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13/09/2023 | FRANCE | N°488045

France | France, Conseil d'État, 13 septembre 2023, 488045


Vu la procédure suivante :

M. A... B... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Paris, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, en premier lieu, d'ordonner la suspension de l'exécution des arrêtés du 10 août 2023 par lesquels le ministre de l'intérieur et des outre-mer a décidé de l'expulser du territoire français et a fixé le Maroc comme pays de destination, en deuxième lieu, d'enjoindre au ministre de lui restituer sa carte de séjour dans un délai de quarante-huit heures à compter de la notification de l'or

donnance et, en dernier lieu, de mettre à la charge de l'Etat la somme ...

Vu la procédure suivante :

M. A... B... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Paris, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, en premier lieu, d'ordonner la suspension de l'exécution des arrêtés du 10 août 2023 par lesquels le ministre de l'intérieur et des outre-mer a décidé de l'expulser du territoire français et a fixé le Maroc comme pays de destination, en deuxième lieu, d'enjoindre au ministre de lui restituer sa carte de séjour dans un délai de quarante-huit heures à compter de la notification de l'ordonnance et, en dernier lieu, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 800 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Par une ordonnance n° 2319345 du 23 août 2023, le juge des référés du tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Par une requête, enregistrée le 6 septembre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B... demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) d'annuler l'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Paris ;

2°) de faire ses droits à ses conclusions de première instance ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 800 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- l'ordonnance attaquée est entachée d'irrégularité en ce que, d'une part, elle méconnaît les droits de la défense, notamment le principe du caractère contradictoire de la procédure, dès lors que le mémoire en défense du ministre de l'intérieur et des outre-mer ne lui a été communiqué que quelques minutes avant l'audience du 22 août 2023 et, d'autre part, elle a omis de statuer sur une partie de ses conclusions ;

- la condition d'urgence est satisfaite dès lors qu'il fait l'objet d'une mesure d'expulsion susceptible d'intervenir à tout moment ;

- il est porté une atteinte grave et manifestement illégale au droit au respect de sa vie privée et familiale et à l'intérêt supérieur de ses enfants dès lors que, d'une part, il ne constitue pas une menace grave à l'ordre public justifiant son expulsion et il a témoigné d'efforts de réinsertion depuis ses condamnations et, d'autre part, il réside en France depuis l'âge de treize ans, il y a toutes ses attaches familiales et il contribue effectivement à l'entretien et à l'éducation de ses enfants mineurs, qui subiraient un préjudice psychologique important s'il était expulsé du territoire français.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention internationale des droits de l'enfant ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. (...) ". En vertu de l'article L. 522-3 du même code, le juge des référés peut, par une ordonnance motivée, rejeter une requête sans instruction ni audience lorsque la condition d'urgence n'est pas remplie ou lorsqu'il apparaît manifeste, au vu de la demande, que celle-ci ne relève pas de la compétence de la juridiction administrative, qu'elle est irrecevable ou qu'elle est mal fondée.

2. En vertu de l'article L. 631-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers en France, " l'autorité administrative peut décider d'expulser un étranger lorsque sa présence en France constitue une menace grave pour l'ordre public ". Elle doit cependant prendre en compte les conditions propres aux étrangers mentionnés à l'article L. 631-3 du même code, notamment lorsque l'étranger justifie par tous moyens résider habituellement en France depuis qu'il a atteint au plus l'âge de treize ans ou réside régulièrement en France depuis plus de dix ans et est père ou mère d'un enfant français mineur résidant en France s'il établit contribuer effectivement à l'entretien et à l'éducation de l'enfant dans les conditions prévues par l'article 371-2 du code civil depuis la naissance de celui-ci ou depuis au moins un an. Dans ce cas, l'étranger ne peut, selon cet article, " faire l'objet d'une décision d'expulsion qu'en cas de comportements de nature à porter atteinte aux intérêts fondamentaux de l'Etat, ou liés à des activités à caractère terroriste (...) ".

3. M. B..., ressortissant marocain âgé de 36 ans, est entré en France en 2001 à l'âge de treize ans dans le cadre de la procédure de regroupement familial et y a séjourné régulièrement jusqu'en 2023. Il vit en concubinage avec une ressortissante française avec laquelle il a eu quatre enfants de nationalité française. Par des arrêtés du 10 août 2023, le ministre de l'intérieur et des outre-mer a prononcé son expulsion du territoire français et fixé le Maroc comme pays de destination. M. B... interjette appel de l'ordonnance du 23 août 2023 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant, sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, à ce que soit ordonnée la suspension de l'exécution de ces arrêtés et la restitution de son titre de séjour.

Sur la régularité de l'ordonnance

4. D'une part, il résulte de l'article L. 5 du code de justice administrative que l'instruction des affaires est contradictoire et que les exigences de la contradiction sont adaptées à celles de l'urgence. Compte tenu de l'urgence qui s'attache à l'examen d'une demande présentée sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, qui impose au juge des référés de se prononcer dans un délai de quarante-huit heures, le juge des référés du tribunal administratif de Paris, saisi le 19 août 2023, n'a pas entaché son ordonnance d'irrégularité en communiquant le mémoire en défense du ministre de l'intérieur et des outre-mer enregistré le 21 août 2023 au requérant peu de temps avant l'audience du 22 août suivant, au cours de laquelle ce dernier a pu répondre aux arguments de l'administration.

