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31/01/2024 | FRANCE | N°491012

France | France, Conseil d'État, 31 janvier 2024, 491012


Vu la procédure suivante :

La SA Groupama Gan Vie a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Bordeaux, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'enjoindre au préfet de la Gironde, en premier lieu, de prêter le concours de la force publique pour assurer l'exécution de l'ordonnance du 28 novembre 2023 du vice-président du tribunal judiciaire de Bordeaux afin de procéder à l'expulsion de tous les occupants sans droit ni titre du site situé cours Charles Bricaud, parcelles cadastrées section TV2, TV3 et TV

4, à Bordeaux, dans un délai de vingt-quatre heures à compter de l...

Vu la procédure suivante :

La SA Groupama Gan Vie a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Bordeaux, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'enjoindre au préfet de la Gironde, en premier lieu, de prêter le concours de la force publique pour assurer l'exécution de l'ordonnance du 28 novembre 2023 du vice-président du tribunal judiciaire de Bordeaux afin de procéder à l'expulsion de tous les occupants sans droit ni titre du site situé cours Charles Bricaud, parcelles cadastrées section TV2, TV3 et TV4, à Bordeaux, dans un délai de vingt-quatre heures à compter de la notification de l'ordonnance à intervenir et sous astreinte de 100 euros par jour de retard, en deuxième lieu, de mettre en place un dispositif de sécurisation aux abords de ce site par la mise à disposition et le déploiement de forces de police en effectif suffisant de manière quotidienne, immédiatement après l'expulsion de tous les occupants sans droit ni titre du site et sous astreinte de 100 euros par jour de retard et, en dernier lieu, de prendre des engagements écrits sur les mesures visant à sécuriser le périmètre du site de façon pérenne en indiquant la nature et les délais de réalisation de ces mesures, dans un délai de sept jours à compter de la notification de l'ordonnance à intervenir et sous astreinte de 100 euros par jour de retard.

Par une ordonnance n° 2400052 du 5 janvier 2024, la juge des référés du tribunal administratif de Bordeaux a rejeté cette demande.

Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés les 19 et 22 janvier 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Groupama Gan Vie demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) de faire droit à ses conclusions de première instance ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- l'ordonnance attaquée est entachée d'erreur de droit et d'erreur d'appréciation en retenant l'absence de carence de l'Etat alors que son bien immobilier a fait l'objet depuis le début de l'année 2023 d'occupations répétées ayant conduit à des dégradations et qu'il est à nouveau occupé sans titre depuis le 7 novembre 2023 ;

- elle est entachée d'erreur de droit, d'erreur d'appréciation et de méconnaissance de l'office du juge dès lors qu'elle a rejeté la demande de mesures pérennes au motif qu'elles avaient le caractère de mesures structurelles alors qu'elles consistaient uniquement en des mesures de sécurité à prendre sur la voie publique aux abords de sa propriété ;

- la condition d'urgence est satisfaite ;

- le refus du préfet de la Gironde de prêter le concours de la force publique pour assurer l'exécution de l'ordonnance du 28 novembre 2023 du vice-président du tribunal judiciaire de Bordeaux afin de procéder à l'expulsion de tous les occupants sans droit ni titre de son site et d'assurer la sécurisation de ce dernier méconnaît son droit de propriété dès lors que cette carence dans le concours de la force publique, d'une part, porte atteinte à sa liberté de disposer librement de son bien et, d'autre part, n'est justifiée par aucun motif d'ordre public.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code des procédures civiles d'exécution ;

- le code de justice administrative ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. (...) ". En vertu de l'article L. 522-3 du même code, le juge des référés peut, par une ordonnance motivée, rejeter une requête sans instruction ni audience lorsque la condition d'urgence n'est pas remplie ou lorsqu'il apparaît manifeste, au vu de la demande, que celle-ci ne relève pas de la compétence de la juridiction administrative, qu'elle est irrecevable ou qu'elle est mal fondée.

2. La société Groupama Gan Vie a saisi le juge des référés du tribunal administratif de Bordeaux, sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'une demande tendant à ce qu'il soit enjoint au préfet de la Gironde de prêter le concours de la force publique pour assurer l'exécution de l'ordonnance du 28 novembre 2023 du vice-président du tribunal judiciaire de Bordeaux afin de procéder à l'expulsion des occupants sans droit ni titre du site dont elle est propriétaire cours Charles Bricaud à Bordeaux, de mettre ensuite en place un dispositif de sécurisation aux abords de ce site par la mise à disposition et le déploiement de forces de police en effectif suffisant de manière quotidienne et de prendre des engagements écrits sur les mesures visant à sécuriser le périmètre du site de façon pérenne. Elle fait appel de l'ordonnance du 5 janvier 2024 par laquelle la juge des référés du tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.

3. L'article R. 153-1 du code des procédures civiles d'exécution dispose que : " Si l'huissier de justice est dans l'obligation de requérir le concours de la force publique, il s'adresse au préfet./ La réquisition contient une copie du dispositif du titre exécutoire. Elle est accompagnée d'un exposé des diligences auxquelles l'huissier de justice a procédé et des difficultés d'exécution./ Toute décision de refus de l'autorité compétente est motivée. Le défaut de réponse dans un délai de deux mois équivaut à un refus./ Ce refus est porté à la connaissance du créancier par l'huissier de justice. ".

