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01/08/2023 | FRANCE | N°476412

France | France, Conseil d'État, 01 août 2023, 476412


Vu la procédure suivante :

M. I... E..., Mme K... L..., M. H... C..., M. B... D..., M. A... F... et M. J... G... ont demandé au juge des référés du tribunal administratif de Cergy-Pontoise, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, de suspendre l'exécution de la décision par laquelle le centre communal d'action sociale d'Argenteuil a décidé de fermer le centre d'hébergement d'urgence situé au 3, rue du moulin à Argenteuil et les décisions subséquentes mettant fin à l'accueil dont ils bénéficiaient, d'ordonner la réaffectation de

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Vu la procédure suivante :

M. I... E..., Mme K... L..., M. H... C..., M. B... D..., M. A... F... et M. J... G... ont demandé au juge des référés du tribunal administratif de Cergy-Pontoise, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, de suspendre l'exécution de la décision par laquelle le centre communal d'action sociale d'Argenteuil a décidé de fermer le centre d'hébergement d'urgence situé au 3, rue du moulin à Argenteuil et les décisions subséquentes mettant fin à l'accueil dont ils bénéficiaient, d'ordonner la réaffectation des moyens financiers et humains nécessaires au bon fonctionnement du centre pour la période transitoire, et d'enjoindre à l'Etat de procéder à une évaluation des situations et des besoins individuels des bénéficiaires pris en charge par le centre notamment de l'accueil de jour, en vue d'initier des démarches visant à l'accès à un logement pérenne et de tenir informé l'ensemble des bénéficiaires, en amont, par le truchement de plusieurs affichages dans les locaux du centre, de toutes les décisions et éléments utiles relatifs à l'avenir du centre, ainsi que de prendre toutes autres mesures nécessaires pour cesser les atteintes graves aux libertés fondamentales invoquées.

Par une ordonnance n° 2310040 du 28 juillet 2023, le juge des référés du tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté cette demande.

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 28 et 31 juillet 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. E... et autres demandent au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) de faire droit à leurs conclusions de première instance ;

3°) de mettre à la charge du centre communal d'action sociale d'Argenteuil la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- la condition d'urgence exigée par l'article L. 521-2 du code de justice administrative est remplie ;

- il est porté une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale ;

- la fermeture du centre d'hébergement d'urgence d'Argenteuil à compter du 31 juillet 2023 porte une atteinte grave et manifestement illégale au droit d'accès à un hébergement décent, au droit au respect de la vie privée garanti par l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, en particulier au titre du respect du domicile que constitue l'accueil de jour, au droit à la vie et au droit de ne pas subir un traitement inhumain et dégradant, à la sauvegarde de la dignité humaine et au droit au maintien pour une personne privée de son droit à un logement décent en accueil de jour pour préserver le lien social.

- la fermeture impromptue du centre d'hébergement d'urgence aurait dû donner lieu à une procédure propre à assurer la garantie des droits, notamment le droit à un recours effectif garanti par l'article 6 de la même convention ;

- cette décision méconnaît également l'article 14 de la même convention.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son préambule ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'action sociale et des familles ;

- le code de justice administrative ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. (...) ". En vertu de l'article L. 522-3 du même code, le juge des référés peut, par une ordonnance motivée, rejeter une requête sans instruction ni audience lorsque la condition d'urgence n'est pas remplie ou lorsqu'il apparaît manifeste, au vu de la demande, que celle-ci ne relève pas de la compétence de la juridiction administrative, qu'elle est irrecevable ou qu'elle est mal fondée.