5. D'autre part, l'ordonnance attaquée, qui rappelle que M. B... est entré en France à l'âge de treize ans et fait état de sa situation familiale et, en particulier, des relations effectives qu'il entretient avec ses enfants, avant de juger que les arrêtés litigieux ne méconnaissent pas de façon manifeste le droit au respect de la vie privée et familiale garanti par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'intérêt supérieur de l'enfant, est suffisamment motivée.

Sur la demande en référé

6. En premier lieu, il ressort des énonciations non contestées de l'ordonnance attaquée que M. B..., condamné à de multiples reprises à compter de 2014 pour des faits d'usage de stupéfiants, de vol, de recel, de violences ou menaces sur personne dépositaire de l'autorité publique et d'escroquerie a, au cours de son incarcération dans les centres pénitentiaires de Saint-Etienne-La-Talaudière et de Saint-Quentin-Fallavier entre 2019 et 2021, proféré à plusieurs reprises des menaces explicites de mort, en particulier par égorgement, à l'encontre du personnel pénitentiaire voire de membres de leur famille, au nom de l'islam, appelé au djihad et menacé de commettre des attentats terroristes, et qu'il a été condamné à ce titre, notamment pour apologie publique du terrorisme, à des peines de deux ans d'emprisonnement dont un an avec sursis probatoire de deux ans et de douze mois d'emprisonnement. Il ressort également de l'ordonnance attaquée, qui n'est pas davantage critiquée sur ce point en appel, qu'il a pu manifester un comportement prosélyte en prison et que des supports de propagande terroriste et des ouvrages de promotion du djihadisme et du salafisme ont respectivement été retrouvés à son domicile, en 2017, et dans sa cellule. Si M. B... n'apparaît pas engagé dans la conception effective d'une opération à caractère terroriste, un tel risque apparaît sérieux compte tenu de la gravité et de la récurrence des menaces et violences dont il est l'auteur, en lien avec l'idéologie djihadiste, de la fragilité psychologique qu'il présente et de l'absence de garanties sérieuses de réinsertion professionnelle et sociale, en dépit de la promesse d'embauche qu'il évoque. Dans ces conditions, les écritures d'appel du requérant, qui se borne à citer l'avis défavorable de la commission d'expulsion, à rappeler ses attaches en France et à faire état de diverses démarches d'insertion professionnelle, ne sont pas de nature à remettre en cause les motifs par lesquels le juge des référés du tribunal administratif de Paris a jugé que le ministre de l'intérieur et des outre-mer n'avait pas manifestement méconnu les dispositions des articles L. 631-1 et L. 631-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en estimant que sa présence en France constituait une menace grave pour l'ordre public, par des comportements de nature à porter atteinte aux intérêts fondamentaux de l'Etat ou liés à des activités à caractère terroriste.

7. En second lieu, les arrêtés contestés portent une atteinte particulièrement grave à la situation personnelle et familiale de M. B... compte tenu de l'ancienneté et de la durée de son séjour en France, des relations effectives qu'il entretient avec ses quatre enfants mineurs de nationalité française âgés de 15, 11, 9 et 5 ans, de la présence en France de ses parents marocains et de ses frères et de sa sœur, eux-mêmes de nationalité française, et de la modestie de ses attaches personnelles au Maroc. Ils sont également susceptibles d'affecter de façon suffisamment directe et certaine la situation de ses enfants mineurs, ces derniers étant cependant à la charge effective de leur mère depuis plusieurs années en raison de l'incarcération de M. B... et n'étant pas empêchés de rendre visite à leur père au Maroc. Toutefois, ainsi que l'a jugé le juge des référés du tribunal administratif par des motifs non contestés en appel, le requérant a fait l'objet, entre 2014 et 2022, de douze condamnations pour plusieurs dizaines d'infractions, pour un quantum total des peines prononcées de sept ans, ainsi que de dix-sept procédures disciplinaires au sein des établissements pénitentiaires où il a purgé ses peines. Eu égard à son comportement, à la gravité de la menace qu'il représente compte tenu de son profil radicalisé et de sa " dangerosité psychiatrique " décrite par un expert psychiatre ainsi qu'à ses faibles perspectives de réinsertion professionnelle en dépit des démarches qu'il a engagées, M. B..., qui se borne sur ce point à faire état de l'intensité de ses liens familiaux en France, n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que le juge des référés du tribunal administratif a jugé que les arrêtés litigieux ne constituaient pas une ingérence manifestement illégale dans le droit au respect de la vie privée et familiale garanti par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ni une violation manifeste du premier paragraphe de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant du 26 janvier 1990 qui prescrit aux administrations de faire de l'intérêt supérieur de l'enfant une considération primordiale dans leurs décisions.

8. Il résulte de tout ce qui précède que l'appel de M. B... n'est manifestement pas fondé et que, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la condition d'urgence, ses conclusions doivent être rejetées, y compris celles présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, selon la procédure prévue à l'article L. 522-3 du même code.

O R D O N N E :

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Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.

Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à M. A... B....

Fait à Paris, le 13 septembre 2023

Signé : Alexandre Lallet


Synthèse
Numéro d'arrêt : 488045
Date de la décision : 13/09/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 13 sep. 2023, n° 488045
Inédit au recueil Lebon

Origine de la décision
Date de l'import : 20/09/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2023:488045.20230913
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