4. En premier lieu, le refus de concours de la force publique, pour expulser des occupants sans titre d'un bien, opposé au propriétaire, est susceptible de revêtir, au sens des dispositions de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, le caractère d'une atteinte grave à une liberté fondamentale. L'usage par le juge des référés des pouvoirs qu'il tient des dispositions de cet article est toutefois subordonné à la condition qu'une urgence particulière rende nécessaire l'intervention dans les quarante-huit heures d'une mesure de sauvegarde. Le juge des référés saisi sur ce fondement peut, s'il estime que cette condition est remplie eu égard aux circonstances particulières invoquées devant lui par le propriétaire, et si le refus de concours est manifestement illégal, enjoindre au préfet d'accorder ce concours dans la mesure où une telle injonction est seule susceptible de sauvegarder l'exercice effectif de la liberté fondamentale à laquelle il est porté atteinte.

5. Il résulte de l'instruction devant le juge des référés du tribunal administratif de Bordeaux que le site de la société Groupama Gan Vie, vacant depuis l'été 2022, a fait l'objet de plusieurs occupations sans droit ni titre qui ont donné lieu à des expulsions réalisées avec le concours de la force publique. De nouveaux occupants sans titre s'étant installés en novembre 2023, la société a obtenu, par une ordonnance du 28 novembre 2023 du vice-président du tribunal judiciaire de Bordeaux, le droit de procéder à leur expulsion. Elle a alors demandé, le 14 décembre 2023, au préfet de la Gironde le concours de la force publique. En l'absence de réponse de ce dernier, elle a saisi, le 4 janvier 2024, le juge des référés du tribunal administratif de Bordeaux afin qu'il soit enjoint au préfet de prêter le concours de la force publique à cette expulsion. Toutefois, ainsi que l'a relevé la juge des référés du tribunal administratif de Bordeaux dans l'ordonnance attaquée, en application des dispositions, citées au point 3, de l'article R. 153-1 du code des procédures civiles d'exécution, le préfet disposait d'un délai de deux mois pour statuer sur cette demande. Or, le préfet n'avait opposé aucun refus explicite à la demande dont il était saisi et le délai de deux mois n'était pas expiré à la date à laquelle la juge des référés a statué. Il en est de même à la date de la présente décision. Il s'ensuit qu'en se bornant à se prévaloir des occupations répétées de son site depuis le début de l'année 2023 ainsi que des dégradations subies, la société requérante ne critique pas utilement l'ordonnance attaquée en tant qu'elle a retenu l'absence de carence de l'Etat.

6. En second lieu, il résulte de la combinaison des dispositions des articles L. 511-1, L. 521-2 et L. 521-4 du code de justice administrative qu'il appartient au juge des référés, lorsqu'il est saisi sur le fondement de l'article L. 521-2 et qu'il constate une atteinte grave et manifestement illégale portée par une personne morale de droit public à une liberté fondamentale, de prendre les mesures qui sont de nature à faire disparaître les effets de cette atteinte. Ces mesures doivent en principe présenter un caractère provisoire, sauf lorsqu'aucune mesure de cette nature n'est susceptible de sauvegarder l'exercice effectif de la liberté fondamentale à laquelle il est porté atteinte. Le juge des référés peut, sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, ordonner à l'autorité compétente de prendre, à titre provisoire, une mesure d'organisation des services placés sous son autorité lorsqu'une telle mesure est nécessaire à la sauvegarde d'une liberté fondamentale. Toutefois, le juge des référés ne peut, au titre de la procédure particulière prévue par l'article L. 521-2, qu'ordonner les mesures d'urgence qui lui apparaissent de nature à sauvegarder, dans un délai de quarante-huit heures, la liberté fondamentale à laquelle il est porté une atteinte grave et manifestement illégale. Eu égard à son office, il peut également, le cas échéant, décider de déterminer dans une décision ultérieure prise à brève échéance les mesures complémentaires qui s'imposent et qui peuvent également être très rapidement mises en œuvre. Dans tous les cas, l'intervention du juge des référés dans les conditions d'urgence particulière prévues par l'article L. 521-2 précité est subordonnée au constat que la situation litigieuse permette de prendre utilement et à très bref délai les mesures de sauvegarde nécessaires.

7. En se bornant à faire valoir que les mesures qu'elle avait demandées au préfet consistaient à sécuriser la voie publique aux abords de sa propriété, la société requérante n'apporte aucun élément remettant en cause l'appréciation de la juge des référés du tribunal administratif de Bordeaux en tant qu'elle a jugé que la mise en place des mesures de sécurité pérennes demandées relevait de mesures d'ordre structurel reposant sur des choix de politique publique. Elle n'a ainsi ni commis d'erreur de droit, ni méconnu son office en en déduisant que ces dernières n'étaient pas au nombre des mesures d'urgence que le juge des référés peut ordonner au titre de l'article L. 521-2 du code de justice administrative.

8. Il résulte de tout ce qui précède que la société requérante n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par l'ordonnance attaquée, la juge des référés du tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande. Il y a lieu, dès lors, de rejeter son appel selon la procédure prévue par l'article L. 522-3 du code de justice administrative, y compris ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

O R D O N N E :

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Article 1er : La requête de la SA Groupama Gan Vie est rejetée.

Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à la SA Groupama Gan Vie.

Copie en sera adressée au préfet de la Gironde.

Fait à Paris, le 31 janvier 2024

Signé : Nathalie Escaut


Synthèse
Numéro d'arrêt : 491012
Date de la décision : 31/01/2024
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 31 jan. 2024, n° 491012
Composition du Tribunal
Avocat(s) : SCP DELAMARRE, JEHANNIN

Origine de la décision
Date de l'import : 04/02/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2024:491012.20240131
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