2. Le centre communal d'action sociale d'Argenteuil a décidé de fermer, à compter du 31 juillet 2023 à 17 heures, le centre d'hébergement d'urgence situé dans des locaux communaux au 3, rue du moulin à Argenteuil, qui assurait l'hébergement, toute l'année, de 18 résidents et accueillait en journée jusqu'à 110 bénéficiaires. Les requérants, dont l'un, M. F..., était hébergé dans ce centre et les autres fréquentaient uniquement et de façon plus ou moins régulière l'accueil de jour, interjettent appel de l'ordonnance du 28 juillet 2023 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Cergy-Pontoise, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, a rejeté leur demande tendant à ce que l'exécution de cette décision de fermeture soit suspendue et à ce que des injonctions soient prononcées à l'encontre du centre communal d'action sociale et de l'Etat en vue d'assurer leur prise en charge.

3. En premier lieu, l'article L. 345-2 du code de l'action sociale et des familles prévoit que, dans chaque département, est mis en place, sous l'autorité du préfet, un dispositif de veille sociale chargé d'accueillir les personnes sans abri ou en détresse, de procéder à une première évaluation de leur situation médicale, psychique et sociale et, par le biais du service intégré d'accueil et d'orientation, de les orienter vers les structures ou services qu'appelle leur état. L'article L. 345-2-2 dispose que : " Toute personne sans abri en situation de détresse médicale, psychique ou sociale a accès, à tout moment, à un dispositif d'hébergement d'urgence. / Cet hébergement d'urgence doit lui permettre, dans des conditions d'accueil conformes à la dignité de la personne humaine et garantissant la sécurité des biens et des personnes, de bénéficier de prestations assurant le gîte, le couvert et l'hygiène, une première évaluation médicale, psychique et sociale, réalisée au sein de la structure d'hébergement ou, par convention, par des professionnels ou des organismes extérieurs et d'être orientée vers tout professionnel ou toute structure susceptibles de lui apporter l'aide justifiée par son état, notamment un centre d'hébergement et de réinsertion sociale, un hébergement de stabilisation, une pension de famille, un logement-foyer, un établissement pour personnes âgées dépendantes, un lit halte soins santé ou un service hospitalier (...) ". Il résulte du 8° de l'article L. 121-7 du même code que les mesures d'aide sociale en matière de logement, d'hébergement et d'insertion mentionnées à ces articles sont à la charge de l'Etat au titre de l'aide sociale.

4. Il appartient aux autorités de l'Etat, sur le fondement des dispositions citées ci-dessus, de mettre en œuvre le droit à l'hébergement d'urgence reconnu par la loi à toute personne sans abri qui se trouve en situation de détresse médicale, psychique ou sociale. Une carence caractérisée dans l'accomplissement de cette mission peut faire apparaître, pour l'application de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale lorsqu'elle entraîne des conséquences graves pour la personne intéressée. Il incombe au juge des référés d'apprécier dans chaque cas les diligences accomplies par l'administration en tenant compte des moyens dont elle dispose ainsi que de l'âge, de l'état de la santé et de la situation de famille de la personne intéressée.

5. L'instruction conduite par le juge des référés du tribunal administratif de Cergy-Pontoise ne fait pas ressortir que la fermeture litigieuse, dont les 18 personnes hébergées concernées ont été informées à la fin du mois de juin 2023, priverait nécessairement ces dernières et, en particulier, M. F... qui en bénéficiait dans cette structure, du droit à l'hébergement d'urgence garanti par les dispositions rappelées au point 3, qu'il appartient à l'Etat de mettre en œuvre dans les conditions mentionnées au point 4, sous le contrôle du juge. A cet égard, il ressort des éléments circonstanciés produits en première instance par la commune d'Argenteuil et par le préfet du Val d'Oise, et qui ne sont pas utilement discutés en appel, que 10 de ces 18 bénéficiaires ont été orientés vers une autre structure d'hébergement ou un logement adapté, trois d'entre eux ont refusé la proposition qui leur avait été faite, et cinq personnes étaient en attente d'hébergement, l'Etat s'engageant à les mettre à l'abri à l'hôtel en l'absence de solution au 31 juillet 2023. Il ressort en particulier du dossier qu'un hébergement a été proposé à M. F... au centre d'hébergement d'urgence de Saint-Prix mais qu'il ne l'a pas accepté en raison de la distance, d'environ 9 kilomètres depuis le centre fermé, des liens sociaux qu'il a tissés à Argenteuil et de son état de santé. Dans ces conditions, la fermeture du centre en tant qu'il assurait des prestations d'hébergement d'urgence, qui a d'ailleurs été motivée par des problèmes d'hygiène et de sécurité au sein de locaux vétustes et inadaptés et par les difficultés rencontrées par le centre communal d'action sociale pour assurer la gestion de ce service, ne peut être regardée comme portant une atteinte grave et manifestement illégale au " droit d'accès à un hébergement décent ", au droit au respect de la vie privée garanti par l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, au droit à la vie et au droit de ne pas subir un traitement inhumain et dégradant, à la sauvegarde de la dignité de la personne humaine.

