un étranger, sauf s'il est au nombre de ceux visés à l'article L. 121-4, doit être reconduit à la frontière : 1° Si son comportement constitue une menace pour l'ordre public. La menace pour l'ordre public peut s'apprécier au regard de la commission des faits passibles de poursuites pénales sur le fondement des articles du code pénal cités au premier alinéa de l'article L. 313-5 du présent code, ainsi que des 1°, 4°, 6° et 8° de l'article 311-4, de l'article 322-4-1 et des articles 222-14, 224-1 et 227-4-2 à 227-7 du code pénal (...) " ; que les décisions prises sur le fondement de l'article L. 533-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile peuvent légalement intervenir à l'encontre d'étrangers en situation irrégulière, dès lors que le motif qui fonde ces décisions n'est pas l'irrégularité du séjour des intéressés ;

7. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que M. C...a été condamné par la cour d'assises de Paris, le 10 mars 2009, à quatorze ans de réclusion criminelle pour meurtre commis le 17 mai 2005 ; qu'un tel comportement pouvait légalement être regardé comme représentant une menace pour l'ordre public au sens des dispositions précitées du 1° de l'article L. 533-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; que le préfet de la Dordogne n'a pas commis d'erreur d'appréciation en estimant que la présence de l'intéressé sur le territoire français constituait une menace pour l'ordre public ;

8. Considérant qu'aux termes de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Ne peuvent faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire français : (...) / 6° L'étranger ne vivant pas en état de polygamie qui est père ou mère d'un enfant français mineur résidant en France, à condition qu'il établisse contribuer effectivement à l'entretien et à l'éducation de l'enfant dans les conditions prévues par l'article 371-2 du code civil depuis la naissance de celui-ci ou depuis au moins deux ans ; / 7° L'étranger marié depuis au moins trois ans avec un conjoint de nationalité française, à condition que la communauté de vie n'ait pas cessé depuis le mariage et que le conjoint ait conservé la nationalité française ; (...) " ;

9. Considérant qu'en se bornant à soutenir qu'il est marié et qu'il a un enfant, sans préciser leur nationalité, M. C...n'apporte pas d'élément de nature à établir que les dispositions précitées des 6° et 7° de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile auraient été méconnues ;

10. Considérant, enfin, qu'aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui " ;

11. Considérant que M. C...soutient qu'il réside en France depuis plus de treize ans, et se prévaut de son mariage avec une compatriote et de la naissance de son fils en 1996 ; que, toutefois, il ressort des pièces du dossier, et notamment des propres écritures du requérant, qu'il est aujourd'hui divorcé de son épouse, laquelle réside désormais au Canada avec son fils ; qu'en outre, M.C..., qui s'est maintenu en situation irrégulière depuis son entrée sur le territoire français, n'établit pas être dépourvu d'attaches familiales dans son pays d'origine où il a vécu jusqu'à l'âge de trente-six ans ; que, dans ces conditions, et eu égard aux faits au titre desquels il a été condamné, la décision de reconduite à la frontière du 9 octobre 2014 ne saurait être regardée comme ayant porté au droit au respect de la vie privée et familiale de l'intéressé une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels elle a été prise ; que, par suite, la décision attaquée ne méconnaît pas les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; que, pour les mêmes motifs, cette décision n'est pas davantage entachée d'une erreur manifeste quant à l'appréciation de ses conséquences sur la situation personnelle de l'intéressé ;

12. Considérant que M. C...ne peut utilement invoquer le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales à l'encontre de la décision portant reconduite à la frontière, qui ne fixe pas par elle-même le pays de renvoi ;

En ce qui concerne la décision fixant le pays de renvoi :

13. Considérant qu'aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. ", et qu'aux termes de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950. " ;

14. Considérant que pour établir la réalité des risques qu'il encourt en cas de retour en Iran, M. C...soutient que le fait qu'il ait été reconnu coupable du meurtre d'un compatriote constitue un risque de mort pour lui en cas de retour en Iran, qu'il est un opposant au régime iranien en tant que proche de l'ancien président Banisadr et que, converti au christianisme, il encourt la peine de mort en Iran pour crime d'apostasie ; que le requérant produit l'attestation d'un pasteur qui témoigne de sa foi chrétienne, un extrait du registre des baptêmes, l'attestation de son avocat devant la Cour d'assises, des pièces de la procédure pénale et un rapport de l'organisation suisse d'aide aux réfugiés (OSAR) en date du 30 juin 2007 relatif aux sanctions encourues en Iran pour transgression des normes morales, notamment en cas de meurtre et d'apostasie ; que le meurtre d'un compatriote qui se rendait très régulièrement en Iran et séjournait à Téhéran où il était, d'après notamment des comptes-rendus d'audition, une personnalité reconnue, exposerait le requérant à des mesures pouvant aller jusqu'à la condamnation à mort ; que, dès lors, même s'il n'établit pas, par ailleurs, que les apostats font l'objet de manière systématique de persécutions en Iran, un retour dans ce pays exposerait M. C... à des risques de traitements contraires aux stipulations et dispositions précitées ;

15. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. C...est seulement fondé à demander l'annulation de l'arrêté du 9 octobre 2014 du préfet de la Dordogne en tant qu'il fixe le pays de renvoi ; que, dans les circonstances de l'espèce il n'y a pas lieu de mettre à la charge de l'Etat une somme à verser à Me Jouteau en application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 ;

DECIDE

Article 1er : Le jugement du 13 octobre 2014 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Bordeaux est annulé.

Article 2 : L'article 2 de l'arrêté en date du 9 octobre 2014 du préfet de la Dordogne est annulé en tant qu'il fixe l'Iran comme pays à destination duquel M C...serait reconduit d'office.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la demande présentée par M. C...devant le tribunal administratif de Bordeaux et le surplus de ses conclusions d'appel sont rejetés.

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N° 15BX00014


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 4ème chambre (formation à 3)
Numéro d'arrêt : 15BX00014
Date de la décision : 04/06/2015
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-03 Étrangers. Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : Mme RICHER
Rapporteur ?: Mme Michèle RICHER
Rapporteur public ?: M. NORMAND
Avocat(s) : JOUTEAU

Origine de la décision
Date de l'import : 13/06/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2015-06-04;15bx00014 ?
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