6. En second lieu, si l'article D. 312-8 du code de l'action sociale et des familles prévoit, au bénéfice des personnes handicapées et des personnes âgées, un dispositif d'accueil temporaire, y compris en accueil de jour, dans les conditions qu'il fixe, aucune disposition législative ou réglementaire ne garantit à toute personne le droit de bénéficier, en permanence et, le cas échéant, dans la commune où elle a ses principales attaches ou son domicile, d'un accueil en journée dans un établissement ou un service social. Les requérants font il est vrai valoir que les bénéficiaires de l'accueil de jour du centre d'hébergement d'urgence d'Argenteuil y ont noué des liens sociaux et affectifs étroits ainsi que des relations privilégiées avec les acteurs locaux leur assurant un soutien moral, matériel et médical, en sus de prestations comme la fourniture de repas, la mise à disposition de sanitaires et d'équipements de blanchisserie. Toutefois, ni cette circonstance, alors qu'il n'est pas établi que d'autres structures d'accueil de jour établies dans des communes proches seraient insusceptibles, moyennant le cas échéant une adaptation de leur organisation, de leur fournir des services équivalents répondant à leurs besoins, et que la commune soutenait en première instance, sans être contestée, que l'accueil de jour ne bénéficiait qu'à une trentaine de personnes chaque jour, ni, en tout état de cause, les risques sanitaires allégués liés à la chaleur extrême du mois d'août qui ne sont pas avérés en l'état, ne permettent de considérer que la fermeture de ce centre, lequel ne saurait être qualifié de domicile quelle que soit la fréquence à laquelle les usagers le fréquentaient, entraînerait par elle-même une atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales invoquées, rendant nécessaire l'intervention dans les quarante-huit heures du juge des référés statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative. Il en va de même de la circonstance alléguée que les intéressés auraient été prévenus trop tardivement de la cessation d'activité du centre, qui n'est nullement de nature à les priver de leur droit au recours effectif.

7. Il résulte de ce qui précède que les requérants ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par l'ordonnance attaquée, le juge des référés du tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté leur demande. Leur requête d'appel étant manifestement infondée, elle ne peut qu'être rejetée selon la procédure prévue à l'article L. 522-3 du code de justice administrative, y compris les conclusions à fins d'injonction et celles qu'il présente sur le fondement de l'article L. 761-1 du même code.

O R D O N N E :

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Article 1er : La requête de M. E... et autres est rejetée.

Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à M. I... E..., premier dénommé pour l'ensemble des requérants.

Copie en sera adressée au centre communal d'action sociale d'Argenteuil, à la commune d'Argenteuil et au préfet du Val-d'Oise.

Fait à Paris, le 1er août 2023

Signé : Alexandre Lallet


Synthèse
Numéro d'arrêt : 476412
Date de la décision : 01/08/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 01 aoû. 2023, n° 476412
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Avocat(s) : SCP DELAMARRE, JEHANNIN

Origine de la décision
Date de l'import : 27/08/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2023:476412.20230801
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